Le présent texte fait un survol de la jurisprudence 2007 en matière d’indemnisation du dommage corporel à la suite d’un accident d’automobile. Bien peu de jugements ont été rendus par les tribunaux judiciaires cette année. En conséquence, et par choix, ce ne sont pas les seuls jugements marquants qui seront abordés, mais plutôt les principaux sujets rencontrés en assurance-automobile. Il en résulte un nombre assez considérable de résumés provenant d’une sélection des jugements des tribunaux judiciaires et des décisions du Tribunal administratif du Québec (TAQ).

Table des matières

1. Admissibilité

1.1 Véhicule destiné à être utilisé en dehors d’un chemin public
1.2 Compétition ou course automobile sur un circuit fermé

2. Accident hors Québec

3. Capacité de travail et détermination d’un emploi

4. Indemnité de remplacement du revenu

4.1 Calcul du revenu
4.2 Capitalisation d’une rente

5. Étudiant

6. Rechute

6.1 Emploi
6.2 Séquelles permanentes

7. Changement de situation

8. Reconsidération d’une décision

9. Recouvrement

10. Frais

10.1 Allocation de disponibilité
10.2 Aide personnelle
10.3 Présence continuelle
10.4 Traitements médicaux
10.5 Autres frais

11. Réadaptation

12. Indemnité de décès

12.1 Lien de causalité entre l’accident et le décès
12.2 Conjoint et cohabitation
12.3 Enfant

13. Lien de causalité

14. Fibromyalgie

15. Révision pour cause

15.1 Procédure
15.2 Vice de fond

16. Procédure

16.1 Recevabilité d’un recours
16.2 Conciliation

Conclusion

1. Admissibilité

1.1 Véhicule destiné à être utilisé en dehors d’un chemin public

[1] L’article 10 de la Loi sur l’assurance automobile1 (la loi), à son troisième paragraphe, prévoit qu’une personne ne peut bénéficier de l’indemnisation si le préjudice est causé par une motoneige ou un véhicule destiné à être utilisé en dehors d’un chemin public.

[2] En application de cet article, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) a rejeté la demande d’indemnisation d’une Inuite qui a été heurtée par une motoneige alors qu’elle marchait dans sa communauté. La victime, invoquant la Charte canadienne des droits et libertés2, a demandé au TAQ de déclarer l’article 10 paragraphe 3 inopérant à son égard. Elle a expliqué que la motoneige est le principal moyen de locomotion hivernal dans sa communauté. Elle s’est dite victime de discrimination en raison de son appartenance à une communauté autochtone éloignée dont les membres utilisent régulièrement leurs motoneiges sur des chemins publics. Le TAQ a indiqué que le législateur a choisi de ne pas inclure dans l’indemnisation sans égard à la faute toutes les victimes d’accidents routiers. L’effet de ce choix implique une différence de traitement entre la requérante et les victimes d’accident d’automobile, mais non entre elle et les autres victimes d’accidents de motoneige où qu’elles habitent à travers le territoire du Québec. Le TAQ a donc conclu à l’absence de discrimination3. La requérante a déposé une requête en révision judiciaire; le jugement de la Cour supérieure est à venir4.

1.2 Compétition ou course automobile sur un circuit fermé

[3] Selon l’article 10 paragraphe 4 de la loi, nul n’a le droit d’être indemnisé «si l’accident survient en raison d’une compétition, d’un spectacle ou d’une course d’automobiles sur un parcours ou un terrain fermé, de façon temporaire ou permanente, à toute autre circulation automobile, que l’automobile qui a causé le préjudice participe ou non à la course, à la compétition ou au spectacle». Il est assez rare que ce paragraphe soit invoqué, mais cela a été le cas cette année dans la cause qui suit.

[4] Lors d’un cours sur les rudiments de la course automobile, donné dans un autodrome, l’instructeur était en retrait dans son automobile lorsqu’il a vu deux voitures roulant trop près l’une de l’autre. Il a démarré pour aller rejoindre les conducteurs et les faire ralentir. Ce faisant, il a mortellement heurté un photographe qui se trouvait sur la piste. L’épouse de la victime a déposé une action en dommages-intérêts contre l’instructeur et l’autodrome. Ceux-ci ont présenté des requêtes en moyen déclinatoire et en irrecevabilité, alléguant que le dossier devait être renvoyé à la SAAQ pour indemnisation. La Cour supérieure a considéré qu’il ne s’agissait plus d’un cours au moment précis où l’accident s’est produit puisque l’instructeur s’en allait arrêter deux personnes qui avaient engagé, momentanément, une course ou une compétition ensemble. Le véhicule de l’instructeur était donc visé par l’exception prévue à l’article 10 paragraphe 4 de la loi; en conséquence, les requêtes des défendeurs ont été rejetées5.

2. Accident hors Québec

[5] La Cour d’appel du Québec n’a rendu que deux jugements au cours des derniers mois en matière d’assurance-automobile. Celui qui suit porte sur une action en dommages-intérêts pour un accident survenu à l’extérieur du Québec.

[6] Une victime a subi un accident en France. Elle était propriétaire du véhicule aux termes d’un contrat d’achat-rachat conclu avec la société française Renault, s.a. Elle a obtenu de la SAAQ des indemnités pour pertes non pécuniaires et frais d’indemnisation. La victime a ensuite intenté une action en dommages-intérêts contre Automobile Renault Canada ltée (Renault Canada), qui est la filiale canadienne de Renault, s.a., au motif que l’accident a été causé par un défaut de l’automobile. Elle a réclamé le coût du voyage, les honoraires de son conseiller juridique, de l’expert et de l’huissier français, une indemnité pour troubles et inconvénients ainsi qu’une autre pour les pertes de jouissance. Renault Canada a déposé une requête en exception déclinatoire et en irrecevabilité au motif que, l’accident étant survenu en France et la victime ayant reçu une indemnité de la SAAQ, seul un tribunal français a compétence relativement à des dommages autres que matériels selon l’article 83.59 de la loi. Cet article édicte que : «La personne qui a droit à une indemnité prévue au présent titre à la suite d’un accident survenu hors du Québec peut bénéficier de celle-ci tout en conservant son recours pour l’excédent en vertu de la loi du lieu de l’accident.» La Cour d’appel du Québec a indiqué que la loi est structurée uniquement en fonction de deux catégories de préjudice : corporel et matériel. En vertu de l’article 83.57 de la loi, l’indemnité reçue de la SAAQ à la suite d’un préjudice corporel remplace tous les droits et recours de la victime à cet égard. Ainsi, poursuit la Cour d’appel, le fait que certains préjudices subis par une victime ne soient pas indemnisables par la SAAQ ne lui permet pas d’intenter un recours. Il s’ensuit que, si la réclamation de la présente victime découle d’un préjudice corporel au sens de la loi, les tribunaux judiciaires sont sans compétence et celle-ci doit s’adresser uniquement à la SAAQ ou poursuivre en France. La Cour d’appel décide que l’ensemble de la réclamation de la victime doit être considéré comme un «préjudice corporel» au sens de la loi. Les chefs de la réclamation constituent soit des dommages causés par l’accident à la personne économique de la victime (coût de la voiture et du voyage et honoraires payés en France), soit des atteintes à sa qualité de vie (perte de temps, troubles et inconvénients causés par les événements subséquents, stress, nervosité et vacances gâchées). Finalement, la Cour d’appel indique que le préjudice corporel est rattaché à la personne accidentée et le préjudice matériel, à l’automobile ou à un autre bien spécifique; il n’existe pas de préjudice autre6.

