Les décisions des tribunaux administratifs du Québec représentent plus de 60 % du volume de traitement et de diffusion de SOQUIJ. Pourtant, malgré son influence dans le quotidien des Québécois et des Québécoises, la justice administrative reste peu connue. En 2023, SOQUIJ a rencontré les différents décideurs administratifs pour mieux connaître et faire connaître leur travail.

Une personne qui a purgé sa peine sans bénéficier d’une libération conditionnelle revient dans le système correctionnel dans près de 50 % des cas. Cette proportion tombe à environ 15 % lorsque la personne a bénéficié d’une mise en liberté sous condition* .

Afin de mieux cerner le rôle positif de la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC), SOQUIJ a rencontré son président, David Sultan, et l’une de ses juges administratifs, Lucie Tétreault.

Voir au-delà de la sentence

La CQLC entend les personnes contrevenantes qui ont été incarcérées dans un établissement de détention du Québec pour une période de 6 mois à 2 ans moins 1 jour. À partir de 2 ans de détention, le dossier relève de la compétence fédérale.

Ce tribunal administratif rend ses décisions dans le cadre de certaines peines qui ont été prononcées. Les commissaires ne changent pas la décision rendue par le juge qui a déterminé la peine; ils interviennent pour établir les modalités d’application de celle-ci et anticiper l’avenir au-delà de la sentence.

«La protection de la société, cela ne consiste pas seulement à garder des contrevenants en détention. À un moment donné, après avoir purgé leur peine, ils reviendront dans la société. Dans les cas qui s’y prêtent, plus cette sortie est encadrée, mieux la société est protégée, d’autant que ces personnes suivent des programmes intensifs leur permettant d’acquérir des outils qui auront pour effet d’agir sur les facteurs criminogènes.»
– David Sultan, président et juge administratif

La Commission gère 3 mesures de mise en liberté sous condition:

  • Au sixième de sa peine d’incarcération, la personne contrevenante peut obtenir une permission de sortir préparatoire à la libération conditionnelle, laquelle n’excédera pas une durée de 60 jours. Pour en bénéficier, elle doit présenter une demande écrite à la CQLC, qui, après avoir tenu une audience, lui accordera ou lui refusera cette permission;
  • Au tiers de sa peine, la personne contrevenante est automatiquement invitée à se présenter devant la Commission, qui, dans le cadre d’une audience, évaluera la possibilité de lui accorder une libération conditionnelle. Si elle obtient celle-ci, elle poursuivra sa peine hors des murs de l’établissement de détention jusqu’au terme prévu initialement par le juge;
  • Dans le cas où la libération conditionnelle est refusée ou révoquée, que ce soit pour non-respect des conditions ou pour récidive, une permission de sortie pour visite à la famille d’une durée maximale de 72 heures peut ponctuellement être accordée, et ce, à la suite d'une demande écrite à la Commission.

À tout coup, la protection de la société est le premier test que les commissaires vont appliquer dans l’analyse des cas qui leur sont présentés. L’objectif de réinsertion sociale, qui sous-tend les 3 mesures, ne sera jamais poursuivi au détriment de la sécurité du public.

Pour ce faire, au terme d’une audience et lorsqu’ils accordent une mesure de mise en liberté sous condition, les commissaires ont à leur disposition un éventail important de conditions strictes qu’ils peuvent imposer: d’une part, des conditions générales, qui encadrent la libération conditionnelle de tous les contrevenants; et, d’autre part, des conditions spécifiques, qui s’appliquent à la situation particulière de chacun. Les décisions sont rendues selon un processus très rigoureux et en toute indépendance. Les services correctionnels peuvent formuler des recommandations, que les commissaires prendront en considération dans leur analyse, mais sans être tenus de les suivre.

De plus, dans 99 % des cas, les décisions sont rendues oralement, séance tenante, et les décisions écrites sont produites le jour même de l’audience.

Libérer sous condition pour limiter la récidive

La protection de la société constitue le principe cardinal qui guide le travail des commissaires. Ceux-ci assurent de toute évidence cette protection quand ils refusent ou révoquent une libération conditionnelle, mais, contre toute attente, ils le font tout autant dans les cas où ils accordent une telle libération. En effet, la mise en liberté sous condition divise par 3 le risque de récidive une fois la peine purgée. De plus, les taux de récidive en cours de programme demeurent très faibles: 0,3 % durant une sortie préparatoire à la libération conditionnelle et 2,9 % durant la libération conditionnelle à proprement parler *.

