Les principes applicables au stade de l'autorisation de l'action collective sont bien établis. Récemment, la Cour d'appel du Québec est venue préciser le rôle du juge à cette étape cruciale de ce recours dans 2 arrêts dont il sera question dans le présent le billet.
Principes applicables
À l’étape de l'autorisation de l’action collective, le juge procède à un examen des critères énoncés à l'article 575 du Code de procédure civile (C.P.C.). Comme l'a rappelé la Cour d'appel dans l'arrêt U.T. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière, à son paragraphe 32, celui-ci possède un large pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation de ces critères, lesquels sont cumulatifs.
Le juge exerce un rôle de filtrage qui consiste à écarter les demandes frivoles ou manifestement mal fondées et non pas à préjuger de la valeur des arguments soumis ou des chances de succès au fond. Il s’agit d’un seuil peu élevé.
[33] À cette étape en effet, le fond du litige n’a pas à être examiné davantage, outre que pour déterminer si une simple possibilité d’avoir gain de cause a été établie : une possibilité «réaliste » ou « raisonnable» n’est même pas exigée. De plus, les faits allégués sont tenus pour avérés et seules des allégations vagues, générales ou imprécises devront être complétées par une «certaine preuve» afin justement de contrer ce flou, ces imprécisions ou approximations qui peuvent exister au stade préliminaire d’une action collective.
[34] […] Les critères d’autorisation doivent être interprétés et appliqués de manière large et généreuse pour favoriser l’exercice des actions collectives en tant que moyen de réaliser simultanément les objectifs de dissuasion et d'indemnisation des victimes.
[Nos soulignements.]
La détermination d'une question de droit au stade de l'autorisation
Le 30 janvier dernier, la Cour d'appel, dans Salko c. Financière Banque Nationale inc., a écarté l'argument de l'appelant selon lequel le juge de première instance ne pouvait pas se prononcer sur l’applicabilité de la Loi sur la protection du consommateur à l’étape de de l'autorisation de l’action collective, bien que cette question n’emporte pas le sort de la demande.
Tout d'abord, le paragraphe 2 de l'article 572 et l’article 576 C.P.C., lus conjointement, permettent de conclure que le juge autorisateur doit, d’une part, être d’avis que «les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées» (art. 575 paragr. 2) et, d’autre part, identifier dans le jugement d’autorisation «[…] les principales questions qui seront traitées collectivement et les conclusions recherchées qui s’y rattachent» (art. 576). Le juge autorisateur peut donc identifier la ou les causes d’action qui ne lui semblent ni frivoles ni infondées en droit et les principales questions qu’elles soulèvent. Contrairement à ce que soutenait l'appelant, un tel libellé ne permet pas de conclure que, à partir du moment où le juge autorisateur a identifié une cause d’action défendable, il perd alors son pouvoir de filtrage à l’égard des autres causes d’action invoquées par le demandeur.
Ensuite, à la lumière des arrêts L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J. et Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, il y a lieu de conclure qu’à ce stade, seule «une pure question de droit» peut être tranchée, qu’elle emporte ou non le sort de la demande dans son entièreté. C’est plutôt la question de droit qui ne peut être tranchée sans preuve additionnelle qui ne peut être décidée à cette étape des procédures.
Enfin, la prétention de l'appelant voulant qu’un juge autorisateur ne puisse se prononcer sur une telle question que si le sort de l’action collective dans sa globalité en dépendait va à l’encontre d’une saine gestion des ressources judiciaires. La Cour a donc conclu que le juge n'a pas erré en se prononçant sur une pure question de droit au stade de l'autorisation.
La détermination des dommages non pécuniaires et des dommages punitifs au stade de l'autorisation
Dans l'affaire Royer c. Capital One Bank (Canada Branch), la demande d'autorisation d'exercer une action collective découle d'une faille de sécurité qui a permis à une ex-employée d'Amazon d'accéder illégalement à des données confidentielles obtenues dans le cadre de demandes de cartes de crédit d'environ 100 millions d'Américains et 6 millions de Canadiens qui ont été recueillies sur une période de 14 ans par les intimées Capital One et qui étaient hébergées sur un serveur des intimées Amazon.
Dans cette affaire, l'appelant recherche l’indemnisation de toutes les conséquences qui découlent de l’atteinte à la sécurité de ses données confidentielles et de leur mise en danger, que ce soient les pertes pécuniaires ou non pécuniaires.
Or, après avoir constaté l’absence d’allégation quant à un vol d’identité ou de démarches ou de débours effectués, le juge autorisateur a limité les dommages compensatoires à la seule réclamation des coûts pour la surveillance des comptes et relevés des cartes de crédit, écartant ainsi tous les autres chefs de dommages invoqués au soutien de la demande.
La Cour d'appel a estimé que, en autorisant l’action collective pour les frais de surveillance, le juge a accepté qu’il y avait suffisamment d’éléments pour conclure que l’atteinte initiale pouvait donner lieu à une indemnisation. Cette conclusion mérite déférence et est raisonnable, notamment au regard des allégations relatives aux circonstances de la fuite et de l’ampleur de celle-ci ou encore au manque de réactivité des intimées.
Toutefois, dans un tel cas, un juge ne devrait, en principe, fractionner les chefs de dommages recouvrables qu’avec une extrême prudence. Celle-ci s’impose puisque les membres du groupe peuvent avoir subi des conséquences découlant de la fuite qui soient différentes de celles subies par le représentant. D'ailleurs, la cause personnelle du représentant n’a pas à constituer un exemple type de celle de tous les membres ou d’une majorité d’entre eux, mais doit plutôt démontrer de manière suffisante qu’il a subi au moins un chef de dommages. D'autre part, pour une même conséquence, les pertes ne seront pas nécessairement de même nature. Enfin, il ne convient pas de déterminer, à ce stade, l’existence de pertes non pécuniaires indemnisables. Il s’agit là de questions factuelles qui devraient être laissées au juge du fond. Des circonstances propres à chaque affaire et même aux divers membres peuvent toucher l’existence ou non des différents chefs de dommages et leur qualification.
La Cour a donc autorisé l'action collective quant aux dommages compensatoires réclamés contre les intimés.
Jurisprudence récente
Enfin, je vous invite à prendre connaissance de l'arrêt C.G. c. Ordre des Dominicains ou Frères prêcheurs, rendu le 27 mars dernier, qui a conclu que la juge de première instance avait passé outre aux limites de son rôle et à ses exigences analytiques en imposant à l’appelante une charge de démonstration à l’étape de l’autorisation qui se situait au-delà des exigences fixées par la jurisprudence et en se penchant à certains égards sur le fond.
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