[1] Le 13 avril dernier, dans Syndicat des professeurs du Cégep de Ste-Foy et Collège de Ste-Foy (Alain Prévost)2, la Cour d’appel du Québec3 a accueilli la requête pour permission d’appeler d’un jugement dans lequel la Cour supérieure4 avait conclu que l’arbitre de griefs ne pouvait pas décider si la cessation d’emploi d’un salarié syndiqué viole l’article 124 L.N.T. lorsque la convention collective lui interdit – en raison de son statut – de recourir à la procédure de grief et d’arbitrage en cas de congédiement ou de non-renouvellement de contrat. Depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 3245, la question de la compétence de l’arbitre de griefs en pareilles circonstances a fait l’objet de plusieurs sentences arbitrales, certaines ayant donné lieu à des jugements de la Cour supérieure en révision judiciaire – avec des résultats différents. Deux courants jurisprudentiels s’opposent et, comme le mentionne l’arbitre Claudette Ross dans Syndicat de l’enseignement des Vieilles-Forges et Commission scolaire du Chemin-du-Roy (Caroline Gauthier)6, l’arrêt Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc.7 ne semble pas avoir mis fin à cette controverse. La permission d’appel ayant été accordée dans cinq dossiers où la Cour supérieure s’est penchée sur la question de la compétence de l’arbitre par opposition à celle de la Commission des relations du travail (CRT), nous proposons dans cet article un tour d’horizon de la jurisprudence récente sur le sujet.

[2] Voici tout d’abord un rappel des dispositions législatives pertinentes :

Article 93 L.N.T.

Sous réserve d’une dérogation permise par la présente loi, les normes du travail contenues dans la présente loi et les règlements sont d’ordre public.

Une disposition d’une convention ou d’un décret qui déroge à une norme du travail est nulle de nullité absolue.

Article 94 L.N.T.

Malgré l’article 93, une convention ou un décret peut avoir pour effet d’accorder à un salarié une condition de travail plus avantageuse qu’une norme prévue par la présente loi ou les règlements.

Article 124 L.N.T.

Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l’adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.

Article 100.12 du Code du travail8

Dans l’exercice de ses fonctions l’arbitre peut:

a) interpréter et appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d’un grief;

Le courant majoritaire

Syndicat du personnel enseignant du Centre d’études collégiales en Charlevoix et Collège d’enseignement général et professionnel de Jonquière9

[3] Le 28 novembre 2004, l’arbitre Pierre St-Laurent a rejeté une demande syndicale visant la reconnaissance de l’incorporation implicite de l’article 124 L.N.T. dans la convention collective. Le grief dont il était saisi contestait la décision de l’employeur de ne pas attribuer de priorité d’emploi à une enseignante occasionnelle. L’arbitre a conclu que la clause limitant l’accès à la procédure de grief et d’arbitrage n’était pas illégale et que l’arbitre pouvait entendre la preuve à la seule fin de déterminer si les motifs précis invoqués par l’employeur au soutien de sa décision étaient réels. À son avis, l’arbitre n’avait pas compétence pour vérifier l’adéquation entre ces motifs et la décision de ne pas accorder la priorité d’emploi à la plaignante. Il a conclu que cette dernière pouvait contester le bien-fondé de la décision de l’employeur en invoquant une contravention à l’article 124 L.N.T. , un recours cependant confié en exclusivité à la CRT. Cette décision a fait l’objet d’une requête en révision judiciaire10, et la Cour supérieure a confirmé que le recours en vertu de l’article 124 L.N.T. était du ressort exclusif de la CRT. Appliquant l’arrêt Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners11 plutôt que Isidore Garon ltée, la juge a retenu que la convention collective ne contrevenait pas à la Loi sur les normes du travail et que, par conséquent, l’arbitre était fondé à décliner compétence. Le 16 avril 2007, la permission d’appel a été accordée dans ce dossier12.

