Les tribunaux québécois peuvent suspendre les procédures pour de nombreux motifs, notamment aux termes des articles 49 (intérêt de la justice), 156 (négociation de règlement), 158 (gestion de l’instance), 212 (action connexe devant la Cour supérieure), 363 (préjudice corporel), 378 (compétence du juge d’appel) et 530 (contrôle judiciaire) du Code de procédure civile (C.P.C.) ou de l’article 3137 du Code civil du Québec (C.C.Q.) (litispendance internationale).
Voici quelques précédents récents en cette matière.
En appel
Dans Trépanier c. Bonraisin, où le requérant souhaitait suspendre l’appel le temps de présenter une demande de rétractation du jugement de première instance, la Cour d’appel rappelle le pouvoir de la Cour de suspendre un appel « lorsque le sort de celui-ci peut dépendre du résultat de procédures en première instance, lesquelles peuvent être de nature à rendre l’appel théorique ou à rendre le dossier d’appel plus complet » (paragr. 14).
La Cour y a en outre confirmé la possibilité pour le juge d’appel d’accorder une telle mesure sous le nouveau Code de procédure civile, en raison de l’article 378 C.P.C., qui lui attribue la «compétence pour décider seul de toutes les demandes incidentes, à l’exclusion de celles touchant le fond».
Déférence envers la Cour d’appel
Dans Sibiga c. Fido Solutions inc. les défenderesses déposent un moyen déclinatoire, alléguant que le litige relèverait du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, et non de la Cour supérieure. Comme un tel moyen allait être entendu sous peu par la Cour d’appel dans une cause semblable, la Cour supérieure a préféré suspendre l’action collective, plutôt que d’engager des ressources qui pourraient se révéler inutiles.
Faillite et insolvabilité
Dans Syndic de Lapointe, la Cour supérieure suspend la demande de libération de faillite à laquelle s’oppose l’Agence du revenu du Québec jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu à l’égard des appels d’avis de cotisation que la faillie a déposéss. Il faut comprendre que la nature des dettes, en l’occurrence des dettes de nature fiscale, constitue un élément important à considérer par le tribunal saisi d’une demande de libération.
Dans Procureure générale du Québec (Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur) c. Fortin, la Cour du Québec a suspendu une action par laquelle la procureure générale du Québec recherchait le remboursement de prêts assujettis à la Loi sur l’aide financière aux études, de façon à permettre à la faillie de formuler une demande aux termes de l’article 178 (1.1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité afin d’être soustraite à cette dette. La suspension a été accordée à titre de mesure de sauvegarde aux termes de l’article 49 C.P.C. Contrairement à Dépanneur Linmicha inc. (Entreprises Tétreault) c. 9130-0902 Québec inc., la juge aurait été à l’aise d’accorder la demande à titre de mesure de gestion aux termes de l’article 158 C.P.C.
Litige hypothétique
Dans Dépanneur Linmicha inc. (Entreprises Tétreault), les défendeurs allèguent que les faits en cause allaient probablement donner lieu à l’introduction d’une demande par le ministère des Transports du Québec et qu’un risque de jugements contradictoires s’ensuivrait. Le tribunal refuse d’accorder la suspension demandée, la jugeant prématurée, doutant au passage de son pouvoir d’accorder une telle mesure à titre de mesure de gestion aux termes de l’article 158 C.P.C.
Question préalable
Dans Bouchard c. Maynard, les défendeurs étaient poursuivis en responsabilité professionnelle. Ils soutiennent qu’il vaudrait mieux suspendre l’instance afin que les droits de la demanderesse à titre d’actionnaire soient confirmés ou non dans une instance en cours, avant de déterminer s’ils ont, par leur faute, nui à la demanderesse dans l’exercice de ces droits. Se fondant sur l’intérêt de la justice et l’article 49 C.P.C., la Cour leur donne raison, notant l’existence d’un risque de jugements contradictoires quant au statut d’actionnaire de la demanderesse et l’opportunité d’éviter une duplication inutile des procédures.
Action collective multijuridictionnelle
Dans Chasles c. Bell Canada inc., modulant à l’action collective les critères d’application de l’article 3137 C.C.Q., la Cour supérieure a accepté de suspendre une demande d’autorisation d’une action collective au profit d’une demande « pan-canadienne » déposée en Ontario, bien que le critère du « premier qui dépose » ne fût pas rempli.
Cour fédérale
Dans Hamel c. Robitaille Équipement inc., la Cour supérieure a refusé de suspendre une demande d’injonction pour contrefaçon de brevet au profit d’une action intentée subséquemment en Cour fédérale par les défendeurs visant à faire annuler certains des brevets en cause, estimant que les questions posées dans les deux actions se distinguaient sur plusieurs aspects et qu’une suspension causerait un préjudice sérieux pour les demandeurs.
Dans Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copiebec) c. Université Laval, la défenderesse demande la suspension de l’instance au motif que la Cour fédérale serait appelée à se pencher sur le moyen de défense qu’elle entend proposer en l’instance. Le juge refuse de suspendre l’action collective, estimant que peu d’avantages découleraient d’une décision finale dans l’action mue devant la Cour fédérale.
Conclusion
Comme on peut le voir, une demande de suspension de l’instance requiert du tribunal un exercice de pondération délicat, qui met souvent en lumière l’opposition pouvant exister entre deux principes directeurs du Code de procédure civile, soit celui d’assurer une justice accessible et rapide et celui de promouvoir l’application proportionnée et économique de la procédure.
Il y a aussi le cas de l’article 420 cpc en droit de la famille pour favoriser la médiation.