[1] Les jugements visant à déterminer quel tribunal a la compétence pour réviser une décision du surintendant des faillites à l’égard d’un syndic sont plutôt rares. En fait, pour la période antérieure à 2001, la jurisprudence sur le sujet est presque inexistante. Depuis 2002, les tribunaux ont rendu des jugements confirmant de façon majoritaire la compétence de la Cour fédérale. Le jugement rendu récemment dans l’affaire Marchand Syndics inc. c. Procureur général du Canada1 fait le point sur la question. L’intérêt du sujet et la rareté de la jurisprudence méritent qu’on s’y attarde.

[2] Pour mieux comprendre le sujet, il faut lire les articles de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité2 qui précisent les pouvoirs du surintendant des faillites à l’égard du syndic. Les articles 14.01 à 14.03 de la loi permettent au surintendant d’adopter certaines mesures contre ce dernier. Plus précisément, l’article 14.01 lui permet de prendre des mesures disciplinaires soit en annulant ou en suspendant la licence du syndic (art. 14.01 (1) a)), soit en la soumettant à des conditions ou à des restrictions (art. 14.01 (1) b)). L’article 14.02 précise la procédure applicable lorsque le surintendant adopte de telles mesures. Ainsi, le surintendant doit, dans les trois mois qui suivent la clôture de l’audience, rendre une décision écrite et motivée qu’il doit remettre au syndic (art. 14.02 (4)). Cette décision est assimilée à celle d’un office fédéral et, comme telle, elle est soumise au pouvoir d’examen et d’annulation de la Cour fédérale (art. 14.02 (5)). Lorsqu’il exerce ses pouvoirs en vertu de l’article 14.01, le surintendant peut, pour assurer la sauvegarde de l’actif, prendre des mesures conservatoires contre le syndic (art. 14.03 (1) et (2)).

[3] Trois jugements rendus depuis 2002 ont interprété ces dispositions afin de déterminer quel tribunal avait la compétence pour réviser une décision rendue par le surintendant en vertu des articles 14.01 à 14.03.

[4] Dans l’affaire Syndic d’Abderrazik3 , le surintendant des faillites, à la suite d’une enquête disciplinaire sur la conduite du syndic, avait exigé de celui-ci un cautionnement de deux millions de dollars en vertu de l’article 5 (3) de la loi. Le syndic a interjeté appel de cette décision devant la Cour supérieure 4. Selon le surintendant, seule la Cour fédérale a la compétence pour se prononcer sur la validité de sa décision. Le juge Guthrie s’est dit d’avis que la Cour supérieure avait, en vertu de l’article 183, la compétence pour se prononcer sur la décision du surintendant et que les termes généraux de l’article 18 (1) de la Loi sur les cours fédérales 5 n’avaient pas eu pour effet de la lui retirer. Selon le juge, l’article 18 (1) ne s’appliquait pas parce que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité contenait ses propres dispositions attributives de compétence. Le juge a déclaré que cet article avait retiré à la Cour supérieure son pouvoir général de révision uniquement sur des actes de l’administration publique qui ne faisaient pas l’objet d’une disposition législative particulière. Il a estimé que l’article 18 (1) ne visait que la compétence résiduelle de la Cour supérieure et que cette dernière n’exerçait pas sa compétence résiduelle lorsqu’elle siégeait en matière de faillite pour apprécier la légalité d’une décision du surintendant. Ajoutant que le législateur n’avait pas exprimé l’intention que la Loi sur les cours fédérales prime la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, il a conclu que le pouvoir de la Cour fédérale était limité à celui prévu à l’article 14.02 (5) de la loi et que la Cour supérieure avait conservé la compétence de rendre un jugement déclaratoire relativement à la décision du surintendant d’exiger un cautionnement.

