Au cours de la dernière année, le Conseil de discipline du Barreau du Québec a rendu près d'une centaine de décisions mettant en lumière différentes obligations déontologiques des avocats. Voici quelques illustrations jurisprudentielles récentes se voulant autant de rappels de ces devoirs déontologiques, tels qu'ils sont énoncés dans le Code de déontologie des avocats du Québecet le Code des professions (C.prof.). 

Devoirs généraux

Honneur, dignité, intégrité, respect, modération et courtoisie: déclarations relatives à un policier

Article 4 du code de déontologie: L’avocat agit avec honneur, dignité, intégrité, respect, modération et courtoisie.

Un avocat déclaré coupable d'avoir contrevenu à l'article 4 du code de déontologie pour ses propos tenus lors d'une entrevue radiophonique s'est vu imposer une amende de 10 000 $ par le Conseil de discipline, qui a notamment tenu compte «de son risque de récidive élevé, de son antécédent disciplinaire, des précédents applicables et du principe de la gradation des sanctions» (paragr. 103). Le Conseil de discipline a souligné, eu égard à l'infraction reprochée, que:

[67]     L’intimé, par son intervention publique, devait rapporter les faits, à partir de fondements raisonnables, ce qu’il a omis de faire. Au surplus, dans les circonstances d’une entrevue radiophonique, la déformation des propos du policier n’était pas nécessaire afin d’assurer une défense pleine et entière de son client. Il ne s’agit pas ici d’une erreur de droit sur un concept juridique, mais d’une erreur de fait manifeste. [Nos soulignés.]

Le Conseil de discipline a également précisé que la protection du public implique que celui-ci soit «protégé des informations fausses et incomplètes ou de raccourcis» (paragr. 71).

Conduite vexatoire à l'endroit d'une consœur: un comportement n'étant plus toléré

Dans une autre affaire, le Conseil de discipline a imposé des réprimandes et des amendes totalisant 10 000 $ à un avocat ayant reconnu sa culpabilité sous les 2 chefs de la plainte lui reprochant sa conduite vexatoire à l'endroit d'une consœur au service du cabinet dont il était coassocié-directeur ainsi que d'avoir manqué à son devoir d'agir avec honneur, dignité, intégrité, respect, modération et courtoisie envers d'autres employés. Le Conseil de discipline, qui a retenu l'article 4 du code de déontologie à titre de disposition de rattachement sous chacun des chefs, a mentionné que le concept de «protection du public» était vaste et qu'il ne concernait pas «uniquement les clients des avocats, mais également les personnes qui collaborent avec eux dans le cadre de l’accomplissement de leurs mandats» (paragr. 33). Il a aussi mentionné que:

[42]        En raison de la nouveauté quant au constat que les gestes reprochés sont contraires aux règles déontologiques, le Conseil juge appropriée la recommandation conjointe suggérant de faire preuve d’une «certaine clémence» et d’imposer à l’intimé des sanctions légèrement inférieures à celles par ailleurs retenues pour les mêmes dispositions de rattachement, et ce, afin d’éviter que ce dernier ne devienne un bouc émissaire pour les manquements identifiés.

Éviter de donner un caractère de lucre à la profession: un mandat comportant un volet de type «day-to-day affairs»

Article 7 du code de déontologie: L’avocat évite toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre, soit le fait de rechercher un gain avec avidité ou cupidité ou d’utiliser de manière abusive son statut d’avocat dans le but de s’enrichir.

