[1] Lorsqu’un adolescent est déclaré coupable d’une infraction désignée en application de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents1, le tribunal doit, dans le cas d’une infraction primaire, conformément à l’article 487.051 (1) a) du Code criminel2(C.Cr.), rendre une ordonnance de prélèvement de substances corporelles à des fins d’analyse génétique, à moins qu’il ne soit convaincu, aux termes du paragraphe 2, que cette ordonnance aurait sur la vie privée de l’adolescent et sur la sécurité de sa personne un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public. Le paragraphe 2 prévoit une réserve ou exemption à l’application de l’ordonnance de prélèvement, et le fardeau de la preuve revient à l’adolescent.

Arrêt de la Cour suprême dans R. c. R.C.3

[2] En 2005, dans R. c. R.C., la Cour suprême du Canada a eu à se pencher sur l’application de cet article du Code criminel à l’égard d’un adolescent. En considérant notamment les articles 3 et 140 de la loi et l’importance que cette dernière accorde à la protection de la vie privée des adolescents, et tenant compte de la vulnérabilité particulière de ceux-ci et de l’objectif primordial de réadaptation qui prévaut dans leur cas, la Cour a conclu que l’interprétation et l’application des articles 487.051 et ss. C.Cr., et en particulier de l’article 487.051 (2), ne peuvent se faire sans prendre en considération les principes dont le législateur a voulu assurer le respect dans le cadre du système de justice pénale pour les adolescents et qu’elles doivent être adaptées à ces principes. Elle a également décidé qu’en l’absence d’un intérêt public impérieux le prélèvement et la conservation d’un échantillon d’ADN constituent une atteinte substantielle au droit à la vie privée qui est particulièrement grave dans le cas de l’adolescent, la protection de son identité et des renseignements personnels qui le concernent étant l’un des principes fondamentaux de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. La Cour a aussi précisé que le juge qui se penche sur l’application de l’exemption prévue au paragraphe 2 de l’article 487.051 C.Cr. à un adolescent doit faire les adaptations requises par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans l’analyse des questions de l’intérêt public et de la vie privée. Son analyse doit être personnalisée et contextualisée en ce qu’il doit tenir compte des facteurs suivants, dont certains se retrouvent au paragraphe 3 de l’article 487.051 C.Cr. : l’âge de l’intéressé, son caractère et son profil, son casier judiciaire, la nature de l’infraction, les circonstances de sa perpétration, l’effet de l’ordonnance sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne. Ces facteurs ne sont pas exhaustifs et tous les faits propres à la situation de chacun doivent être analysés. La Cour a également précisé que la preuve de l’exemption incombe à l’adolescent.

Arrêt de la Cour d’appel dans R. c. X4

Mise en contexte

[3] La Cour d’appel, qui avait été saisie de certains dossiers en la matière, avait refusé de statuer avant que la Cour suprême, saisie d’une affaire similaire (arrêt R. c. R.C.), n’ait elle-même statué sur ces questions. C’est ainsi que dans R. c. X, le 16 janvier 2007, la Cour d’appel a rendu jugement sur le sujet. Il s’agit du cas d’une jeune contrevenante de 16 ans qui a reconnu sa culpabilité relativement à des crimes de voies de fait armées et de vol à l’endroit de sa mère. L’adolescente avait planté un couteau de 18 pouces dans le pupitre auquel cette dernière était assise après avoir tenté de l’agresser au moyen d’un bracelet garni de pointes métalliques. Lors de l’argumentation sur la peine, se prévalant des dispositions de l’article 487.051 (1) a) C.Cr., le ministère public a réclamé le prononcé d’une ordonnance de prélèvement de substances corporelles à des fins d’analyse génétique étant donné que la situation de l’adolescente remplissait les critères prévus. En effet, elle avait été déclarée coupable d’une agression armée, soit une «infraction primaire» au sens de l’article 487.04 C.Cr., elle présentait un risque de récidive et elle manifestait des problèmes de comportement. De son côté, l’adolescente a réclamé le bénéfice de la réserve prévue au paragraphe 2 de l’article 487.051 C.Cr., selon laquelle le tribunal n’est pas tenu de rendre l’ordonnance s’il est convaincu que l’intéressé a démontré que celle-ci lui causerait un préjudice démesuré. Le juge de première instance a refusé d’ordonner le prélèvement, estimant que l’ordonnance aurait un effet démesuré sur la vie privée de l’adolescente. En appel, le ministère public a prétendu que la situation de celle-ci et la preuve ne répondaient pas aux conditions d’application de la réserve, que le juge n’avait pas le choix de rendre l’ordonnance étant donné que l’une des infractions était une infraction primaire et qu’il ne pouvait pas tenir compte du fait que le prononcé de l’ordonnance risquait d’envenimer les relations déjà mauvaises entre l’intimée et sa mère. De plus, le ministère public soutenait que le juge n’avait pas accordé suffisamment d’importance à la nature de l’infraction et aux circonstances de sa commission et qu’il n’avait pas abordé la question de savoir si l’ordonnance aurait sur la vie privée et sur la sécurité de l’adolescente un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public. L’adolescente a fait valoir que la vie privée n’est pas un concept limité à l’atteinte physique mais qu’elle peut faire l’objet d’atteintes morales ou affectives, qui sont d’une importance particulière dans le cas d’un adolescent. En outre, elle a allégué que la conservation dans la banque de données établie en vertu de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques5 de renseignements provenant de l’analyse de substances corporelles prélevées chez un adolescent n’est pas compatible avec l’objectif de confidentialité propre à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Décision de la Cour d’appel

