Je vous présente, de façon très sommaire, des décisions du Tribunal administratif du travail (TAT) publiées en 2018 et 2019 dans Recherche juridique portant sur des plaintes en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) pour harcèlement psychologique. À noter que tous les plaignants sont des employés non syndiqués.

Harcèlement verbal

1) Bigororande et S. Lavoie CPA inc.

Victime : technicien en comptabilité (cabinet de comptables agréés)

Conduite reprochée : propos humiliants, agressifs et blasphématoires. Menaces, traitement discriminatoire et fausses accusations de la part du supérieur.

Décision : le témoignage du plaignant est crédible. Analysés globalement, les incidents relatés ne découlent pas d’une situation normale dans le contexte de relations du travail. Il est anormal d’être traité d’une façon différente des autres employés et d’être insulté et humilié, voire de faire l’objet de racisme (le plaignant est Congolais d’origine). L’employeur a exercé ses droits de direction de façon abusive. Sa relation avec le plaignant était une relation dominant-dominé. Il y a eu atteinte à la dignité et à l’intégrité de ce dernier. Les obligations de l’employeur édictées à l’article 81.19 L.N.T. n’ont pas été respectées. La plainte est accueillie (décision confirmée en révision).

2) Garha et 9334-6930 Québec inc.

Victime : travailleuse agricole

Conduite reprochée : propos vulgaires, injurieux et agressifs de la part du supérieur. Menaces de frapper la plaignante avec un bâton.

Décision : le témoignage de la plaignante est crédible. La présence de harcèlement psychologique ne fait pas de doute. L’employeur a profité de la grande vulnérabilité de la plaignante, une dame d’origine indienne ne parlant ni le français ni l’anglais, afin de l’humilier. Il l’a également exploitée financièrement en lui soutirant de l’argent. La plainte est accueillie.

3) Carbonneau et Résidence Bellevue (Gouin) inc. / Résidence Bellevue

Victime : directrice (résidence privée pour aînés)

Conduite reprochée : propos inappropriés, agressifs, autoritaires, intimidants et dénigrants de la part d’un collègue.

Décision : le témoignage de la plaignante est crédible. Elle a subi du harcèlement psychologique. En dépit de son titre de directrice générale, elle ne détenait aucune autorité en matière de gestion des ressources humaines; elle devait s’en remettre au propriétaire. Avisé de la situation, celui-ci n’a pris aucun moyen raisonnable pour faire cesser le harcèlement. L’employeur ne s’est pas acquitté de ses obligations légales. La plainte est accueillie. En vertu de l’article 96 L.N.T., l’acquéreur de la résidence est solidairement lié à l’employeur en ce qui a trait à la réclamation de la plaignante.

4) Seyer et Kanwal inc.

Victime : technicienne en comptabilité

Conduite reprochée : interventions et demandes répétées des représentants de l’employeur auprès de la plaignante ‑ durant un congé de maladie ‑ afin qu’elle démissionne.

Décision : l’absence pour cause de maladie de la plaignante ne donnait pas à l’employeur le droit de lui adresser des propos hostiles sous prétexte que cela ne rendait pas le « milieu de travail néfaste » pour cette dernière. L’obligation de préserver la dignité du salarié ou d’éviter de la compromettre demeure, malgré l’absence de prestation de travail. L’employeur a omis de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser les manifestations de harcèlement dont il a eu connaissance (art. 81.19 L.N.T.). La plainte est accueillie.

Harcèlement sexuel

5) L.P. et 9318-3580 Québec inc.

Victime : secrétaire

Conduite reprochée : attouchements sexuels non désirés de la part de l’un des 2 dirigeants de l’entreprise en dehors des heures de travail.

Décision : la version de la plaignante est retenue plutôt que celle du dirigeant, qui a d’abord prétendu ne se souvenir de rien (état d’ébriété) pour ensuite nier totalement les faits. L’autre dirigeant a banalisé les événements et le choc vécus par la plaignante. Ce comportement a eu pour effet de l’humilier davantage. Tous les éléments de la définition du harcèlement psychologique sont présents. L’employeur a manqué à son obligation de prévenir et de faire cesser le harcèlement. La plainte est accueillie.

