[1] Comme on l’a vu récemment1 , selon la jurisprudence unanime de la Commission des lésions professionnelles (CLP), la plainte en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2 , ou en vertu de l’article 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail3 , est considérée comme un recours approprié pour se plaindre de diverses «mesures» prises par l’employeur à l’endroit d’un travailleur, notamment le refus de payer le salaire et les avantages prévus à la convention collective. Cependant, est-ce toujours le recours le plus efficace pour faire valoir ses droits ?

La compétence de la CSST et de la CLP est limitée à déterminer si l’employeur a invoqué une cause réelle qui n’est pas un prétexte et n’est pas prohibée par la loi

[2] Dans Mueller Canada inc. c. Ouellette4 et Tuyaux Wolverine Canada inc. c. Juteau5 , la Cour d’appel et la Cour supérieure ont en effet circonscrit la compétence de la CLP, tel que le rappelle la commissaire Thérèse Demers dans Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys et Gauthier6 , où la travailleuse – qui a été en retrait préventif et en congé de maternité – a vu rejetée sa demande afin de recevoir l’indemnité complémentaire prévue à la convention collective parce qu’elle n’avait pas travaillé au moins 20 semaines au cours des 12 mois précédant son congé de maternité. Elle a porté une plainte auprès de la CSST, alléguant que l’employeur avait exercé une mesure discriminatoire à son endroit. Sa plainte a été rejetée pour les motifs suivants :

[79] Ce qui est essentiel de retenir à la suite de ces décisions, c’est que la Commission des lésions professionnelles, dans le cadre de sa compétence stricto sensu, se doit d’examiner si la cause invoquée par l’employeur à l’encontre d’une plainte, constitue «une autre cause juste et suffisante» au sens de l’article 255 de la LATMP, c’est à dire une cause réelle autre que le fait que le travailleur ou la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle ou a exercé un droit que lui confère la LATMP et qu’il s’agit là de la limite de sa compétence.

[80] Dans cet ordre d’idée, le tribunal saisi d’une plainte en vertu de l’article 227 de la LSST doit se limiter à la question de savoir si l’employeur a prouvé une cause réelle, qui ne soit pas un prétexte et qui n’est pas la cause prohibée par la LSST, soit l’exercice d’un droit prévu à la LSST.

[81] Dans ce contexte, le tribunal considère qu’il n’a pas la compétence pour examiner, disposer ou statuer sur les questions qui relèvent de la Charte.

[…]

[83] Le tribunal n’a aucune compétence pour modifier la convention intervenue entre les parties, sauf si elle est contraire aux dispositions d’ordre public de la LSST, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ainsi que nous l’avons vu précédemment.

[…]

[85] Cela étant dit, il n’y a donc aucun élément au dossier autorisant le tribunal à conclure que le refus de l’employeur de verser l’indemnité compensatoire est relié au fait que la travailleuse a exercé un droit que lui confère la LSST, bien au contraire.

[86] L’employeur a démontré l’existence d’une autre cause réelle qui ne soit pas un prétexte, c’est à dire une autre cause juste et suffisante au sens de l’article 255 de la LATMP.

[3] De plus, il est à noter que, dans cette décision, la commissaire Demers a interprété l’article 43 LSST : il n’institue pas une présomption selon laquelle la travailleuse serait réputée au travail pendant son absence en retrait préventif. En outre, elle souligne que, le retrait préventif n’étant pas issu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le seul renvoi autorisé est prévu à l’article 228 LSST. Or, il ne couvre pas les droits – relatifs au droit de retour au travail – consentis par les articles 235 et 242 LATMP.

L’arbitre de griefs peut prendre en considération toutes les lois applicables (art. 100.12 a) du Code du travail7 ) et faire respecter les droits de la personne

[4] Ainsi, suivant l’objectif recherché par le travailleur, il peut être plus intéressant de déposer un grief plutôt qu’une plainte pour sanctions illégales, compte tenu des vastes pouvoirs reconnus à l’arbitre.

