[1] Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité1. À l'exception des cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé2. Ainsi, l’autorisation du tribunal est nécessaire si le majeur inapte refuse de recevoir des soins requis par son état de santé, à moins qu'il ne s'agisse de soins d'hygiène ou d'un cas d'urgence3. Nous vous présentons dans cet article un survol de certaines des nombreuses demandes d'autorisation de soins qui ont été entendues par les tribunaux en 2008 et 2009.
Principes applicables aux ordonnances de traitement
[2] Dans Québec (Curateur public) c. Centre de santé et de services sociaux de Laval4, la Cour d’appel a conclu qu’une ordonnance de soins ne pouvait être rendue pour une durée indéterminée. Dans cette affaire, l’intimée, une majeure inapte souffrant de démence mixte irréversible ayant de graves effets sur son comportement, s'opposait catégoriquement à la demande d'autorisation de soins du Centre de santé et de services sociaux. Celui-ci prétendait que l'imposition d'un terme à une ordonnance de soins était inappropriée en présence d'une maladie dégénérative qui entraîne des atteintes cognitives irréversibles chez la personne visée, d'autant plus que les rapports annuels exigés et l'obligation de porter à l'attention du tribunal toute divergence d'opinions entre professionnels de la santé semblaient suffisants dans les circonstances. Or, le législateur n’a pas voulu confier au milieu de santé un tel mandat. Celui-ci a été dévolu au tribunal. Seule la fixation d'un terme permet à celui-ci de s'assurer d'accomplir sa mission et d'empêcher que la personne ne sombre dans l'oubli. L'imposition d'un terme ne signifie pas qu'il y aura judiciarisation à outrance puisque l'arrivée de celui-ci n'entraîne pas un retour automatique devant le tribunal, à moins que la majeure inapte n'oppose de nouveau un refus catégorique de recevoir les soins. Dans ce cas, une ordonnance de trois ans a été jugée raisonnable.
[3] Dans Québec (Curateur public) c. Institut Philippe-Pinel de Montréal5, l'appelant, un majeur protégé de 48 ans, était soumis au régime de la curatelle publique. Il souffrait de schizophrénie indifférenciée paranoïde depuis l'âge de 20 ans. Le juge de première instance6 a autorisé l’intimé à lui donner les traitements requis par son état de santé pour une période de cinq ans. En outre, il a permis aux médecins traitants de lui administrer un traitement par électrochocs d'une durée et d'une fréquence relevant de leur discrétion. Or, le caractère coercitif de l'ordonnance commandait que les paramètres en soient fixés, d'autant plus qu'un traitement précis avait été demandé. La Cour d’appel a donc limité la thérapie électroconvulsive à 12 séances. De plus, bien que la trop courte durée d'un traitement puisse compromettre son efficacité, la détermination de celle-ci relève de la discrétion judiciaire, qui doit s'exercer en pondérant les facteurs pertinents. En l’espèce, il s’agissait d'une première ordonnance de traitement et le juge devait prévoir une période suffisante pour s'assurer que le traitement produise les effets bénéfiques escomptés. Toutefois, des périodes de traitement prolongées ne devraient pas être autorisées uniquement pour accorder plus de latitude au médecin traitant. Étant donné que l’appelant recevait un traitement pharmacologique depuis plusieurs années et qu’il avait subi par le passé des thérapies électroconvulsives qui avaient contribué à améliorer son état, la durée de l'ordonnance de traitement a été réduite à trois ans.
[4] Dans J.R. c. Centre hospitalier de l'Université de Montréal7, l’appelante soutenait que la juge de première instance8 avait commis une erreur en autorisant les intimés à l'héberger contre son gré pour une durée de trois ans puisque cette conclusion allait au-delà du but pour lequel l'hébergement était demandé. À cet égard, elle faisait référence à une lettre stipulant que cette ordonnance serait mise en place uniquement si son état psychiatrique le requérait. Elle prétendait également que, si l'hébergement n'était pas nécessaire au moment de rendre le jugement, la juge ne pouvait déléguer ses pouvoirs aux autorités médicales et ainsi leur permettre de décider unilatéralement de l'opportunité d'un hébergement. Dans ce cas, il était souhaitable que l'appelante demeure en hébergement, car il était probable qu'elle cesse de prendre ses médicaments si elle restait seule dans son appartement. Toutefois, les autorités médicales désiraient lui accorder le bénéfice du doute et croire qu'elle suivrait les directives de ses médecins. Elle sera donc hébergée uniquement si elle démontre qu'elle ne peut plus fonctionner sans être hospitalisée. Dans ces circonstances, il ne s'agit pas d'un cas où le juge constate qu'il n'y a aucune raison d'ordonner l'hébergement d'une personne et où il transfère ses pouvoirs au personnel médical.