Dans une décision récente, le Conseil de discipline a déclaré une avocate coupable sous le seul chef de la plainte disciplinaire déposée contre elle, qui lui reprochait notamment d'avoir contrevenu à l'article 7 du code de déontologie en percevant d'un client, au cours d'une période de 5 ans, la somme de 319 350 $ (277 750 $ sans les taxes), représentant 964 heures de services professionnels facturées par l’intimée à un taux horaire de 275 $, puis de 300 $. Le client en question, un homme âgé de 75 ans, lui avait confié le mandat de le représenter au sujet des arbres de sa maison qui suscitaient des plaintes de la part d’un voisin. Le mandat comprenait également un volet appelé «day-to-day affairs», qui consistait à représenter le client et à agir sur demande dans toute matière dès qu’il la sollicitait. Selon l'opinion majoritaire du Conseil, l'avocate en cause a «adopté une pratique proscrite par les tribunaux supérieurs, soit une facturation mathématique du nombre d’heures par son taux horaire quel que soit le type de service offert» (paragr. 224). De plus, ses factures n'étaient pas «proportionnelles à la valeur des services rendus» (paragr. 231) et ne tenaient pas compte des obligations déontologiques de l'avocate, lesquelles lui imposent «de ne pas suivre aveuglément les instructions de son client, sans une remise en question» (paragr. 232).

Il est à noter que, selon l'opinion minoritaire de l'un des membres du Conseil, même si le comportement de l’avocate n'était pas exempt de tout reproche, la preuve soumise ne permettait pas de conclure à sa culpabilité.

Devoirs envers le client

Désistement sans le consentement du client

Article 28 du code de déontologie: L’avocat détermine avec le client les conditions, modalités et l’étendue du mandat qui lui est confié. Il expose notamment de façon objective la nature et la portée des problèmes qui, à son avis, ressortent de l’ensemble des faits portés à sa connaissance et les risques inhérents aux mesures recommandées.

L’avocat obtient le consentement du client au sujet du mandat, en portant une attention et un soin particuliers s’il s’agit d’une personne vulnérable notamment en raison de son âge ou de son état physique ou psychologique.

Dans une décision sur culpabilité et sanction, le Conseil de discipline s'est penché sur le cas d'un avocat s’étant désisté, au nom de son client, d'une demande introductive d’instance sans avoir obtenu son consentement et en son absence, et ce, malgré le fait que ce dernier était présent au palais de justice. Le Conseil de discipline, qui a retenu l'article 28 du code de déontologie à titre de disposition de rattachement aux fins de l'imposition de la sanction sous l'unique chef de la plainte, a accepté de lui imposer une amende de 5 000 $, tel que le recommandaient les parties. Il a toutefois tenu à souligner que «le lien de confiance qui doit gouverner les rapports avocats-clients est essentiel» et que, «[l]orsqu’un client mandate un avocat pour agir en son nom, il est notamment en droit de s’attendre à ce que ce dernier le représente pour faire valoir ses droits, l’informe de l’évolution de son dossier et obtienne son consentement lorsque requis» (paragr. 36).

Devoirs envers l'administration de la justice

Condamnation pour outrage au tribunal: sphère de la vie privée

Article 111 du code de déontologie: L’avocat sert la justice et soutient l’autorité des tribunaux. Il ne peut agir de manière à porter préjudice à l’administration de la justice. Il favorise le maintien du lien de confiance entre le public et l’administration de la justice.

Un avocat ayant été condamné pour outrage au tribunal parce qu'il avait omis de se conformer à des jugements rendus par la Cour supérieure a été déclaré coupable d'avoir contrevenu à l'article 111 du code de déontologie sous l'unique chef de la plainte déposée contre lui. L'infraction reprochée s’étant produite dans la sphère de sa vie privée, le Conseil de discipline a souligné à cet égard que:

[44]     À titre d’auxiliaire de la justice, l’avocat joue un rôle dans l’administration de celle-ci, notamment en raison de la nature publique de sa fonction et de son devoir de collaboration prévu à l’article 2 de la Loi sur le Barreau. La confiance du public à l’égard de l’avocat est intimement liée à celle du système de justice.

[45]     Les différentes autorités discutées ci-devant exposent clairement que des devoirs s’imposent à l’avocat même dans la sphère de sa vie personnelle ou encore lorsqu’il agit à titre de partie à un litige devant les tribunaux. [Nos soulignés.]

Dans sa décision sur sanction, le Conseil de discipline lui a imposé une période de radiation temporaire de 1 mois.