[4] Parlant pour la Cour, la juge Bich a accueilli l’appel du jugement de la Cour du Québec6 et a ordonné que l’adolescente fournisse un échantillon de substances corporelles à des fins d’analyse génétique. Constatant que l’adolescente avait été déclarée coupable d’une infraction primaire, à savoir une agression armée, la juge a noté que, dans un tel cas, l’article 487.051 (1) a) C.Cr. l’oblige à rendre une ordonnance de prélèvement de substances corporelles à des fins d’analyse génétique, à moins qu’elle ne soit convaincue, aux termes du paragraphe 2 de l’article précité, que le contrevenant a établi que cette ordonnance aurait sur sa vie privée et la sécurité de sa personne un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public. En l’espèce, le juge de première instance s’est prévalu de cette exemption. Or, bien que sa décision ait entendu mettre en oeuvre le principe de réhabilitation énoncé à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, il a indûment insisté sur un facteur – celui de la relation mère-fille  –  au détriment de la gravité des infractions et du risque élevé de récidive. Il a également surestimé l’effet négatif d’une ordonnance de prélèvement sur la vie privée de l’intimée et n’a pas tenu compte de la question de l’intérêt public au sens où l’article 487.051 (2) C.Cr. l’entend. De son côté, l’adolescente n’a pas établi que ses droits à la vie privée et à la sécurité de sa personne l’emportent sur l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice tout en tenant compte des principes sous-jacents au système de justice pénale pour les adolescents. La banque de données créée par la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques a été conçue à des fins d’identification. Une ordonnance de prélèvement enfreindrait de manière non négligeable la vie privée de l’adolescente; toutefois, cette atteinte n’est pas nettement démesurée par rapport à l’intérêt public. Les articles 9.1 et 10.1 de cette loi prévoient le moment où les substances corporelles seront détruites, ce qui a pour effet d’atténuer les conséquences de l’ordonnance sur la vie privée de l’intimée. L’infraction d’agression armée est d’autant moins banale qu’elle a été commise par une adolescente pleinement consciente de ses gestes. Celle-ci présente un risque de récidive. D’autre part, l’on ne peut conclure à une gravité subjective moindre, car les explications de l’intimée reposent essentiellement sur les torts que sa mère aurait à son égard et sur le conflit qui existe entre elles. Elle estime que ses gestes étaient compréhensibles et, dans le contexte, presque bénins. Les circonstances de la perpétration de l’infraction illustrent son manque de maîtrise d’elle-même devant un refus de sa mère. L’intimée constitue assurément un risque pour la protection de la société. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, l’intérêt public, en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice, l’emporte sur l’atteinte à la vie privée de l’intimée.

[5] Lorsqu’elle a rendu cet arrêt, en janvier dernier, la Cour d’appel s’est prononcée sur la même question dans plusieurs autres dossiers7 dans lesquels elle a refusé de rendre des ordonnances de prélèvement de substances corporelles, jugeant qu’elles allaient à l’encontre du critère de protection de la vie privée des adolescents. L’article 487.051 (2) C.Cr. accorde au juge un pouvoir discrétionnaire de rendre l’ordonnance. L’exercice de cette discrétion judiciaire se fera par une analyse personnalisée et contextualisée de la situation de l’adolescent tout en cherchant le juste équilibre entre les critères de protection de l’intérêt public et de protection de la vie privée du jeune. S’il croit que la protection de la société l’emporte, le juge ordonnera le prélèvement de substances corporelles. Au contraire, s’il considère que pareille ordonnance atteint d’une manière démesurée la vie privée de l’adolescent, il appliquera la réserve ou exemption prévue au paragraphe 2 de l’article 487.051 C.Cr. et ne rendra pas d’ordonnance de prélèvement d’ADN relativement à l’adolescent.

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