Commission scolaire des Sommets et Syndicat du personnel de soutien de la Commission scolaire des Sommets (CSN) (Josée Blais)13

[4] Le 17 juin 2005, l’arbitre Claude Rondeau a rejeté une objection préliminaire de l’employeur et a conclu qu’il avait compétence pour déterminer si ce dernier avait une cause juste et suffisante pour radier le nom d’une secrétaire temporaire de la liste de priorité d’emploi. Il a notamment décidé que la clause de la convention collective en vertu de laquelle la plaignante était exclue de la procédure de grief et d’arbitrage en matière de congédiement était nulle de nullité absolue et que l’article 124 L.N.T. était incorporé à la convention. Appliquant les articles 93 et 94 L.N.T., il a retenu que les parties ne pouvaient priver un salarié visé par la convention collective de son recours à l’encontre d’un congédiement. Le grief était donc valablement soumis à l’arbitrage. Cette décision a été infirmée en révision judiciaire14. Selon la Cour supérieure, l’arbitre a erré en s’arrogeant compétence pour décider du congédiement en incorporant l’article 124 L.N.T. à la convention collective. À son avis, la plaignante pouvait se prévaloir du recours prévu à cet article, lequel relève toutefois de la compétence exclusive de la CRT. Selon le juge, l’arbitre Rondeau ne pouvait conclure à la nullité de la clause au motif qu’elle contrevenait à l’article 93 L.N.T. puisque l’article 124 L.N.T. ne crée pas une norme minimale de travail et qu’il ne peut être implicitement incorporé aux conventions collectives. La permission d’appeler a été accordée dans ce dossier .

Collège de Ste-Foy

[5] Le 21 septembre 2005, l’arbitre Francine Beaulieu a accueilli l’objection préliminaire de l’employeur et a conclu que le grief contestant le retrait de priorité d’emploi d’un enseignant non permanent était irrecevable compte tenu du libellé de la convention collective. Elle a retenu que cette convention ne contenait pas une procédure de réparation qui permettait à Prévost de faire examiner son retrait de priorité d’emploi en fonction d’une norme du travail similaire à celle de la cause juste et suffisante prévue à l’article 124 L.N.T. Par conséquent, c’est en application de cette disposition que le retrait de sa priorité d’emploi devait être examiné. L’arbitre a cependant précisé que seule la CRT avait compétence pour décider du recours en vertu de l’article 124 L.N.T. Conclure qu’un arbitre de griefs a compétence pour décider d’une telle plainte irait, selon elle, à l’encontre du choix du législateur de confier l’exclusivité de cette compétence à la CRT. Elle a estimé que l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux n’avait pas modifié cette compétence exclusive de la CRT en matière de congédiement sans cause juste et suffisante. La requête en révision judiciaire de cette sentence arbitrale a été rejetée le 14 mars 2007. La Cour supérieure s’est dite en accord avec l’arbitre Beaulieu sur le fait qu’elle n’avait pas compétence pour décider du congédiement, si congédiement il y avait. À son avis, la convention collective attribuait à l’arbitre la compétence de décider si la non-attribution ou le retrait de priorité d’emploi s’appuyait sur un «motif raisonnable». Ce faisant, elle n’avait pas créé un mécanisme de réparation lui donnant une compétence équivalente à celle que possède la CRT pour décider du recours déposé selon la norme d’ordre public qu’est l’article 124 L.N.T. La permission d’appeler de ce jugement a été accordée le 13 avril 2007.

Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières et Université du Québec à Trois-Rivières16.

[6] Le 9 décembre 2005, l’arbitre Denis Tremblay a conclu que la plaignante, une enseignante, ne pouvait contester le non-renouvellement de son contrat en invoquant l’article 124 L.N.T. Estimant que les droits substantifs prévus dans la Loi sur les normes du travail étaient contenus implicitement dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence, il a tout de même jugé que ceux-ci n’avaient qu’un rôle supplétif. Ainsi, l’arbitre Tremblay ne voyait pas comment il pouvait importer le recours prévu à l’article 124 dans le cas de la plaignante alors qu’il existait déjà un recours semblable dans la convention collective. Il faut mentionner que l’une des clauses de la convention assortit le non-renouvellement du contrat de travail d’un enseignant d’un certain nombre de conditions, ce qui, selon l’arbitre, empêche que celui-ci soit fait de façon arbitraire et sans raison valable. Cette sentence arbitrale a été confirmée le 8 février 200717. Selon la Cour supérieure, un recours fondé sur l’article 124 L.N.T. relève de la compétence exclusive de la CRT, compte tenu des articles 114 C.tr. et 126 L.N.T. Selon le juge, il faut éviter de confondre la norme du travail elle-même – soit l’obligation pour un employeur de ne congédier que pour cause lorsque le salarié compte deux ans de service – et les règles de compétence et de procédure permettant sa mise en oeuvre. Le juge a conclu que le raisonnement de l’arbitre Tremblay était limpide et que sa conclusion était correcte. Il a estimé que la décision de ce dernier d’entendre le grief dans l’exercice de la compétence que la convention lui conférait expressément dans un tel cas était également correcte. Le juge a ajouté que, si la plaignante était d’avis que le recours prévu à la convention collective ne constituait pas une procédure de réparation adéquate au sens de l’article 124 L.N.T., elle devait soumettre une plainte à la CRT. Une requête pour permission d’appeler de ce jugement a été a été accueillie18.

