En juin 2024, l’Office des personnes handicapées du Québec a produit un rapport portant sur la reconnaissance des chiens d’assistance au Québec, rappelant qu’il n’existe actuellement pas un processus officiel de reconnaissance. Selon les auteurs du rapport, en raison de leur popularité croissante, et dans la mesure où la personne qui utilise un chien de soutien émotionnel pourrait bénéficier de la protection de la Charte des droits et libertés de la personne, l’encadrement des animaux de soutien émotionnel devrait faire l’objet d’une future réflexion au Québec.

Un de ces cas de figure est la décision Martin-Desgagné c. 9444-0831 Québec inc., dans laquelle une locatrice et sa gestionnaire ont été condamnées à payer 6 000 $ en dommages moraux et 1 000 $ en dommages punitifs pour avoir refusé de louer un logement à la demanderesse. Cette dernière souffrait de dépression majeure et son psychiatre avait recommandé qu’elle bénéficie d’un chien d’assistance dans le but de l’aider à diminuer son isolement et à améliorer la gestion de ses symptômes anxieux.

La gestionnaire avait tenté de justifier son refus en distinguant les chiens d’assistance des chiens de soutien émotionnel, soutenant que le chien de la demanderesse, un chien de race american staffordshire terrier, était d’une race proche du pitbull, laquelle n’est généralement pas reconnue comme chien d’assistance.

Ces arguments n’ont pas été retenus par le Tribunal des droits de la personne, qui a conclu que ces affirmations étaient erronées et contraires à la loi ainsi qu’à la jurisprudence.

Alors, qu’en est-il du traitement des personnes qui revendiquent le droit à un animal de soutien émotionnel? Passons en revue quelques décisions récentes dans différents domaines de droit pour tenter de mieux cerner cette tendance.

Le Tribunal administratif du Québec (TAQ)

Dans le cadre d’une contestation d’une décision du Bureau de la révision administrative de la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), qui avait refusé à la requérante une aide financière pour l’achat et la formation de son chien, le TAQ s’est prononcé sur la distinction entre un chien d’assistance et un chien de soutien émotionnel dans la décision K.W. c. Ministre de la Justice (IVAC):

[42]   Ainsi, la question principale à laquelle doit répondre le Tribunal afin de déterminer si la requérante a droit à l’aide financière recherchée est de déterminer la nature de l’assistance requise et le rôle de l’animal dans ce contexte.

[43]   À ce sujet, les parties déposent de part et d’autre différents documents sur la question. Dans le Guide «Reconnaître les chiens d’assistance au Québec», les concepts derrière les chiens d’assistance et les chiens de soutien émotionnels sont ainsi définis :

«Chien d’assistance: un chien d’assistance est spécialement entraîné pour pallier le handicap de son bénéficiaire. Ces chiens sont formés pour accomplir des tâches spécifiques qui répondent à des besoins particuliers. À moins de circonstances particulières, ils ont accès aux lieux publics, normalement interdits aux chiens, tels que les édifices gouvernementaux, les transports en commun, les restaurants, les écoles, les commerces, etc.

Chien de soutien émotionnel: un chien de soutien émotionnel est un chien n’ayant pas reçu un entraînement spécifique pour pallier le handicap de son bénéficiaire, mais dont les effets bénéfiques sur la personne qui l’utilise peuvent être démontrés. Il aide la personne, notamment, à modifier positivement son comportement en facilitant les interactions sociales ou en améliorant son sentiment de sécurité

Dans cette affaire, la requérante appuyait sa demande sur des billets médicaux qui indiquaient que son animal était un chien d’assistance en raison de son syndrome de stress post-traumatique. Pour le Tribunal, les propos des médecins traitants étaient insuffisants puisqu’ils ne précisaient pas quelles tâches précises l’animal pourrait accomplir une fois la formation achevée et qui justifierait sa qualification à titre de chien d’assistance. Il a donc conclu que le chien de la requérante était plutôt un animal de soutien émotionnel et que les frais liés à son achat et à son dressage ne correspondaient pas à l'une des aides prévues à la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement.

Dans A.P. c. Ministre de la Justice (IVAC), la requérante, qui avait été acceptée comme victime d’infractions criminelles dans le cadre du régime d’indemnisation de l’IVAC, réclamait une aide financière pour un chat de soutien émotionnel. Elle avait transmis un rapport médical d’une médecin qui mentionnait qu’elle souffrait notamment d’un état de stress post-traumatique et que la présence du chat constituait un support psychologique et sécuritaire pour la requérante. La psychologue et neuropsychologue traitante de la requérante de même que son médecin de famille étaient du même avis.

Le Tribunal a conclu que permettre une telle aide financière serait une interprétation trop large de la loi qui en dénaturerait le sens. En l’espèce, la preuve était claire, et le chat demandé par la requérante devait l’aider à demeurer seule à son domicile et ne visait donc pas à faciliter sa réinsertion sociale. Il ne s’agissait donc pas d’une dépense reconnue par l’IVAC dans la mesure où la présence du chat ne participait pas à la réhabilitation psychothérapeutique ou psychosociale de la victime.

