[1] La complexité de certaines faillites nécessite parfois une enquête approfondie sur les affaires du failli. Il suffit de penser à la faillite des compagnies du Groupe Norbourg pour comprendre la difficulté que représente pour le syndic la tâche de reconstituer le patrimoine de la faillite. À cette fin, l’article 163 (1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité1 permet à ce dernier d’interroger toute personne réputée connaître les affaires du failli ainsi que tout mandataire, commis, préposé, dirigeant, administrateur ou employé du failli. L’article 271 (5) de la loi prévoit aussi cette possibilité lorsqu’un représentant étranger en fait la demande au tribunal.

[2] Il existe relativement peu de jugements sur l’interrogatoire du syndic. Cependant, ceux rendus au cours des dernières années ont permis de préciser davantage ce processus. Ainsi, la personne interrogée en vertu de l’article 163 de la loi ne jouit pas du droit au silence comme c’est le cas dans les poursuites au criminel2 . L’interrogatoire mené aux termes de cet article a une large portée afin de permettre au syndic d’obtenir un maximum de renseignements et de décider s’il doit intenter une action au bénéfice de la masse des créanciers. Toutefois, la portée d’un tel interrogatoire n’est pas absolue. En effet, l’article 163 (1) n’a pas pour but de permettre à un créancier ou à toute autre personne intéressée d’utiliser l’interrogatoire en vue de faire progresser son litige. L’interrogatoire ne peut servir de recherche d’informations à l’aveuglette3 pour obtenir de l’information dont le syndic pourrait éventuellement avoir besoin dans un recours contre le témoin. Le syndic n’est pas non plus autorisé à effectuer un interrogatoire avant défense s’il ne détient aucun motif suffisant pour le faire4 .

[3] Par ailleurs, la personne convoquée à un interrogatoire du syndic doit s’y soumettre, même si l’information ainsi obtenue peut être utilisée dans un recours ultérieur contre elle. Étant donné que l’interrogatoire est nécessaire pour faire la lumière sur les conditions de la faillite ou de la proposition concordataire5 , l’assignation d’un témoin ne pourra être annulée que si elle s’adresse à une personne qui n’était pas visée par l’article 163 (1) ou si la procédure était abusive6 . Par ailleurs, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ne prévoit aucun délai pour la tenue de l’interrogatoire7 .

[4] Le témoin ne peut exiger la confidentialité de son témoignage lorsque celui-ci a été transcrit puisque, dans ce cas, il doit être déposé au dossier en vertu de l’article 163 (3) de la loi. L’avocat du failli doit lui aussi répondre aux questions du syndic dans la mesure où elles ne sont pas couvertes par le secret professionnel8 .

[5] Des jugements récents font ressortir le caractère public du témoignage rendu lors d’un tel interrogatoire.

[6] Dans Globe-X Management Ltd. (Proposition de)9 , le témoin Daviault avait été interrogé en vertu de l’article 271 (5) et son témoignage avait été déposé au dossier de la Cour supérieure. La demande visant à faire retirer ce témoignage du dossier a été rejetée. Le juge Nuss, pour la Cour d’appel, a conclu que, même si les dispositions de l’article 163 (3) ne s’appliquaient pas à un témoignage rendu sous l’empire de l’article 271 (5), il était quand même possible de déposer le témoignage. Il a rappelé que le système judiciaire visait la transparence et, faute de raison valable pour conférer la confidentialité au témoignage de Daviault, il a rejeté la demande de celui-ci. Selon le juge, l’administration de la justice et le fonctionnement des tribunaux sont d’intérêt public et, en l’absence d’une prohibition expresse, les procédures devant les tribunaux ou ce qui en résulte doivent être accessibles au public. Il a conclu que le dépôt de la transcription du témoignage de Daviault n’avait pas été fait sans droit ni de façon malicieuse ou illégale. Ce jugement fait l’objet d’une requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême.

[7] Dans un jugement rendu le 4 avril 2006 dans l’affaire Norbourg Gestion d’actifs inc. (Syndic de)10 , la Cour supérieure, sous la présidence du juge Mongeon, a accueilli la requête visant le huis clos de l’interrogatoire de Deshambeault, un comptable agréé qui avait agi à titre de vérificateur externe de Norbourg Gestion d’actifs inc. Cependant, il a rejeté la demande qui visait à limiter la transmission de l’information obtenue par le syndic lors de l’interrogatoire. Il a conclu que l’interrogatoire déposé au dossier en vertu de l’article 163 (3) faisait partie intégrante du dossier public et que ni le syndic ni le tribunal ne disposaient d’une discrétion à ce sujet. Estimant que rien ne permettait au requérant d’obtenir la confidentialité de son témoignage, il a ajouté que celui-ci pourrait demander l’intervention du tribunal pendant l’interrogatoire, au moyen d’objections précises à des questions particulières, ou après l’interrogatoire, si ce dernier révélait des faits qui n’avaient rien à voir avec la faillite et qui risquaient d’être utilisés par des tiers. Il a souligné le fait que l’interrogatoire mené en vertu de l’article 163 ne constituait pas un interrogatoire préalable et que, par conséquent, la règle de la confidentialité implicite ne s’appliquait pas. Selon le juge, le seul fait d’être poursuivi dans d’autres instances ne constituait pas un motif suffisamment sérieux pour justifier l’ordonnance de confidentialité demandée.

[8] Le juge Chamberland a rejeté la requête pour permission d’interjeter appel de ce jugement. Il a rappelé que le caractère public de l’interrogatoire tenu en vertu de l’article 163 ne laissait aucun doute et a confirmé que le juge de première instance avait eu raison d’affirmer qu’aucune loi ne permettait à une personne faisant l’objet d’une poursuite civile de se soustraire au caractère public d’un interrogatoire dont la transcription avait été déposée à la Cour.

[9] En somme, même si l’interrogatoire mené en vertu de l’article 163 comporte des inconvénients pour le témoin qui n’a pas droit au silence, qui doit s’y soumettre même si sa déposition pourrait être utilisée contre lui dans un recours ultérieur et qui ne peut exiger la confidentialité de son témoignage, la transparence du système judiciaire doit prévaloir et le droit d’accès au témoignage qui a été transcrit doit être respecté.

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