[5] Dans le dossier de Faillite de National Fruit 2000 inc. 6, le surintendant avait pris des mesures conservatoires contre le syndic en vertu de l’article 14.03. Ce dernier avait interjeté appel de la décision du surintendant devant la Cour supérieure. Le surintendant a répliqué par une requête en exception déclinatoire, alléguant que seule la Cour fédérale a la compétence pour réviser les mesures prises contre le syndic. La Cour supérieure a accueilli la requête du surintendant. Le jugement a été porté en appel. La Cour d’appel 7 a estimé que la décision du surintendant était assimilée à celle d’un office fédéral et que, de ce fait, elle était soumise au pouvoir d’examen de la Cour fédérale. Elle a considéré que cette dernière avait également compétence sur les décisions relatives aux mesures conservatoire, qui, à titre d’accessoires, doivent relever du même tribunal, et ce, afin d’assurer la cohérence du pouvoir de supervision de cette cour. Elle a conclu que, pour tout ce qui avait trait aux actes du surintendant agissant à titre d’office fédéral, seule la Cour fédérale avait compétence, ajoutant que cette instance était appropriée tant pour contester les mesures conservatoire que pour réviser la décision finale du surintendant.

[6] Dans l’affaire de Marchand Syndics inc. 8, un différend opposait le syndic au surintendant relativement à la procédure de fermeture des dossiers. Le surintendant a adopté des mesures disciplinaires en vertu de l’article 14.01 et 14.02 contre le syndic. Ce dernier a demandé à la Cour supérieure de réviser cette décision. Le procureur général a fait valoir que, en vertu de l’article 18 (1) de la Loi sur les cours fédérales, la Cour fédérale avait une compétence exclusive pour rendre un jugement contre tout office fédéral. Selon le syndic, l’article 183 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité conférait cette compétence à la Cour supérieure. Le juge a déclaré que les articles 14.01 à 14.03 de cette loi pouvaient être compris et analysés comme un tout, un ensemble de règles cohérentes où l’intervention d’un seul tribunal en matière de révision judiciaire était souhaitable. Il a ajouté que le législateur fédéral avait choisi de réserver à la Cour fédérale la révision des décisions du surintendant après audition et qu’il serait illogique de permettre à la Cour supérieure de réviser une mesure conservatoire pendant l’enquête et l’audition. Il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de se démarquer des conclusions du jugement rendu dans l’affaire Faillite de National Fruit 2000 inc., d’autant moins que, en refusant d’autoriser le pourvoi à l’encontre de ce jugement, la Cour suprême avait choisi de pas modifier la position de la Cour d’appel sur la question de la compétence. Faisant le point sur les jugements rendus à ce moment, il a conclu que la Cour supérieure n’avait pas compétence pour rendre un jugement déclaratoire qui aurait pour effet de réviser, modifier ou annuler les mesures conservatoires prises par le surintendant en vertu des articles 14.01 à 14.03.

[7] Les décisions qui confèrent la compétence à la Cour fédérale reposent sur l’application des articles 14.01 à 14.03. En vertu de l’article 14.03 (1), le surintendant peut prendre des mesures conservatoires dans les circonstances prévues à l’article 14.03 (2). Or, l’article 14.03 (2) c) indique que le surintendant peut adopter des mesures conservatoires lorsqu’il exerce des pouvoirs visés à l’article 14.01. Par conséquent, lorsqu’il adopte des mesures disciplinaires (art. 14.01 et 14.02) et des mesures conservatoires (art. 14.03), le surintendant serait régi par tous ces articles et toutes ses décisions seraient sujettes à révision. Compte tenu du renvoi de l’article 14.03 (2) c) à l’article 14.01, la décision du surintendant relativement aux mesures accessoires se trouve assujettie aux dispositions de l’article 14.02, y compris celles de l’article 14.02 (5), qui attribuent un pouvoir de révision de la Cour fédérale. Cette lecture des articles 14.01 à 14.03 confirme les propos du juge Mongeon dans l’affaire Marchand Syndics inc. voulant que ces dispositions constituent un ensemble cohérent et interrelié où l’intervention d’un seul tribunal en matière de révision judiciaire est souhaitable.

Rédigé le 10 août 2004.

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