[1] Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour autrui est nulle de nullité absolue. C’est ce que prévoit l’article 541 du Code civil du Québec (C.C.Q.), une disposition dont nous avions traité une première fois en 2009[1], après que la Cour du Québec eut rejeté une requête pour ordonnance en vue de l’adoption d’une enfant née d’une mère porteuse formulée par la conjointe du père biologique de l’enfant dans Adoption - 091[2].
[2] Les jugements en la matière ne sont pas nombreux et ce n’est que récemment, le 10 juin dernier, que la Cour d’appel, sous la plume de l’honorable juge Yves-Marie Morissette, s’est prononcée sur cette question de la portée de l’article 541 C.C.Q. - qui n’a fait l’unanimité ni chez les tribunaux ni chez les auteurs - pour la première fois, dans Adoption - 1445[3]. Dans les paragraphes suivants, nous reviendrons sur cet arrêt, qui établit s’il faut accorder une importance supérieure au critère de l’illégalité de la convention de mère porteuse, comme l’a fait la Cour du Québec dans Adoption - 091, ou s’il faut plutôt faire primer le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant. Préalablement, il sera toutefois opportun de faire un bref survol de deux jugements en matière d’adoption d’enfants nés de mère porteuse rendus en 2009 : Adoption - 091 et Adoption - 09185[4].
Adoption - 091[5]
[3] Dans ce dossier, la requérante et le père de l’enfant à naître, incapables d’avoir un enfant ensemble, ont décidé de recourir aux services d’une mère porteuse et il a été convenu verbalement que cette dernière recevrait une rémunération pour services rendus. À la naissance de l’enfant, seul le nom du père a été inscrit à la déclaration de naissance. De son côté, la mère porteuse a signé un consentement spécial en vue de l’adoption.
[4] Pour le juge Michel DuBois, il n’était pas possible de mettre de côté le caractère illégal et contraire à l’ordre public de la démarche suivie par le couple, car il venait vicier le consentement spécial accordé en vue de l’adoption. Ce consentement n’était qu’une manière détournée de donner effet à l’entente entre les parties en faisant produire des conséquences juridiques à ce qui était prohibé par la loi. Dans de telles circonstances, il n’y avait pas lieu de donner préséance au critère de l’intérêt supérieur de l’enfant puisque son utilisation permettrait de faire aboutir à un résultat légal l’ensemble de la démarche conçue et réalisée dans l’illégalité et confirmerait donc que la fin justifiait les moyens.
[5] Il y a d’ailleurs lieu de noter, comme l’a fait le juge Morissette alors qu’il analysait l’état de la jurisprudence en la matière dans Adoption - 1445[6], qu’un facteur entre tous aura été décisif dans l’analyse du juge DuBois, soit une apparence de fraude qu’il a dégagée des faits à l’origine du dossier, alors que la requérante et son conjoint s’étaient entendus avec la mère porteuse pour que le nom de cette dernière ne figure pas sur l’acte de naissance. Dans ces circonstances, le consentement du conjoint, père de l’enfant, aurait été suffisant pour faire établir la maternité de la requérante.
Adoption - 09185[7]
[6] Ici, la requérante et son conjoint, incapables de concevoir un enfant, ont élaboré un projet de maternité par substitution auquel une tante par alliance de la requérante participerait à titre de mère porteuse. Ainsi, les ovules de la requérante et le sperme du conjoint seraient fécondés in vitro et des embryons seraient insérés dans l’utérus de la mère porteuse. Il n’y a eu aucune rémunération ni aucun dédommagement pour dépenses afférentes et, à la naissance, la mère porteuse a été identifiée comme mère biologique de l’enfant.
[7] Le juge Claude Tremblay a conclu que toutes les parties impliquées avaient agi de bonne foi et qu’il était possible de distinguer la situation qui lui était présentée de celle qui avait mené au jugement dans Adoption - 091. En ce qui concerne les effets de l’article 541 C.C.Q., il a indiqué que l’entente intervenue était probablement nulle de nullité absolue, de sorte qu’il n’aurait pas été possible d’obliger la mère porteuse à poursuivre la grossesse ou à signer le consentement spécial contre son gré si elle avait changé d’idée. Or, en ce qui avait trait au statut de l’enfant né, il y avait lieu de sauvegarder son intérêt supérieur et de « rendre une décision du point de vue de l’enfant et non du point de vue des personnes qui ont fait, répétons-le, en toute bonne foi et par pur altruisme en ce qui qui concerne la mise-en-cause, une entente de procréation assistée[8] ».
