Lors du prochain Rendez-vous SOQUIJ, le jeudi 23 mars, les notaires Me Michel Vermette et Me Sevgi Kelci mettront en lumière les répercussions de la réforme de la Charte de la langue française, issue du projet de loi 96, sur la pratique notariale et immobilière. Pour vous inscrire, cliquez ici.

Sevgi Kelci et Michel Vermette, notaires

Pourquoi les notaires sont-ils touchés par la réforme de la Charte de la langue française?

Me Kelci: «Cette réforme nous touche directement, en particulier ceux d’entre nous qui pratiquent en droit des successions et en droit immobilier parce que nous publions des droits au Registre foncier et au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM).

Dans plusieurs dossiers, les parties en présence ne parlent aucunement le français: on recourt alors à l’anglais. Avec le projet de loi 96, des étapes s’ajoutent à notre travail, qui devient plus complexe. On doit s’inventer de nouvelles façons de faire pour continuer à offrir un service adéquat et efficace et à assurer la protection du public.»

M Vermette: «Il y a des incidences légales dans cette loi 96. Il est important de revoir les conséquences pratiques de ce nouveau cadre législatif. C’est assez inusité comme situation, car même la Charte de la langue française, en 1977, n’avait pas autant affecté la pratique notariale.»

Quel est le défi majeur pour les notaires dans ce nouveau cadre législatif?

Me Kelci: «La loi 96 crée un défi dans notre pratique, car deux intérêts se chevauchent: le droit du client d’être conseillé adéquatement, à un coût qu’il considère comme juste et raisonnable, et le droit du professionnel d’être payé convenablement en contrepartie du surplus de temps qu’exige la nouvelle loi et la responsabilité qui en découle.

On va parfois devoir traduire ou faire traduire les actes, mais aussi, et surtout, consacrer plus de temps qu’avant pour expliquer afin de s’assurer que le client comprenne bien, comme l’exige notre devoir de conseil.

Il y a là un enjeu éthique. Pour réduire les coûts, une personne pourrait être tentée d’exiger que les actes soient uniquement en français alors qu’elle ne parle pas cette langue. Même si je prends le temps d’expliquer mot à mot les différents actes, comment pourrais-je m’assurer de sa bonne compréhension?»

Me Vermette: «Me Kelci touche un point important: s’il peut être plus facile et économique de tout faire en français, est-ce qu’on rend vraiment service aux clients? La Chambre des notaires du Québec insiste beaucoup sur notre devoir de conseil en tant qu’officiers publics. La loi 96 soulève alors une question: jusqu’à quel point mes honoraires suffisent-ils à couvrir le temps supplémentaire que je dois prendre pour bien expliquer et bien faire comprendre?»

MKelci: «Je vois aussi un risque pour la réputation des notaires. Notre profession bénéficie d’un taux de confiance élevé de la part de la population, mais avec les coûts de services qu’engendre la nouvelle loi, il y a un danger d’être perçus comme des entrepreneurs plutôt que comme des officiers publics.

La plupart des clients vont également avoir le réflexe d’y aller avec l’option qui permet d’économiser sans nécessairement penser aux conséquences et ils nous rendront imputables de cette décision.»

Des pistes de solution existent-elles?

Me Vermette: «Définitivement, oui. Si, par exemple, on pense au contrat d’adhésion ou au contrat de vente, nous allons présenter des solutions lors de notre conférence: Comment publier? Quels sont les différents véhicules qu’on peut utiliser pour publier ces contrats-là?

On va voir comment ajuster la pratique notariale pour respecter en même temps la loi et nos obligations envers la clientèle.»

Me Kelci: «Une marge de manœuvre existe. C’est ce que nous allons explorer durant notre conférence, car on ne peut pas non plus appliquer une seule norme à tous les dossiers. Il faut être capable de recevoir toutes les solutions pour respecter la zone de confort du client et faire preuve d’une certaine flexibilité tout en restant dans le cadre de la loi.

Une solution, par exemple, sera que le ou la notaire indique bien dans son contrat de services avoir exposé toutes les options et leurs conséquences à son client, en particulier si celui-ci choisit que les actes soient uniquement en français alors qu’il ne maîtrise pas cette langue. Cette façon de faire devient impérative pour nous protéger puisque les notaires n’ont pas de protection légale, en raison de certaines zones d’incertitude dans la loi à propos de l’obligation de préparer un acte en français, notamment en matière testamentaire.»

Au-delà des notaires, votre conférence peut-elle intéresser d’autres professionnels?

Me Kelci: «Oui, les avocats: ceux qui pratiquent en immobilier, qui publient au RDPRM ou qui doivent rédiger une opinion juridique parce qu’une partie de la loi 96 vise les avis, les opinions et les expertises.»

Me Vermette: «Les agents immobiliers pourraient également être intéressés, ainsi que les évaluateurs ou les arpenteurs-géomètres, afin de prendre conscience des normes que le notaire et l’avocat qui font de l’immobilier ont à respecter. Je verrais donc tous les professionnels qui sont rattachés au notariat.»

À quoi s’attendre avec votre conférence?

Me Vermette: «Notre but est de faire un survol de ce qui affecte la pratique quotidienne des notaires. On soulèvera des questions sur l’interprétation de quelques articles de la loi 96, notamment celui relatif aux contrats d’adhésion qui va entrer en vigueur en juin prochain et pour lequel je vois un risque de litige quant à son interprétation.»

Me Kelci: «Nous souhaitons voir les principaux changements que le projet de loi 96 apporte à la pratique notariale, en succession ou en immobilier, et identifier les zones grises de la mise en application de ce nouveau cadre législatif. Notre conférence aura d’ailleurs un volet théorique et un cas pratique.»

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