[1] En vertu de l’article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne1, l’employeur peut démontrer que la mesure qu’il a prise est fondée sur les aptitudes ou qualités que requiert un emploi ou une exigence professionnelle justifiée. Dans deux décisions récentes, la Cour d’appel du Québec apporte des précisions relativement à cette obligation.

Syndicat des infirmières du Nord-est québécois (F.I.I.Q.) et Sylvestre2

[2] La plaignante, une infirmière bachelière dans un CLSC, s’est vu refuser le droit de se présenter à l’entrevue de sélection pour des postes affichés alors qu’elle était absente pour cause de maladie (dépression) depuis le 6 octobre 1997. La date de son retour au travail a été indéterminée jusqu’au 12 décembre suivant, lorsque son médecin a envoyé une lettre à l’employeur proposant un retour au travail progressif. L’arbitre a rejeté ses griefs. Il a conclu que l’employeur avait écarté les candidatures de la plaignante non pas en raison de sa maladie – ce qui aurait été une transgression à l’article 10 de la charte – , mais parce qu’on ne connaissait pas la date de son retour au travail. Le syndicat a demandé la révision judiciaire de cette décision, invoquant que la dépression dont souffrait la plaignante était un handicap au sens de la charte, que le refus de l’employeur était discriminatoire et que l’arbitre avait omis d’examiner l’obligation d’accommodement. La Cour supérieure a refusé de réviser cette décision vu l’absence d’erreur manifestement déraisonnable dans le raisonnement de l’arbitre.

[3] Par le biais de sa décision rendue le 2 mai 2003, la Cour d’appel a accueilli l’appel, a infirmé le jugement de la Cour supérieure, a annulé la sentence arbitrale et a renvoyé le dossier à l’arbitre pour qu’il statue sur l’obligation d’accommodement.

[4] Afin de déterminer s’il y a eu discrimination en vertu de l’article 10 de la charte, le syndicat devait établir les trois éléments suivants: 1) qu’il existe une distinction, une exclusion ou une préférence; 2) que celle-ci est fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10 de la charte; et 3) que la distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.

[5] Or, selon la Cour, l’arbitre a reconnu que l’employeur avait fait une distinction à l’égard de la plaignante en ne la convoquant pas en entrevue pour les postes affichés. Quant au deuxième élément, bien qu’il ait estimé avec raison que la grave dépression constituait un « handicap » au sens de la charte, l’arbitre s’est mal dirigé en droit lorsqu’il a conclu que la distinction n’était pas fondée sur la maladie mais bien sur la durée indéterminée de l’absence. Plus particulièrement, il n’a pas tenu compte de l’arrêt Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil3, dans lequel la Cour a jugé qu’un tel raisonnement n’est pas recevable lorsqu’il existe un lien évident entre le motif de distinction et l’un des motifs prohibés par le premier alinéa de l’article 10 de la charte. L’arbitre aurait dû conclure que la distinction faite par le CLSC à l’égard de la plaignante était fondée sur un handicap, le lien entre la durée indéterminée de son absence et sa dépression étant évident. En ce qui a trait au troisième élément, le syndicat devait démontrer non seulement un préjudice matériel ou moral, mais une atteinte à la dignité humaine. Dans le cas de la plaignante, il ne fait aucun doute qu’elle a subi un préjudice puisque son espoir d’obtenir l’un des postes affichés a été anéanti dès le début. D’autre part, la direction a considéré qu’à cause de son état d’esprit elle n’était pas en mesure de se présenter à l’entrevue. Or, rien dans son dossier médical ne permettait d’arriver à cette conclusion. La directrice des services administratifs ne pouvait, en l’absence d’indications précises en ce sens dans les rapports médicaux, se fonder sur sa propre appréciation de l’état de santé de la plaignante afin de lui refuser un droit prévu à la convention collective. Sa décision de l’écarter du processus de sélection en raison de son état dépressif reposait sur des stéréotypes et des préjugés qui n’avaient rien à voir avec sa capacité de défendre sa candidature lors de ce processus. Cette décision a porté atteinte à la dignité de la plaignante et est discriminatoire au sens des articles 10 et 16 de la charte.

Syndicat des professionnelles et professionnels du réseau de la santé et des services sociaux de l’Outaouais (C.S.N.) et Corbeil4

[6] L’employeur, un CLSC, a refusé de réintégrer le plaignant en raison des limitations fonctionnelles découlant de son handicap (syndrome postpolio). L’arbitre saisi du grief a retenu qu’il s’agissait de discrimination interdite par l’article 10 de la charte . L’employeur a soutenu que sa décision était fondée sur une exigence professionnelle justifiée et l’arbitre a conclu qu’il s’était acquitté de son obligation d’accommodement. Le litige déposé devant la Cour supérieure reposait uniquement sur cette dernière conclusion. Après avoir déterminé que la norme de contrôle était la décision correcte, le tribunal a conclu que la décision de l’arbitre ne devait pas être révisée.

[7] M. le juge Forget a rejeté la requête pour permission d’appeler de ce jugement. Il a d’abord précisé qu’à titre de juge seul il n’avait pas à déterminer la norme applicable, malgré quelques réserves concernant la décision du premier juge à ce sujet. Selon lui, il est sans doute exact que la norme de la décision correcte s’applique lorsqu’une disposition de la charte est en cause. Il souligne cependant que, dans cette affaire, toutes les questions relatives à la charte ont été tranchées à la satisfaction des parties. Il ne restait donc qu’à déterminer si l’employeur s’était déchargé de son fardeau de preuve quant à son obligation d’accommodement. Or, cette preuve fait appel à un examen surtout factuel de la description de tâches de l’employé et de toutes les circonstances entourant l’organisation du travail au sein du CLSC. D’ailleurs, dans l’affaire Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud5, la Cour suprême du Canada a écrit que les expressions « raisonnables » et « sans s’imposer de contrainte excessive » définissent le même concept. Ce qui constitue des mesures raisonnables est une question de fait qui variera selon les circonstances de l’affaire. Or, dans le présent dossier, l’arbitre a conclu qu’il serait injuste de transférer une partie du fardeau de travail qui incombait au plaignant sur les épaules des autres salariés exerçant les mêmes fonctions auprès du CLSC et que le plaignant n’avait pas les compétences requises pour occuper un autre poste chez l’employeur. Sans connaître la preuve qui a été présentée à l’arbitre, la Cour ne peut mettre de côté cette conclusion, surtout factuelle, alors que le syndicat concède que l’arbitre n’a pas commis d’erreur au chapitre des principes.

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