[1] Dans des cas exceptionnels, une ordonnance de type Anton Piller peut être rendue afin de préserver certains éléments de preuve contre une éventuelle disparition ou d’assurer le respect du droit de propriété du requérant envers certains biens dont il serait présumé propriétaire. Dans Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp.[1], la Cour suprême a défini les critères pour l'obtention d'une telle ordonnance.
[2] Quant à l’ordonnance de type Mareva, qui obéit aux mêmes critères qu’une ordonnance d’injonction provisoire, elle n’est prononcée que lorsqu’il existe un risque réel que les biens d’un débiteur potentiel ne disparaissent. Elle s’applique à la personne visée et non à ses biens.
[3] Dans cet article, nous vous présenterons quelques décisions récentes portant sur ces types d’ordonnances.
Anton Piller : le risque de modification ou de destruction de la preuve
[4] Dans Jaoude c. Université Laval[2], un litige opposait le demandeur à l’Université Laval. Devenu médecin résident dans le réseau de cette université, il désirait que soit rendue une ordonnance de type Anton Piller afin d’obtenir une copie intégrale de son dossier scolaire, craignant que certains documents n’aient été modifiés après avoir été signés par un professeur. Il alléguait également que des documents avaient été produits en son absence et introduits en preuve dans son dossier sans qu’il en soit informé, que certains avaient été altérés et que son dossier scolaire était incomplet.
[5] Or, la juge a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que, sans une ordonnance ex parte, il existait une probabilité raisonnable et objective que l’Université fasse disparaître ou altère une partie de son dossier scolaire. Ces accusations, graves en soi, auraient dû être démontrées avec plus de certitude. La juge a également rappelé qu’il y avait lieu de présumer que l’Université était de bonne foi et qu’elle savait qu’elle n’avait pas le droit d’altérer ni de détruire les documents d’un dossier scolaire pertinents à un litige.
[6] Une ordonnance de type Anton Piller a en revanche été rendue dans AriVac inc. c. Achacha[3] contre le directeur d’un laboratoire scientifique ayant utilisé des informations confidentielles appartenant à l’employeur afin de lui faire une concurrence déloyale. En effet, des éléments de preuve sérieux permettaient de croire qu’il avait vraisemblablement violé ses engagements contractuels. De plus, il existait une probabilité importante que l’employeur continue de subir des dommages importants si l’employé persistait à utiliser l’information confidentielle qu’il détenait à son propre bénéfice. D’autre part, comme ce dernier faisait concurrence à l’employeur depuis qu’il était à son service, il paraissait possible ou probable qu’il tente de détruire la preuve avant même que l’employeur ne puisse lui réclamer des dommages-intérêts.
L’accès à la preuve saisie lors de l’audition de novo d’une requête en annulation d’une ordonnance de type Anton Piller
[7] Dans IMS Health Canada Inc. c. Th!nk Business Insights Ltd.[4], une ordonnance de type Anton Piller avait été rendue ex parte dans le contexte d'un litige qui opposait l’appelante à un ancien employé qui n'aurait pas respecté ses obligations de loyauté, de confidentialité et de non-concurrence. L'ordonnance décrivait les biens et documents visés par la procédure et accordait à l'intimé un délai de 24 heures pour déterminer ceux à l'égard desquels il entendait soulever une objection. De plus, l'ordonnance lui permettait d'en demander l'annulation. L’ordonnance a été exécutée quelques jours plus tard et environ 1,5 million de fichiers informatiques ont été saisis.
[8] L’ex-employé ainsi que sa coïntimée, une concurrente potentielle de l’appelante pour laquelle il travaillait, ont signifié une requête en annulation de l'ordonnance, invoquant notamment l'insuffisance des allégations au soutien de celle-ci ainsi que le non-respect des lignes directrices énoncées par la Cour suprême dans Celanese Canada Inc.[5]. De plus, ils prétendaient que l'appelante n'avait pas établi qu'il y avait un danger réel ou anticipé de destruction ou de disparition de la preuve.
[9] Cette requête des intimés a été entendue en même temps que la demande de l'appelante visant le renouvellement de l'ordonnance. À cette occasion, le juge s'est interrogé sur le droit d'accès de cette dernière à la preuve saisie en exécution de l'ordonnance. Il a tranché le débat en faveur des intimés car, selon lui, l'objectif de conservation de la preuve était atteint; permettre l'accès immédiat de l'appelante à la preuve saisie rendrait la requête en annulation sans objet véritable. Or, il jugeait les motifs d'annulation invoqués sérieux. Ainsi, à l'instar de Cogeco Diffusion inc. c. Lavoie[6], il a donc prolongé l'ordonnance de type Anton Piller jusqu'au jugement final sur la requête en annulation des intimés tout en modifiant celle-ci afin de refuser à l'appelante l'accès à la preuve saisie jusqu'à ce moment[7].
[10] L'appelante a porté cette décision en appel en invoquant un courant jurisprudentiel selon lequel l'accès au «fruit of the search» est pratique courante et est reconnu à l'occasion d'un débat relatif à l'annulation d'une ordonnance de type Anton Piller. Selon elle, nier son droit d'obtenir une copie de la preuve saisie porte atteinte à son droit à une défense pleine et entière, en plus de déconsidérer l'administration de la justice.
