[1] L’existence de limitations fonctionnelles n’empêche pas de déclarer qu’un travailleur est capable d’exercer son emploi si, par ailleurs, des mesures de réadaptation ou d’assistance médicale lui permettent de surmonter son handicap. Tel en a décidé la Cour d’appel dans Provigo inc. c. Lachapelle1 . Selon la Cour2 :

«Il est essentiel que lorsque la CLP se penche sur une question de capacité d’un travailleur à exercer son emploi elle ne perde pas de vue que l’un des objectifs de la Loi est le retour et la réinsertion du travailleur dans le milieu du travail, de préférence dans son emploi prélésionnel si cela est possible. Si les limitations fonctionnelles octroyées par le médecin traitant lient la CSST et doivent être prises en considération dans l’évaluation de la capacité d’un individu, elles ne doivent pas devenir un obstacle au retour au travail d’un individu lorsque, par ailleurs, des mesures de réadaptation ou d’assistance médicale permettent à cet individu de reprendre sa vie professionnelle sans risque pour sa santé et sa sécurité.»

Historique du dossier

[2] Le travailleur, qui a subi un accident du travail, soit un écrasement du pied, et deux récidives, rechutes ou aggravations, a demandé à réintégrer son emploi prélésionnel malgré le fait qu’il conserve des limitations fonctionnelles. L’employeur prétend qu’il est incapable d’exercer les tâches de son emploi et qu’il a besoin de réadaptation. Le travailleur fait valoir que le port d’orthèses lui permet d’effectuer correctement ses tâches, ainsi que l’ont constaté l’ergothérapeute et le médecin-conseil mandatés par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Le 23 janvier 2001, la CSST a décidé que le travailleur était capable d’occuper son emploi. Le 12 avril suivant, l’instance de révision de la CSST a confirmé cette décision, mais elle a modifié la date du début de la capacité à réintégrer l’emploi en question. Le 8 mars 2002, la Commission des lésions professionnelles (CLP) a accueilli la requête de l’employeur et a conclu que le travailleur était incapable d’exercer son emploi3 . Le 13 mai 2004, la CLP en révision a confirmé cette décision4 . Elle a ajouté que, en agissant comme elle l’avait fait, la CSST avait escamoté le droit à la réadaptation. La Cour supérieure a accueilli la requête en révision judiciaire des deux décisions rendues par la CLP, considérant que celle-ci avait commis une erreur en ne vérifiant pas si la mesure d’accommodement proposée permettait de satisfaire aux exigences de l’emploi et de pallier le déficit physique du travailleur5 .

Les prétentions des parties

[3] Comme le souligne le juge en chef6 :

«Nous sommes en l’espèce dans la situation peu usuelle où le travailleur, ici l’intimé, souhaite, après un accident du travail et deux rechutes, aggravations ou récidives, retrouver son emploi prélésionnel malgré le fait qu’il reste atteint de limitations fonctionnelles. Alors que son employeur plaide qu’il est incapable d’exercer son travail et qu’il a besoin de réadaptation, le travailleur fait valoir que le port d’orthèses lui permet d’exercer correctement son emploi et que l’employeur a l’obligation de l’accommoder en vertu des dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne. […]»

La décision de la Cour d’appel

[4] La requête en révision judiciaire est accueillie, et le dossier est retourné à la CLP afin qu’elle réexamine le dossier à la lumière des motifs qui suivent.

Mauvaise question

[5] La Cour constate d’abord que la commissaire s’est posé la mauvaise question pour en arriver à déclarer que «ce sont les limitations fonctionnelles octroyées par le médecin traitant et non contestées qui permettent de déterminer si le travailleur peut exercer son emploi. En effet, elle aurait plutôt dû déterminer si le travailleur était capable de reprendre son emploi prélésionnel compte tenu de ses limitations fonctionnelles et du fait qu’il porte des orthèses ayant pour but de pallier ces limitations. L’existence de limitations fonctionnelles n’empêche pas de déclarer un travailleur capable d’exercer son emploi si, par ailleurs, des mesures de réadaptation ou d’assistance médicale lui permettent de surmonter son handicap. Ne pas tenir compte de ces mesures revient à ne pas respecter les articles 148 et 169 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles8 . Dans Mestiri et Étiquette nationale9 , la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles avait conclu que, malgré ses limitations fonctionnelles, le travailleur pouvait exécuter ses tâches en portant un gant. En l’espèce, le rapport de l’ergothérapeute prenait en considération les orthèses que le travailleur portait dans ses souliers et, à la suite de différents exercices effectués à l’aide de celles-ci, la Commission a conclu qu’il était apte à reprendre son emploi prélésionnel. Or, c’est sur cette conclusion que la première commissaire aurait dû se pencher.

[6] Quant à la question de l’obligation d’accommodement de l’employeur, la Cour d’appel est d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’en traiter et n’exprime pas d’opinion sur les motifs de la Cour supérieure à cet égard . Or, celle-ci avait déclaré que les décisions de la CLP reposaient sur une approche technique faisant abstraction de la règle d’équité énoncée à l’article 351 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et que, en ne vérifiant pas si la mesure d’accommodement proposée permettait de satisfaire aux exigences de l’emploi et de pallier le déficit physique du requérant, la CLP avait commis une erreur de droit révisable puisqu’elle a porté atteinte à un droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne10 . La Cour a aussi souligné que, la loi faisant de la CLP un tribunal d’équité, sa décision se doit d’être juste et de tenir compte des droits de l’individu. Elle a conclu que la CLP devra réétudier le dossier en prenant en considération ces remarques de même que l’argument du requérant dans le contexte précis des critères établis par la Cour suprême dans Meiorin (Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U.)11 .

Conclusion

[7] Dans cette affaire, qui a commencé en 2001 et se terminera peut-être en 2006 ou 2007, le médecin et l’ergothérapeute mandatés par la CSST, selon l’évaluation des capacités fonctionnelles du travailleur en fonction des différentes tâches à exécuter à son poste de travail, avaient conclu dès le départ qu’il était capable de reprendre son travail prélésionnel.

Est-ce que le fait de considérer que le travailleur est apte à exercer son emploi à l’aide d’une orthèse le privera à l’avenir des mesures de réadaptation prévues par la loi ? La CLP en révision s’est posé la question, comme en a fait état la Cour d’appel12 :

«La commissaire Godin déclare aussi que la CLP n’a commis aucune erreur en décidant que l’intimé était incapable d’exercer son travail prélésionnel au vu de ses limitations fonctionnelles. Elle précise que même si l’on peut considérer le port d’orthèses comme une mesure de réadaptation en vertu des articles 148 et 149 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le seul litige dont était saisi la CLP se limitait à se prononcer sur la capacité de l’intimé à effectuer son emploi en fonction des limitations fonctionnelles qui avaient été fixées par le médecin, et cela, "sans égard à la possibilité qu’une mesure de réadaptation puisse atténuer ou éliminer cette incapacité car il s’agit d’étapes ultérieures à celle que devait décider le décideur initial". Elle ajoute qu’en agissant comme elle l’a fait, la CSST a escamoté le droit à la réadaptation prévu par la LATMP et n’a pas considéré les effets de la réadaptation sur la capacité de l’intimé à exercer son emploi prélésionnel. […]»

[8] Comme on peut le constater, l’intégration des différentes «protections» offertes aux travailleurs «handicapés» par une lésion professionnelle gagnerait à être discutée par les trois parties importantes que touche cette question : les employeurs, les syndicats et la CSST.

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