Assurer une saine administration de la justice: fournir ses disponibilités afin de fixer des dates d’audience

Article 113 du code de déontologie: L’avocat coopère avec tout intervenant du système de justice pour en assurer la saine administration. Il adopte une attitude conforme aux exigences de la bonne foi et évite tout procédé purement dilatoire, notamment recourir à une procédure dans le seul but de nuire à autrui.

Dans une autre affaire, il était notamment reproché à un avocat, sous le premier chef de la plainte, d'avoir omis de coopérer avec le Tribunal administratif du travail pour assurer une saine administration de la justice, et ce, en refusant ou en négligeant de fournir ses disponibilités afin de fixer des dates d’audience. Le Conseil de discipline a retenu l'article 113 du code de déontologie à titre de disposition de rattachement et il a imposé à l'avocat une radiation temporaire de 1 mois sous ce chef.

Le Conseil de discipline a rappelé que l’avocat est un officier de justice, qui «occupe une place privilégiée dans l’administration de la justice» (paragr. 64) et que, en tant que rouage important de celle-ci, il «ne doit pas, par sa conduite ou sa négligence, affecter négativement le respect et la confiance que le public entretient de façon générale à l’égard de la justice» (paragr. 66). Il a ajouté que, sous ce chef, la conduite de l’avocat constituait «un accroc à une saine administration de la justice et un manque de respect élémentaire à l’égard de l’autorité des tribunaux» (paragr. 68). [Nos soulignés.]

Devoirs envers la profession

Répondre à la correspondance du syndic: une obligation de résultat

Article 135 du code de déontologie: L’avocat répond personnellement et avec diligence à toute communication provenant d’un membre du bureau du syndic du Barreau ainsi que de l’une des personnes visées par l’article 192 du Code des professions (chapitre C-26). L’avocat répond selon le mode de communication déterminé par cette personne ou se rend à son bureau si elle le requiert.

Il respecte également tout engagement qu’il prend à l’égard de l’une de ces personnes.

Une avocate ayant fait l'objet d'une plainte disciplinaire comportant 11 chefs a été reconnue coupable d'avoir omis de répondre à la correspondance de la syndic adjointe plaignante, d’avoir omis de se présenter ou de se faire représenter devant le tribunal alors que sa présence était requise, d’avoir contrevenu à une ordonnance lui sommant de se présenter en salle de cour ainsi que d’avoir transmis au tribunal et à sa cliente des informations fausses en les sachant ou en devant les savoir fausses.

En ce qui concerne son omission de répondre à la correspondance de la plaignante, le Conseil a relevé que, l'intimée en avait accusé réception par l’intermédiaire d’un employé ou d’un représentant de son cabinet, tout en soulignant qu'«[e]n aucun temps, ces accusés de réception ne représentent une forme de réponse» (paragr. 42). Il a jugé que l'intimée avait, à plusieurs reprises, omis «de respecter les prescriptions de l’article 135 du Code de déontologie des avocats qui lui exige de répondre personnellement et avec diligence à toute communication provenant d’un membre du bureau du syndic du Barreau» (paragr. 43). En ce qui concerne les 6 chefs sous lesquels elle a été déclarée coupable d'avoir contrevenu à cet article, le Conseil de discipline lui a imposé des périodes de radiation temporaires de 4 mois à purger de manière concurrente. Il a tenu à rappeler que «l’obligation de répondre à son ordre professionnel en est une de résultat» (paragr. 70) et que:

[71]     Les conséquences d’un défaut de répondre sont sérieuses, car non seulement l’omission du professionnel empêche une enquête de progresser, mais elle peut également empêcher le syndic d’intervenir en temps opportun. [Nos soulignés.]

Code des professions

Enfin, on ne peut passer sous silence le fait que, dans certaines décisions, le Conseil de discipline doit se pencher sur les dossiers d'avocats faisant l'objet d'accusations criminelles ou ayant été déclarés coupables de telles accusations.