[11] La Cour d’appel a rejeté ses arguments[8]. Elle a rappelé que l’ordonnance de type Anton Piller est une mesure exceptionnelle et très intrusive, qui vise à protéger des éléments de preuve, et qu’il doit exister une possibilité réelle que les biens et documents visés soient détruits ou cachés par le défendeur. De plus, elle doit être convenablement rédigée et mentionner le droit du défendeur d'en demander l'annulation devant un tribunal.
[12] Elle a également réitéré le fait qu’il n'y a pas de droit d'accès immédiat et automatique à la preuve saisie à l'occasion de tout débat sur une requête en annulation d'une ordonnance de type Anton Piller et que la décision du juge de permettre ou non l'accès à la preuve saisie est discrétionnaire. Dans les circonstances, elle a jugé qu’il était prudent de ne pas accorder au libellé des paragraphes de l’ordonnance relatifs à l’analyse de la preuve saisie l'importance que l'appelante leur attribuait avant qu'un juge ne statue sur leur légalité. D'ailleurs, la pertinence de la preuve saisie n'avait pas encore été démontrée.
[13] De plus, la Cour a conclu que l'appelante exagérait la portée des jugements rendus sur la question de l'accès à la preuve saisie. Selon elle, la décision discrétionnaire de tenir compte ou non de la preuve saisie doit être guidée par l'intérêt de la justice, mais les motifs invoqués pour demander l'annulation de l'ordonnance, ainsi que leur sérieux, sont également des facteurs à considérer, en examinant les circonstances du dossier. La Cour a retenu que le juge de première instance avait adéquatement exercé son pouvoir discrétionnaire, que les arguments invoqués par les intimés étaient sérieux et que la conservation de la preuve saisie était assurée, seule sa communication étant bloquée jusqu’à ce qu’un juge tranche la requête en annulation des intimés.
[14] À noter qu’une requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême a été présentée dans cette affaire[9].
Mareva : le risque de disparition des biens
[15] Dans Fer et métaux américains, s.e.c. c. Picard[10], la demanderesse avait intenté un recours en dommages-intérêts contre d’anciens employés ou relations d’affaires à qui elle reprochait d’avoir commis des actes frauduleux à son endroit. Elle a obtenu des saisies avant jugement des biens de ceux-ci ainsi que des ordonnances de sauvegarde et d'injonction de type Mareva. En plus de réclamer l’annulation des saisies, les défendeurs ont demandé la suspension et la révision des ordonnances au motif qu’elles n’étaient plus nécessaires étant donné que tous leurs éléments d’actif avaient été saisis et qu’ils n’avaient effectué aucun geste pouvant laisser croire qu’ils avaient l’intention de se soustraire à l’exécution d’un éventuel jugement.
[16] Le juge a conclu que les ordonnances de sauvegarde et d'injonction de type Mareva satisfaisaient au critère de l'apparence de droit, car les faits allégués, tenus pour avérés, démontraient une conduite malhonnête persistante de la part des défendeurs. Toutefois, il a rappelé que l'injonction de type Mareva est un remède exceptionnel qui ne doit être administré que si l'on cherche à déjouer un jugement éventuel en camouflant des biens de son patrimoine. Or, les défendeurs n'avaient effectué aucune transaction ni aucun transfert de fonds en vue de soustraire leurs biens à un éventuel jugement qui les condamnerait à payer des dommages-intérêts à la demanderesse. Selon lui, la protection offerte par les saisies avant jugement était suffisante et il n'y avait donc pas lieu de renouveler ces ordonnances. Par contre, afin de protéger la preuve recueillie jusqu’alors, il a reconduit les ordonnances de sauvegarde jusqu'à la présentation d'une requête en injonction interlocutoire.
[17] Enfin, dans Droit de la famille — 132485[11], une épouse qui avait intenté des procédures de divorce et qui alléguait des malversations de la part de son mari avait obtenu une ordonnance d’injonction de type Mareva interdisant notamment à ce dernier d’hypothéquer tout bien qu’il détenait, directement ou indirectement, ou d’en disposer. Alléguant être la seule propriétaire de l’immeuble ou, subsidiairement, la violation par son mari de l’article 404 du Code civil du Québec, qui interdit l’inscription d’un droit réel à l’encontre d’une résidence familiale appartenant à l’un des conjoints, l’épouse a obtenu la reconduction de cette ordonnance.
[18] La juge, tout en admettant le caractère douteux du droit de propriété de l’épouse, a reconnu qu’elle avait un droit apparent au rétablissement du statu quo qui existait avant la constitution d'hypothèques par son mari. De plus, elle a conclu qu’il ne faisait aucun doute que les sommes reçues par le mari en contrepartie des hypothèques allaient disparaître si l’ordonnance demandée n’était pas rendue.
Conclusion
[19] Il ressort de cette revue jurisprudentielle que ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’une ordonnance de type Anton Piller ou Mareva sera rendue. De plus, le risque que le défendeur ne fasse disparaître ou ne détruise les éléments de preuve doit être démontré. Enfin, comme le rappelait la Cour d’appel dans IMS Health Canada inc.[12], ces ordonnances ne doivent pas devenir un moyen de communication ou de recherche de la preuve. Ainsi, il n’y a pas de droit d’accès immédiat et automatique à la preuve saisie à l’occasion de chaque débat sur une requête en annulation d’une ordonnance de type Anton Piller.
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
Consultez un avocat ou un notaire pour obtenir des réponses appropriées à votre situation : visitez la Boussole juridique pour trouver des ressources gratuites ou à faible coût.