Durée de l’ordonnance
[5] En juillet 2009, la Cour supérieure a accueilli une requête pour autorisation de soins visant une période de cinq ans9. Dans cette affaire, l'intimée, âgée de 84 ans, était soumise à un régime de protection. Elle souffrait d'une pathologie chronique à laquelle s'était ajoutée une démence dégénérative, soit la maladie d'Alzheimer. Depuis 1985, elle avait été hospitalisée à plusieurs reprises et, en 2001, une ordonnance de garde en établissement et de soins avait été rendue à son endroit. Or, il n'était pas possible que l'état de santé de l'intimée s'améliore et qu'elle devienne apte à consentir aux soins. L'intégrité de la personne est importante, mais le juge a considéré que le requérant ne devait pas être obligé de revenir devant le tribunal trois ans plus tard pour expliquer de nouveau la situation dégénérative que présentait l'intimée (art. 4.2 du Code de procédure civile). D'autre part, il a tenu compte de l'âge avancé de cette dernière. Dans ces circonstances, une ordonnance de cinq ans a été jugée appropriée et dans l'intérêt de l'intimée. Cette décision a été portée en appel.
[6] Dans Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke — Hôtel-Dieu c. A.T.10, la défenderesse était âgée de 81 ans et vivait seule en appartement. Elle était atteinte d’une démence mixte ainsi que de plusieurs problèmes physiques. Comme dans Centre hospitalier universitaire de Québec (Pavillon Hôtel-Dieu de Québec) c. L.R.11, l'hébergement était une composante des soins requis par son état de santé. Le juge a conclu qu’un hébergement de trois ans dans un établissement public était la seule solution envisageable afin qu'elle s'alimente, prenne ses médicaments et reçoive les soins médicaux appropriés à son état.
[7] Par ailleurs, dans Centre hospitalier Robert-Giffard c. W.K.12, une ordonnance de trois ans a été rendue afin de traiter un patient psychotique et dépendant au cannabis, notamment parce que son état l'empêchait de comprendre la nature de sa maladie ainsi que le traitement proposé et que l'absence de soins pouvait le rendre dangereux pour lui-même et pour les autres. Une telle ordonnance a également été rendue pour protéger la santé et l'intégrité d’un majeur toxicomane afin qu'il respecte sa médication et qu'il soit traité pour l'hépatite C ainsi que le VIH13 dont il était atteint.
[8] En principe, dans les cas où le majeur inapte souffre de schizophrénie paranoïde, les tribunaux ordonnent l’hébergement forcé pour une période de trois ans14.
[9] Enfin, une majeure de 77 ans souffrant de diabète a dû être hébergée pour une période de un an puisqu’elle était incapable de gérer adéquatement sa prise de médicaments15.
Droit à l’autodétermination
[10] Mme la juge Hardy-Lemieux, de la Cour supérieure, dans Centre de santé et de services sociaux de la Vieille Capitale c. G.P.16, a confirmé que le droit à l'autodétermination d'une personne atteinte d'un cancer incurable emporte pour cette dernière celui de refuser un hébergement de longue durée.
[11] Dans Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke — Hôtel-Dieu c. G.B17, M. le juge Tôth, de la Cour supérieure, a conclu que le droit à l'autodétermination emporte pour le patient apte celui de refuser des traitements salvateurs tels que l'hébergement en établissement de santé, même au péril de sa vie.
Nature des soins requis par l’état de santé
[12] Ainsi qu'il est énoncé dans Centre de santé et de services sociaux Pierre-Boucher c. J.T18, le mot «soin» doit être entendu dans un sens générique couvrant toutes les espèces d'interventions auprès d'une personne inapte relativement à sa santé. Lorsqu'une preuve établit que devenir enceinte mettrait en péril la santé physique ou mentale d'une femme, l'administration d'un contraceptif est considérée comme un soin visant à préserver son intégrité corporelle et psychique. L'article 16 C.C.Q. autorise la Cour supérieure à ordonner l'administration d'un contraceptif lorsqu'elle est requise par l'état de santé d'une majeure inapte et qu'il y a refus catégorique de recevoir ce soin. Toutefois, avant d'entraver le droit d'enfanter, le tribunal doit être convaincu de la nécessité d'intervenir, et cette preuve n'a pas été faite en l'espèce.
[13] D’autre part, il a été décidé que l'incapacité parentale d'une majeure souffrant de maladie mentale et le risque de transmission de la maladie à ses enfants n’étaient pas des motifs justifiant une ordonnance de stérilisation à son endroit19.
Conclusion
[14] Cette revue jurisprudentielle a notamment démontré qu'une ordonnance de soins ne peut être rendue pour une durée indéterminée, que le tribunal ne peut laisser à la discrétion des médecins la durée et la fréquence du traitement requis par l'état de santé de la personne visée par l'ordonnance, que des périodes prolongées de traitement ne devraient pas être autorisées uniquement pour accorder plus de latitude aux médecins traitants et que, dans la majorité des cas, les ordonnances de soins ont été rendues pour une durée de trois ans.
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