En 2020, il est difficile d’imaginer le quotidien sans notre téléphone intelligent, notre tablette ou notre ordinateur. Ces appareils sont utilisés pour s’informer, pour faire des achats et, surtout, pour communiquer. À l’aide de textes, d’images ou de vidéos, les gens partagent des tranches de vie, des opinions et des nouvelles. L’avènement de ces modes de communication simples et gratuits facilite le maintien de nos relations interpersonnelles, mais il peut aussi les envenimer. Mes collègues ont d’ailleurs précédemment écrit des billets au sujet de publications diffamatoires ou inappropriées effectuées sur les médias sociaux à l’endroit d’un employeur ou d’une entreprise. Vous trouverez ci-dessous des cas récents où le partage de contenu sur les médias sociaux a donné lieu à des poursuites en dommages-intérêts ou encore à des accusations criminelles.

Le partage d’articles d’actualité sur Facebook

De plus en plus de personnes partagent des articles d’actualité parce qu’ils sont intéressants ou choquants. Politique, économie, faits divers, actualité judiciaire: tout y passe. Puisque plusieurs partagent des actualités en les republiant sur leur page Facebook, par exemple, ce geste peut nous sembler banal. Détrompez-vous!

Mario Robitaille, président d’un club d’haltérophilie, fait actuellement l’objet d’une poursuite en responsabilité civile pour avoir partagé sur sa propre page Facebook des articles de Radio-Canada et du journal Le Citoyen au sujet des procédures judiciaires concernant René Bellemare, un ex-entraîneur d’haltérophilie. Ce dernier a été déclaré coupable de contacts sexuels et d’exploitation sexuelle à l’endroit d’une victime de moins de 16 ans et a été acquitté sous un chef d’agression sexuelle dans un autre dossier. Bellemare estime que Robitaille a choisi de partager des articles nuisant à sa réputation et qu’il a omis de partager ceux tendant à l’innocenter.

Bellemare a donc intenté des poursuites en diffamation contre diverses personnes ayant fait des commentaires à son endroit sur les réseaux sociaux, dont plusieurs se sont soldées par des règlements hors cour. Seulement 2 recours ont subsisté : celui contre Robitaille (mentionné ci-dessus) et celui contre Alexandra Morin.

Robitaille a présenté une requête visant à faire échouer la demande intentée contre lui, mais sans succès. Le juge Gervais a estimé que, compte tenu des particularités de cette affaire et des divers éléments de preuve que chacune des parties pouvait faire ressortir, il était prématuré de qualifier le recours de Bellemare d’abusif, de téméraire ou de dénué de toute chance de succès. Nous devons donc attendre qu’un juge entende le procès au fond afin de savoir si le partage d’actualités publiées par des entreprises médiatiques reconnues peut constituer une faute civile et, dans l’affirmative, de connaître le quantum des dommages subis.

Quant à Morin, elle était poursuivie par Bellemare pour un commentaire qu’elle avait écrit sur Facebook selon lequel, en se basant sur son expérience personnelle, les allégations au sujet de Bellemare pouvaient être justes. Par la suite, Morin n’a fait aucun autre commentaire à ce sujet et a présenté ses excuses à Bellemare, lequel a tout de même poursuivi son recours en dommages-intérêts contre elle. Morin a donc elle aussi présenté une demande en rejet de la poursuite intentée contre elle. Dans un jugement distinct, le juge Gervais a conclu que la demande de Bellemare était abusive et vouée à l’échec. Selon lui, même si les propos de Morin étaient jugés fautifs ‑ ce qui est loin d’être certain ‑, il n’était pas réaliste de relier ces propos à un dommage réel et quantifiable.

Le partage d’une vidéo sur un site privé

Dans Moïse, les demandeurs, 2 collègues en vacances au Panama, croisent par hasard le boxeur Adonis Stevenson. Ce dernier sort son cellulaire et effectue une vidéo de la rencontre, qu’il rend accessible en direct au public sur sa page Facebook. Le hic, c’est que les demandeurs travaillent pour Service correctionnel Canada (SCC) et que Stevenson a préalablement été incarcéré à la suite d’une condamnation criminelle. Le défendeur, lui aussi au service du SCC, publie cette vidéo sur un site privé auquel seuls les agents de la paix ou les agents correctionnels ont accès. Il ajoute un commentaire questionnant la moralité de la situation; plusieurs personnes répondront à ce commentaire, de manière plus ou moins tendre.

