Chaque année, les tribunaux de droit commun doivent se prononcer sur leur compétence pour décider de réclamations découlant des relations employeur-salariés. À cet égard, les arrêts Weber c. Ontario Hydro1 et Nouveau-Brunswick c. O’Leary2 ont marqué une étape importante dans l’évolution du droit. Le principe général est le suivant : les tribunaux judiciaires ne sont pas compétents pour connaître d’un litige qui découle de la convention collective, sous réserve de leur pouvoir discrétionnaire résiduel d’accorder une réparation que la procédure d’arbitrage ne prévoit pas. Dans chaque cas, il faut donc que le tribunal détermine si le litige, considéré dans son essence, résulte de la convention collective, et ce, peu importe la qualification que les parties peuvent faire de sa nature. La solution est claire lorsqu’un salarié syndiqué s’adresse à un tribunal de droit commun pour obtenir des dommages-intérêts afin de compenser le préjudice subi à cause du non-respect d’un droit prévu à la convention collective. Toutefois, qu’en est-il lorsque le salarié n’a pas droit à la procédure de grief et d’arbitrage ou qu’il poursuit un collègue ? Voici un survol de la jurisprudence récente sur cette question.

Le droit à la procédure de grief

Toute la philosophie qui sous-tend la position de la Cour suprême à ce sujet est fondée sur le respect de la compétence des tribunaux spécialisés en matière de relations du travail. Cela dit, la décision de consacrer la compétence exclusive de l’arbitre ne peut faire en sorte qu’il n’y ait plus aucune instance appropriée lorsque l’arbitre lui-même est incompétent.

Ainsi, dans Dessureault c. Procureur général du Québec3, étant donné que l’arbitre n’avait pas compétence pour accorder les dommages-intérêts réclamés par un salarié congédié injustement, le juge a conclu que le litige pouvait être présenté devant une cour de justice. La révision judiciaire de cette décision de la Cour du Québec a été rejetée tant en Cour supérieure qu’en Cour d’appel4.

Dans Perreault c. Commission scolaire Marie-Victorin5, la Cour supérieure a accepté d’entendre la demande d’un salarié congédié parce qu’il n’avait pas le droit de contester cette mesure au moyen de la procédure de grief et d’arbitrage vu son statut d’employé temporaire.

Toutefois, le jugement rendu par la Cour d’appel dans Collège Dawson c. Muzaula6 invite à la prudence lorsqu’il s’agit de déterminer si le tribunal de droit commun est compétent pour trancher un litige qui a toutes les caractéristiques d’un « grief » alors que le salarié n’a pas droit à la procédure de grief et d’arbitrage en raison de son statut. Ainsi, dans cette affaire, où un employé contestait la décision de l’employeur de ne pas lui accorder sa permanence, le juge Robert a conclu qu’il revenait à l’arbitre de vérifier si la procédure prescrite avait été suivie par l’employeur et si les motifs invoqués par ce dernier étaient réels.

Le recours entre employés

Le fait qu’un litige s’élève sur les lieux du travail ou entre l’employeur et l’employé n’est pas suffisant pour que les tribunaux civils se déclarent incompétents. C’est ce qu’a écrit la Cour d’appel dans Côté c. Saiano7. Dans cette affaire, l’action était fondée sur la responsabilité de l’employeur quant aux gestes fautifs de son employé cadre et sur la responsabilité de ce dernier de répondre de ses actes. La Cour a conclu que le recours du plaignant contre l’employé cadre – une action en dommages-intérêts pour atteinte à la réputation – ne pouvait être caractérisé comme étant essentiellement un problème de relations du travail. Bref, il n’était pas fondé sur l’interprétation, l’application, l’administration ou l’inexécution de la convention collective. Par conséquent, un arbitre de griefs n’avait aucune compétence pour trancher le litige entre ces deux employés.

Dans Hamelin c. Société canadienne des postes8, la Cour supérieure a conclu que l’action en dommages-intérêts intentée par une salariée contre une collègue pour diffamation à la suite de fausses allégations de harcèlement sexuel ne relevait pas de la compétence de l’arbitre de griefs même si les salariées étaient assujetties à la convention collective et que la faute alléguée était survenue sur les lieux du travail. Par contre, la réclamation a été rejetée contre l’employeur en raison de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs.

Dans Durand c. Hydro-Québec9, la salariée a poursuivi l’employeur ainsi que six employés cadres pour diffamation et atteinte à sa réputation. L’action en dommages-intérêts contre l’employeur a été rejetée pour cause d’absence de compétence d’attribution. Toutefois, la Cour a décidé que le recours dirigé contre les six autres défendeurs, qui, à titre individuel, n’étaient pas partie à la convention collective, relevait de sa compétence, et ce, même si les faits étaient survenus durant les heures de travail.

