Ce billet en 2 parties vise à présenter de quelle façon les juges de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, ont pu analyser, appliquer et interpréter certaines des récentes modifications apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse dans la foulée de la Commission spéciale sur les droits des enfants et de la protection de la jeunesse (commission Laurent).

Modernisation de la Loi sur la protection de la jeunesse: un vaste chantier (deuxième partie)

Afin de saluer les premiers pas de la Loi sur la protection de la jeunesse modernisée, voici la suite de la présentation de courts extraits tirés de décisions rendues par les juges de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, exposant, article par article, l’interprétation donnée à certaines des dispositions nouvelles ou illustrant l’application qui en a été faite. Ces quelques exemples tirés de la jurisprudence mettront en lumière le fait que ces dispositions ont été appliquées et discutées par les juges, qui, au fil de leurs décisions, ont rendu la modernisation de la loi bien concrète pour plusieurs enfants et adolescents.

Dans la première partie de ce billet, des décisions concernant le préambule et les articles 1, à 4 ainsi que les articles 4.1 à 4.6 de la loi ont été présentées. Voici maintenant des extraits tirés de la jurisprudence illustrant l’application des articles 6.1, 8, 8.1, 9.1, 38 c.1, 38.2.2, 57.2.2 et 62.1, 76.3 et 131.1 et ss. Il y sera notamment question du nouveau motif de compromission.

Informations et explications offertes à l’enfant et à ses parents (art. 6.1): s’assurer de leur bonne compréhension

Dans Protection de la jeunesse — 235672, alors que le père avait besoin d'être rassuré et d'être bien informé de la situation de ses enfants et que le lien de confiance entre lui et l'intervenante semblait avoir été rompu, le tribunal a indiqué que, comme le prévoit l'article 6.1 de la loi, celle-ci devait, dans le cadre de ses interventions, s'assurer que les parents avaient compris les informations ou les explications qui leur avaient été fournies en vertu de la loi et donner à ceux-ci ainsi qu'à l'enfant la possibilité de présenter leur point de vue et d'exprimer leurs préoccupations en ces termes: «The person in authority under the Youth Protection Act shall, in their interventions, consider the necessity of ensuring that the parents have understood the information or explanations that must be given to them within the framework of the Act» (paragr. 4).

Droit de recevoir des services de santé et des services sociaux avec l’intensité requise (art. 8): l’enfant a droit à des services adéquats et personnalisés

Dans le contexte d’une demande en révision et en prolongation d’une ordonnance, le tribunal a indiqué qu’il pouvait, dans l’objectif d'assurer le maintien d'un enfant de 6 ans auprès de ses parents d'accueil, ordonner son hébergement en famille d'accueil en même temps qu'un hébergement discontinu en centre de réadaptation, à titre de répit. La juge a précisé que le problème résidait dans le fait que les ressources existantes n’offraient du répit qu’aux parents biologiques, leur mission étant d’éviter qu’un enfant ne soit retiré de son milieu familial. Le tribunal a rappelé que la loi reconnaissait notamment à cet enfant «[l]e droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, de façon personnalisée et avec l’intensité requise (8 LPJ)» (paragr. 29).

Services d’éducation adéquats (art. 8.1): adaptés au profil et aux besoins particuliers de l’enfant

Dans Protection de la jeunesse — 237603, une affaire mentionnée dans la première partie de ce billet, le tribunal s’est également intéressé aux droits de l’enfant précisés aux articles 3, 8 et 8.1 de la loi, en indiquant que: «L’enfant a donc le droit et il est dans son meilleur intérêt de recevoir des services scolaires et des soins de santé adaptés à son profil et à ses besoins particuliers» (paragr. 25). Tout en ajoutant que des réponses adaptées, notamment en matière d’éducation, étaient essentielles à un développement harmonieux.

[Nos soulignements.]

Favoriser les contacts avec les personnes significatives (art. 9.1): tenir compte de ce que l’enfant exprime

Dans un jugement portant sur une demande pour mesures provisoires concernant une enfant de 10 ans, le tribunal a suspendu les contacts de celle-ci avec son père, jugeant qu’ils ne répondaient pas à ses besoins ni à son intérêt. Après avoir mentionné ce qui est désormais prévu à l’article 9.1 de la loi, le tribunal a mentionné: «Il n’est pas question ici de faire reposer la décision d’avoir ou non des contacts sur les épaules de l’enfant mais plutôt de tenir compte de ce qu’elle exprime, ce qu’elle vit et des impacts observés sur son état émotif ou son fonctionnement» (paragr. 31).

