L’histoire qui suit démontre qu’il n’est pas toujours facile lorsque survient un accident au travail de produire une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), a fortiori lorsqu’un employeur instaure une pratique qui a pour effet de priver les travailleurs des avantages dont ils pourraient bénéficier en vertu de la loi. C’est précisément une telle situation qui a été dénoncée par le Tribunal administratif du travail (TAT) dans une décision récente (Proulx et Rebuts solides canadiens inc.).
Les faits
Après s’être blessé en exécutant son travail, le travailleur en informe immédiatement son contremaître, lequel lui remet une enveloppe contenant divers documents, mais aucun formulaire de réclamation à la CNESST. De retour d’une visite médicale, le travailleur rencontre la personne responsable des ressources humaines, qui lui propose de recevoir des traitements d’une thérapeute en médecine sportive connue de l’employeur. On lui mentionne au passage que les frais reliés à ces traitements seront supportés par l’employeur, de même que sa rémunération à l’occasion de ses absences pour subir les traitements en question ainsi que ses frais de déplacement. Le travailleur a eu vent de cette pratique, instaurée par l’employeur, et sait que plusieurs de ses collègues au sein de l’entreprise en ont déjà bénéficié. Puisqu’il fait entièrement confiance à la responsable des ressources humaines, le travailleur suit sans hésitation ses recommandations. Ce n’est qu’environ un an plus tard, lorsqu‘un chirurgien orthopédiste l’informe qu’il devra subir une intervention chirurgicale qui entraînera un arrêt de travail prolongé, qu’il comprend qu’il doit présenter une réclamation à la CNESST. Dans un premier temps, cette dernière accepte la réclamation du travailleur et reconnaît qu’il a subi un accident du travail. Cependant, à l’étape de la révision administrative, elle va déclarer celle-ci irrecevable au motif qu’elle a été produite en dehors du délai de six mois prévu à l’article 270 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
La décision du Tribunal administratif du travail
Si la juge administrative chargée de se prononcer sur la recevabilité de la réclamation convient que celle-ci a bel et bien été produite à l’extérieur du délai prévu pour ce faire, elle retient toutefois que les motifs invoqués par le travailleur pour justifier son retard sont raisonnables :
« [51] Le Tribunal estime que la preuve permet de retenir que c’est le contexte de la pratique instaurée par l’employeur afin de prendre en charge les travailleurs, de façon plus ou moins complète, en leur fournissant des services ou des avantages qui incombent habituellement à la Commission, qui a amené le travailleur à croire qu’il n’était pas nécessaire de faire de plus amples démarches pour présenter une réclamation à la Commission. »
Par la suite, la juge aborde un autre motif invoqué par le travailleur, soit le non-respect par l’employeur de son devoir d’assistance. Elle conclut non seulement que ce dernier n’a pas assisté le travailleur, mais en outre qu’il ne lui a pas fourni l’information nécessaire quant au dépôt d’une réclamation à la CNESST :
« [64] Le Tribunal estime que le système mis en place par l’employeur a eu un effet trompeur pour le travailleur. Cette situation interfère avec son devoir d’assistance, puisqu’il n’a pas fourni au travailleur d’informations sur les conséquences de suivre ses recommandations pour le traitement de son dossier de lésion professionnelle plutôt que de faire une réclamation à la Commission. En recommandant au travailleur de suivre la façon de faire qu’il lui proposait, l’employeur savait que cela pouvait avoir des conséquences pour le travailleur dans l’éventualité où il déciderait de présenter une réclamation à la Commission en raison du délai prévu à l’article 270 de la loi. L’employeur n’a pas fait part de cela au travailleur et a omis de l’informer des conséquences que sa recommandation de s’en remettre à la pratique qu’il avait instaurée pouvait avoir. »
En terminant, la juge réitère un principe bien établi par la jurisprudence, à savoir qu’il appartient d’abord et avant tout au travailleur de produire une réclamation à la CNESST, cette responsabilité ne pouvant incomber à l’employeur. Elle précise toutefois que ce dernier doit fournir au travailleur l’information à ce sujet, ce qu’il a manifestement omis de faire en l’espèce en gardant le silence :
« [63] Le Tribunal s’interroge sur le comportement de l’employeur qui laisse à penser qu’il cherchait plutôt à éviter qu’une réclamation soit présentée à la Commission, ce qui concorde avec les témoignages entendus à l’audience.»
La réclamation du travailleur a été déclarée recevable et les parties seront entendues sur le fond du litige.
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