Harcèlement ayant causé une lésion professionnelle

6) Cyr et Commission scolaire des Rives-du-Saguenay

Victime : directrice (commission scolaire)

Conduite reprochée : commentaires irrespectueux et menaçants de la part du conseil des commissaires et de sa présidente. Cette dernière excluait la plaignante des réunions du conseil et a laissé circuler des faussetés à son sujet (notamment dans les médias) pour finalement lui retirer tous ses pouvoirs. La plaignante a été mise en arrêt de travail par son médecin (dépression majeure).

Décision : les nombreuses conduites vexatoires commises à l’endroit de la plaignante ont porté atteinte à son intégrité et ont créé un milieu de travail néfaste pour elle. La plainte pour harcèlement est accueillie. La conduite vexatoire exercée par l’employeur ayant débordé le contexte normal du travail, le TAT conclut que l’épisode de dépression majeure diagnostiqué chez la plaignante constitue une lésion professionnelle.

Non-respect des obligations de l’employeur

7) S.B. et Compagnie A

Victime : conceptrice de réseau de distribution par fibre optique

Conduite reprochée : attitude autoritaire et directrice de la part d’un collègue.

Décision : l’employeur a agi rapidement pour faire cesser le harcèlement allégué. Une réunion a été convoquée dès la première dénonciation. Lorsque l’employeur a été informé de nouveaux reproches formulés par la plaignante, il l’a déplacée dans une autre affectation pour qu’elle n’ait plus à travailler avec le prétendu harceleur. Une telle décision constituait dans les circonstances un moyen raisonnable pour faire cesser le harcèlement psychologique allégué. La plainte est rejetée.

8) Mercier et Forever XXI / Pour Toujours XXI

Victime : préposée à l’entretien ménager

Conduite reprochée : propos dénigrants et humiliants de la part de la supérieure immédiate. Exercice abusif des droits de la direction.

Décision : les témoignages sont contradictoires sur certains faits. La version des témoins de l’employeur est plus crédible que celle livrée par la plaignante, qui n’a pas démontré que sa supérieure avait adopté une conduite vexatoire à son endroit. Elle ne s’est jamais plainte auprès des gestionnaires de situations pouvant s’apparenter à des manifestations de harcèlement psychologique. Un employeur ne peut faillir à l’obligation énoncée à l’article 81.19 L.N.T. de faire cesser une situation perçue comme du harcèlement psychologique alors que la preuve révèle qu’il n’en a pas été avisé ou informé au préalable. La plainte est rejetée.

9) Moore et A&G Électrostatique inc.

Victime : adjointe administrative

Conduite reprochée : intimidation et menaces de mort de la part d’un collègue.

Décision : Une personne raisonnable placée dans la même situation que la plaignante aurait conclu à une conduite grave et vexatoire qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychologique. Une seule conduite grave peut constituer du harcèlement psychologique si elle a un effet nocif continu sur la victime, ce qui est le cas de la plaignante. L’employeur n’a pris aucun moyen raisonnable visant à s’assurer que le harcèlement ne se poursuive pas et que la plaignante puisse travailler en toute sécurité. Il n’a donc pas respecté ses obligations en la matière. La plainte est accueillie.

Réparation du préjudice

10) McDuff et Concepts Gouin-Beauregard inc.

Victime : soudeur-assembleur

Conduite reprochée : propos agressifs, menaçants et méprisants de la part de 2 gestionnaires visant à humilier le plaignant. Affectation à des tâches dégradantes.

Décision : le plaignant a démontré qu’il avait subi des conduites vexatoires, lesquelles ont porté atteinte à sa dignité ainsi qu’à son intégrité psychologique et ont entraîné un milieu de travail néfaste. L’employeur n’a pas respecté ses obligations de prévenir et de faire cesser le harcèlement psychologique. Son comportement est gravement répréhensible et il ne reconnaît pas avoir commis quelque faute que ce soit. Le plaignant a droit à des dommages moraux (5 000 $) ainsi qu’à des dommages punitifs (5 000 $). Le TAT ordonne à l’employeur de se doter d’une politique écrite en matière de harcèlement psychologique et de l’afficher bien en vue dans l’usine.

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