L’employeur doit-il régler la facture salée de l’hospitalisation de son camionneur aux États-Unis à la suite d’un accident de la route dont celui-ci est responsable?
La loi
Le principe général en matière de financement des lésions professionnelles est énoncé à l’article 326 alinéa 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) :
« La [CNESST] impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi ».
[Les caractères gras sont ajoutés.]
La LATMP prévoit quelques exceptions à ce principe, notamment celle de l’article 326 alinéa 2 :
« Elle [la CNESST] peut également, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers ou d’obérer injustement un employeur. »
[Les caractères gras sont ajoutés.]
La juge administrative Bergeron, du Tribunal administratif du Travail (TAT), s’est récemment prononcée sur ces dispositions dans Transport St-Viateur inc.
L’accident de la route au New Jersey
- Le travailleur est chauffeur longue distance pour une entreprise de transport.
- Le 14 mai 2013, à la sortie d’une autoroute dans le New Jersey, le travailleur a viré à gauche à une vitesse excessive, ce qui a entraîné le versement de son camion sur le côté droit.
- Selon le rapport de la police du New Jersey, le travailleur a négocié son virage trop rapidement pour éviter de devoir arrêter à un feu de circulation.
- La somme totale imputée au dossier financier de l’employeur à la suite de la lésion professionnelle subie par le travailleur aux fins de tarification est de 548 336,80 $.
- L’importance de cette somme s’explique notamment par le fait que l’accident du travail est survenu aux États-Unis et que le travailleur y a été hospitalisé et soigné pendant plusieurs jours. La majeure partie de ce montant, soit 486 143 $, concerne les frais d’assistance médicale.
Les arguments de l’employeur
- Le comportement négligent et téméraire du travailleur est la seule cause de l’accident de la route. Cet accident ne fait pas partie des risques qu’il doit supporter en tant qu’employeur et l’imputation des coûts à son dossier est injuste.
- Non seulement le travailleur a été imprudent en roulant trop vite dans le virage, mais il a également commis une infraction pénale en ne respectant pas le feu de circulation.
L’employeur doit payer
La juge Bergeron a décidé qu’il n’était pas injuste d’imputer à l’employeur le coût de la lésion professionnelle.
La juge admet que, dans certaines circonstances, l’accident qui survient en raison du comportement négligent d’un travailleur peut avoir pour effet d’obérer injustement l’employeur, car il déborde des risques que celui-ci doit supporter. Puis, elle nuance comme suit :
[30] Dans de tels cas toutefois, il est essentiel de s’assurer du caractère exceptionnel des circonstances entourant la survenance de l’événement. Il faut éviter que le transfert des coûts ne soit un automatisme dès lors qu’un accident survient parce qu’un travailleur a omis de suivre des règles de sécurité ou qu’il a fait preuve d’imprudence. Tenir compte de la seule erreur des travailleurs, aussi sérieuse soit-elle, risque de s’écarter de l’objectif de responsabilisation des employeurs face aux mesures de prévention à prendre pour protéger les travailleurs. Aussi faut-il rappeler que la Loi prévoit un régime d’indemnisation sans égard à la faute.
[31] Ainsi, le simple cas de négligence ou d’imprudence ne constitue pas une injustice donnant ouverture à un transfert de coût, puisqu’un tel comportement n’est pas étranger aux risques que doivent supporter les employeurs de manière générale.
[…]
[39] […] Le travailleur a été imprudent, voire négligent, en voulant éviter d’être immobilisé à un feu de circulation, ce qui a fait en sorte qu’il a négocié son virage trop rapidement. Le Tribunal ne voit toutefois pas dans la preuve d’éléments permettant de conclure à autre chose qu’à une simple négligence.
[40] Dans les cas d’accidents impliquant des véhicules, le facteur humain fait en sorte qu’il peut arriver qu’un conducteur dépasse la vitesse permise, aborde un virage un peu plus rapidement que nécessaire ou, par distraction, ne réagisse pas de manière optimale. Ce genre d’accident se produit régulièrement sur les routes et ne revêt pas en soi un caractère exceptionnel, inusité, rare, ou de la nature d’un piège.
[…]
[44] Le montant imputé au dossier de l’employeur est certes très impressionnant. Toutefois, l’employeur dessert manifestement le territoire des États-Unis, ce qui peut entraîner certains frais importants du fait que l’un de ses travailleurs soit soigné à cet endroit. Il s’agit, encore une fois, d’un risque que doit assumer l’employeur.
[Les caractères gras sont ajoutés.]
Ainsi, l’employeur n’a pas réussi à démontrer qu’il était obéré injustement.
Pour des billets concernant les lésions professionnelles attribuables à la négligence d’un travailleur, voir Accidents du travail : qu’en est-il de la négligence grossière et volontaire du travailleur? (2017) et L’employeur doit-il payer lorsque la lésion professionnelle résulte de la négligence du travailleur? (2013).
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