[1] Les infractions de possession, de production et de distribution de matériel de pornographie juvénile sont punies par des peines d’emprisonnement maximales de 5 et de 10 ans. Le présent article portera sur l’analyse de six décisions en matière de détermination de la peine qui ont été rendues par la Cour du Québec et par la Cour d’appel depuis l’an 2000 au sujet de ces infractions. Des six décisions, trois d’entre elles ont imposé des peines d’emprisonnement ferme tandis que les trois autres ont fait bénéficier les accusés de peines d’emprisonnement à purger dans la collectivité.

Peines d’emprisonnement à purger dans la collectivité

[2] Dans la décision R. c. Lucas1 , rendue par la Cour du Québec en juin 2002, le juge Laurent Dubé exprime clairement la règle d’application de l’article 742.1 du Code criminel2 en matière de pornographie juvénile. Dans ce cas, l’accusé, âgé de 19 ans, avait emmagasiné dans son ordinateur une vingtaine de films et 1 683 photos à partir d’Internet qui mettaient en scène des garçons impubères s’adonnant à des jeux sexuels. La preuve a démontré que l’accusé souffrait d’un trouble de pédophilie homosexuelle qui risquait de s’accentuer avec le temps à défaut d’une thérapie appropriée. Après avoir indiqué que les tribunaux se montrent réticents à accorder, dans ce genre de causes, le bénéfice des dispositions de l’article 742.1 C.Cr. – c’est-à-dire permettre que la peine de détention soit purgée au sein de la collectivité –, le juge Dubé a rappelé que le législateur n’a exclu de l’application de ces nouvelles dispositions aucune catégorie de crimes. Procédant à l’analyse des critères d’application de l’article 742.1 C.Cr., le juge s’est demandé si le fait pour l’accusé de purger sa peine dans la collectivité mettrait en danger la sécurité de cette dernière, et il a conclu qu’il constituerait un risque que peut assumer la collectivité pourvu qu’il soit soumis à une thérapie. L’accusé a été condamné à purger une peine de six mois dans la collectivité, avec l’obligation de se soumettre à une thérapie aussi longtemps que l’estimeraient nécessaire les professionnels de la santé. En outre, il s’est vu interdire, pour toute la durée de sa peine, l’utilisation d’un ordinateur.

[3] De même, dans la décision Protection de la jeunesse – 11603, le juge Carol Richer, de la Cour du Québec, a fait bénéficier l’accusé d’une peine d’emprisonnement à purger dans la collectivité, celui-ci étant prêt à s’engager dans une thérapie. L’accusé, âgé de 20 ans, a reconnu sa culpabilité sous des accusations d’importation et de distribution par Internet de matériel de pornographie juvénile. Il s’était servi de l’ordinateur d’un ami pour importer 11 photographies mettant en scène de jeunes enfants qui s’adonnaient à des activités sexuelles, entre eux ou avec des adultes, et les a expédiées à 8 adresses électroniques différentes. Après avoir noté que l’accusé, qui souffrait d’une problématique sexuelle, était prêt à s’engager dans une thérapie, le juge a considéré que la sécurité du public ne serait pas en danger s’il était condamné à purger une peine d’emprisonnement de neuf mois dans la collectivité. Le fait que les crimes avaient été commis en une seule nuit et le fait que l’accusé n’avait pas d’ordinateur à sa disposition sont des critères que le juge a pris en considération.

