Si un employeur refuse d’affecter une travailleuse enceinte à des tâches ne comportant pas de danger pour l’enfant à naître ou pour elle-même, de sorte qu’elle est retirée du travail et reçoit une indemnité de remplacement du revenu (IRR), s’agit-il d’une sanction au sens de l’article 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST)? Dans Ville de Québec c. Ouellet, la Cour d’appel a récemment confirmé que le Tribunal administratif du travail (TAT) avait l’obligation d’examiner les motifs d’un tel refus avant de conclure qu’il ne pouvait être assimilé à une sanction imposée à la travailleuse.

Les faits

Dans cette affaire, une sergente de patrouille pour le service de police de la Ville de Québec avait remis à son employeur un certificat médical établissant que ses conditions de travail, et plus particulièrement les tâches qu’elle accomplissait sur le terrain, comportaient des dangers physiques pour elle-même ou pour son enfant à naître. Son poste comportait 2 volets, soit la supervision des patrouilleurs répondant à des appels d’urgence et l’exécution de tâches administratives d’évaluation, de formation et de diffusion de l’information. La travailleuse souhaitait être affectée à d’autres tâches durant sa grossesse, et le certificat qu’elle avait remis à l’employeur comportait certaines recommandations à ce sujet. Devant le refus de l’employeur de la réaffecter, la travailleuse a déposé une plainte en vertu de l’article 227 LSST dans laquelle elle prétendait avoir fait l’objet de mesures discriminatoires ou de représailles à la suite de l’exercice d’un droit prévu à l’article 40 LSST.

L’historique des décisions rendues

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail a considéré que le refus de l’employeur de réaffecter la travailleuse ne pouvait être assimilé à une sanction au sens de l’article 227 LSST et elle a donc conclu à l’irrecevabilité de la plainte. L’organisme était d’avis que l’employeur avait rempli ses obligations en retirant la travailleuse du travail, et ce, malgré les conséquences pécuniaires importantes que cette décision entraînait pour cette dernière.

Le TAT a considéré que la travailleuse n’avait pas été l’objet d’une sanction, d’une mesure discriminatoire ou encore d’une mesure de représailles à la suite de l’exercice d’un droit prévu à la LSST, de sorte qu’il a déclaré que la plainte était irrecevable. Selon lui, la loi ne prévoit pas pour la travailleuse enceinte ou qui allaite un droit à la réaffectation à d’autres tâches, la décision de procéder à une telle affectation relevant des droits de direction de l’employeur.

La Cour supérieure, saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire déposé par la travailleuse, a jugé que cette décision du TAT était déraisonnable et ne respectait pas les enseignements de la Cour suprême du Canada dans Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, qui reconnaissent un droit à la réaffectation dans les articles 40 et 41 LSST, et ce, bien que l’employeur ne soit pas soumis à une obligation de résultat à cet égard. Selon la Cour supérieure, en omettant de tenir compte de la contrainte juridique que constitue ce précédent, le TAT n’a pas complété l’analyse à laquelle il aurait dû s’astreindre. En effet, il devait examiner les motifs ayant fondé le refus de l’employeur. La Cour a retourné le dossier au TAT afin qu’il rende une décision conforme à la loi.

L’employeur a fait appel de ce jugement, et la Cour d’appel a rejeté son recours, estimant que la juge de première instance n’avait commis aucune erreur révisable.

L’arrêt de la Cour d’appel

En réponse aux prétentions de l’employeur relatives à la portée de l’arrêt rendu dans Dionne, la Cour d’appel souligne que les enseignements de la Cour suprême dans cette affaire vont au-delà de la simple détermination du statut de «travailleuse» au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. En effet, ils établissent le cadre légal du régime de retrait préventif des travailleuses enceintes ou qui allaitent.

La Cour rappelle les propos de la juge Abella selon lesquels la remise d’un certificat de retrait préventif constitue une demande de réaffectation à des tâches ne comportant pas de danger. En concluant que l’intention véritable du législateur était le retrait immédiat du travail lorsque les tâches d’une travailleuse comportent des dangers, le TAT n’a pas respecté le cadre légal exposé dans Dionne. De surcroît, ce faisant, il n’a pas tenu compte du fait qu’un certificat de retrait préventif vise à permettre d’évaluer les possibilités de réaffectation d’une travailleuse dans des conditions sécuritaires.

Il est intéressant de noter que la Cour d’appel souligne par ailleurs l’importance, pour une travailleuse enceinte qui est en mesure d’effectuer certaines tâches, d’être maintenue au travail. En effet, le retrait du travail peut entraîner une perte financière -- comme c’était le cas de la travailleuse en l’espèce, qui était pénalisée par le fait de recevoir une IRR plutôt qu’un salaire --, «[une] perte d’expérience et l’impossibilité de poursuivre sa carrière en harmonie avec une maternité» (paragr. 56). La décision du TAT «occulte les conséquences du retrait systématique du travail pour les travailleuses enceintes qui souhaiteraient y demeurer durant leur grossesse alors que c’est l’élimination à la source des dangers qui devrait primer» (paragr. 78).

Enfin, la Cour d’appel, se basant toujours sur les enseignements de Dionne, rappelle que cet arrêt ne reconnaît aucunement à un employeur le pouvoir discrétionnaire de choisir entre l’affectation d’une travailleuse enceinte et son retrait du travail. Certes, un employeur n’a pas une obligation de résultat à cet égard, mais «la travailleuse enceinte ou qui allaite devrait pouvoir demeurer au travail dans des tâches sans danger, si cette option est possible» (paragr. 65). L’employeur doit donc prendre les moyens raisonnables pour tenter de la réaffecter et, s’il ne peut le faire, il doit lui fournir les raisons qui expliquent sa décision, sans qu’il soit toutefois nécessaire de le faire par écrit ou dans le cadre d’un processus formel. Dans le présent cas, le TAT devra se prononcer sur le fond et déterminer, à la lumière des motifs donnés par l’employeur pour refuser la réaffectation de la travailleuse, si cette dernière a été l’objet d’une sanction au sens de l’article 227 LSST.