[1] Au cours de l’année 2004, la Société québécoise d’information juridique a reçu de très nombreuses décisions rendues dans le domaine de la protection de la jeunesse. Plusieurs questions intéressantes y ont été abordées. Bien qu’il ne s’agisse pas de questions entièrement nouvelles, certaines nous apparaissent importantes soit en raison de la fréquence à laquelle elles ont été soulevées ou parce qu’elles ont donné l’occasion à la Chambre de la jeunesse de confirmer certaines tendances déjà existantes ou encore lui ont permis de préciser l’état du droit. Dans cette optique, nous aborderons plus spécifiquement la question de la non-fréquentation scolaire comme motif de compromission, l’étendue de la compétence de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, et la légalité des conventions intérimaires.

Non-fréquentation scolaire

[2] Pour des raisons multiples et variées, certains parents choisissent de scolariser leur enfant à domicile et se prévalent — ou omettent de se prévaloir — de la dispense obligatoire prévue à la Loi sur l’instruction publique1. Cette non-fréquentation scolaire a été invoquée par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) comme motif de compromission au sens de l’article 38.1 b) de la Loi sur la protection de la jeunesse2.

[3] Plusieurs jugements ont rappelé la distinction entre les pouvoirs consentis par le législateur en vertu de la Loi sur l’instruction publique et ceux prévus à la Loi sur la protection de la jeunesse. Ils ont affirmé que la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, ne dispose d’aucun pouvoir pour sanctionner l’omission des parents d’obtenir une dispense, pour réviser une décision d’une commission scolaire concernant l’évaluation de l’enseignement fourni à la maison ou pour ordonner la fréquentation d’un établissement. Toutefois, ils ont reconnu que la Cour peut conclure à la compromission de l’enfant s’il lui est démontré que la non-fréquentation scolaire entraîne des conséquences sur son développement. La preuve de la non-fréquentation scolaire ne justifie pas à elle seule une déclaration de compromission.

[4] À titre d’exemple, notons la décision D.G.-F. (Dans la situation de) 3, où le juge Perreault a accueilli une demande de déclaration de compromission au motif que la non-fréquentation scolaire d’une adolescente de 14 ans faisait en sorte qu’elle n’avait pas une vie correspondant à son âge ni à son étape de croissance et qu’elle avait des difficultés relationnelles avec les autres de même qu’une faible estime de soi.

[5] Dans F.D. (Dans la situation de)4, le juge Lebel a également accueilli des demandes de déclaration de compromission et a conclu que la non-fréquentation scolaire était un indice que la mère ne maîtrisait pas la situation familiale et que, par conséquent, son comportement compromettait la sécurité et le développement des enfants. Toutefois, concluant à l’absence de pouvoir d’ordonner la fréquentation scolaire, il a recommandé celle-ci, tout en ordonnant à la mère de faire rapport à la DPJ des mesures prises pour mettre fin à la situation de compromission.

[6] Par ailleurs, dans R.V. (Dans la situation de)5, la juge Primeau, bien que déplorant la non-fréquentation scolaire des enfants, a rejeté la demande de déclaration de compromission, car aucune preuve ne démontrait que la non-fréquentation scolaire isolait les enfants ou nuisait ou risquait de nuire à leur développement mental dans l’immédiat ni que l’appartenance des parents à un mouvement religieux leur dictait aveuglément leur choix. La preuve démontrait plutôt que les retards scolaires relevaient de difficultés d’apprentissage et non d’un enseignement déficient.

Compétence de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse

[7] La Cour supérieure siégeant en appel ou en révision judiciaire s’est plusieurs fois penchée sur l’étendue de la compétence de la Chambre de la jeunesse pour rendre certaines ordonnances. Elle a rappelé que, comme elle est un tribunal statutaire, la Chambre ne pouvait agir qu’en fonction des pouvoirs conférés par la Loi sur la protection de la jeunesse.

[8] Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Cour du Québec6, le juge Arsenault a conclu que la Cour n’avait pas compétence pour ordonner à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de faire enquête, ce pouvoir n’étant pas prévu à l’article 91 de la Loi sur la protection de la jeunesse.