[7] Ce jugement de la Cour d’appel confère une très large portée à la notion de préjudice corporel et, en conséquence, semble exclure définitivement toute tentative de réclamation devant les tribunaux civils. La Cour suprême a rejeté une requête de la victime pour autorisation de pourvoi à l’encontre de ce jugement7.

3. Capacité de travail et détermination d’un emploi

[8] L’un des emplois les plus fréquemment présumés par la SAAQ est celui de téléphoniste en télémarketing; elle considère qu’il respecte la grande majorité des limitations fonctionnelles présentées par les victimes. Or, la jurisprudence du TAQ et de la Cour supérieure n’entérine pas toujours cette position.

[9] En septembre 1998, une victime a subi un accident d’automobile qui a notamment entraîné une incapacité à rester assis ou debout de façon prolongée. La SAAQ a conclu qu’elle était capable d’occuper un emploi déterminé de téléphoniste en télémarketing, en application de l’article 46 de la loi. Le TAQ a confirmé cette décision8, laquelle a toutefois été annulée par la Cour supérieure9 au motif qu’elle était manifestement déraisonnable. De retour devant le TAQ, la SAAQ a fait entendre une conseillère en emploi, spécialiste du marché du travail, et a déposé le rapport d’expert de cette personne, à savoir une étude de marché. Pour remplir son mandat, la conseillère a communiqué avec divers employeurs. Elle a conclu que le poste de téléphoniste en télémarketing pouvait être occupé en alternant les positions. Le TAQ a de nouveau conclu à la capacité de la victime d’occuper l’emploi présumé10. La victime est retournée devant la Cour supérieure pour demander la révision judiciaire de cette décision. La Cour a souligné le manque de rigueur de la conseillère dans son rapport, le fait qu’elle souhaitait davantage faire triompher la thèse de la SAAQ, qui lui a procuré 40 % de ses revenus entre 1997 et 2001, et le fait que le résultat de l’étude était prédéterminé puisque la conseillère avait trouvé son étude concluante «par rapport aux réponses qu’on voulait trouver». L’effet cumulatif de ces manquements est tel que le rapport et le témoignage de la conseillère sont considérés comme dénués de toute force probante. Par ailleurs, la Cour affirme qu’il n’y a pas de lien rationnel entre la preuve et la conclusion du TAQ selon laquelle «l’emploi de téléphoniste en télémarketing peut s’exécuter en des postures successives assise ou debout». La Cour conclut que la décision du TAQ est manifestement déraisonnable et que les fins de la justice commandent qu’elle rende la décision que celui-ci aurait dû rendre en déclarant le demandeur incapable d’occuper le poste d’agent de télémarketing et en rétablissant sa pleine indemnité de remplacement du revenu (IRR) rétroactivement, avec intérêts11.

[10] Dans une autre affaire12, la SAAQ avait également déterminé un emploi de téléphoniste en télémarketing à une victime. Cette dernière alléguait ne pas avoir les aptitudes nécessaires pour exercer cet emploi. Le TAQ a rendu une décision avec dissidence. Ainsi, le membre dissident, Me Hélène Beaumier, a considéré que la victime ne présentait aucune limitation fonctionnelle l’empêchant d’occuper l’emploi de téléphoniste en télémarketing et que l’ignorance de l’une des deux langues officielles était sans incidence. Elle a indiqué que la victime n’était pas intéressée par cet emploi mais que ses goûts et ses préférences n’ont pas à être considérés dans l’application de l’article 48 de la loi. L’article 46 vise la détermination d’un emploi dans le but de fixer le montant de l’indemnité à verser éventuellement. Il ne s’agit pas de «trouver un emploi» comme le ferait un service de placement. La détermination d’un emploi de téléphoniste en télémarketing, compte tenu de la capacité résiduelle de la victime, constitue un choix avantageux pour elle puisqu’il s’agit d’un «emploi plancher». Me Beaumier considère qu’un autre emploi plancher ne changerait absolument rien à la rente résiduelle, si ce n’est de la prolongation, jusqu’à ce qu’il soit déterminé, de la pleine IRR que recevait la victime avant l’application de l’article 46. Elle conclut donc que les critères prévus à l’article 48 sont remplis et que la décision de la SAAQ est bien fondée. Selon le deuxième membre du TAQ, le Dr François Brunet, la lecture de l’article 48 révèle que la détermination d’un emploi par la SAAQ doit tenir compte de plusieurs autres facteurs que des limitations fonctionnelles post-traumatiques proprement dites. Cet article, affirme le Dr Brunet, semble introduit dans la loi précisément pour déterminer un emploi selon la victime, dans sa globalité. Lorsqu’il est question de la formation, de l’expérience de travail, des capacités intellectuelles de celle-ci, de ses connaissances et des habiletés qu’elle a acquises dans le contexte d’un programme de réadaptation et même d’un emploi normalement disponible dans une région donnée, l’on s’éloigne de l’aspect strictement médical. Il doit s’agir d’un emploi réel et non d’une quelconque façon de déterminer uniquement une rente résiduelle. Le Dr Brunet rappelle que la victime en l’espèce a tout au plus terminé une deuxième secondaire et qu’elle ne comprend ni ne parle l’anglais. Or, il est assez difficile d’être embauché à titre de téléphoniste en télémarketing sans avoir une connaissance élémentaire de la langue anglaise. La victime n’a jamais occupé un tel emploi. Elle se dit inapte à convaincre les gens, elle n’aime pas parler au téléphone et elle déteste tout le domaine de la vente. Le Dr Brunet conclut que l’emploi qui a été déterminé ne correspond donc pas aux exigences énoncées à l’article 48 et que l’IRR doit être prolongée jusqu’à ce qu’un nouvel emploi soit déterminé à la victime. Finalement, le membre du TAQ appelé à trancher le litige, Me Daniel Lamonde, indique que l’emploi présumé respecte les limitations fonctionnelles découlant de l’accident ainsi que la formation de la victime. Cependant, l’expérience de travail de cette dernière ne lui permet pas d’occuper de façon réaliste l’emploi de téléphoniste en télémarketing. En ce qui concerne ses capacités intellectuelles, elle dit qu’elle n’a jamais été vendeuse, qu’elle n’a pas les qualités nécessaires à ce type d’emploi, qu’elle n’est pas convaincante et qu’elle ne parle pas l’anglais. Me Lamonde est d’avis que cela est prépondérant. L’article 48 porte sur la capacité, alors que la victime parle de qualité. Aux fins de sa capacité à occuper un emploi, ces deux mots ont un sens analogue. Me Lamonde mentionne que le guide Repères fait état de l’importance de la langue anglaise pour occuper un tel emploi, ce que la victime ne possède pas. L’expérience de travail et les capacités intellectuelles de la victime devant les habiletés requises selon Repères révèlent qu’elle n’était pas apte à occuper un emploi de téléphoniste en télémarketing. Finalement, Me Lamonde souligne que, pour respecter l’article 48, une victime doit remplir globalement les exigences d’un emploi; elle n’a pas à les remplir toutes.