Exposition à la violence conjugale (art. 38 c.1): désormais un motif de compromission

Dans Protection de la jeunesse — 233435, le tribunal était saisi d’une demande en protection concernant un enfant âgé de 3 ans aux motifs de mauvais traitements psychologiques et d’abus physiques. Il a conclu qu’il y avait également une situation d’exposition à la violence conjugale après avoir mentionné que: «[…] jusqu’au 26 avril 2023, l’exposition à de la violence conjugale était considérée comme un exemple parmi tant d’autres donnant ouverture au motif de mauvais traitements psychologiques si certains critères étaient rencontrés» (paragr. 63), mais qu’il s’agissait «[…] désormais d’un motif de compromission à part entière» (paragr. 64). Le tribunal a ensuite fort justement indiqué: 

[66]     Il n’y a pas à cet alinéa les critères de gravité et de continuité que l’on retrouve au motif de mauvais traitements psychologiques. Il suffit que l’enfant ait été exposé directement ou indirectement à de la violence entre ses parents et que cette exposition soit de nature à lui causer un préjudice. Comme pour les autres motifs de compromission, c’est du point de vue de l’enfant que la situation doit être analysée.

[Nos soulignements.]

Dans une autre affaire, la juge qui devait trancher la question de savoir si un enfant, également âgé de 3 ans, était exposé à de la violence conjugale s’est questionnée quant à savoir ce qui différenciait la violence conjugale du conflit parental et de la violence familiale étant donné que la Loi sur la protection de la jeunesse ne le fait pas. À propos de la violence conjugale, elle précise qu’elle «s’exerce dans le cadre d’une relation amoureuse, qu’elle soit actuelle ou passée» (paragr. 15) et qu’elle «demeure extrêmement difficile à voir» (paragr. 17), ajoutant que «[m]ême pour les victimes, la violence est difficile à cerner, puisqu’elle s’installe en douce, de manière plutôt hypocrite et progresse tranquillement en intensité. L’agresseur utilise généralement plusieurs moyens différents pour maintenir son emprise sur la victime» (paragr. 17).

Dans un autre angle d’analyse, le juge saisi d’une demande en déclaration de compromission de 2 enfants, âgés de 5 et 6 ans, notamment aux motifs d’exposition à de la violence conjugale et de risques sérieux d’abus physique en lien avec des menaces et la violence conjugale exercée par le père, n’a pas retenu ce dernier motif. Il a précisé que «l’article 38 c.1 LPJ s’applique, entre autres, lorsqu’un enfant est exposé à la violence conjugale de ses parents ou de l’un de ceux-ci» (paragr.  20) et que, selon lui, «lorsqu’il y a une telle conclusion, il y a aussi risque d’abus physique en vertu de l’article 38 e) 2 LPJ, ce qui fait dire au Tribunal qu’il y a dédoublement» (paragr. 21). Il ajoute que: «Le législateur ne parle pas pour ne rien dire et, s’il a créé ce motif à l’article 38 c.1 LPJ, c’est pour que le comportement des parents et le préjudice sur les enfants soient travaillés dans le but d’y mettre fin» (paragr. 22).

[Nos soulignements.]

Facteurs à prendre en considération dans une situation d’exposition à la violence conjugale (art. 38.2.2)

Dans une affaire où le tribunal a rejeté les demandes en déclaration de compromission visant 2 enfants, il a retenu ceci: «Certes, lors de l’événement de novembre 2022, les enfants ont eu peur. Par contre, depuis décembre 2022 jusqu’à ce jour, rien ne porte à penser que les enfants évoluent dans un climat de tension ou de peur, ni qu’ils subissent un préjudice» (paragr. 45). Il a conclu que, compte tenu «des actions prises par la mère pour protéger ses enfants (art. 38.2.2 c) de la loi), notamment en mettant un terme à sa relation avec M. D» (paragr. 54), de l'absence de conséquences pour eux et de la capacité des parents et de celles des ressources du milieu à soutenir ces derniers dans l'exercice de leurs responsabilités, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ne s'était pas déchargée de son fardeau de preuve.

[Nos soulignements.]

Faciliter le passage à la vie adulte (préambule, art. 57.2.2 et 62.1): quelle mesure est la plus adaptée?

En ce qui concerne le huitième considérant du préambule, lequel énonce l’importance de faciliter le passage d’un enfant à la vie adulte, le tribunal, dans Protection de la jeunesse — 234153, s’est questionné quant à savoir quelle mesure était la plus adaptée pour faciliter celui d’une adolescente de 16 ans. Il a jugé qu’il n'y avait pas lieu de maintenir celle-ci en centre de réadaptation comme le demandait la DPJ, mais plutôt de la confier, ainsi qu'elle le souhaitait elle-même, aux personnes qui sont ses «parents de fait» depuis qu'elle a 3 ans. Le tribunal a tenu à souligner que: «Comme X a tout près de 17 ans, elle ne pourra être préservée de la réalité du passage à la vie adulte qui implique qu’elle devra composer avec ses fragilités qu’elle connaît bien, pour lesquelles elle a été outillée, et ce, afin de développer l’ensemble de sa personnalité incluant le développement de relations affectives» (paragr. 116).