(9) Dans J.M. c. A.L.M.7 la Cour d’appel a conclu que le juge Larouche de première instance avait exercé judicieusement la discrétion conférée par l’article 91 LPJ et avait respecté l’esprit de l’article 4 LPJ en ordonnant un placement de 5 ans qui permettrait à l’enfant de s’exprimer ultérieurement sur sa situation. La Cour d’appel a conclu que le juge avait exercé sa compétence et ne s’était pas approprié les pouvoirs du directeur de la protection de la jeunesse.

[10] Par la voix du juge Capriolo, dans D.L. (Dans la situation de) 8, la Cour supérieure a confirmé une fois de plus l’absence de compétence de la Chambre de la jeunesse dans le choix du type d’hébergement — soit, en l’instance, un centre de réadaptation de type foyer de groupe — et a rappelé que ce choix relève de la compétence de la DPJ et que cette attribution était justifiée par le fait que les contraintes de l’instance judiciaire l’empêchaient d’intervenir rapidement auprès de l’enfant lors de crises.

[11] M. le juge Braun, de la Cour du Québec, dans D.B. (Dans la situation de)9, ne s’est pas reconnu le pouvoir de retirer l’exercice de certains attributs de l’autorité parentale pour les confier à la DPJ, au motif que cette compétence appartenait à la Cour supérieure. Il s’agissait d’une adolescente qui allait atteindre ses 18 ans et qui était orpheline et sans tuteur légal. Il a toutefois recommandé que des mesures pour la nomination d’un tuteur soient prises et a donné à la DPJ le pouvoir de signer certains documents.

Légalité des conventions intérimaires

[12] Plusieurs décisions sont venues entériner une jurisprudence constante déclarant illégales les conventions intérimaires signées par les parents et les enfants à la demande de la DPJ, et ce, avant la fin du processus d’évaluation effectué par cette dernière.

[13] En effet, dans O.L. (Dans la situation de)10, le juge Gendron a déclaré une convention irrégulière parce que la DPJ n’avait pas terminé l’examen du signalement, n’avait pas conclu à la compromission ni n’avait décidé de l’orientation de la situation. Il a également rappelé la nécessité d’informer les parties des services disponibles dans le milieu afin de leur permettre de les recevoir sans avoir à procéder par le centre jeunesse.

[14] Dans J.C. (Dans la situation de)11, le juge Bédard a qualifié ces conventions d’illégales et pouvant constituer un exercice abusif. Il a rappelé les balises préconisées dans la Loi sur la protection de la jeunesse exigeant la fin du processus d’évaluation et la reconnaissance de la compromission avant leur signature, ajoutant que, en faisant signer une convention avant la fin de ce processus, la DPJ s’attribuait une discrétion de saisir ou non le tribunal, pouvoir que la loi ne lui confère pas. Selon lui, le fait d’informer les parties de leurs droits ne donne pas à la convention son caractère de légalité. Bien plus, le juge a conclu que la mesure d’hébergement en centre de réadaptation qui était prévue à la convention privait l’adolescent de sa liberté et que son droit et celui de ses parents à l’information et à la consultation d’un avocat avaient été lésés.

[15] M. le juge Bonin, dans A.H. (Dans la situation de)12, a également déclaré ces conventions illégales et a rappelé que l’intervention de l’État dans la vie privée des gens n’était autorisée que dans certaines limites. Il a ajouté que la convention ne constituait pas une mesure volontaire telle qu’autorisée par la loi et que la DPJ, pour des raisons de commodité ou d’encombrement des rôles, ne pouvait la faire signer avant d’avoir terminé son évaluation et pris sa décision.

Divers

[16] Plusieurs autres questions qui ont été soulevées au cours de cette année méritent d’être soulignées, notamment celles portant sur:

  • la définition d’«abus sexuel» 13;
  • la nature des gestes constituant de «mauvais traitements physiques par suite d’excès»14;
  • les critères permettant d’ordonner un placement jusqu’à la majorité15;
  • l’aliénation parentale et les conflits entre les parents comme motif de compromission16;
  • la lésion de droits17;
  • la question particulière de la communauté autochtone18;
  • la norme d’intervention en appel29; et
  • l’application des règles du Code de procédure civile20 devant la Chambre de la jeunesse21.
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