[11] L’intérêt de cette décision est qu’elle présente les deux courants traditionnels de jurisprudence qui s’opposent en matière de détermination d’un emploi à compter de la troisième année suivant un accident. D’un côté, il y a ceux qui considèrent que la détermination d’un emploi ne sert qu’au calcul de la rente résiduelle; de l’autre, ceux qui jugent qu’il faut tenir compte des intérêts et des aptitudes de la victime lors de cet exercice. Cette divergence d’opinions à l’intérieur du TAQ est présente depuis des années. Il faudrait bien que la question finisse par être réglée un jour.

[12] Dans une autre cause13 portant sur la fin de l’IRR, la SAAQ a scindé la capacité de travail d’une victime en rendant des décisions distinctes et successives quant à l’aptitude sur le plan orthopédique et celle sur le plan psychologique. Le TAQ indique qu’il ne peut y avoir deux sortes de décisions, l’une en orthopédie et l’autre en psychologie, se prononçant sur la fin du versement de l’IRR prévu à l’article 49 de la loi. Le versement de cette indemnité doit se faire en considérant la globalité de la condition médicale d’une personne. Le TAQ est d’avis que, par sa décision, la SAAQ a commis une illégalité en ajoutant à la loi.

[13] Dans une autre décision14, le TAQ explique la distinction entre un emploi à temps partiel et un emploi saisonnier. La victime a subi une fracture de la tête du péroné droit lors d’un accident survenu en juin 2003. La SAAQ a mis fin à l’IRR en novembre 2004 au motif qu’elle pouvait reprendre ses occupations d’acériculteur et de producteur de bois. Le TAQ indique d’emblée qu’il faut faire une distinction entre le travail saisonnier et celui à temps partiel. Ce dernier permet un allègement des tâches et une période de récupération entre elles. Un travail saisonnier s’effectue pendant quelques semaines ou quelques mois, notamment selon les exigences de la température, de la biodisponibilité ou du tourisme. Il s’agit d’un travail qui s’exerce souvent pendant 10 ou 12 heures par jour dans le but de répondre à une demande qu’il est impossible de contrôler. Une parfaite condition physique est exigée. En l’espèce, les restrictions mentionnées par les orthopédistes en ce qui a trait à un syndrome fémoro-patellaire vont à l’encontre des exigences requises pour exercer l’emploi d’acériculteur et producteur de bois. La victime ne peut donc exercer son emploi saisonnier. Le TAQ termine en mentionnant que ce n’est pas le nombre d’heures annuelles qui doit être comptabilisé pour savoir si un emploi est exercé à temps partiel, mais la façon dont ces heures sont réparties quotidiennement ou hebdomadairement.

[14] Une dernière décision porte sur la disponibilité d’un emploi dans la région du domicile de la victime. Afin d’établir l’IRR à laquelle la victime a droit, la SAAQ lui a déterminé un emploi de préposé au recyclage de cartouches d’encre à compter de la troisième année suivant l’accident, en application de l’article 46 de la loi. Pour établir l’existence de cet emploi dans la région où habite la victime, elle a déposé des extraits d’un site Web d’une compagnie spécialisée dans le recyclage de cartouches d’imprimantes, dans les fournitures informatiques et dans la réparation d’ordinateurs et d’imprimantes. Cette entreprise est située dans une ville de la région du domicile de la victime. Dans le document en cause, il est indiqué que deux employés travaillent à la production. À cela le TAQ répond que la SAAQ doit démontrer, à l’aide d’une preuve prépondérante, que l’emploi déterminé existe dans la région du domicile de la victime. Dans l’extrait informatique qu’elle a déposé, il n’y a aucune explication sur la nature des deux emplois à la production; notamment, on n’y trouve pas le fait qu’il s’agit bien d’emplois de préposés au recyclage de cartouches d’encre avec les mêmes tâches que celles figurant à l’analyse de poste et au système Repères, qui a servi à la SAAQ d’outil de référence dans la détermination d’un emploi. Le système Repères n’est pas un outil prouvant l’existence d’un emploi dans une région. Par conséquent, la documentation fournie par la SAAQ est insuffisante pour permettre de conclure que l’emploi de préposé au recyclage de cartouches d’encre est disponible dans la région visée15.

4. Indemnité de remplacement du revenu

4.1 Calcul du revenu

[15] Pour une victime, la détermination de son revenu est lourde de conséquences puisqu’elle décide de l’IRR qui lui sera versée. Chaque détail compte.

[16] Une victime a subi un accident en 2002. Elle exploitait depuis peu un commerce de mécanique automobile. Au moment de l’accident, la compagnie lui versait un salaire brut de 350 $ par semaine, ce qui équivaut à 18 250 $ par année. La SAAQ a retenu ce revenu pour le calcul de son IRR. La victime a invoqué des circonstances particulières, à savoir le démarrage de son entreprise, et a réclamé que ce revenu soit haussé. Le TAQ lui a donné raison. Il a considéré que la victime, en processus de démarrage d’entreprise, ne recevait pas un revenu correspondant à son niveau de compétence, d’expertise et d’expérience. Il faut utiliser, comme base de calcul pour l’IRR, non pas le revenu que la victime gagnait réellement, mais plutôt celui qui est prévu pour un emploi de même catégorie. Le TAQ a donc fixé un revenu brut de 25 990 $, correspondant à un emploi de mécanicien de moteurs, pour lequel la victime a les compétences requises16. Il est à noter qu’une requête en révision devant le TAQ a été déposée dans ce dossier; la décision n’a pas encore été rendue.

[17] Dans une autre affaire, le TAQ a fait une distinction entre le revenu d’emploi et le revenu d’entreprise. Une victime blessée dans un accident survenu en 1997 était alors agriculteur et propriétaire d’une ferme. La SAAQ lui a versé une IRR fondée sur un revenu net de 34 270 $ par année. Cette indemnité s’est poursuivie au fil des ans. La victime a déclaré des revenus d’environ 65 000 $ pour l’année 2003, soit une somme supérieure à celle reconnue lors de la détermination de l’IRR ainsi qu’au maximum alloué à ce titre. En conséquence, la SAAQ a mis fin à l’IRR le 1er janvier 2003 et a réclamé un trop-perçu de 34 518 $ pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2003. Le TAQ a indiqué que les revenus de 2003 provenaient d’un encaissement à la suite de la vente d’une partie du cheptel. L’article 49 de la loi, qui régit les situations permettant de mettre fin à l’IRR, pose comme condition essentielle la capacité d’exercer un emploi ou l’exercice d’un emploi. Le TAQ mentionne que tel n’est pas le cas en l’espèce, la victime étant inapte à tout emploi ou à toute activité rémunératrice depuis son accident. Les revenus ou les avantages financiers provenant de la vente d’une partie du cheptel n’attestent pas sa capacité de travail et ne justifient pas la fin de l’IRR ni la réclamation d’un trop-perçu. Il s’agit de revenus d’entreprise et non de revenus d’emploi. Aucune autre disposition ne permet la fin de l’IRR pour des revenus autres que ceux découlant d’une activité rémunératrice. En conséquence, le TAQ considère comme mal fondée la décision de la SAAQ17. Il est à noter qu’une requête en révision de cette décision a été rejetée par le TAQ18.

