[1] À l’aube de son 20e anniversaire, la présomption de lésion professionnelle de l’article 28 LATMP continue toujours de susciter un grand intérêt. L’application de cette présomption dispense le travailleur de faire la preuve qu’il a subi un accident du travail2 . Pour en bénéficier, ce dernier doit toutefois démontrer : 1) qu’il a subi une blessure et 2) que celle-ci est arrivée sur les lieux du travail 3) alors qu’il était à son travail.

[2] La Commission des lésions professionnelles (CLP) a eu, au cours de la dernière année, l’occasion de se prononcer à quelques reprises sur l’interprétation de la deuxième condition d’application de la présomption, soit les termes «arrivée sur les lieux du travail», ainsi que sur l’étendue du fardeau de la preuve du travailleur en découlant.

[3] Nous nous pencherons ici sur cette deuxième condition d’application. Nous ne commenterons toutefois pas la jurisprudence de la CLP traitant de la notion de blessure ni celle portant sur l’interprétation de la troisième condition3 .

Une blessure arrivée sur les lieux du travail

[4] En ce qui a trait à la notion de blessure, la jurisprudence de la CLP reconnaît généralement son existence lorsque la lésion résulte d’un agent vulnérant extérieur ou d’un traumatisme. Ainsi, lorsqu’un médecin diagnostique une entorse, celle-ci est habituellement reconnue comme étant une blessure.

[5] Dans l’affaire Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord et Lefrançois4 , la travailleuse, une intervenante en milieu résidentiel, alléguait avoir subi une entorse dorsale en s’étirant pour prendre une «pinte de lait» dans un réfrigérateur. Procédant à analyser les conditions d’ouverture de la présomption de lésion professionnelle de l’article 28 LATMP, le commissaire a d’abord conclu à la présence d’une blessure du fait d’un diagnostic d’entorse posé par le médecin ayant charge. Poursuivant son raisonnement, il conclut toutefois à l’inapplicabilité de la présomption :

[41] […] En effet, le tribunal ne croit pas que la preuve démontre que l’entorse est «arrivée sur les lieux du travail» comme le requiert l’article 28. Pour que cette présomption s’applique, ces trois éléments doivent être prouvés de façon prépondérante par la travailleuse. En rédigeant l’article 28, le législateur a choisi d’utiliser des termes qui font en sorte qu’il n’est pas suffisant de démontrer que la blessure s’est manifestée sur les lieux du travail ou que des douleurs ont été ressenties à cet endroit. Le législateur a bel et bien requis la preuve que la blessure est «arrivée sur les lieux du travail.»

[42] Or, pour qu’une entorse arrive sur les lieux du travail, il faut être en présence d’un mouvement de distorsion brusque tel que le mentionnent les définitions d’usage et la jurisprudence du présent tribunal. Le tribunal ne peut que constater que le 21 septembre 2003, à 9 h 00, aucun mouvement de distorsion brusque n’est survenu puisque la travailleuse s’est penchée de façon normale en étirant son bras de façon tout aussi normale. Conséquemment, il est impossible de penser, dans les circonstances précises de ce cas, qu’un mouvement de distorsion brusque ait alors pu survenir et entraîner une entorse.

[L’italique est du soussigné.]

[6] La CLP a donc considéré que la travailleuse ne pouvait bénéficier de la présomption de l’article 28 en raison de l’absence de compatibilité entre la lésion et l’événement allégué, la preuve ne démontrant alors aucunement que la blessure diagnostiquée était «arrivée sur les lieux du travail».

[7] Toutefois, dans White et Provigo division Loblaws Québec5 , la CLP a conclu que la travailleuse, une emballeuse, bénéficiait de l’application de la présomption de lésion professionnelle après qu’une entorse cervicodorsale eut été diagnostiquée à la suite de l’exécution d’un mouvement de flexion et d’un effort pour soulever une caisse afin de la déposer sur une étagère, en retenant que ce diagnostic avait été posé après qu’elle eut accompli une action particulière au moment de la survenance de la douleur6 . Commentant la décision Lefrançois, précitée, le tribunal a conclu ainsi sur la distinction entre les termes «arriver» et «se manifester» 7 :

[17] […] Ces termes ne sont pas si différents. Le nouveau petit Robert, en parlant d’un fait, d’un événement ou d’un accident, énumère d’autres verbes qui ont un grand rapport de sens : «s’accomplir, advenir,se passer, se produire, se réaliser, survenir»; quand on traite du verbe «se manifester», on dit «Apparaître, se montrer. Maladie qui se manifeste…» Le petit Larousse illustré, définissant «arriver» parle, notamment, de «Se produire, survenir»; «se manifester» est défini comme «Apparaître au grand jour, se faire reconnaître à tel signe. La maladie se manifeste…» Une blessure peut donc arriver, survenir ou se manifester sur les lieux du travail et nous parlerons toujours du même fait qui s’est passé ou qui s’est produit.

[8] Dans Provigo inc. et Matte8 , la CLP retient la notion de compatibilité des gestes effectués par un travailleur avant la survenance de sa lésion, en prenant toutefois soin de préciser l’effet de la présomption sur le fardeau de la preuve du travailleur :

[48] La Commission des lésions professionnelles estime par ailleurs que les tâches exécutées par le travailleur, le matin du 25 avril 2003, sont compatibles avec la lésion lombaire diagnostiquée le même jour par un médecin. Le travailleur faisait des mouvements de flexion du tronc et des efforts à bout de bras pour défaire, manipuler et refixer les tablettes d’un présentoir. Or, ces mouvements peuvent expliquer la survenance de sa lésion lombaire.