Le Tribunal administratif du travail (TAT)

À l’instar du TAQ, le critère est la réinsertion sociale lorsqu’il est question d’une réclamation de frais liés à un animal. Dans le cadre de la contestation d’un travailleur du refus par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail de lui rembourser les frais d’entraînement d’un chien d’assistance, le TAT s’est également prononcé sur la distinction entre un chien d’assistance et un chien de soutien émotionnel. Ainsi, dans Plante et Roy Métivier Roberge inc. (Syndic), la juge administrative explique:

[27]   Le «chien d’assistance» est défini aux notes évolutives de la Commission:

Un chien d’assistance est un chien entraîné dans le but de pallier le handicap de son/sa bénéficiaire au quotidien; il connaît des tâches pour répondre à des besoins spécifiques. Ce type de chien possède un accès public complet, c’est-à-dire qu’il est admis dans tous les lieux publics qui sont normalement refusés aux chiens (ex.: transports en commun, restaurants, écoles, magasins, etc.).

[28]   Cette définition diffère de toutes les autres qui y sont énumérées, que ce soit à l’égard du chien de zoothérapie, du chien de soutien émotionnel et du chien d’accompagnement:

[…]

Un chien de soutien émotionnel est un chien qui réconforte par sa simple présence, il ne requiert donc aucune formation. Puisqu’il n’est pas reconnu par les Tribunaux comme étant un moyen pour pallier un handicap, il est donc restreint quant à l’accès aux lieux publics. En d’autres mots, il est admis uniquement dans les endroits «dog friendly». Cela dit, une personne désirant être accompagnée par un chien de soutien émotionnel peut tout de même faire une demande d’accommodement raisonnable auprès d’un établissement. (CDPDJ, 2022).

[…]

Le Tribunal a conclu que le travailleur avait donc droit au remboursement des frais requis pour entraîner un chien d’assistance, qui possédait des qualités permettant d’intégrer le travailleur ou la travailleuse dans un programme de réadaptation sociale et à redevenir autonome dans l’accomplissement des activités habituelles.

Dans la décision English et Salaison G. Lauzon inc., la travailleuse réclamait le remboursement des frais de vétérinaire et du promeneur de son chien. Insistant sur sa condition psychologique, qui provoquait des craintes et de l’hypervigilance, elle avait déposé une lettre de son médecin psychiatre qui mentionnait qu’elle avait besoin de la présence de son chien chez elle pour la rassurer et lui permettre d’être moins anxieuse.

Après avoir pris connaissance des quelques décisions rendues en la matière, le TAT a constaté qu’il faut distinguer un chien de service, un chien-guide ou un chien d’assistance d’un simple chien de compagnie. Ainsi, même si le chien de la travailleuse lui apportait un certain réconfort, il ne possédait pas les qualités permettant à la travailleuse de surmonter les conséquences personnelles et sociales de la lésion professionnelle; la contestation de la travailleuse a été rejetée.

Le Tribunal administratif du logement (TAL)

Devant le TAL, la distinction entre un chien d’assistance et un chien de soutien émotionnel ne semble pas avoir d’incidence, dans la mesure où le critère applicable est celui du préjudice affectif ou psychologique.

Dans Pelletier c. Manoir Laure-Gaudreault, la juge administrative rappelle que, dans le cas où un locataire demande à être exonéré de la clause interdisant la possession d’un animal, en vertu de l’article 1901 du Code civil du Québec, il doit démontrer qu’il est essentiel, pour des raisons sérieuses de santé et d’équilibre psychologique, que l’animal soit présent. En l’espèce, la locataire avait produit un billet médical d’un psychiatre démontrant que la possession de l’animal était essentielle à sa santé physique et psychologique.

Il en est de même de la décision Sivilla c. Boukendakdji, dans laquelle la juge administrative a conclu que la preuve médicale fournie par la locataire ainsi que son témoignage démontraient que la présence d’un chien constituait pour sa fille un important soutien émotionnel ayant une incidence certaine sur son état de santé général et que l’application de la clause d’interdiction de posséder un animal serait déraisonnable et leur causerait un préjudice énorme.

À l’inverse, dans Habitations Immofive inc. c. Delaunais, la demande d’une locatrice afin que le locataire se débarrasse de son chien a été accueillie. La juge administrative n’a pas retenu l’argument du locataire selon lequel sa situation nécessitait la présence du chien, appuyé par un billet médical précisant que la présence du chien lui apportait bien-être et réconfort. Selon le Tribunal, il n’avait pas été démontré que le chien aidait le locataire à résoudre son état psychologique.

La demande pour permission d’appeler du locataire a été rejetée dans Delaunais c. Habitations Immofive inc. La Cour du Québec a souligné qu’une clause à un bail interdisant les animaux domestiques n’est pas en soi déraisonnable ou contraire à la Charte des droits et libertés de la personne. Devant une preuve médicale convaincante établissant que, sans la présence de l’animal, le locataire subirait un préjudice affectif ou psychologique, la clause pourrait être déclarée déraisonnable. Cependant, la Cour a conclu à l’absence de faiblesse apparente de la décision du TAL.

Force est de constater que l’animal de soutien émotionnel ne semble pas avoir le même traitement suivant les domaines de droit. D’une part, même si ses bienfaits auprès des victimes d’actes criminels et de lésions professionnelles sont reconnus, il ne s’agit pas de frais qui sont couverts par les différentes lois applicables. D’autre part, les locateurs doivent accommoder les locataires qui ont besoin d’un animal de soutien émotionnel, pourvu que la preuve soit faite que la présence de l’animal permet de prévenir un préjudice affectif ou psychologique. Si tant est que leur présence aide les personnes aux prises avec des troubles psychologiques, il semble effectivement souhaitable, comme le soulignent les auteurs du rapport sur la reconnaissance des chiens d’assistance au Québec, que les animaux de soutien émotionnel fassent également l’objet d’une réflexion sur leur encadrement.