4.2 Capitalisation d’une rente

[18] La SAAQ peut, à certaines conditions, payer une IRR en un versement unique capitalisé plutôt que sous forme de rente résiduelle. Cependant, qu’arrive-t-il en cas de rechute?

[19] La victime a subi un accident en 1983 et un emploi lui a été déterminé en juin 1995. En 1996, elle a accepté l’offre de la SAAQ de capitaliser la rente résiduelle d’IRR de 18 $ qui lui était versée tous les 14 jours et de recevoir à la place un versement unique de 7 237 $. Elle a subi une rechute ou aggravation de sa condition en juin 2003. La SAAQ a reconnu cet état de fait, mais elle a néanmoins refusé de lui verser une IRR en raison de la capitalisation intervenue en 1996 et de la quittance alors signée. Le TAQ n’est pas d’accord. Il est d’avis qu’aucune transaction n’est intervenue entre la victime et la SAAQ relativement à la capitalisation de la rente. La renonciation implicite à toute IRR se rattachant à une rechute ou aggravation futures contenues à la quittance de 1996 doit être considérée comme nulle parce qu’elle contrevient aux dispositions d’ordre public de protection édictées à l’article 12 de la loi. Cet article prévoit que : «Toute cession du droit à une indemnité visée au présent titre est nulle de nullité absolue.» L’article 2631 du Code civil du Québec19 définit la transaction comme étant un «contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques». Le TAQ indique que tel n’était pas la situation dans le cas à l’étude. Il n’y a pas lieu non plus de parler de transaction puisque la SAAQ n’a jamais été partie au document signé par la victime en 1996. La SAAQ soutenait que la capitalisation tenait compte, dans la détermination de son quantum, de possibilités ou de probabilités de rechutes ou d’aggravation et affirmait même que c’était l’intention du législateur. Or, selon le TAQ, nulle part dans la loi ou dans le Règlement sur le paiement en un versement unique d’une indemnité de remplacement du revenu20 il n’est fait mention d’une intention du législateur en ce sens ou du fait que la possibilité ou probabilité de rechute ou d’aggravation doive constituer un critère de détermination du paiement unique d’une IRR. Le versement d’une IRR à la victime après capitalisation de la rente qu’elle recevait en 1996 ne constituerait donc pas une double indemnisation, car il s’agit en fait d’une nouvelle IRR rattachée à une nouvelle situation de fait, soit une aggravation, et non une simple reprise de l’ancienne qui a été capitalisée. L’aggravation survenue en 2003 doit être en tous points considérée comme un nouveau fait accidentel. L’on ne peut, dit le TAQ, faire de distinction entre un nouveau fait accidentel réel, à savoir un autre accident d’automobile, et un nouveau fait accidentel imputé, à savoir une rechute ou une aggravation considérée comme un nouvel accident. Ces deux types d’événements doivent donc être considérés et traités exactement de la même manière. Le TAQ conclut par conséquent que la SAAQ avait l’obligation de compenser la rechute de 2003 comme s’il s’était réellement agi d’un second accident d’automobile. La quittance est donc déclarée nulle, et la victime a droit à une IRR à la suite de la rechute de 200321.

5. Étudiant

[20] Les étudiants victimes d’un accident font l’objet d’un régime d’indemnisation particulier. Toutefois, celui-ci est quand même similaire au régime usuel, notamment en matière de rétroactivité de l’IRR. C’est ce que le TAQ affirme dans la décision qui suit, en faisant un parallèle avec l’affaire Commission des affaires sociales c. Sponner22.

[21] Une victime était âgée de 11 ans lorsqu’elle a subi un accident d’automobile en 1988. En 2002, la SAAQ a reconnu qu’une rechute était survenue en novembre 1993. Le 8 mai 2003, un agent d’indemnisation a indiqué que, à partir de la date prévue de la fin des études, il devait présumer un emploi. Il a alors déterminé, à compter du 20 mars 1995, un emploi de nettoyeur. Il a précisé qu’une IRR serait payée à la victime pendant un an et que, à partir du 20 mars 1996, une rente résiduelle serait versée. La victime a contesté les dates fixées pour le début et la fin de l’IRR. Le TAQ indique que la loi et la réglementation applicables aux accidents survenus du 1er janvier 1990 au 1er janvier 2000 trouvent application puisque la contestation porte sur ce qui est arrivé après la rechute de 1993. Il est question d’un étudiant et non d’un travailleur. Ce n’est donc pas l’article 46 de la loi qui s’applique, mais plutôt l’article 47. L’article 46 énonce que la SAAQ peut déterminer un emploi à une victime à compter de la troisième année suivant la date de l’accident, tandis que l’article 47 prévoit qu’elle peut déterminer un emploi à un étudiant en tout temps à compter de la date prévue pour la fin des études. Cette différence n’est pas significative. La détermination à compter de la troisième année suivant la date de l’accident impose une limite de temps minimale pendant laquelle la SAAQ ne peut déterminer un emploi à une victime capable de travailler. Il n’y a cependant pas de période maximale à cette fin, si ce n’est, selon la jurisprudence, que cette détermination ne peut se faire de façon rétroactive. À l’article 47, la seule période minimale qui est imposée est celle de la date prévue pour la fin des études. À partir de cette date, la SAAQ peut déterminer à un étudiant un emploi en tout temps. Or, vu la similitude entre les articles 46 et 47 visée dans les articles 48 et 49 de la loi, la période maximale ne peut être différente de celle que la jurisprudence impose à la SAAQ, à savoir que cette détermination ne peut être rétroactive à la date de la décision. Une IRR doit continuer à être versée à la victime étudiante entre la date prévue pour la fin des études et celle de fin d’incapacité à exercer tout emploi. Le 8 mai 2003, la SAAQ ne pouvait conclure à l’absence d’incapacité à occuper tout emploi le 20 mars 1995. Une décision ayant une telle portée rétroactive ne pouvait être rendue. Elle ne pouvait que continuer à verser à la victime une IRR jusqu’à ce qu’elle lui détermine un emploi23.

6. Rechute

6.1 Emploi

[22] Il n’est pas toujours évident de s’y retrouver en matière de rechute; c’est pourquoi il peut parfois être utile de donner des cas d’application. Le litige qui suit en est un exemple. Dans cette affaire, le TAQ indique que, même si la victime reçoit une IRR en fonction de l’emploi qu’elle exerçait au moment de l’accident, la nature de son incapacité est déterminée d’après l’emploi qu’elle exerçait à la date de la rechute ou celui qu’elle aurait pu occuper à cette date.

