Il est très rare que le Conseil de la justice administrative (CJA) se penche sur une affaire touchant la vie privée d’un juge administratif. C’est pourtant ce qui s’est passé dans le cas d’une juge du Tribunal administratif du travail (TAT). Si vous voulez savoir comment une banale histoire d’entretien ménager peut dégénérer jusqu’à une réprimande, voici l’histoire.
Les faits
Dans cette affaire, la plaignante exécutait des services d’entretien ménager à la résidence de la juge sur une base régulière. Cette dernière différait toujours le paiement des services. Les semaines ont passé et les sommes dues par la juge se sont accumulées malgré les messages texte échangés entre les 2 femmes au fil des mois.
La plaignante s’est adressée à la Division des petites créances de la Cour du Québec. La juge n’a pas comparu et n’a produit aucune contestation. Un jugement par défaut a été rendu contre elle.
À la suite du jugement, la juge a fait des promesses de paiement à la plaignante qui ne se sont jamais concrétisées. La juge a même annulé des rendez-vous convenus pour régler le tout à l’amiable. Après une dernière promesse de paiement non tenue, la plaignante a dû retenir les services d’huissiers pour exécuter le jugement.
La juge n’a pas communiqué avec la plaignante à la suite de la signification de l’avis d’exécution de jugement. La saisie de revenus de la juge a été effectuée et la plaignante a fini par être remboursée en totalité.
La plainte
La plaignante a déposé une plainte au CJA contre la juge. Elle lui a reproché de ne pas l’avoir payée pour ses services et de l’avoir obligée à s’adresser au tribunal pour lui réclamer les sommes dues ainsi qu’à faire appel aux services d’un huissier pour exécuter le jugement.
La procédure
Une fois la date d’audience devant le CJA fixée, la juge a demandé et a obtenu 3 remises de l’audience pour finalement renoncer à celle-ci. Elle a demandé à pouvoir plutôt produire un argumentaire.
Dans la même veine, elle a demandé et a obtenu des prolongations de délai pour produire son argumentaire. Le comité d’enquête du CJA, après une autre demande, a finalement refusé de lui accorder un délai additionnel. Il a jugé cette dernière demande abusive et dilatoire dans la séquence des multiples demandes précédentes.
Le comité a aussi constaté que la juge avait rendu 7 décisions dans le contexte de ses fonctions de juge administrative pendant la période où elle avait demandé des remises et des prolongations de délai. Il a estimé que cela venait en contradiction avec ses demandes de report.
Les arguments
Devant le comité d’enquête, la juge a affirmé qu’elle était convaincue que son ex-conjoint avait payé les sommes dues à la plaignante.
La décision
Le CJA a d’abord rappelé que toute conduite d’un juge, même dans la sphère de sa vie privée, peut nuire à la confiance et au respect que porte le public à la magistrature.
Il a noté, avec raison, qu’il était curieux que la juge n’ait jamais mentionné à la plaignante qu’elle croyait que son ex-conjoint avait payé les sommes dues. Il aurait été simple de le dire à la plaignante ou de le lui écrire dans ses messages texte.
La croyance que l’ex-conjoint avait payé la plaignante, telle qu’elle est alléguée par la juge, ne peut justifier que cette dernière n’ait pas pris en main la situation à la suite de la signification de la procédure judiciaire devant la Division des petites créances de la Cour du Québec.
La particularité de la présente affaire, selon le CJA, est l’insouciance, voire la négligence avec laquelle la juge a traité la créance de la plaignante. C’est une chose de rencontrer certaines difficultés personnelles pouvant entraîner des retards de paiement pour un membre de la magistrature, mais cela en est une autre quand une juge demeure silencieuse relativement à une poursuite judiciaire, se laisse condamner par défaut et néglige de respecter le jugement rendu contre elle.
En agissant de la sorte, la juge a banalisé la démarche judiciaire que la plaignante s’est vue obligée d’entreprendre après plusieurs mois de patience. Cette conduite répréhensible porte atteinte à la dignité et à l’intégrité de sa charge et du TAT.
Un membre du public bien informé, raisonnable et impartial ne pourrait qu’entretenir une perception négative susceptible d’entraîner une perte de confiance et de respect à l’endroit de la juge.
Le CJA a donc conclu que la plainte portée contre la juge était bien fondée. Il a recommandé que cette dernière soit sanctionnée par une réprimande.
Conclusion
La juge a fait preuve de désinvolture dans sa façon de traiter la plaignante et la procédure judiciaire contre elle. Il en a été de même pour l’enquête devant le CJA, bien que cela n’entre pas en jeu dans la sanction. Et voilà comment une dette de 1 080 $ a mené à une réprimande.
Un cordonnier mal chaussé qui ne passe pas inaperçu et avec raison.
Pourquoi ne pas dévoilée l’identité de la juge dans cette affaire ?
Le billet ne mentionne ni le nom de la plaignante ni celui de la juge, mais le texte intégral de la décision contient ces informations. Il y a un lien vers la décision dans le billet.
Je lis chacun de vos articles et ils sont toujours forts intéressants.
Merci beaucoup!
ABERRANT…ABERRANT…ABERRANT…
Deux poids deux mesures, et après on se demande comment il se fait qu’une certaine partie de la population ait perdu confiance aux tribunaux, aux juges et aux avocats !!!
Faut le faire, dévoiler publiquement le nom de cette juge est un minimum. L’abut de procédure dans son cas est absolument impardonnable. Elle devrait carrément être remerciee. Elle est absolument indigne de siéger comme juge, point à la ligne.