Pourquoi remettre à demain ce que l'on peut faire aujourd'hui?

Plus facile à dire qu'à faire, me direz-vous. Nous avons parfois tendance à repousser au lendemain, ou même à plus tard, une tâche qui nous rebute ou qui nous paraît fastidieuse, et ce, pour plusieurs raisons. Cependant, dans certaines circonstances, il est important, voire crucial, de réagir rapidement. C'est le cas notamment lorsque nous recevons une communication qui provient d'un organisme administratif qui a rendu une décision.

Que ce soit une demande de prestation, de services ou d'informations, les réponses que nous fournissent ces entités sont souvent assorties d'une procédure permettant de les contester, laquelle comporte des délais. À partir du moment où nous sommes informés d'une telle décision, un compte à rebours se met en marche. Bien que le nombre de jours alloués pour contester une décision puisse être différent d'un organisme à l'autre, il n'en demeure pas moins que nous devons agir, faute de quoi notre contestation pourra être déclarée irrecevable sans que la question de fond soit jamais tranchée. Voici un exemple tiré d'une décision récente du Tribunal administratif du travail (TAT) qui donne matière à réflexion.

Une demande de révision hors délai

Dans la décision Lavoie, il est question d'un travailleur qui a été opérateur de machinerie lourde de 1978 à 1995. Durant cette période, il a été exposé à des niveaux de bruit élevés. Depuis 1995, ce travailleur est propriétaire d'une entreprise d'excavation et il est toujours exposé à des bruits de machinerie lourde. En 2019, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) accepte sa réclamation pour une surdité neurosensorielle à l'oreille droite. Quelques années plus tard, le travailleur présente une autre réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation à l’oreille gauche. Le 1er septembre 2022, la CNESST refuse cette réclamation. Insatisfait de cette décision, le travailleur en demande la révision le 1er novembre 2022. L'instance de révision détermine qu'elle ne peut procéder à la révision puisque la demande a été produite à l’extérieur du délai de 30 jours prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). De plus, elle souligne que le motif invoqué par le travailleur pour expliquer son retard, soit l'ignorance de la loi, ne lui permet pas de prolonger le délai. Le travailleur porte donc l'affaire devant le TAT.

Un motif raisonnable

Après avoir confirmé que la demande de révision produite par le travailleur a bel et bien été produite hors délai, le TAT s'attarde au deuxième volet de l'analyse, à savoir si le travailleur a démontré un motif raisonnable permettant de le relever de son défaut. Selon le témoignage de ce dernier, lorsqu'il prend connaissance de la lettre de la CNESST, il comprend en parcourant les 2 premiers paragraphes que sa réclamation est refusée. Toutefois, il ne prend pas la peine de lire le troisième et dernier paragraphe, soit celui qui concerne la procédure de contestation, dont le délai qui doit être respecté. Le travailleur met la lettre de côté avec l'intention de la contester ultérieurement. Deux mois plus tard, il prend rendez-vous avec la clinique d'audiologie qui l'aide dans ses démarches auprès de la CNESST. C'est à ce moment qu'on lui apprend que le délai pour demander une révision est expiré. La demande est tout de même acheminée à l'organisme.

Devant le TAT, le travailleur a tenté de justifier son retard. Ainsi, il allégué que, au moment où il a reçu la décision, il était très occupé professionnellement. Il est propriétaire d'une petite entreprise dont il est le seul gestionnaire. Il occupe toutes les fonctions reliées aux tâches administratives et il supervise les employés. De plus, il a affirmé qu'il ignorait l'existence d'un délai pour demander une révision. Or, le TAT ne retient pas les arguments présentés par le travailleur. Selon lui, ce dernier n'a pas fait preuve de prudence et de diligence:

[27]   Bien qu’il soit reconnu que pour certains types d’entreprises, quelques périodes puissent être plus occupées et plus prenantes que d’autres, cela ne constitue toutefois pas un motif raisonnable pour prolonger un délai. L’entrepreneuriat fait face à plusieurs défis, notamment les aléas du marché et les problématiques relatives au personnel. Tous les entrepreneurs de tous les domaines y sont confrontés. Le travailleur n’a pas démontré qu’il s’est retrouvé dans une situation particulière. Ça ne peut donc pas justifier d’attendre quelques mois pour prendre en charge la contestation d’une décision qu’il souhaitait que l’on modifie. Le travailleur mentionne, lors de son témoignage, que s’il avait su qu’il avait 30 jours pour demander la révision de la décision, il aurait pris le temps de le faire. Il n’a donc pas été empêché, ou dans l’incapacité de contester. Il fait le choix de mettre de côté les démarches entreprises pour la reconnaissance de sa surdité à l’oreille gauche.

[Nos soulignements.]

Le TAT souligne également que le travailleur n'a pas pris connaissance d'un paragraphe fort important de la décision de la CNESST, soit celui traitant du délai de contestation. Or, cette partie de la décision est pourtant rédigée dans des termes clairs et faciles à comprendre. Selon le TAT, omettre de lire ce paragraphe, sans raison valable, relève de la négligence et le travailleur n’a apporté ni l’attention nécessaire ni suffisamment d’importance à la communication reçue. Par ailleurs, le TAT mentionne que des solutions de rechange s'offraient au travailleur, comme appeler ou envoyer un courriel à la clinique d'audiologie plutôt que de s'y déplacer, ou encore demander l'aide de quelqu'un d'autre pour l'assister dans sa démarche, ce qu'il n'a pas fait. Le travailleur n'ayant pas fait la preuve d'un motif raisonnable, sa demande de révision est jugée irrecevable.

En guise de conclusion, si vous avez l'intention de contester une décision, n'attendez pas le bon moment, car il risque de ne jamais se présenter. Comme le dit un autre proverbe, vaut mieux prévenir que guérir.