[23] La victime a subi un accident le 1er septembre 1990. Elle occupait alors un emploi X.La SAAQ lui a versé une IRR calculée d’après cet emploi. Par la suite, en vertu des articles 46 et 48 de la loi, elle a conclu que la victime était capable d’exercer les tâches d’un emploi Y à compter du 1er septembre 1992. Une rechute est survenue en février 1995. La SAAQ a fixé la fin de cette rechute au 29 janvier 1996 au motif que la victime était capable d’occuper l’emploi déterminé Y à cette date. La victime prétend que sa capacité de travail après la rechute doit être évaluée selon l’emploi X occupé au moment de l’accident. Le TAQ indique que la rechute est survenue alors que la victime était sans emploi, et cette rechute a été traitée comme si elle était survenue dans les deux ans suivant la dernière période d’incapacité pour laquelle la victime avait eu droit à une IRR et en avait reçu une. La rechute doit être traitée en vertu de l’article 57 alinéa 1 de la loi, selon lequel la victime qui, à la date de l’accident, occupait un emploi à temps plein mais n’en occupe pas à celle de la rechute a droit à une IRR en fonction de sa situation d’emploi au moment de l’accident. Le TAQ poursuit en affirmant que la nature de l’incapacité est déterminée en fonction du type d’emploi détenu par la victime à la date de la rechute ou de celui qu’elle aurait pu alors occuper. L’incapacité au moment de la rechute peut donc être différente de celle au moment de l’accident. En l’espèce, ayant été reconnue incapable d’exercer les tâches de son emploi X avant la rechute, la victime demeure incapable de le faire après celle-ci. Cette rechute suspend la capacité d’occuper l’emploi Y, qui a été établi selon les critères énumérés à l’article 48. Lorsque se termine la période d’incapacité relative à la rechute, la SAAQ doit vérifier si la victime est redevenue capable de réintégrer l’emploi déjà déterminé. En l’espèce, la victime était redevenue capable d’occuper l’emploi déterminé Y24.

6.2 Séquelles permanentes

[24] L’application à donner à l’article 57 de la loi constitue l’un des sujets les plus intéressants et les plus controversés dans la jurisprudence de 2007 relativement à l’indemnisation des séquelles permanentes. Les trois causes résumées ci-dessous donnent un aperçu de cette controverse. La première décision apporte en outre un point de vue intéressant au sujet de l’IRR.

[25] Une victime a subi un accident d’automobile en 1994. En février 2005, le TAQ (TAQ1) a reconnu qu’un changement de situation au sens de l’article 83.44 de la loi était survenu en août 200225. La victime occupait, en août 2002, un emploi lui procurant un revenu brut inférieur à celui qu’elle touchait lors de l’accident, en 1994. À la suite de la décision du TAQ1, la SAAQ a considéré qu’il y avait eu rechute selon l’article 57 de la loi, que cette rechute était survenue plus de deux ans après la dernière période d’indemnité et que l’IRR devait être calculée en fonction de la situation au moment de la rechute. Elle a également conclu que les atteintes permanentes devaient être compensées selon le barème en vigueur lors de l’accident de 1994. La victime a contesté cette décision devant le TAQ. Celui-ci (TAQ2), en février 2006, a confirmé la décision de la SAAQ au sujet de l’IRR et des atteintes permanentes26. La victime a demandé la révocation de la décision du TAQ2 au motif de vices de fond. Elle a soutenu que le TAQ1 avait reconnu un changement de situation au sens de l’article 83.44 et que, en conséquence, elle devait recevoir une indemnité en fonction d’un changement de situation et non d’une rechute. De plus, elle a prétendu que l’indemnisation de ses séquelles permanentes devait se faire conformément au Règlement sur l’indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire27, en vigueur depuis le 1er janvier 2000, puisque l’aggravation est survenue en août 2002. À ces arguments le TAQ en révision répond que l’article 83.44 permet exclusivement que soit rendue une nouvelle décision. Ainsi, toute décision accessoire et ultérieure devra s’accorder avec les autres paramètres plus particuliers contenus dans la loi et les règlements. Le TAQ indique que la loi ne définit pas les notions de «changement de situation», de «rechute» ou même d’«aggravation». Exclure les cas d’«aggravation» de l’application de l’article 57 serait en réduire la portée. La proposition de la victime équivaut à créer pour les administrés des traitements différents dans le calcul de leur IRR selon la provenance ou l’origine de l’événement ayant mené au «changement de situation» prévu à l’article 83.44. Le TAQ conclut que le terme «rechute» doit se définir par son sens contextuel, c’est-à-dire comme signifiant une reprise de l’incapacité. La reprise de l’incapacité étant survenue plus de deux ans après la fin de la dernière période d’incapacité pour laquelle la victime a eu droit à une IRR, elle est indemnisée comme si cette rechute était un nouvel accident. Par ailleurs, le TAQ ajoute que l’article 44 de la Loi modifiant la Loi sur l’assurance automobile et d’autres dispositions législatives28, relatif au droit transitoire en matière d’atteintes permanentes, parle d’accident. Dans l’article 1 de la loi, l’accident est défini comme étant un accident d’automobile. Or, la rechute que la victime a subie en août 1992 n’est pas un accident d’automobile. L’article 44 prévoit que les accidents survenus avant le 1er janvier 2000 demeurent régis par les dispositions qui leur étaient applicables. La victime doit donc être indemnisée selon l’ancien barème, comme l’a indiqué le TAQ229.