Projet d’entente (art. 76.3): désormais possible avec 1 seul parent, mais également en l’absence des 2 parents

Suivant la nouvelle mouture de l’article 76.3 de la loi entrée en vigueur le 26 avril 2023, un projet d’entente peut être conclu avec 1 seul des parents en certaines circonstances, mais il a rapidement été clarifié que, même en l’absence des 2 parents, un projet d’entente pouvait être viable. Ainsi, le tribunal a accepté d’entériner un projet d’entente intervenu entre la DPJ et un enfant dans un dossier après avoir indiqué qu’il estimait: «que l’article 76.3 LPJ n’empêche pas la DPJ et les enfants de proposer un projet d’entente, ou encore le Tribunal d’en exiger le dépôt malgré l’absence des deux parents, position qui reçoit de surcroît l’assentiment des avocats des enfants en l’espèce» (paragr. 13). Le tribunal a mentionné que «la seule absence des deux parents à l’audience ne saurait faire obstacle au respect des principes et des règles visant à assurer la saine gestion des instances, et dans lesquels s’inscrit le recours aux projets d’entente» (paragr. 11).

[Nos soulignements.]

Dispositions applicables aux Autochtones: assurer la sécurité culturelle des enfants

Dans Protection de la jeunesse — 237603, mentionné plus haut, le tribunal a conclu que le maintien de l’enfant dans sa famille d’accueil jusqu’à la majorité constituait le projet alternatif qui respectait les droits et l’intérêt de cet enfant autochtone tout en soulignant que les parents d’accueil veillaient à «sa sécurité culturelle, notamment par l’accès à l’art inuit, des voyages familiaux [dans la communauté A] ainsi que l’apprentissage de l’inuktitut» (paragr. 13).

[Nos soulignements.]

Le tribunal avait au préalable précisé que:

[12]     Devant l’impossibilité de réintégrer l’enfant auprès de sa mère, le Tribunal conjugue avec deux impératifs émis par le législateur lorsque l’État intervient auprès d’un enfant autochtone en besoin de protection : ordonner de façon permanente des mesures qui lui assurent la continuité des soins, des liens et conditions de vie appropriés à son âge et ses besoins, de préférence auprès de sa fratrie s’il y a lieu, et assurer sa sécurité culturelle.

Dans Protection de la jeunesse -- 235672, également mentionnée plus haut, le tribunal a dénoncé le fait qu’un enfant autochtone avait été placé à l'extérieur de sa communauté et que rien n'avait été écrit à son dossier à ce sujet, malgré ce qui est prévu à l'article 131.5 alinéa 2 de la loi. Afin de rétablir la situation, le tribunal a ordonné à la DPJ de se conformer à la loi et d'indiquer au dossier de l'enfant les raisons pour lesquelles ce dernier n'avait pas été placé dans une famille d'accueil de la communauté A. Par ailleurs, il a également ordonné à la DPJ de déposer, dans un délai de 15 jours, les actes de naissance des enfants au dossier de la Cour et de s'assurer que l'identité de ceux-ci ne comportait aucune erreur, notamment en ce qui a trait à leurs noms, prénoms et dates de naissance respectifs ainsi qu'aux noms des parents, mentionnant:

[12]     According to the Viens Commission's first follow-up report, the system is perceived by many Indigenous people as being imposed from outside, perpetuating the harmful consequences of the assimilation process arising from the residential school policy. Needless to say, removing a child from his family when his identity has not been confirmed is very similar to removing children without identification from residential schools. […]

Conclusion

Il est important de noter que certaines des dispositions nouvelles de la Loi sur la protection de le jeunesse ne sont pas entrées en vigueur à ce jour. Tel qu'il a été mentionné dans la précédente partie de ce billet, nous continuerons de suivre avec attention le développement de la jurisprudence en ce qui concerne la modernisation de la Loi sur la protection de la jeunesse, et ce, tant devant la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, que devant les tribunaux supérieurs. Toujours dans le but de répondre à l’intérêt des juristes qui souhaitent être informés des développements jurisprudentiels, mais également dans le souci d’illustrer et de mettre en lumière les besoins de protection des enfants aux prises avec des difficultés qui compromettent leur sécurité ou leur développement et tout ce qui en découle. Comme cela est souligné dans le rapport de la commission Laurent, ce sont «nos enfants». Ils méritent que tous les adultes qui les entourent agissent en ayant à cœur leur intérêt, à titre de considération primordiale, afin qu’ils puissent s’épanouir à leur plein potentiel dans un milieu de vie leur offrant stabilité et sécurité affective.