[1] Le 15 avril 2003, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision importante relativement à la question du droit de coassurés de mandater des avocats distincts. Dans Birdair inc. c. Commerce & Industry Insurance Co. of Canada1, la Cour a en effet décidé qu’un assureur avait l’obligation de défendre séparément deux assurés couverts par la même police d’assurance-responsabilité, et ce, même si une clause du contrat d’assurance prévoyait la représentation par un seul avocat ainsi qu’une défense unique.

[2] Les faits de cette affaire se résument comme suit : Birdair inc. et Rousseau, Sauvé, Warren inc. avaient conclu un partenariat en vue d’exécuter des plans et travaux requis pour le remplacement de la toile du Stade olympique de Montréal. Birdair agissait à titre d’entrepreneur et Rousseau, Sauvé, Warren, à titre de sous-traitant. Elles ont souscrit une police d’assurance-responsabilité professionnelle auprès de Commerce & Industry Company of Canada. À la suite de l’effondrement de l’ouvrage, l’assureur de l’un des locataires du Stade olympique, subrogé aux droits de son assuré, a intenté une action en dommages-intérêts contre Birdair et Rousseau, Sauvé, Warren. L’assureur de ces dernières, appliquant une clause prévue au contrat d’assurance, a désigné un avocat unique pour les représenter. En effet, la clause prévoyait que des réclamations contre des coassurées seraient défendues par voie d’une procédure unique et conjointe par un seul avocat. Les assurées ont refusé de faire cause commune et ont exigé une représentation par des avocats distincts. Elles étaient d’avis que leurs intérêts étaient en conflit à cause de la situation découlant des procédures, de leurs relations contractuelles entre elles ainsi que de leur position et rôle différents sur le chantier. De plus, les réclamations excédaient largement la couverture d’assurance. L’assureur a refusé et, par voie d’une requête pour jugement déclaratoire, a demandé à la Cour de déclarer qu’il n’avait qu’une obligation de défense unique pour les deux assurées.

[3] Le juge de première instance a donné raison à l’assureur et a souscrit à l’application de la clause contenue au contrat d’assurance. Toutefois, la Cour d’appel a infirmé cette décision, concluant que chacune des coassurées avait droit aux services d’un avocat qui s’occuperait exclusivement d’elle, à la protection de la confidentialité des renseignements et à une défense pleine et entière.

[4] Dans sa décision, la Cour a rappelé un principe qu’elle avait énoncé en 1995 dans Boréal Assurances inc. c. Réno-dépôt inc.2, à savoir que l’avocat, même désigné et payé par l’assureur, devait agir en toute loyauté et dans le seul intérêt de l’assuré. Dans cette affaire, les assureurs avaient avisé l’assurée de certaines réserves sous lesquelles ils entendaient la défendre. Comme l’assurée craignait d’être privée d’une défense pleine et entière et redoutait un conflit d’intérêts, les avocats nommés par les assureurs s’étaient retirés du dossier; ils avaient été remplacés par des avocats choisis par l’assurée et cette dernière avait appelé ses assureurs en garantie. D’une part, la Cour d’appel a rappelé l’obligation de l’assureur de défendre son assuré et, d’autre part, elle a conclu que la simple crainte de ne pas bénéficier d’une défense pleine et entière permettait à l’assurée de refuser l’offre de défense de ses assureurs, de retenir les services d’avocats de son choix et de réserver ses droits de réclamer ultérieurement les frais de défense à l’assureur.

[5] Dans sa décision d’avril dernier, la Cour d’appel a également fait référence à un jugement rendu en 1998 dans Ville de Fermont c. Pelletier3. Dans cette affaire, la réclamation contre l’assurée dépassant le montant de la garantie d’assurance, la Cour avait reconnu l’intérêt de l’assurée de participer au débat par l’entremise de ses propres avocats, pour la partie excédant la couverture d’assurance. La Cour a reconnu que l’obligation de l’assureur de défendre son assuré lui accordait le droit de choisir les avocats et l’orientation de la défense. Par contre, en reconnaissant l’intérêt de l’assurée de participer au débat, elle lui a également permis de comparaître par la voie de ses propres avocats.

[6] C’est dans ce contexte jurisprudentiel que, dans Birdair inc., la Cour d’appel s’est penchée sur la nature et la portée de l’obligation de l’assureur de défendre son assuré ainsi que sur le droit de ce dernier à une représentation loyale. S’inscrivant dans la même philosophie que la jurisprudence antérieure, la Cour entérine l’interdiction pour un avocat de se placer dans une situation de conflit d’intérêts et son obligation d’agir en toute loyauté envers l’assuré. Elle reconnaît que des divergences telles celles existant entre Birdair et Rousseau, Sauvé, Warren, commandent des défenses distinctes par le biais d’avocats dévoués à chacune d’elles et que leur représentation judiciaire est soumise à la loyauté de l’avocat. Non seulement l’arrêt Birdair inc. réitère ces principes, mais il va plus loin en les qualifiant de règles d’ordre public et en leur attribuant une suprématie sur une clause contractuelle à l’effet contraire. La Cour conclut qu’une partie ne peut renoncer d’avance à l’exercice de son droit d’être représentée par un avocat qui lui est entièrement dévoué ni à son droit à une défense pleine et entière. Elle invalide une clause de renonciation prévue au contrat d’assurance au motif que celle-ci doit céder le pas aux règles d’ordre public. Par conséquent, la Cour conclut à l’obligation de l’assureur de fournir à ses frais un avocat distinct à chacune des assurées, et que, à défaut, celles-ci pourront elles-mêmes le désigner, les honoraires et frais devant être acquittés par l’assureur.

[7] La nature et la portée de l’obligation de l’assureur de défendre son assuré sont fréquemment soumises à nos tribunaux, et il est à prévoir que cette question fera encore l’objet de débats dans les années à venir. Il appartiendra aux tribunaux de continuer à définir les droits de l’assureur, notamment celui de choisir l’avocat et les moyens de défense et de les harmoniser à ceux de l’assuré, soit de bénéficier d’une défense pleine et entière et d’une représentation judiciaire loyale et exempte de tout conflit d’intérêts.

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