Le 23 mai prochain, Mes Gabriel Babineau et Vincent Paquet exposeront la jurisprudence concernant l’usage de mythes, de stéréotypes ou de préjugés de la part autant des juges que des praticiens et praticiennes, notamment dans les dossiers de crimes en matière sexuelle. En s'appuyant sur les récentes avancées en la matière, ils tâcheront de démêler ces notions, de cibler les raisonnements prohibés et de déterminer quels types de raisonnements demeurent acceptables. Pour vous inscrire à ce Rendez-vous SOQUIJ, cliquez ici.

Gabriel Babineau et Vincent R. Paquet, avocats

Pourquoi est-il important de parler de l’usage des mythes et stéréotypes en droit criminel?

Me Paquet: «L'utilisation des mythes, stéréotypes, préjugés ou encore ce qu'on appelle les "déductions conformes au bon sens" est un problème qui se présente de façon récurrente dans les tribunaux, autant de première instance qu'en appel. C'est un sujet qui est très d'actualité, en particulier depuis l’arrêt R. c. Kruk qu’a rendu la Cour suprême du Canada en mars dernier. Pour nous, il est important que les praticiens soient bien au courant de ce qui constitue des mythes et stéréotypes, mais aussi des limites de l'usage du bon sens dans le cadre de leurs représentations.

Dans Kruk, la Cour suprême a rappelé que le concept de "stéréotype"au sens juridique est historiquement rattaché aux victimes et aux personnes plaignantes. Il s’agit d’une erreur de droit que l’on tente encore aujourd’hui d’enrayer. En même temps, la Cour a observé qu’il y avait toutes sortes de préjugés, ou, selon le terme qu’elle préconise, de "généralisations" qui pouvaient s’immiscer dans le processus.

Par exemple, dans une cause entendue par la Cour d’appel du Québec, la juge de première instance avait conclu qu’il n’était pas crédible qu’un jeune homme n’ait pas participé à un geste sexuel duquel il était témoin parce que, selon son raisonnement, n’importe quel jeune homme aurait été excité par une telle scène.»

Me Babineau: «Ce qui est ici préjudiciable, c'est qu'en faisant une telle généralisation, le juge va importer un fait qui n'a pas été démontré par la preuve.»

À quoi s’attendre de votre conférence?

Me Babineau: «Ça fait très longtemps que la Cour se soucie des mythes et stéréotypes à l'égard des plaignantes et des plaignants. C'est plus récemment que des tribunaux d’appel ont étendu cette préoccupation aux accusés et à d'autres intervenants. Cependant, la Cour suprême est venue recadrer ces récents arrêts en distinguant les raisonnements prohibés qui visent les victimes et ceux visant les accusés. Nous allons nous attarder sur ces dernières avancées.»

«Ce qui est ici préjudiciable, c'est qu'en faisant une telle généralisation, le juge va importer un fait qui n'a pas été démontré par la preuve.»
– Gabriel Babineau, avocat criminaliste

Me Paquet: «Oui, parce qu’il faut être prudent. Pour contrer le phénomène de généralisation envers les accusés, les tribunaux ont eu tendance à importer le raisonnement historiquement appliqué aux victimes mais la Cour suprême est venue dire de faire attention: la norme d’intervention ne peut pas être la même pour les accusés que pour les plaignants.

La conférence va dans un premier temps décanter l’arrêt R. c. Kruk de la Cour suprême. Nous allons regarder son impact sur la jurisprudence antérieure: ce qui l’en reste, ce qui peut toujours être plaidé, ce qui ne peut pas l’être. Nous essaierons ensuite de poser les bases des dossiers en appel à venir: comment formuler un argumentaire contre une généralisation qui nous paraît fautive, comment attaquer ce qui n’est plus une erreur de droit mais une erreur de fait manifeste déterminante?»

Pourquoi vous êtes-vous intéressés à ce sujet?

Me Babineau: «Comme criminalistes spécialistes en appel, Me Paquet et moi-même nous retrouvons souvent devant la Cour d'appel du Québec. Dans notre pratique, l’utilisation de généralisations à l’encontre d’accusés pour les déclarer coupables est quelque chose que nous avons beaucoup vu survenir comme problème dans des causes de première instance. C'est de là que notre intérêt pour le sujet est né.»

«La norme d’intervention ne peut pas être la même pour les accusés que pour les plaignants.»
– Vincent Paquet, avocat criminaliste

À qui s’adresse votre conférence?

Me Babineau: «C'est dans l'intérêt de tous les praticiens, en droit pénal et criminel, de bien connaître les règles qui s'appliquent à l'évaluation de la valeur probante et de la crédibilité des témoins lors d'un procès criminel. Ce sujet touche directement au cœur de cette question.

Cette formation sera particulièrement intéressante pour les avocats qui agissent dans le cadre de dossiers d’agression sexuelle, qu’ils soient à la défense ou à la poursuite, car, dans ces dossiers, il s’agit de versions contradictoires où l’analyse de la crédibilité est une question centrale.»

Me Paquet: «En effet, je pense que c’est là que les généralisations ont plus de chances de s’immiscer. La Couronne autant que la défense vont trouver leur compte dans cette conférence puisque l’arrêt Kruk donne quand même une certaine latitude aux juges. Cela signifie que les avocats et avocates peuvent utiliser cette latitude pour plaider certaines choses qui découlent toujours de la preuve sans être nécessairement directement en preuve, dans les limites tracées par la Cour suprême, évidemment.»

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