[1] Chaque année, plusieurs sentences arbitrales traitent d’absences pour cause de maladie ou d’invalidité. Il y est souvent question du droit au maintien du lien d’emploi. Dans beaucoup de conventions collectives, on trouve des clauses qui prévoient la perte de l’emploi après une absence prolongée de 12, 24 ou 36 mois. Au fil des ans, ces clauses ont généralement reçu une interprétation stricte de la part des arbitres, qui les ont appliquées automatiquement dès que la preuve permettait d’établir que l’absence s’était prolongée au-delà de l’échéance du terme fixé1 . Or, des décisions récentes semblent avoir modifié cette interprétation. En effet, des arbitres de griefs ont rejeté l’application automatique d’une clause semblable. Pour eux, la question du droit d’un salarié malade ou invalide de conserver son emploi ne peut être résolue sans que soit examinée celle de l’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur. Ainsi, dans certaines circonstances, le respect de cette obligation peut se traduire par une prolongation de la période de maintien de l’emploi au-delà du délai fixé dans la convention collective.

L’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Ruby Foo’s (CSN) et Hôtel Ruby Foo’s2

[2] La plaignante travaillait à titre de femme de chambre lorsqu’elle s’est absentée pendant un an à cause d’un accident d’automobile. L’employeur l’a congédiée au motif que son droit de retour au travail était expiré. La convention collective prévoyait qu’un salarié perd son ancienneté et son emploi «s’il est absent du travail pour cause de maladie ou d’accident non occupationnel pour une période excédant douze (12) mois consécutifs». Le syndicat a soutenu que l’employeur n’avait pas respecté son obligation d’accommodement. Quant à ce dernier, il a prétendu qu’il n’avait pas le choix de mettre fin à l’emploi de la plaignante puisque la convention ne lui donnait aucun pouvoir discrétionnaire à ce sujet. L’arbitre a d’abord conclu que la plaignante était atteinte d’un «handicap» au sens de la Charte des droits et libertés de la personne3 . Puis, elle a rappelé que le droit général de l’employeur de gérer son entreprise et de diriger son personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention, mais aussi à celles de la charte. À son avis, un employeur ne peut se dégager des obligations découlant de la charte en s’appuyant sur les dispositions de la convention. Il ne peut non plus prétendre que la clause de perte d’ancienneté et d’emploi constitue une mesure individualisée par laquelle il prend en considération des caractéristiques propres à chaque employé. Cette clause ne constitue donc pas, en soi, une mesure d’accommodement. L’arbitre a finalement conclu qu’il n’y avait eu aucune tentative d’accommodement ou de discussion véritable dans le but de favoriser l’exercice du droit à l’égalité de la plaignante ni de preuve en ce qui a trait à la contrainte excessive. Elle a estimé que l’employeur aurait pu l’accommoder en lui permettant de reprendre progressivement le travail pendant six semaines, tel que l’avait recommandé le médecin traitant. Étant donné que, eu égard à son handicap, la plaignante avait droit à un accommodement raisonnable, l’arbitre a ordonné la restauration de son lien d’emploi ainsi que le rétablissement de son ancienneté.

L’affaire Syndicat des infirmières et infirmiers du CLSC Malauze (FIIQ) et Centre local de services communautaires Malauze4

[3] Également victime d’un accident d’automobile, la plaignante, une infirmière, a perdu son emploi dans un CLSC après d’être absentée pendant plus de 36 mois. Le syndicat avait tenté en vain de conclure une entente avec l’employeur afin que soit prolongé de une année le délai prévu à la convention collective. L’arbitre a d’abord conclu qu’au moment de la rupture du lien d’emploi la plaignante conservait un handicap temporaire consécutif à son accident mais que les perspectives de rétablissement dans un délai raisonnable étaient bonnes. Par conséquent, elle était en droit de s’attendre à ce que l’employeur explore des mesures d’accommodement sans contrainte excessive afin de lui permettre de conserver son emploi. Selon l’arbitre, la convention collective ne peut être appliquée de façon automatique, sans tenir compte des droits fondamentaux. En outre, de par sa nature générale, la norme créée par une clause de perte d’emploi ne constitue pas une mesure d’accommodement. Quant à la notion de contrainte excessive, il a souligné qu’elle nécessitait d’apprécier divers facteurs, notamment les coûts financiers, l’atteinte à la convention collective et l’importance de l’entreprise. Dans cette affaire, l’arbitre a conclu que la prolongation du délai de 36 mois ne comportait aucune contrainte et qu’un retour au travail était possible sans coûts financiers. Considérant que l’employeur n’avait pas fait la preuve que le maintien du lien d’emploi au-delà de cette période représentait une contrainte excessive, l’arbitre a estimé qu’il n’avait pas rempli son obligation d’accommodement envers la plaignante en lui permettant de conserver son emploi. Il a ordonné sa réintégration à compter de la date à laquelle la Société de l’assurance automobile du Québec l’avait déclarée apte au travail.