[4] Une autre décision rendue par le juge Jean-Paul Decoste, de la Cour du Québec, en décembre 2004, dans R. c. Tremblay4 a fait bénéficier l’accusé d’une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour. Dans ce cas, l’accusé, âgé de 32 ans, avait reconnu sa culpabilité sous des accusations de possession et de distribution de matériel de pornographie juvénile aux termes des articles 163.1 (3) a et 163.1 (4) a) C.Cr. Il avait installé dans son ordinateur un logiciel assez particulier qui lui permettait de recevoir du matériel pornographique et d’en distribuer; les personnes qui communiquaient avec lui devaient lui envoyer du matériel pour pouvoir consulter le sien. Alertée par un policier allemand, la police a saisi l’ordinateur de l’accusé et a découvert sur le disque rigide de l’appareil 2 182 photos d’enfants se livrant à des activités sexuelles, dont 37 mettaient en scène des enfants de moins de 5 ans. Parmi les 2 290 vidéos que l’accusé avait en sa possession, au moins le tiers constituait du matériel de pornographie juvénile et, sur les 6 cédéroms, au-delà de 120 vidéos étaient aussi du matériel de pornographie juvénile. La fouille de son ordinateur a permis de découvrir que l’accusé avait reçu 462 fichiers et en avait distribué 272 durant une courte période de 15 jours et que ce matériel avait été visionné par des internautes de 13 différents pays. En l’espèce, bien que la gravité de l’infraction soit importante, le juge a tenu compte de la reconnaissance de culpabilité de l’accusé ainsi que du fait qu’il n’avait pas d’antécédents judiciaires, qu’il reconnaissait souffrir d’une déviance sexuelle et qu’il se disait prêt à se soumettre à une thérapie, même à ses frais, pour lui accorder le bénéfice de purger sa peine dans la collectivité. En outre, le juge a considéré le mauvais accueil que l’accusé avait reçu en prison lors de son arrestation dans sa décision de favoriser le prononcé d’une peine avec sursis, en précisant qu’il l’assortirait d’une durée plus longue afin qu’elle ait le même effet qu’une peine d’emprisonnement ferme. En effet, si le mauvais accueil que l’accusé avait reçu en prison donnait lieu de croire que la situation serait la même, sinon pire, s’il devait purger une peine d’emprisonnement, le juge a considéré que tout portait à croire qu’il sortirait de prison révolté, ce qui signifierait que sa réhabilitation n’aurait pas été atteinte et que la société ne serait pas protégée. En plus de le condamner à une peine de 24 mois moins 1 jour à purger dans la collectivité suivie d’une probation de 36 mois, le juge a ordonné la confiscation de l’ordinateur de l’accusé et de tous ses accessoires et a prononcé une ordonnance, d’une durée de 5 ans, lui interdisant d’utiliser un ordinateur dans le but de communiquer avec toute personne âgée de moins de 14 ans.

[5] Une analyse de ces trois décisions indique que le jeune âge de l’accusé, le fait qu’il reconnaisse souffrir d’une déviance sexuelle et le fait qu’il soit d’accord pour suivre une thérapie sont les critères généralement présents lorsqu’un juge accorde une peine d’emprisonnement à purger dans la collectivité. La gravité des crimes commis ne semble pas être un frein à l’ouverture d’une telle peine, la réhabilitation de l’accusé étant l’objectif privilégié dans pareil contexte.

Peines de détention ferme

[6] Dans R. c. Chassé5 , le juge Normand Bonin, de la Cour du Québec a , en juin 2002, élaboré huit facteurs qui doivent être examinés lorsqu’un prévenu est accusé de possession de pornographie juvénile. Il s’agit de :

  1. La nature du matériel;
  2. La quantité du matériel en relation avec la période requise pour l’accumuler;
  3. L’âge des enfants;
  4. L’utilisation de la propriété ou du nom d’un tiers;
  5. Le matériel retenu revêt-il une forme facilement diffusable ou distribuable ?
  6. Les démarches et les coûts pour l’obtention du matériel;
  7. L’utilisation visée du matériel; et
  8. Y a-t-il eu importation, distribution et production de matériel de pornographie juvénile ?

Dans ce cas, l’accusé a reconnu sa culpabilité sous une accusation de possession de matériel de pornographie juvénile, en violation de l’article 163.1 (4) a) C.Cr. Plus d’un millier d’images de pornographie juvénile ont été trouvées et saisies dans les deux ordinateurs que l’accusé avait à son domicile ainsi que dans celui qu’il utilisait à son travail. Le matériel consistait en des caricatures, des bandes dessinées et des textes à connotation sexuelle mettant en évidence des adultes et de jeunes gens généralement en relations homosexuelles. L’accusé avait obtenu les images par le biais d’Internet. Âgé de 49 ans, il ne se reconnaît aucun problème sexuel. Or, en 1984, à 31 ans, il avait été condamné à un total de 3 ans de pénitencier au regard de 9 chefs d’accusation de sodomie et de grossière indécence à l’endroit de jeunes garçons. La dénégation de l’accusé à l’égard de sa déviance sexuelle démontre qu’il présente un risque de récidive, ce qui empêche le prononcé d’une peine d’emprisonnement avec sursis. Le fait qu’il ait mis en cause son employeur en ayant des images pornographiques dans son ordinateur à son travail peut constituer un facteur aggravant. Le tribunal a prononcé une peine d’incarcération de 5 mois suivie d’une probation de 24 mois et a ordonné à l’accusé d’entreprendre des démarches pour une thérapie.