Pour avoir de telles données, la CQLC s’appuie, lorsqu’elle impose les conditions de libération, sur un réseau de ressources communautaires qui se consacrent à l’encadrement et à l’accompagnement des contrevenants libérés sous condition. Les outils que ces ressources fournissent assurent de façon importante le succès de la démarche. Leurs programmes sont destinés à agir sur les facteurs criminogènes: on aide notamment la personne contrevenante à trouver un emploi et à gérer son budget, mais aussi à retrouver ses ancrages familiaux et sociaux, soit un élément crucial dans le processus de réinsertion sociale.

«Quand une personne contrevenante se retrouve en détention, elle est privée de sa liberté, ce qui n’est pas banal. Décider de la lui rendre ou non est exigeant humainement. Nous disposons de critères prévus à la loi pour procéder à des analyses judicieuses, mais, une fois devant la personne, nous savons combien notre décision est importante pour elle et son entourage immédiat ainsi que pour la société. Les enjeux sont importants.»
– Lucie Tétreault, juge administrative

L’empathie nécessaire à l’exercice de la fonction de décideur ne nuit en rien à la rigueur appliquée par la CQLC. Toute personne qui désire se prévaloir d’une libération conditionnelle doit préparer, avec l’aide des intervenants, un plan de réinsertion solide et le présenter à la Commission. Lorsque le plan est accepté, les services correctionnels veillent strictement à son respect, et tout écart peut mener à une révocation de la mise en liberté sous condition.

La CQLC fait également une place à certaines victimes dans ses processus – une particularité québécoise depuis 2007 (voir «Quelques dates clés» ci-dessous). Ces dernières sont avisées qu’elles ont le droit de faire des représentations, de recevoir une copie de la décision et de connaître les modalités de la libération conditionnelle de leur agresseur, le cas échéant. Le travail des commissaires n’étant pas d’effectuer une intervention clinique auprès des victimes, la Commission a conclu des ententes avec les centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) afin que les victimes reçoivent toute l’assistance nécessaire.

Quelques dates clés

1978: Création de la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC). Il s’agit d’une délégation administrative d’une compétence fédérale. Outre le Québec, seules les provinces de l’Ontario et de l’Alberta ont choisi à ce jour de se doter d’une commission provinciale. Dans les autres provinces, la mise en liberté sous condition est administrée par la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

1982: Adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce changement majeur dans le système de justice a particulièrement touché la CQLC puisque sa compétence agit nécessairement sur les droits et libertés individuels. Les commissaires restent à l’affût des grandes tendances d’interprétation de la Charte afin d’appliquer celle-ci avec justesse.

1992: Adoption de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Étant issue de la délégation d’un pouvoir fédéral, la Commission est assujettie à la loi fédérale. Cela est important puisque cette dernière édicte de grands principes que les commissaires doivent respecter. Le plus déterminant d’entre eux est la préséance de la protection de la société dans toutes les décisions rendues.

1996: Adoption de la Loi sur la justice administrative. En tant que tribunal administratif québécois, la CQLC est soumise à cette loi provinciale.

2007: Entrée en vigueur de la Loi sur le système correctionnel du Québec. Adoptée en 2002, cette loi est avant-gardiste dans la mesure où le législateur québécois a prévu que la CQLC prenne les mesures possibles afin de joindre une victime de délit de nature sexuelle ou de violence conjugale avant une audience. La Commission doit lui transmettre des informations et lui permettre de faire des représentations écrites, desquelles elle tiendra compte dans le cadre de ses audiences. Dans les autres législations en la matière à travers le pays, c’est la victime qui doit se manifester.

2023: Sanction de la Loi modifiant diverses dispositions relatives à la sécurité publique et édictant la Loi visant à aider à retrouver des personnes disparues. Les décisions de la Commission ont dorénavant un caractère public.

2024: Diffusion des décisions par SOQUIJ. Une entente est conclue pour la diffusion des décisions rendues depuis le 6 octobre 2023.

Cette série de portraits des tribunaux administratifs du Québec est réalisée en collaboration avec le Regroupement des présidents des tribunaux administratifs du Québec et la Conférence des juges administratifs du Québec.