[26] Dans une autre affaire30, une victime a subi un accident en août 1990, à la suite duquel la SAAQ lui a reconnu des atteintes permanentes. Une rechute est survenue en 2001, et la SAAQ a reconnu un taux de séquelles additionnelles selon le barème applicable en 1990. La victime a contesté cette décision devant le TAQ, lequel a rendu une décision avec dissidence. Ainsi, Me Daniel Lamonde est d’avis que l’indemnité pour les atteintes permanentes devrait normalement correspondre à la loi en vigueur à la date de l’accident initial. Or, la partie de la loi qui prévoyait alors l’indemnisation des atteintes permanentes ne faisait aucune mention de rechute. Il s’ensuit, selon Me Lamonde, que toute atteinte permanente reliée à l’accident ou à une rechute est indemnisée suivant la règle générale, soit la loi en vigueur au moment de l’accident. L’indemnisation pour la perte de revenu est prévue dans une autre partie de la loi. Le traitement s’avère différent en raison du troisième alinéa de l’article 57, qui, à la date de l’accident, indiquait que, si une victime subit une rechute plus de deux ans après son accident ou sa dernière période d’incapacité, elle est indemnisée comme si cette rechute était un nouvel accident. À défaut d’une telle disposition applicable à l’indemnisation des atteintes permanentes, celles-ci sont compensées en fonction de la loi en vigueur au moment de l’accident. La SAAQ était fondée à indemniser les séquelles de la victime selon le barème en vigueur lors de l’accident et l’IRR, selon la date de la rechute, celle-ci étant survenue plus de deux ans après la fin de l’IRR versée en relation avec l’accident initial. Pour sa part, la Dre Colette Fortier mentionne que l’on ne saurait retenir une définition associant la notion de rechute à la reprise d’une incapacité ou au droit à une IRR. La rechute est plutôt une notion d’ordre médical utilisée par le législateur comme l’une des prémisses déterminant si la réclamation doit être traitée à titre de nouvel accident ou consécutivement à l’accident initial. L’article 57 est le seul endroit dans la loi où le législateur définit le traitement à apporter aux rechutes. Une fois établis les principes régissant la gestion des réclamations pour rechute, le législateur n’avait pas à le répéter pour chacun des types d’indemnités. Ainsi, selon la Dre Fortier, une rechute ne saurait être considérée comme un nouvel accident à certaines fins d’indemnisation, tel le remplacement du revenu, et non à d’autres, tels les dommages non pécuniaires et l’application de l’article 46 de la loi. La Dre Fortier conclut que, en application du troisième alinéa de l’article 57, la rechute survenue en 2001 doit être traitée comme un nouvel accident, et les séquelles permanentes doivent en conséquence être évaluées selon le barème en vigueur à compter du 1er janvier 2000. Me Yves Lafontaine, appelé à trancher le litige, opte pour la position de la Dre Fortier. Il indique que le sens des dispositions de l’article 57, considérées telles quelles, apparaît à leur face même, et elles n’ont pas à être interprétées pour que l’on en découvre un sens différent de celui qui est écrit. À l’argument d’interprétation tiré de l’endroit où le législateur a placé le troisième paragraphe de l’article 57, il faut préférer le sens textuel de cette disposition. Ce sens tient compte du principe législatif de la non-rétroactivité des lois ou de l’application immédiate de la loi dans le temps. Le législateur a choisi de légiférer dans le sens suivant : dans le cas de rechute, les indemnités seront les mêmes que si la rechute était un nouvel accident. La victime doit être indemnisée comme si elle avait subi un nouvel accident lors de la rechute du 20 février 2001. À cette époque, c’est le Règlement sur l’indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire qui était en vigueur.

[27] Enfin, dans la troisième décision31, la victime a subi un accident en septembre 1982. La SAAQ lui a reconnu des séquelles permanentes. Une brève reprise de l’incapacité est survenue en octobre 1990, plus de deux ans après la fin de la dernière période d’incapacité. En conséquence, la SAAQ a traité le dossier comme une rechute au sens de l’article 57 de la loi et a ouvert un nouveau dossier. Le 5 janvier 2006, la SAAQ a accordé un pourcentage supplémentaire de séquelles permanentes selon le barème du Règlement sur les atteintes permanentes32 (RAP) en vigueur en 1990. Elle a également attribué un pourcentage de 2 % pour d’autres atteintes; cette fois, le calcul de l’indemnité a été effectué selon le règlement en vigueur en 1982. Le 15 août 2006, agissant en révision, la SAAQ a modifié cette dernière décision au motif que le règlement à utiliser pour le calcul de l’indemnité aurait dû être celui en vigueur en 1990 et non celui en vigueur en 1982. Elle a donc déclaré la décision nulle et sans effet, pour conclure que le montant de l’indemnité versé était non récupérable. La victime a contesté ces décisions. Elle a demandé que ses séquelles permanentes soient considérées comme des aggravations, que ces aggravations soient considérées comme des rechutes et que, en conséquence, de nouveaux dossiers soient ouverts au sens de l’article 57. Elle a également réclamé que le calcul des indemnités pour ses atteintes permanentes soit fait en vertu du règlement en vigueur au moment des présumées rechutes, soit le Règlement sur l’indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire, adopté en 2000. Le TAQ indique qu’il s’agit de déterminer si, lorsqu’un nouveau dossier est ouvert au sens de l’article 57 – c’est-à-dire lorsqu’une rechute survient plus de deux ans après la dernière période d’incapacité –, cela donne droit non seulement à l’IRR, mais à tous les types d’indemnités prévues à la loi en vigueur au moment de l’ouverture de ce nouveau dossier. La victime prétend que toute aggravation est une rechute et que, par conséquent, l’article 57 doit s’appliquer à toute aggravation, même sans reprise de l’incapacité. Or, décrète le TAQ, cet argument n’est pas réaliste. Une aggravation étant souvent continue, l’on peut se demander quand et combien de fois il faudrait ouvrir un nouveau dossier au sens de l’article 57. La décision du législateur de placer cet article dans la section réservée aux règles pour le calcul de l’IRR a une signification que l’on ne peut nier, au risque de vouloir se substituer au législateur. Le texte de l’article 57 n’a d’autre finalité que celle se rapportant à l’IRR. Le mot «rechute» qui y est employé ne peut se voir attribuer un autre sens que celui d’une reprise de l’incapacité au travail. Ainsi, lorsqu’il n’existe que le dossier initial, peu importe la date de l’évaluation du préjudice non pécuniaire, le règlement à retenir pour le calcul de l’indemnité est le règlement en vigueur à la date de l’accident. Lorsque, en plus du dossier initial, il existe un autre dossier au sens de l’article 57, il faut se demander si les atteintes mises en évidence et évaluées après l’ouverture du nouveau dossier doivent être compensées en vertu du règlement en vigueur à la date de l’accident initial ou celui en vigueur à celle de l’ouverture du nouveau dossier. La SAAQ admet qu’en raison de l’article 23 de la Loi modifiant la Loi sur l’assurance automobile et d’autres dispositions législatives33 (LMLAA), tel que libellé, la victime dont l’accident est survenu avant le 1er janvier 1990 et qui subit une rechute au sens de l’article 57 par la suite voit son indemnité pour préjudice non pécuniaire évaluée conformément au règlement en vigueur à la date de l’ouverture de ce nouveau dossier entre 1990 et 1999. Cet acquiescement de la SAAQ s’applique donc uniquement pour les accidents antérieurs au 1er janvier 1990. Dans le cas d’un accident survenu auparavant, si l’ouverture du nouveau dossier au sens de l’article 57 survient après le 31 décembre 1999, c’est l’article 23 LMLAA qui indique la voie à suivre. Cet article indique qu’une personne «est assujettie aux dispositions de la Loi sur l’assurance automobile édictées par la présente loi», soit celle adoptée en 1990. Le règlement qui lui correspond est le RAP en vigueur entre 1990 et 1999. En conséquence, le Règlement sur l’indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire, en vigueur à compter du 1er janvier 2000, ne peut être utilisé dans ce type de circonstances. Dans le présent litige, l’aggravation démontrée est une aggravation des atteintes sans reprise de l’incapacité; la SAAQ n’avait donc pas à ouvrir un nouveau dossier au sens de l’article 57. Dans sa décision de janvier 2006, elle était fondée à calculer l’indemnité pour l’aggravation des séquelles avec le RAP en vigueur en 1990 tandis que, dans sa décision en révision du 15 août 2006, elle n’aurait pas dû annuler la décision de première instance : elle aurait plutôt dû conclure que le taux de séquelles permanentes accordé était adéquat. Encore une fois, le règlement à utiliser pour le calcul de l’indemnité pour préjudice non pécuniaire est le RAP en vigueur en 1990.

