Ce ne serait pas le cas, selon la juge Bich1. Contrairement aux juges du Tribunal administratif du Québec (TAQ), qui ont obtenu cette permanence grâce à leur nomination «durant bonne conduite2», la durée des mandats des juges de la Commission des lésions professionnelles (CLP) est limitée. C’est à la suite des recommandations contenues dans l’affaire Barreau de Montréal3 que le législateur a modifié la loi. D’après le juge Dussault, la procédure de renouvellement du mandat des membres du TAQ, et non la durée initiale de celui-ci, créait une apparence de dépendance judiciaire. Les fonctions exclusivement juridictionnelles du TAQ ainsi que ses règles de procédure, qui s’apparentaient à celles des tribunaux judiciaires, constituaient des indices d’une exigence élevée d’indépendance judiciaire.
Cette notion d’indépendance judiciaire (dont les 3 éléments constitutifs ont été identifiés par le juge Le Dain dans Valente4) constituait l’un des fondements du débat introduit par les juges de la CLP en 2009. Ces derniers, ne voulant pas être en reste avec les juges du TAQ, considéraient que leurs conditions de travail n’offraient pas les garanties suffisantes d’indépendance judiciaire et d’impartialité5. En première instance, leurs prétentions ont été retenues en partie par le juge Lemelin6, qui, après avoir procédé à l’analyse contextuelle de la CLP7, a estimé que celle-ci se trouvait presque à la même «extrémité du spectre de l’indépendance judiciaire» que le TAQ8.
Cela étant, les juges de la CLP devaient donc avoir droit eux aussi à la garantie d’une quasi parfaite inamovibilité, eux dont le mandat, rappelons-le, est limité à cinq ans. Or, pour la juge Bich, qui a rédigé les motifs de la Cour d’appel9, l’examen des dispositions applicables démontrerait plutôt qu’au chapitre de l’inamovibilité il existait des garanties suffisantes adaptées à la situation de la CLP et de ses juges, lesquelles garanties seraient conformes aux enseignements de la Cour suprême. Selon elle, l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne exprime une notion flexible et contextuelle; ce n’est pas parce que le législateur a choisi de hausser les garanties d’inamovibilité et de conférer aux membres du TAQ le bénéfice d’une nomination durant bonne conduite qu’il était tenu de le faire pour les juges de la CLP ou encore pour ceux de la CRT ou de la Régie du logement.
Pour la juge Bich, «l’indépendance, au chapitre de l’inamovibilité ne requiert pas la permanence mais s’accommode des mandats à durée fixe10».
Au moment de publier, l’affaire n’avait pas encore été portée en appel.
Mme la juge Bich n’a pas lu le livre de Ron Ellis: Unjust by design. Ça lui ferais du bien. Peut-être que la Cour suprême en aura fait lecture.
https://www.ubcpress.ca/unjust-by-design