Droits de la personne et ordre public

Dans Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 32410, la Cour suprême du Canada a conclu que le droit général de l’employeur de gérer l’entreprise et de diriger le personnel était subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi à celles du Code des droits de la personne11 et des autres lois sur l’emploi. Ainsi, ces lois fixent un minimum auquel l’employeur et le syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat. Cela a certainement pour effet d’élargir le champ de compétence des arbitres de griefs en matière de discrimination et de respect des libertés fondamentales.

Dans Isidore Garon ltée c. Tremblay12, la Cour d’appel a appliqué cet arrêt de la Cour suprême. L’arbitre Tremblay13 avait été saisi d’un grief contestant la durée des préavis de cessation d’emploi remis aux salariés en vertu de la convention collective. Invoquant les articles 2092 et 2094 du Code civil du Québec14, le syndicat réclamait pour chacun des salariés quatre semaines à titre de délai de congé raisonnable. L’arbitre a rejeté l’objection de l’employeur à l’arbitrabilité du grief collectif. La requête en révision judiciaire a été rejetée tant par la Cour supérieure15 que par la Cour d’appel. Précisant que les dispositions invoquées étaient d’ordre public, la Cour d’appel a conclu que celles-ci étaient incorporées implicitement dans la convention collective. (À noter que ce jugement fait l’objet d’une demande de pourvoi à la Cour suprême du Canada.)

Convention collective expirée

Dans Moreau c. Radio Nord Communications16, le salarié s’est adressé à la Cour du Québec, Division des petites créances, afin d’obtenir le paiement d’une indemnité de congé annuel. L’employeur a soutenu que le litige ne relevait pas de la compétence de la Cour puisque le salarié était assujetti à une convention collective. Le salarié a répliqué qu’il s’agissait d’une réclamation individuelle présentée alors que les employés de l’entreprise étaient en grève depuis plusieurs mois, ce qui, selon lui, donnait ouverture à son recours. La Cour a conclu qu’il fallait se baser sur le moment où les droits avaient été accumulés et non sur celui de la violation pour décider de l’arbitrabilité d’une convention expirée. Or, comme le droit réclamé est clairement une question résultant de l’application de la convention collective, la Cour a décliné compétence.

Par ailleurs, dans Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 2995 c. Spreitzer17, la Cour d’appel a réitéré que la substitution d’un syndicat à un autre n’avait pas pour conséquence de mettre fin à une convention collective. Ainsi, la réclamation de dommages-intérêts contre l’employeur pour cause de discrimination (motif religieux) dans l’application de la convention collective relevait de la compétence de l’arbitre de griefs et non de celle de la Cour supérieure.

Le salarié retraité

Dans Lévesque c. Commission scolaire de Laval18, le salarié avait obtenu gain de cause devant la Cour du Québec, Division des petites créances, alors qu’il réclamait le paiement de sommes (heures supplémentaires) dont il estimait avoir été injustement privé – en raison de son statut de retraité – à la suite d’une sentence arbitrale de grief. La Cour avait conclu à de la discrimination à son endroit ainsi qu’à l’absence de droit à la procédure de grief. La Cour supérieure a révisé cette décision19. Elle a jugé que le salarié ne pouvait pas contourner la sentence arbitrale et se présenter devant la Division des petites créances afin d’obtenir un remède différent ou additionnel. Ainsi, même lorsque la discrimination est invoquée, l’arbitre demeure seul compétent pour trancher un litige relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention collective.

Conclusion

La compétence d’attribution est un sujet qui a donné lieu à un certain nombre de décisions tant des cours de justice que des tribunaux administratifs. Évidemment, les jugements cités précédemment ne représentent qu’une partie du corpus jurisprudentiel portant sur le sujet. En effet, la question de la compétence d’attribution s’est posée à plusieurs reprises notamment dans les domaines de l’accès à l’information, des droits et libertés de la personne et des lésions professionnelles. En raison de leur intérêt certain, et du fait qu’il reste encore quelques zones grises en cette matière, la plupart des décisions sont retenues pour publication par la Société québécoise d’information juridique. Ces décisions sont également offertes sur AZIMUT, documentation juridique (www.azimut.soquij.qc.ca). Pour les trouver, il suffit de sélectionner à l’écran Choix de banque de Juris.doc la banque Juridictions en relations du travail. À l’écran de recherche, utiliser les mots clés suivants : juridictions concurrentes (pour tous les cas portant sur la compétence ou non de l’arbitre de griefs) et compétence d’attribution (pour les cas se rapportant aux autres tribunaux administratifs). Afin d’obtenir les décisions les plus pertinentes vous pouvez préciser le champ Indexation à la droite de votre ligne de recherche.

Le champ de compétence des tribunaux spécialisés s’est encore élargi avec l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux. Il sera intéressant de suivre la jurisprudence sur ce sujet afin de voir si cette tendance se poursuivra.

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