[28] Comme on peut le voir, les positions des membres du TAQ sont très diversifiées et l’on ne semble pas près d’un consensus. C’est une histoire à suivre!

7. Changement de situation

[29] La condition d’une victime peut être redevenue normale, lui permettre de recommencer à travailler, puis récidiver. La décision qui suit en est un exemple.

[30] Une victime a subi une entorse cervicale lors d’un accident survenu en avril 2003. Elle a repris le travail au mois de juillet suivant. La SAAQ a alors mis fin à l’IRR, a refusé de verser une indemnité pour perte de qualité de vie et a conclu à la non-nécessité médicale de traitements additionnels. En janvier 2004, le médecin traitant a produit un rapport à la SAAQ dans lequel il indiquait que la victime présentait, depuis un mois, une douleur cervicale à l’occasion de mouvements répétitifs et à l’effort. La SAAQ a conclu que ce rapport ne démontrait aucun changement de situation. Le TAQ arrive à la conclusion contraire. Il indique que la victime n’a pas contesté les décisions portant sur l’indemnité pour perte de qualité de vie et l’IRR et qu’elle n’avait pas à le faire puisqu’elle avait repris le travail et elle était suffisamment bien pour croire qu’elle n’avait pas droit à une indemnité pour atteinte permanente. Ces décisions mentionnaient clairement que, en cas de rechute, elle devait présenter des rapports médicaux prouvant qu’elle avait bien subi une rechute et qu’elle avait besoin de traitements. Les douleurs sont effectivement réapparues quelques mois après la reprise totale du travail. Le TAQ rappelle que la victime occupait cet emploi depuis longtemps et elle n’avait jamais éprouvé de problèmes auparavant. Il était normal, vu la similitude des douleurs, qu’elle mette sur le compte de son accident la reprise de ses problèmes. Elle n’avait pas à présenter de réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, même si c’est au travail que les mêmes douleurs sont réapparues. Le fait que son état était redevenu normal lorsqu’elle a recommencé à travailler ne signifie pas qu’il ne pouvait y avoir de récidive quelques mois plus tard. Selon le TAQ34 : «[…] si le rapport du 5 janvier 2004 du Dr Groleau n’indique pas un changement de situation, bien malin celui qui pourrait dire en quoi va consister un changement de situation. En effet, il y a eu réapparition des symptômes et des signes cliniques et il y a eu de nouveau nécessité de prescription de traitements de physiothérapie. Il s’agit exactement là de ce qu’il faut entendre par un changement de situation.»

[31] Dans cette décision, le TAQ rappelle à la SAAQ que : «Si la Société intimée répète continuellement qu’un dossier n’est jamais fermé mais qu’il peut toujours être réouvert en cas de récidive ou de réapparition des symptômes et des signes cliniques, il faut bien que cette phrase ait un certain sens.»

8. Reconsidération d’une décision

[32] L’article 83.44.1 de la loi édicte que :

Tant qu’une demande de révision n’a pas été présentée ou un recours formé devant le Tribunal administratif du Québec à l’égard d’une décision, la Société peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une personne intéressée, reconsidérer cette décision :

1 osi celle-ci a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait;

[33] Le TAQ s’est prononcé sur un litige mettant en cause cet alinéa. Les faits de l’affaire se résument ainsi : une victime a subi des blessures à la tête lors d’un accident survenu en 1996. En 1997, un agent d’indemnisation a refusé de reconnaître une relation entre l’accident et un traumatisme crânien ainsi qu’une commotion cérébrale en raison de l’absence d’évanouissement et d’anomalies neurologiques dans les notes médicales concomitantes de l’accident. La victime n’a pas contesté cette décision. En 2005, elle a demandé sa reconsidération en vertu de l’article 83.44.1 de la loi, invoquant une erreur sur un fait essentiel. Elle a affirmé que son dossier médical fait bien état d’une perte de connaissance et d’un syndrome postcommotionnel. La SAAQ a refusé de reconsidérer sa décision. Le TAQ n’est pas d’accord. Selon lui, l’article 83.44.1 prévoit deux situations totalement distinctes, à savoir celle où la décision a été rendue «avant que soit connu un fait essentiel» et celle où la décision a été «fondée sur une erreur relative à un tel fait», soit un fait essentiel. En ce qui a trait à la deuxième situation, le fait essentiel n’a pas à être connu des parties au moment de la décision initiale. La notion du «moment de la connaissance» ne s’applique qu’à la première situation. Le TAQ est d’avis que ce serait ajouter au texte de l’article que d’exiger non seulement que soit démontrée une erreur sur un fait essentiel, mais encore que ce fait essentiel était inconnu lors de la décision initiale. Il souligne de plus que le texte de l’article 83.44.1 ne prévoit aucune limite de temps pour la reconsidération. Enfin, il indique que le principe de la stabilité juridique des décisions ne peut être invoqué à l’encontre d’une disposition législative claire qui permet la reconsidération d’une décision de la SAAQ, dans certains cas précis. Par ailleurs, procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, il conclut que le traumatisme crânien et la commotion cérébrale sont reliés à l’accident35. Il est à noter que cette position – non-nécessité que le fait essentiel soit inconnu lors de la décision initiale – a déjà été adoptée auparavant par le TAQ36.

9. Recouvrement

[34] La Cour d’appel a rendu un jugement mettant en cause l’article 154 de la Loi sur la justice administrative37 (LJA), l’article 83.51 de la loi et, indirectement, l’article 83.50 de la loi. Ces articles se lisent comme suit :

Article 83.50

Une personne qui a reçu une indemnité à laquelle elle n’a pas droit ou dont le montant excède celui auquel elle a droit, doit rembourser le trop-perçu à la Société.

La Société peut recouvrer cette dette dans les trois ans du paiement de l’indemnité.

Elle peut aussi remettre cette dette si elle juge que le montant ne peut être recouvré compte tenu des circonstances ou, de la manière déterminée par règlement, déduire le montant de cette dette de toute somme due au débiteur par la Société.

La Société peut effectuer une déduction en vertu du troisième alinéa malgré la demande de révision ou le recours du débiteur devant le Tribunal administratif du Québec.

Article 83.51

Malgré l’article 83.50, si, à la suite d’une demande de révision ou d’un recours formé devant le Tribunal administratif du Québec, la Société ou ce tribunal rend une décision qui a pour effet d’annuler ou de réduire le montant d’une indemnité, les sommes déjà versées ne peuvent être recouvrées, à moins qu’elles n’aient été obtenues par suite d’une fraude ou que la demande de révision ou le recours formé devant ce tribunal ne porte sur une décision rendue en vertu de l’article 83.50.

Article 154 LJA

Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu’il a rendue :

1o lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2o lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3o lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3o, la décision ne peut être révisée ou révoquée par les membres qui l’ont rendue.

