Par Me Alexandra Paquette, avocate et présidente de l’AACQ
À une époque où les débats se polarisent de plus en plus, où les actes de violence se multiplient dans l’espace public et où l’on inflige à certains des peines exemplaires sous prétexte de «faire passer un message», il est essentiel de se rappeler la véritable raison d’être de l’incarcération.
La réhabilitation: un principe au cœur de notre système de justice
Il est opportun de revenir à la base. L’article 718 du Code criminel (C.Cr.) énonce les principes et objectifs d’une peine:
718 Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
- dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;
- dissuader les délinquants, et quiconque de commettre des infractions;
- isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
- favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
- assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
- susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivité.
Une peine d’incarcération n’est donc pas punitive, mais bien dissuasive. La réinsertion sociale s’inscrit comme objectif fondamental de la peine.
Imaginez une peine d’emprisonnement qui ne laisse aucune possibilité de retrouver la liberté même après des décennies de détention.
C’est précisément ce qu’a dénoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Bissonnette. Le tribunal a jugé inconstitutionnel le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle prévu à l’article 745.51 C.Cr. Selon la Cour suprême, priver un détenu de toute perspective réaliste de libération avant sa mort revient à nier sa dignité humaine, à présumer qu’il n’a aucun potentiel de réhabilitation et, surtout, à lui retirer tout incitatif à se réformer. Même les criminels les plus violents, a-t-elle rappelé, doivent conserver une lueur d’espoir. Cet espoir est le point d’ancrage de toute réhabilitation.
La Cour supérieure de justice de l’Ontario a suivi cette logique dans l’affaire R. v. Warren devant une demande de déclaration de délinquant dangereux (art. 753 C.Cr.). Plutôt que de ne considérer que la gravité des gestes commis, le juge a insisté sur la nécessité d’évaluer les efforts de réhabilitation déjà amorcés par l’accusé: sa prise de conscience, ses remords sincères et ses démarches concrètes pour se reconstruire.
Le juge Pomerance a rappelé qu’il est essentiel de ne jamais perdre de vue la perspective d’une réhabilitation et d’une remise en liberté éventuelle:
[102] It may well be that release of persons designated as dangerous offenders is a rare occurrence. By its very nature, such a designation implies intractability and a resistance to treatment. Yet, however grim the prospects, the justice system must proceed on the basis that hope is not extinguished. Related to this is the duty on the justice system to ensure that the hope of rehabilitation, however slim, is not ignored. Our system cannot countenance the proverbial notion of “locking someone up and throwing away the key”. The state must offer what is necessary to allow an offender to work toward the possibility that they might eventually be granted parole.
[Nos soulignés.]
Priver un détenu de toute possibilité de libération ne fait pas qu’éteindre ses espoirs, mais anéantit toute motivation à évoluer et à travailler sur ses différents facteurs de risque ayant mené à sa criminalité. L’espoir doit être vu et utilisé comme moteur de changement.
Offrir une perspective, aussi lointaine soit-elle, encourage la participation à des programmes, permet une remise en question ainsi que l’apprentissage de nouvelles compétences et le maintien de liens sociaux.
À long terme, cela protège mieux la société. Un détenu qui retrouve la liberté après avoir cheminé vers le changement est moins susceptible de récidiver que celui qu’on aura maintenu dans le désespoir et l’isolement.
Notre système de justice doit tenir compte du passé, certes, mais aussi laisser une place à l’avenir. En préservant une ouverture à la réhabilitation, notre système de justice s’assure que la dignité humaine n’est jamais totalement perdue, et ce même chez ceux qui ont commis le plus odieux.
Car au cœur de toute société qui se veut humaine, il y a cette conviction : chaque être humain a la capacité de changer.