[49] La Commission des lésions professionnelles croit utile de rappeler ici que, par l’effet de la présomption de l’article 28 de la LATMP, le travailleur est dispensé de prouver la cause de sa lésion, en démontrant par exemple la survenance d’un événement imprévu et soudain par le fait ou à l’occasion de son travail. Le caractère professionnel de sa lésion étant prouvé, il peut dès lors réclamer les indemnités et l’assistance médicale prévues à la LATMP.

[9] Enfin, récemment, dans Martin et Saturn Isuzu de Trois-Rivières inc.9 , la CLP a eu à se prononcer sur l’admissibilité de la réclamation d’un travailleur, un mécanicien, chez qui une épicondylite avait été diagnostiquée après qu’il eut saisi avec la main un outil sur son établi.

[10] Analysant tout d’abord la réclamation sous l’angle de l’accident du travail – le travailleur ayant toujours déclaré que ses douleurs au coude étaient apparues subitement lors d’un geste précis -, la CLP conclut à l’application de l’article 28 LATMP10 :

[154] L’épicondylite, tout comme la tendinite, font souvent référence à la notion de maladie mais elles peuvent cependant constituer des blessures si elles résultent d’un traumatisme [C.H.U.M. et Blouin, C.L.P. 202326-63-0303, 1er octobre 2003, R. Brassard; CSST et Decoste, C.L.P. 28978-02-9105, 22 mars 1993, J.-M. Dubois; Brosseau et Port de Montréal, C.A.L.P. 09134-61-8808, 7 novembre 1990, G. Perreault; Alix et C.H. Honoré-Mercier, [1996] C.A.L.P. 709].

[155] Le tribunal estime que, dans les circonstances révélées par la preuve, l’épicondylite qu’a subie le travailleur le 10 mars 2000 peut être qualifiée de blessure.

[156] En effet, la preuve révèle l’existence d’un mouvement non physiologique et anormal à savoir celui de prendre machinalement et au vol, sans prendre le temps de s’arrêter, un outil pesant 2,5 kilos, poids qui doit être considéré comme plus important à cause de l’effet de levier. Ce mouvement rapide, machinal et plus ou moins réfléchi, a entraîné l’apparition d’une douleur.

[…] [163] En l’espèce, le travailleur a fait un effort en position non maximale et non ergonomique pour saisir son outil mettant en cause ainsi les structures épicondyliennes.

[…] [169] Les faits retenus pas le tribunal en l’espèce indiquent que des douleurs sont apparues au moment même où le travailleur ramassait son fusil à air de la façon déjà relatée. Il s’agit là d’un autre motif permettant de croire à la survenance d’une blessure plutôt que d’une maladie [voir aussi Biron et Buffet Nico inc., C.L.P. 206491-04B-0304, 24 juillet 2003, J.-F. Clément]. En conséquence, le tribunal estime que l’épicondylite peut être considérée comme une blessure.

[170] Il estime également que cette blessure est arrivée sur les lieux du travail. Encore là, il ne s’agit pas pour le travailleur, qui est le détenteur du fardeau de preuve, de faire au stade de la présomption une preuve de relation médicale à ce niveau puisque la présomption est justement là pour l’en dispenser. Il faut cependant que la preuve révèle que le geste effectué au travail mettait à contribution les structures lésées et était de nature à causer une lésion [Services ménagers Roy ltée et Massie, C.L.P. 84336-07-9611, 26 août 1998, B. Lemay].

[11] Et, procédant à préciser l’étendue du fardeau de la preuve que le travailleur doit assumer pour démontrer que sa blessure est «arrivée» sur les lieux du travail, la CLP poursuit ainsi11 :

[171] Dans l’affaire Poisson et Urgences Santé [[1999] C.L.P. 869], la Commission des lésions professionnelles affirmait qu’il n’y avait pas lieu d’interpréter plus amplement l’expression «qui arrive» au travail puisqu’il s’agit simplement pour un travailleur d’offrir un témoignage crédible et plausible des circonstances de sa blessure.

[172] Le tribunal estime qu’en l’espèce le travailleur a fait une preuve suffisante à l’application de la présomption puisqu’il a démontré que sa blessure était arrivée au travail étant donné que la douleur était apparue subitement pendant un mouvement qui mettait à contribution les structures lésées de façon inhabituelle.

Conclusion

[12] La compatibilité entre, d’une part, une blessure et, d’autre part, un événement, une activité ou un mouvement serait donc au coeur du fardeau de la preuve d’un travailleur qui demanderait l’application de la présomption de lésion professionnelle et demeurerait une question d’appréciation de son témoignage. Faute d’une telle preuve de compatibilité, il semblerait donc que la CLP puisse ultimement conclure à l’absence d’application de la présomption au motif que la blessure n’est pas arrivée sur les lieux du travail.

[13] Il semblerait toutefois maintenant acquis que la jurisprudence unanime de la CLP veuille que, au stade de l’application de la présomption de l’article 28 LATMP, le travailleur n’ait pas à faire la preuve du lien de causalité qu’exige la définition d’accident du travail de l’article 2 de la loi.

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