Les demandeurs alléguaient que le défendeur avait tenu des propos diffamatoires à leur endroit et que cette publication avait eu des répercussions sur leurs vies professionnelles respectives. Le juge Labelle a toutefois rejeté leur demande de dommages moraux et punitifs et d’honoraires extrajudiciaires. Il a estimé que, comme la vidéo avait d’abord été accessible au public sur Facebook, le fait que le défendeur l’ait partagée 5 jours plus tard sur un site réservé à des personnes travaillant dans les mêmes milieux de travail ne pouvait être qualifié de fautif. De plus, l’analyse de chacun des textes écrits par le défendeur en lien avec cette vidéo n’avait pas démontré une atteinte à la réputation des demandeurs. Il est intéressant de lire ces quelques lignes de la conclusion du juge au sujet de la problématique que représente l’instantanéité des publications :

[84] À l’ère des médias sociaux et de l’instantanéité de la diffusion sous quelque forme à de larges auditoires, l’anonymat, même dans la foule, s’avère passablement réduit.

[85] Les demandeurs ont sûrement subi des désagréments et ennuis de la diffusion de cette vidéo. Toutefois, ils découlent de leur acceptation d’être remarqué avec une personnalité ayant un passé judiciaire demeurant controversé malgré sa réhabilitation.

Le partage d’une vidéo intime sur WhatsApp

Dès les premières lignes de la décision R. c. A.B., le juge Galiatsatos souligne la facilité avec laquelle nous pouvons aujourd’hui filmer des scènes intimes, les partager et, ultimement, ruiner des vies. Dans cette affaire, il devait déterminer la peine à imposer à un homme ayant reconnu sa culpabilité sous les chefs d’accusation de publication non consensuelle d’une image intime et d’omission de respecter les conditions de 2 engagements.

L’accusé a utilisé l’application de messagerie WhatsApp pour transmettre à une amie une vidéo montrant la plaignante en train de se livrer à des activités sexuelles avec lui. Cette « amie » a ensuite envoyé la vidéo à l’épouse de l’accusé pour lui faire part de son infidélité. L’accusé a dit avoir envoyé la vidéo sous le coup de la frustration à la suite d’une dispute avec cette amie. Avant de prononcer une peine de 4 mois d’emprisonnement avec sursis assortie d’une probation de 3 ans, le juge indique que les infractions reprochées sont sérieuses. Il souligne que la « pornographie de vengeance » est un problème social profond et qu’il y a de plus en plus de partage non consensuel d’images intimes en ligne. Puisqu’il s’agit d’un nouveau type d’infraction, l’article 162.1 du Code criminel a été adopté en 2014 précisément en réponse à ce nouveau type de cyberintimidation, habituellement perpétrée par un ex-conjoint pour se venger, pour humilier ou encore pour harceler la personne se trouvant sur les images.

Le partage d’une vidéo intime sur Snapchat

Dans Robidas, un jeune homme de 18 ans a filmé une relation sexuelle à l’insu de sa copine. Il a ensuite partagé la vidéo avec ses 22 coéquipiers footballeurs par l’entremise de l’application Snapchat. Habituellement, le fichier se détruit après 2 ouvertures, mais l’un de ses coéquipiers en a fait des captures d’écran. La victime a évidemment été très choquée lorsqu’elle a appris l’existence de ces vidéos et elle a déposé une plainte aux autorités policières.

Le jugement décrit bien les conséquences pour la victime, notamment le stress et la perte de confiance en elle; l’accusé, pour sa part, en est venu à avoir des idées suicidaires. L’accusé a agi de façon impulsive après avoir consommé de l’alcool et sans s’être arrêté aux conséquences de son geste. Le juge Vanchestein indique que les gestes commis par l’accusé sont loin d’être banals et que, en les exécutant, celui-ci a véritablement trahi la confiance de la victime. Comme l’accusé a reconnu sa culpabilité, la question à trancher était celle de déterminer la sentence et, notamment s’il pouvait bénéficier d’une absolution conditionnelle, qu’il a finalement obtenue assortie d’une ordonnance de probation de 2 ans.

Y penser avant de partager

Bref, le partage de contenu sur les médias sociaux, bien qu’il puisse sembler un geste banal du quotidien, peut être lourd de conséquences tant sur la personne faisant l’objet de la publication que sur celle qui la partage. Au moyen d’un simple clic, notre cellulaire nous permet de prendre des photos et des vidéos à tout moment, tandis que les médias sociaux nous offrent des moyens de partager ces fichiers rapidement et à un grand nombre de personnes. C’est si facile que l’on ne prend pas le temps de réfléchir aux conséquences. Comme le dit si bien le vieil adage cité par le juge Galiatsatos dans la décision R. c. A.B. : « Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités » (paragr. 5, la traduction est de la soussignée).

En ces temps particuliers de confinement, utilisons plutôt les médias sociaux et les autres ressources technologiques à notre disponibilité pour rester « en contact », s’encourager et se remonter le moral.

Merci à mes collègues Me Émilie Larivée, Me Amélie Pilon, Me Catherine Vaillancourt-Gauvreau et Me Julie Pomerleau pour leur apport à ce billet.

*L’appel de sa déclaration de culpabilité a été rejeté.