Autres décisions

[7] Deux autres arbitres se sont récemment prononcés sur la question dans les affaires Syndicat de l’enseignement de la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord et Commission scolaire de la Rivière-du-Nord (François Séguin)19 et Commission scolaire du Chemin-du-Roy, lesquelles n’ont pas fait l’objet de requêtes en révision judiciaire. Dans la première sentence, l’arbitre Marc Poulin était saisi d’un grief contestant le non-renouvellement du contrat d’un enseignant à temps partiel. Il a rejeté l’argument du syndicat selon lequel l’article 124 L.N.T. était incorporé à la convention collective, de sorte que le Tribunal avait compétence pour se prononcer sur le non-rengagement de cet enseignant. Selon l’arbitre, si la convention collective ne prévoit pas le droit à la procédure de grief et d’arbitrage, le recours en vertu de l’article 124 L.N.T. peut s’exercer uniquement devant la CRT. Dans la seconde décision, l’arbitre Ross devait déterminer si une enseignante pouvait contester la décision de l’employeur de retirer son nom de la liste de suppléance. Cette dernière invoquait une violation de l’article 124 L.N.T. Appliquant les critères énoncés dans Isidore Garon ltée, l’arbitre a refusé d’adhérer à la conclusion de la Cour supérieure dans Procureur général du Québec c. Flynn20 – à savoir que l’objectif apparent du Code du travail est que tout litige relatif aux conditions de travail visé par une convention collective doit être tranché par une seule instance, en l’occurrence l’arbitre de griefs. Selon l’arbitre Ross, les tribunaux ne doivent pas imposer leur vision là où le législateur a choisi de ne pas le faire. À son avis, l’effet conjugué des articles 126 L.N.T. et 114 C.tr. confère une compétence exclusive à la CRT pour décider du recours en vertu de l’article 124 L.N.T. lorsque la convention collective ne contient pas de recours équivalent. Ainsi, il ne serait pas compatible avec le régime collectif des relations du travail d’attribuer, par voie d’incorporation implicite à la convention collective, compétence à l’arbitre sur un recours alors que le législateur a expressément choisi d’accorder compétence en la matière à un autre tribunal.

Le courant minoritaire

Ville de Terrebonne et Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Ville de Terrebonne (CSN) (André Rodrigue)21

[8] Le grief contestait le congédiement d’un surveillant de patinoire comptant quatre ans de service. L’employeur a invoqué l’absence de compétence du Tribunal d’arbitrage. Il a soutenu que Rodrigue n’avait pas droit à la procédure de grief puisqu’il n’avait pas cumulé 480 heures de travail et qu’il avait toujours le statut de salarié en probation. La convention collective prévoyait en effet que les salariés en probation n’avaient pas droit à la procédure de grief à l’occasion d’un congédiement. Le syndicat a invoqué la notion de «service continu» prévue à la Loi sur les normes du travail, soutenant que Rodrigue cumulait plus de trois années de service continu et qu’il avait donc droit au recours prévu à l’article 124 L.N.T. L’arbitre Noël Mallette a accueilli l’objection préliminaire de l’employeur, concluant que le pouvoir d’interpréter et d’appliquer une loi à l’occasion d’un arbitrage de grief ne l’autorisait pas pour autant à partager la compétence d’un autre tribunal spécialisé, en l’occurrence la CRT. Le 15 novembre 2006, la Cour supérieure22 a infirmé cette décision et a retourné le dossier à l’arbitre afin qu’il se prononce sur le bien-fondé du grief du plaignant et rende, le cas échéant, les ordonnances appropriées. Selon le juge, l’article 124 L.N.T. n’est pas qu’un recours: il contient une condition de travail d’ordre public qui s’incorpore à chaque convention collective. À son avis, en imposant à l’employeur l’obligation de ne congédier que pour cause, après une période déterminée, le législateur québécois a édicté une règle de droit qui restreint la liberté contractuelle traditionnelle, cette règle étant supplétive et impérative. Le juge a conclu que la clause négociée par les parties était inopposable au plaignant (art. 94 L.N.T.) et que, par conséquent, l’arbitre Mallette était habile et compétent pour se saisir de son grief dans la mesure où le plaignant satisfaisait aux conditions énoncées à l’article 124 L.N.T. La permission d’appeler de ce jugement a été accordée le 21 décembre 200623.