[5] À titre d’exemple : Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bacon Inter-America (CSN) et Bacon America Inc.8 , où le grief réclamait un congé mobile alors que la plaignante était en congé de maternité durant l’année de référence. D’abord, l’arbitre précise que l’on ne conteste pas le fait que le nombre de congés mobiles constitue un avantage au sens de la convention collective et des articles 81.15 et 81.16 de la Loi sur les normes du travail9 , et que la clause pertinente de la convention collective est identique à l’article 31 du Règlement sur les normes du travail10 . Dans cette affaire, la plaignante demandait le droit à l’avantage que constitue le nombre de congés mobiles qu’elle aurait pu accumuler si elle était restée au travail. Or, selon l’arbitre, puisque ce règlement d’ordre public vise à déterminer les avantages auxquels a droit une salariée pendant son congé de maternité, force est de conclure que la plaignante doit être réputée avoir travaillé durant ce congé aux fins de l’application de la convention collective relativement à la détermination du nombre de congés mobiles dont elle peut bénéficier. Le grief a été accueilli.

[6] Autre exemple : dans Teamsters Québec, section locale 1999 et Loews Hôtel Vogue11 , où la plaignante contestait le calcul de la paie de vacances à la suite d’un retrait préventif suivi d’un congé de maternité, l’arbitre a tenu compte de l’article 81.15.1 L.N.T., qui établit les droits de la salariée qui retourne au travail à la suite de son congé de maternité, et de l’article 74 L.N.T., prévoyant que l’indemnité de congé est calculée en fonction du salaire gagné au cours de la période de référence de 12 mois mentionnée à l’article 66 L.N.T. Il en est arrivé à la conclusion que l’interprétation des articles 74 et 81.15.1 L.N.T. permet de déterminer que le législateur a voulu que la période de référence ne soit pas indivisible afin de déterminer la paie de vacances due lorsqu’une salariée réintègre son emploi à la suite d’un congé de maternité. En conséquence, l’arbitre a conclu que l’employeur était fondé à calculer, conformément aux dispositions pertinentes de la convention collective et de la Loi sur les normes du travail, la paie de vacances due à la plaignante en fonction du salaire et des avantages effectivement reçus au cours de l’année de référence 2001. Il a ajouté que l’article 81.15.1 L.N.T. établit que la salariée a droit à l’accroissement des avantages et du salaire reliés à son poste de travail durant son congé de maternité, de la même façon qu’une salariée conserve et accumule de l’ancienneté sans fournir de prestation de travail, et que l’intention du législateur n’était pas que cet article assure le paiement du salaire et des avantages auxquels la salariée aurait eu droit si elle était restée au travail. Le grief a été rejeté.

[7] Enfin, dans Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 32412 , la Cour suprême du Canada a consacré la compétence de l’arbitre de griefs afin de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi.

[8] La sentence arbitrale rendue dans Syndicat des technologues en radiologie du Québec (C.P.S.) et Centre mitissien de la santé et de services communautaires13 illustre bien ces pouvoirs :

Les articles 40 et 41 LSST, l’article 122 L.N.T., les articles 10 et 16 de la charte et l’article 25.19 de la convention collective forment un véritable régime juridique de protection et de promotion de la maternité. Le Tribunal doit déterminer si le refus de l’employeur d’attribuer les remplacements contrevenait à certains de ces articles. D’abord, il importe de déterminer les droits de la plaignante et sa situation juridique au moment où elle a déposé son certificat de retrait préventif. Elle avait alors droit à 14 heures de travail par semaine puisqu’elle occupait un poste de 1 jour par semaine et qu’elle avait obtenu une affectation temporaire de 1 jour par semaine. De plus, elle était inscrite sur la liste de disponibilité pour les remplacements. Or, en vertu des dispositions interdisant la discrimination fondée sur l’état de grossesse, la plaignante devait conserver les mêmes droits que ceux dont elle bénéficiait avant de présenter son certificat médical. La Cour d’appel a rappelé, dans Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil, [1999] R.J.Q. 1883 et [1999] R.J.D.T. 1044 (C.A.) (D.T.E. 99T-682 et J.E. 99-1499), que la femme enceinte doit être considérée comme toute autre personne disponible aux fins de l’attribution des remplacements. Par conséquent, l’employeur ne pouvait considérer que la plaignante n’était plus inscrite sur la liste de disponibilité et il devait tenir compte de sa disponibilité lors de l’attribution des remplacements, en plus de lui assurer ses 14 heures de travail par semaine. Il est clair que la plaignante aurait obtenu les remplacements du 24 et du 31 mars, compte tenu de son ancienneté, et l’employeur n’a pas démontré que ceux-ci lui auraient causé des contraintes excessives. Pour ces motifs, le grief est accueilli, et le Tribunal ordonne à l’employeur de verser à la plaignante une somme équivalant au salaire qu’elle aurait reçu si elle avait obtenu les remplacements.

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