[7] Une autre décision de la Cour du Québec, rendue par le juge Jean-François Gosselin en janvier 2004 dans R. c. R. R.6 , a condamné l’accusé à une peine de détention ferme. Ce dernier avait commencé, en 1999, à construire un site Internet de pornographie à l’intention des homosexuels. Il désirait éventuellement rendre ce site accessible moyennant des frais. En 2000, la police a saisi à son domicile deux ordinateurs et une multitude de disquettes lui appartenant. Sur un lot de 339 663 photographies, 2 390 représentaient des adolescents âgés de moins de 18 ans. L’accusé a reconnu sa culpabilité sous deux chefs d’accusation, un de possession de matériel de pornographie juvénile en vue de le distribuer et de le vendre et un d’omission de se conformer à une ordonnance de probation en troublant la paix et en n’ayant pas une bonne conduite. L’accusé, âgé de 59 ans, a été condamné à 2 reprises pour des crimes sexuels commis à l’égard de personnes mineures de sexe masculin. Il est à noter que ses victimes d’alors avaient le même profil que les adolescents se trouvant sur les photographies. Le juge a analysé la responsabilité pénale de l’accusé à l’aide des huit facteurs élaborés dans R. c. Chassé, ces derniers l’ayant aidé à déterminer les circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction se rapportant à la pornographie juvénile. Cette analyse a permis de constater que les circonstances aggravantes étaient plus nombreuses que les circonstances atténuantes et qu’elles indiquaient un haut degré de responsabilité pénale chez l’accusé. Il en était de même des circonstances liées à la situation de l’accusé, notamment celle qui révèle qu’il recherche la présence de jeunes hommes en difficulté qu’il accueille chez lui. Lorsque, comme en l’espèce, le délinquant a des antécédents judiciaires significatifs pour inconduite sexuelle et qu’il est incontestablement pédophile, la tendance jurisprudentielle favorise nettement l’imposition d’une peine de détention ferme. Il s’agit de la seule solution qui puisse satisfaire aux critères de dénonciation et de dissuasion générale habituellement fixés en pareille matière. Le risque de récidive empêche l’accusé de bénéficier d’une peine d’emprisonnement à purger dans la collectivité. L’accusé, dans R. c. R.R., a été condamné à une peine d’emprisonnement de cinq mois accompagnée d’une probation de trois ans.

[8] La dernière décision qui sera analysée ici a été rendue par la Cour d’appel en janvier 2005 dans R. c. M.P.7 . Dans cette affaire, M.P. et un autre homme, D.B., avaient été condamnés à une peine d’emprisonnement de 24 mois accompagnée d’une probation de 3 ans sous des accusations de production, de distribution et de possession de matériel de pornographie juvénile. Les deux accusés s’étaient connus par le biais d’Internet, où ils échangeaient leurs fantasmes sexuels à l’endroit des enfants. Âgés respectivement de 45 et 46 ans, et sans antécédents judiciaires, ils ont reconnu leur culpabilité. Le ministère public a interjeté appel de la peine afin d’obtenir le prononcé d’une peine d’emprisonnement plus sévère. Or, la Cour d’appel a refusé d’intervenir, considérant qu’aucune erreur de principe ne pouvait être reprochée à la première juge. Après avoir précisé que la pornographie juvénile est une atteinte au droit à la dignité et à l’égalité des enfants, la juge Chantale Pelletier a tenu compte de la gravité des infractions, de l’abus de confiance et d’autorité, des risques de récidive présents chez chacun des accusés, des conséquences des crimes sur les victimes et du temps que chacun des accusés avait passé en détention provisoire dans le calcul de la peine.

[9] La peine de détention ferme est imposée lorsque le juge se trouve devant un dossier où les critères de dénonciation et de dissuasion doivent être favorisés. Il s’agit de cas où l’accusé, généralement âgé de plus de 45 ans, ne se reconnaît aucune déviance sexuelle, ce qui signifie que les risques de récidive sont présents. De même, lorsque l’accusé qui possède des antécédents judiciaires significatifs en semblable matière peut être clairement qualifié de pédophile et qu’il a choisi un mode de vie favorisant la présence d’enfants ou d’adolescents, il est probable que le juge optera pour la peine de détention ferme. En d’autres termes, lorsque les chances de réhabilitation sont absentes, le juge sera porté à imposer un emprisonnement pour assurer la sécurité de la collectivité.

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