Les affaires «Gouvernement du Québec»

[9] Le 7 février 2006, l’arbitre Maureen Flynn24 a accueilli un grief alléguant que le congédiement d’un aide sylvicole occasionnel avait été fait en violation de l’article 124 L.N.T. L’employeur s’était opposé à l’arbitrabilité du grief au motif que le plaignant n’avait pas droit à la procédure d’arbitrage étant donné qu’il n’avait pas terminé sa période de probation de 260 jours, contrairement à ce que stipule la convention collective. Appliquant l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux, l’arbitre a conclu que l’article 124 L.N.T. était incorporé à toutes les conventions collectives. Elle a en outre estimé que la norme relative à la durée de service négociée par les parties était inférieure à celle que prévoit l’article 124 L.N.T. et a décidé que la clause était inopposable au plaignant. À son avis, la durée du service continu accumulé par ce dernier depuis son embauche donnait ouverture au recours. Saisi d’un cas similaire, l’arbitre Pierre Laplante25, le 4 avril 2006, a accueilli l’objection préliminaire à l’arbitrabilité d’un grief contestant le congédiement d’un fonctionnaire deux semaines avant la fin de son stage probatoire au ministère du Revenu. Le syndicat alléguait que l’arbitre avait compétence, malgré le libellé de la convention, pour se saisir du grief et appliquer l’article 124 L.N.T. L’arbitre Laplante a rejeté cette prétention, estimant que cette disposition d’ordre public ne devait pas être implicitement incorporée dans une convention collective lorsqu’elle est incompatible avec l’intention des parties de ne pas accorder le droit à un employé temporaire de contester une mesure disciplinaire devant un arbitre de griefs. À son avis, l’article 124 L.N.T. ne pouvait donc être implicitement incorporé à la convention puisqu’il est incompatible avec l’intention des parties. Il a conclu que le plaignant devait contester son congédiement devant la CRT.

[10] Ces deux décisions ont fait l’objet de requêtes en révision judiciaire, lesquelles ont été tranchées ensemble le 30 août 2006. La Cour supérieure a conclu que, dans le contexte d’un régime de négociation collective, la justesse d’un congédiement est une question qui relève davantage de la compétence de l’arbitre que de celle de la CRT. À son avis, dans l’intérêt de favoriser l’efficacité, l’économie et la fiabilité des rapports collectifs de travail, toute question relative aux conditions de travail visées par une convention collective – y compris les mesures disciplinaires – devait être tranchée par une seule instance. Le juge a retenu que le législateur avait expressément retiré à la CRT sa compétence pour décider d’une plainte fondée sur l’article 124 L.N.T. lorsque le plaignant est couvert par une convention prévoyant une procédure de réparation autre que le recours en dommages-intérêts et que, dans un tel cas, c’était l’instance mentionnée dans cette procédure qui jouissait de la compétence d’attribution. Or, comme la convention collective des fonctionnaires détermine une procédure de réparation équivalant à celle décrite aux articles 124 à 130 L.N.T. devant l’arbitre de griefs, à qui toute plainte visant une mesure disciplinaire doit être déférée, le juge a retenu le raisonnement de l’arbitre Flynn plutôt que celui de l’arbitre Laplante. La requête pour permission d’appeler de ce jugement a été accordée le 24 octobre 200626.

Conclusion

[11] Il faut bien sûr apporter les nuances nécessaires à la question puisque les conventions collectives examinées dans ces décisions ne sont pas identiques. Certaines contiennent des clauses qui permettent à un arbitre de vérifier si les conditions de non-renouvellement de contrat, par exemple, ont été respectées par l’employeur, tandis que d’autres conventions interdisent expressément à un salarié non permanent de contester sa cessation d’emploi au moyen de la procédure de grief et d’arbitrage. D’autre part, les tribunaux supérieurs ont décidé que les articles 6 et 7 du Code civil du Québec27, relatifs à l’exigence de la bonne foi et à la théorie de l’abus de droit, étaient compatibles avec le contrat de travail collectif et qu’ils en faisaient implicitement partie28. Il sera certes intéressant de voir comment la Cour d’appel tranchera la question de l’intégration de l’article 124 L.N.T. aux conventions collectives et celle de la compétence de l’arbitre pour se prononcer sur un grief dont le fondement repose uniquement sur les dispositions de l’article 124 L.N.T

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