L’affaire T. Lauzon ltée et Union des employés du transport local et industries diverses, section locale 9315

[4] Il s’agit également d’un salarié absent à cause d’un accident d’automobile. L’employeur a mis fin à son emploi au motif que son droit de retour au travail était expiré. La convention collective prévoyait qu’un salarié perd son ancienneté et son emploi «s’il est absent de son travail pour une période de douze (12) mois consécutifs en raison de maladie ou d’accident autre qu’un accident de travail». Le syndicat a soutenu qu’il y avait eu discrimination de la part de l’employeur puisque le plaignant avait été congédié en raison de son état de santé, donc d’un handicap au sens de la Charte des droits et libertés de la personne. L’employeur a soutenu qu’il n’était assujetti à aucune obligation d’accommodement. Dans sa décision, l’arbitre rappelle d’abord que les dispositions de la charte sont d’ordre public et qu’elles s’appliquent aux parties régies par une convention collective. Il ajoute qu’il faut néanmoins que la distinction dont on se plaint fasse partie de l’énumération contenue à l’article 10 de la charte et, si tel est le cas, qu’elle ne soit pas exclue par l’exception prévue à l’article 20. À son avis, la question de l’accommodement sans contrainte excessive ne se posait pas dans l’affaire dont il était saisi vu l’admission selon laquelle, à ce jour, le plaignant était encore invalide en raison de son accident et n’était toujours pas en mesure de reprendre son emploi. L’arbitre a souligné que l’on ne saurait parler d’accommodement dans le cas d’un salarié qui, on l’admet, est totalement incapable de satisfaire aux exigences normales de son poste après la période d’absence prévue à la convention. Il a conclu que c’est exceptionnellement que le lien d’emploi est maintenu pendant cette période, et ce droit conventionnel s’éteint à l’expiration du délai convenu.

L’affaire Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) et Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal6

[5] La plaignante occupait un poste de secrétaire médicale dans un centre hospitalier depuis 15 ans lorsqu’elle a dû s’absenter en raison de problèmes de santé mentale. L’employeur a mis fin à son emploi en appliquant la clause de la convention collective qui prévoit qu’«[u]n salarié perd son ancienneté et son emploi s’il est absent pendant plus de 36 mois». Le syndicat a déposé un grief au moyen duquel il demandait à l’employeur de réviser sa décision et de trouver une mesure d’accommodement permettant le maintien du lien d’emploi. Il a allégué que, n’eût été un accident d’automobile subi quelques semaines avant la date prévue de son retour, la plaignante aurait repris le travail au moins six mois avant l’échéance du terme. Cet accident l’a rendue inapte durant une période indéterminée et, au moment de sa cessation d’emploi, aucune date de retour au travail n’était encore prévisible. En outre, au moment de l’audition de son grief, la plaignante était toujours en attente d’être opérée pour cette condition. L’arbitre a rejeté le grief . Il a estimé que la clause précitée ne contrevenait pas à la charte et que l’employeur avait agi sans discrimination en appliquant correctement une règle explicite. La Cour supérieure a rejeté la requête en révision7 . En appel, l’employeur a admis que la plaignante avait été victime d’une distinction, d’une exclusion ou d’une préférence fondée sur le handicap. Il a toutefois prétendu que l’arbitre avait eu raison de conclure que le congédiement n’était pas discriminatoire parce que la mesure d’accommodement prévue à la clause précitée était suffisante. La Cour d’appel a rejeté cet argument8 . Elle a jugé que, même si huit mois après son congédiement le handicap de la plaignante n’était pas encore résorbé, l’existence de celui-ci et la perspective raisonnable de retour au travail devaient s’apprécier au moment où elle s’était vu refuser la mesure d’accommodement qu’elle recherchait. Par conséquent, l’arbitre ne pouvait simplement appliquer les clauses de la convention collective et affirmer qu’il n’était pas discriminatoire de refuser de prolonger l’emploi d’une personne n’étant pas physiquement capable de l’exécuter. Il devait examiner si l’employeur s’était déchargé de son fardeau de prouver le caractère déraisonnable de la mesure d’accommodement demandée parce que le délai additionnel prévu pour le retour lui causait une contrainte excessive. Selon la Cour d’appel, en esquivant cet examen imposé par la charte, l’arbitre a commis une erreur révisable en fonction de la norme de la décision correcte. Par conséquent, elle a annulé la sentence arbitrale et a renvoyé le dossier à l’arbitre afin qu’il se prononce sur l’obligation d’accommodement de l’employeur.

Conclusion

[6] La notion de «handicap» serait suffisamment large9 pour couvrir les maladies physiques et psychologiques qui empêchent un salarié de fournir sa prestation normale de travail. Or, l’arbitre de griefs est compétent pour se prononcer sur l’existence d’une discrimination au sens de la charte10 ainsi que sur le respect de l’obligation d’accommodement raisonnable. On l’a vu, l’existence d’une clause qui prévoit la perte de l’emploi au terme d’une certaine période d’absence ne fait pas obstacle à une telle analyse de la part de l’arbitre. Il peut ainsi vérifier si les parties signataires de la convention collective ont tenté de s’entendre pour trouver un accommodement raisonnable n’entraînant pas de contrainte excessive pour l’entreprise. La prolongation de la période de protection de l’emploi serait une possibilité parmi d’autres. Ce que la Cour d’appel reproche à l’employeur et à l’arbitre dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal), c’est que la plaignante ait été traitée sans que l’on tienne compte de sa situation réelle, de ses besoins ni de ses capacités11.

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