Adoption - 1445[9]
Les faits
[8] L’appelante et son conjoint ont essayé pendant plusieurs années d’avoir un enfant. Leurs nombreuses démarches n’ayant pas eu les résultats espérés, l’appelante, sur les conseils de ses médecins traitants consultés dans une clinique de fertilité, a résolu de faire appel à une donneuse d’ovule et à une mère porteuse. C’est ainsi qu’en 2009 l’appelante a adopté un premier enfant, après qu’une amie du couple eut consenti à porter l’ovule d’une donneuse, fécondé in vitro par son conjoint. En 2010, le couple a décidé de refaire la même démarche en faisant de nouveau appel à la même mère porteuse et il a été convenu que l’enfant à naître serait adopté par l’appelante avec le consentement de la mère porteuse. X est née en 2012, elle a été confiée à l’appelante et à son conjoint peu de temps après sa naissance et elle reçoit auprès d’eux tout ce dont elle a besoin sur le plan moral, intellectuel, affectif et physique. Au terme de ces démarches, l’appelante a présenté une requête pour ordonnance de placement en vue de l’adoption de X.
Le jugement de première instance[10]
[9] Pour la juge Dominique Wilhelmy, il fallait décider de l’ordonnance de placement en fonction des dispositions de la loi ainsi que de l’intérêt supérieur de l’enfant en cause. Or, malgré les intentions louables et légitimes de l’appelante, il demeurait que le consentement spécial à l’adoption donnait effet de manière détournée à une entente contractuelle prohibée par la loi, comme l’avait conclu le juge DuBois dans Adoption - 091. Dans les circonstances et dans l’état actuel du droit, puisque le consentement de la mère de l’enfant était vicié, aucune autre issue n’était possible.
L'appel
[10] Après avoir fait un survol de la jurisprudence et de la doctrine pertinentes, le juge Morissette a indiqué qu’il était temps de trancher la question au cœur du pourvoi à la lumière de ce qui paraissait avoir été l’intention législative sous-jacente à l’article 541 C.C.Q.
[11] Ainsi, pour déterminer si l’article 541 C.C.Q. visait à empêcher l’adoption d’un enfant issu d’une entente nulle de nullité absolue aux termes du même texte, le juge s’est d’abord tourné vers le rapport de 1988 du Comité du Barreau du Québec sur les nouvelles technologies de reproduction, où l’on recommandait explicitement de lier nullité contractuelle et filiation. Or, le législateur n’a pas considéré cette suggestion et le juge Morissette se dit d’avis que le «silence du législateur à cet égard, qui se prolonge, était délibéré et qu’il est de plus en plus significatif[11]».
[12] Le juge Morissette se penche ensuite sur l’effet du contrat de mère porteuse. Étant de nullité absolue, ce contrat ne peut avoir d’effet obligatoire, mais cela ne signifie toutefois pas que tous ses effets, même indirects, même sur des tiers - tel un enfant -, doivent être combattus à tout prix par le droit. Le juge exprime ensuite l’opinion que l’analyse la plus juste et la plus mesurée des effets de l’article 541 C.C.Q. est celle que formulait le juge Tremblay dans Adoption - 09185 et que ce régime, qui donne préséance à une décision rendue du point de vue de l’enfant, doit trouver application dans le contexte d’une demande de placement en vue de l’adoption à la suite d’une maternité de substitution, et ce, même si la requérante-adoptante n’est pas la mère génétique ou génitrice de l’enfant.
[13] Après avoir rappelé que les démarches entreprises par l’appelante et le père l’ont été dans la transparence, le juge déclare que faire droit à la requête pour ordonnance de placement est la solution à retenir, alors qu’elle sert le mieux l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle respecte le mieux le principe fondamental de l’article 522 C.C.Q., qui prévoit que tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance.
[14] Enfin, le juge termine son analyse en traitant de la notion d’ordre public avec les mots suivants, qui établissent clairement lequel des critères en cause doit l’emporter dans une situation semblable et que nous reproduirons dans leur entièreté pour conclure[12] :
«[…] invoquer cette notion d’ordre public venue du droit des obligations dans le contexte précis d’un dossier comme celui-ci lui prête une portée qu’elle n’a pas - elle n’a pas ce caractère souverain et péremptoire. Et elle ne peut servir à contrecarrer la volonté de parents adoptifs qui, avec transparence et dans le respect des lois sur l’adoption, ont voulu avoir recours aux ressources de la science médicale pour que soit procréé un enfant, leur enfant, et qu’il lui soit donné une famille. À mon sens, voilà aujourd’hui l’état des choses et du droit.»
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