[1] L’article 1852 du Code civil du Québec1 précise que sont soumis à la publicité «les droits résultant du bail?» d’une durée de plus d’un an portant sur un véhicule routier. «L’opposabilité de ces droits» est acquise à compter du bail s’ils sont publiés dans les 15 jours. La cession des «droits résultant du bail» est admise ou soumise à la publicité, selon que ces droits sont eux-mêmes admis ou soumis à la publicité.

[2] Les articles 1854 à 1876 C.C.Q., qui portent sur les droits et obligations résultant du bail, obligent le locateur à délivrer le bien loué au locataire, à lui en procurer la jouissance paisible pendant la durée du bail, à garantir que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué et qu’il est libre de tout trouble de droit et, finalement, à entretenir le bien. Quant au locataire, il doit payer le loyer et user du bien avec prudence et diligence.

[3] En vertu de l’article 67(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité2, les biens qui constituent le patrimoine du failli ne comprennent pas les biens détenus en fiducie pour toute autre personne ni ceux qui, à l’encontre du failli, sont exempts d’exécution ou de saisie sous le régime des lois applicables dans la province dans laquelle ils sont situés. Toutefois, ils comprennent tous les biens qui appartiennent au failli à la date de la faillite ou qu’il peut acquérir avant sa libération ainsi que les pouvoirs sur des biens ou à leur égard qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice.

[4] La loi sur la faillite n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi concernant la propriété et les droits civils non incompatibles (art. 72(1)).

[5] Ces dispositions législatives comportent les règles qui précisent les droits des parties en matière de louage et de faillite.

[6] Voyons maintenant comment les tribunaux les ont appliquées.

[7] Certains, ayant constaté que le bail n’avait pas été publié, ont rejeté la réclamation du véhicule par le propriétaire. Parfois, la réclamation est rejetée parce que le juge considère que le droit à la prise de possession du véhicule résultait du bail.

Syndic de Tremblay3

[8] Le juge a déclaré que le contrat de louage de longue durée portant sur un véhicule automobile était inopposable au syndic parce qu’il n’avait pas été publié. Sans se prononcer sur le droit de propriété du locateur du véhicule, il a rejeté l’appel de la décision qui avait rejeté la preuve de réclamation visant le véhicule.

Syndic de Ferland4

[9] L’appel de la décision du syndic qui a rejeté une preuve de réclamation de biens à l’égard du véhicule loué est rejeté.

[10] Selon le juge, en ne précisant pas à l’article 1856 C.C.Q. quels droits étaient soumis à la publicité, le législateur a visé tous les droits prévus au bail. Il a obligé le bailleur à remettre au syndic les loyers qu’il avait perçus depuis la date de la faillite.

Syndic de Ginn5

[11] L’appel de la décision du syndic est rejeté.

[12] Le juge a tenu compte de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Re Giffen6, qui avait appliqué la Personal Property Security Act7 de la Colombie-Britannique. Cette loi crée sur le véhicule loué à long terme une sûreté opposable aux tiers lorsqu’elle est publiée.

Syndic de Lefebvre8

[13] L’appel est rejeté.

[14] Dans ce dossier, le juge s’est dit d’avis que les droits résultant du bail consistaient à percevoir les loyers et que le droit de propriété ne résultait pas du bail. Néanmoins, appliquant les principes de l’arrêt Re Giffen, il a conclu que le droit à la prise de possession du véhicule loué constituait un attribut du droit de propriété et qu’il résultait du bail. Il a rejeté l’appel de la décision du syndic.

[15] Certains juges ont tenu compte du droit de propriété que le bailleur détenait à l’égard du bien loué.

Syndic de Delevo9

[16] Dans cette affaire, le juge a accueilli l’appel par le locateur du véhicule du rejet de sa preuve de réclamation par le syndic.

[17] En résumé, le juge a déclaré qu’il n’existait aucune disposition indiquant que le titre de propriété du bailleur du véhicule devait être publié pour être opposable aux tiers. Selon le juge, l’article 1852 C.C.Q. ne vise pas le droit de propriété du bailleur, mais son titre de bailleur et les droits qui en découlent. Il estime que le droit de propriété de celui-ci ne résulte pas du bail et que, par conséquent, l’omission de celui-ci de publier son bail ne saurait avoir d’effet sur son titre de propriété à l’égard des tiers. Il ajoute que la publicité du bail n’a pas pour effet d’inclure le bien dans l’actif du preneur ni de conférer au syndic plus de droits que n’en détenait le débiteur. Il a donc conclu que le syndic ne détenait aucun intérêt dans le véhicule loué au failli.

Syndic de 9080-9708 Québec inc. 10

[18] L’appel de la décision du syndic a été accueilli.

[19] Le juge a considéré que l’arrêt Re Giffen ne s’appliquait pas. Pour lui, seuls les droits résultant du bail sont opposables au syndic s’ils sont publiés en temps utile. Il a déclaré que le droit de propriété ne résultait pas du bail et n’avait pas à être publié. Selon le juge, l’article 1852 C.C.Q. ne protège pas les tiers contre la revendication par le propriétaire du bien loué et il n’oblige pas le propriétaire à publier son droit de propriété pour le rendre opposable au syndic.

Syndic de Mc Martin11

[20] La requête en revendication par le syndic du véhicule loué par le failli est rejetée.

[21] Le juge a conclu que, même si le contrat de location n’avait pas été publié, cela n’avait pas eu pour effet de faire perdre au bailleur son droit de propriété sur le véhicule loué au failli.

[22] Les tribunaux tendent de plus en plus à établir une distinction entre le droit de propriété du bailleur et ses droits à titre de bailleur. Certains considèrent que le droit de propriété ne constitue pas un «droit découlant du bail» au sens de l’article 1852 C.C.Q. et que, par conséquent, il est opposable aux tiers, dont le syndic, même s’il n’a pas été publié. Les tribunaux n’ont pas encore tout dit à cet égard et, si une tendance se dessine, il est prématuré de parler d’une jurisprudence majoritaire. C’est une affaire à suivre.

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