Limitation et suspension provisoire du droit d'exercice de la profession: 2 illustrations

Article 122.0.1 C.prof.: Un syndic peut, lorsqu’il est d’avis qu’une poursuite intentée contre un professionnel pour une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus a un lien avec l’exercice de la profession, requérir du conseil de discipline qu’il impose immédiatement à ce professionnel soit une suspension ou une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre, soit des conditions suivant lesquelles il pourra continuer d’exercer la profession ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre.

Ainsi, dans une décision rendue en juillet dernier, le Conseil de discipline a ordonné la limitation provisoire du droit d’exercer la profession d'un avocat accusé d'avoir commis les actes criminels prévus aux articles 264 (1) , 264 (3) a) et 266 a) du Code criminel, après avoir relevé que «les chefs de l’acte d’accusation direct font état d’une peine d’emprisonnement de 5 ans ou plus» (paragr. 39) et conclu que «les infractions de harcèlement et de voies de fait contredisent l’essence et les valeurs de la profession d’avocat» (paragr. 46). [Nos soulignés.]

Dans une autre décision, également rendue en juillet, c'est la suspension immédiate provisoire du droit d’exercer la profession d’avocat qui a été ordonnée, le Conseil de discipline ayant conclu que le geste reproché – allégations de meurtre et de complot dans le but de commettre des meurtres – venait «en contradiction avec l’obligation de l’avocat de soutenir le respect de la loi et des droits fondamentaux de la personne» et contredisait «l’essence et les valeurs de la profession d’avocat» (paragr. 35).

Décision sur sanction en vertu de l'article 149.1 C.prof.: voies de fait contre des agents de la paix

Article 149.1 C.prof.: Un syndic peut saisir le conseil de discipline, par voie de plainte:

1° de toute décision d’un tribunal canadien déclarant un professionnel coupable d’une infraction criminelle;

[…]

La décision visée au premier alinéa doit, de l’avis du syndic, avoir un lien avec l’exercice de la profession.

Une copie dûment certifiée de la décision judiciaire fait preuve devant le conseil de discipline de la perpétration de l’infraction et, le cas échéant, des faits qui y sont rapportés. Le conseil de discipline prononce alors contre le professionnel, s’il le juge à propos, une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156.

Enfin, le Conseil de discipline a accepté d'imposer une réprimande à un avocat ayant été déclaré coupable d’avoir proféré des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles et de s'être livré à des voies de fait contre 2 agents de la paix. Ce dernier a admis le lien entre l'infraction dont il avait été reconnu coupable et l'exercice de la profession, et ce, même s'il était stagiaire au moment des infractions et avocat lorsqu'il a plaidé coupable. À cet égard, le Conseil de discipline a notamment rappelé que «les actes commis dans la sphère de la vie privée d’un avocat peuvent être liés à sa vie professionnelle» et que, «à titre d’auxiliaire de la justice, l’avocat a l’obligation de soutenir le respect de la loi et de servir la justice» (paragr. 34). De plus, le Conseil de discipline a indiqué que:

[35]     […] Proférer des menaces à l’égard d’agents de la paix et cracher sur eux sont des actes allant à l’encontre des qualités essentielles de la profession. Les stagiaires en droit, de même que les étudiants en droit à l’École du Barreau ou à l’université, devraient donc éviter des comportements qui, une fois leur admission au sein de l’Ordre, pourraient déconsidérer la profession d’avocat et constituer des manquements déontologiques graves.

Conclusion

Ces quelques décisions rappellent l'importance du respect des obligations déontologiques des avocats autant dans leur vie professionnelle – dans leurs relations avec la magistrature, leurs clients, leurs confrères et consœurs ou leurs collègues – que dans leur vie privée ou encore lorsqu'ils se prononcent dans la sphère publique ou médiatique. Pour en lire davantage sur le sujet, vous pouvez consulter, sur le site Internet du Barreau du Québec, le Guide pratique – Vos devoirs et vos obligations déontologiques et, si ce n'est déjà fait, à prendre connaissance du Référentiel de compétences des avocats ainsi que du Guide pratique pour une utilisation responsable de l'intelligence artificielle générative, des lectures stimulantes et inspirantes.