[35] En avril 2002, le TAQ a rendu une décision38 faisant en sorte que la conjointe d’une victime décédée dans un accident a reçu une indemnité plus élevée que celle à laquelle elle avait droit. Agissant en révision39, il a infirmé cette décision et a renvoyé le dossier à la SAAQ. Celle-ci a réclamé un trop-perçu à l’épouse de la victime. Le TAQ, tant dans une décision initiale40 qu’en révision41, a conclu que la SAAQ était fondée à réclamer le remboursement du trop-perçu. Devant la Cour supérieure42, en révision judiciaire, l’épouse de la victime a soutenu que la SAAQ ne pouvait s’appuyer sur l’article 83.50 de la loi pour lui réclamer les sommes versées puisque celle-ci a eu gain de cause devant le TAQ agissant en révision en vertu de l’article 154 LJA. L’épouse de la victime a fondé cette prétention sur le libellé de l’article 83.51 de la loi, qui empêche la SAAQ de réclamer une somme d’argent lorsqu’elle annule ou réduit une indemnité à la suite d’une demande de révision administrative ou d’un recours devant le TAQ. La Cour supérieure a jugé que le TAQ n’avait pas rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant que l’exception au principe général de recouvrement, prévue à l’article 83.51, vise les recours en vertu de la Loi sur l’assurance automobile et non la révision aux termes de l’article 154 de la Loi sur la justice administrative. L’épouse de la victime s’est alors adressée à la Cour d’appel. Celle-ci a conclu que l’interprétation retenue par le TAQ pour ordonner le remboursement ne peut en aucun cas être qualifiée de manifestement déraisonnable ou de clairement irrationnelle. Le TAQ a procédé à une analyse détaillée de la législation et a insisté sur le caractère exceptionnel de l’article 83.51, qui incite à une interprétation restrictive. Enfin, la Cour d’appel indique que l’épouse de la victime a toujours su que la SAAQ contestait sa prétention. Elle n’a donc pas été prise au dépourvu par la demande de remboursement et la SAAQ n’a commis aucune erreur43.

[36] Il semble que la locution dura lex, sed lex ait été inventée pour des situations comme celle-là… Malheureusement pour l’épouse de la victime, la Cour suprême a rejeté sa requête pour autorisation de pourvoi44.

[37] Dans une autre affaire45, une victime a subi un accident en 1979 et une rechute en 1993. À la suite de cette rechute, il y a eu fabrication de faux formulaires d’attestation de frais engagés pour une aide personnelle. La victime a ainsi reçu des remboursements auxquels elle n’avait pas droit. La SAAQ ayant découvert la fraude, elle a réclamé à la victime les sommes reçues sans droit. La victime a soutenu que l’article 83.50 de la loi, qui prévoit qu’une personne qui a reçu une indemnité à laquelle elle n’a pas droit doit rembourser le trop-perçu, ne trouve pas application parce qu’il traite d’«indemnité» reçue sans droit alors que ce sont plutôt des «frais d’aide personnelle» qui sont en cause. Le TAQ conclut que, en vertu de l’article 4 de la loi, «une indemnité comprend le remboursement de frais visés au chapitre V». Or, les frais d’aide personnelle sont précisément visés à ce chapitre. L’article 83.52 de la loi prévoit que, lorsque la SAAQ reconsidère une décision, la somme déjà versée n’est pas recouvrable à moins qu’elle n’ait été obtenue par suite d’une fraude. La victime a affirmé que, par le biais de la décision contestée, la SAAQ reconsidère sa décision initiale et que, en vertu de l’article 83.52 de la loi, cela l’oblige à prouver la faute, ce qui ne saurait vraisemblablement être fait devant le TAQ. Ce dernier n’a pas retenu cet argument. L’article 83.50 établit le principe général de recouvrement, et les articles 83.51 et 83.52 sont des exceptions à ce principe, la notion de fraude qu’ils impliquent se posant elle-même comme une exception à l’exception. Ainsi, le législateur a voulu que jamais les victimes ne puissent garder les indemnités obtenues de la SAAQ à la suite d’une fraude. La victime a aussi prétendu qu’il était essentiel qu’une plainte pénale ait été déposée et qu’un jugement ait été rendu sur la question par les autorités compétentes pour que le TAQ puisse s’en saisir. Tel n’est pas le cas, selon le TAQ. Cette question fait partie du litige et du débat portés devant le TAQ, dans un contexte administratif relevant de sa compétence. Il lui appartient donc d’en décider. La victime ayant indéniablement fourni à la SAAQ des attestations constituant des faux, les remboursements ont été obtenus sans droit et, suivant l’article 83.50, le trop-perçu peut être recouvré. La réclamation, réduite en raison de la prescription, est bien fondée.

10. Frais

10.1 Allocation de disponibilité

[38] Il y a peu de jurisprudence relative à l’allocation de disponibilité. Cette allocation est accordée lorsque l’état d’une victime nécessite qu’elle soit accompagnée par une autre personne pour ses rendez-vous et ses traitements médicaux.

[39] La partie de l’article 83.5 relative à l’allocation de disponibilité se lit ainsi : «La personne qui accompagne une victime dont l’état physique ou psychique ou l’âge le requiert, lorsque celle-ci doit recevoir des soins médicaux ou paramédicaux ou se soumettre à un examen exigé par la Société, a droit à une allocation de disponibilité. Elle a également droit au remboursement des frais de séjour et de déplacement engagés pour ces motifs.»

[40] Deux décisions particulièrement intéressantes ont été rendues en ce domaine, favorisant les victimes.

[41] Dans la première décision[46], une victime a subi un stress post-traumatique à la suite d’un accident survenu en 2002. La SAAQ a refusé de rembourser des allocations de disponibilité réclamées pour la période du 8 avril 2003 au 23 septembre 2004 au motif que leur nécessité médicale n’avait pas été démontrée. Le TAQ réaffirme le principe général selon lequel la victime doit démontrer que son état physique ou psychique nécessitait l’accompagnement d’une autre personne afin de recevoir des soins médicaux ou paramédicaux ou encore se soumettre à un examen exigé par la SAAQ. L’allocation de disponibilité est accordée uniquement lorsque la présence de l’accompagnateur est nécessaire à l’occasion de traitements ou de visites médicales, et non lorsque celui-ci agit uniquement à titre de chauffeur. L’accompagnateur doit servir de soutien physique ou moral. Il faut qu’il y ait un besoin de surveillance. Le TAQ est d’avis que, pendant la période en litige, la victime était relativement autonome pour conduire dans les limites de sa ville. Elle était cependant craintive quant aux longs trajets à l’extérieur, qu’elle conduise ou non. Son état physique ou psychique ne nécessitait pas l’accompagnement d’une autre personne lorsque les déplacements étaient effectués dans les limites de sa ville. Elle pouvait soit conduire elle-même, soit utiliser les transports en commun. Pour les longs trajets à l’extérieur de sa ville, il faut prendre en considération la nature même de la blessure psychologique de même que la phobie résiduelle des trajets en automobile et le risque de panique, que la victime soit conductrice ou non. La personne qui l’accompagnait dans ces occasions jouait un rôle non seulement de simple chauffeur, mais également de soutien physique ou moral ainsi que de surveillance et d’assistance. Le TAQ conclut que la victime a donc droit au remboursement de l’allocation de disponibilité pour les déplacements effectués à l’extérieur de sa ville.

[42] Quant à la seconde décision47, une victime a été grièvement blessée lors d’un accident survenu en 2000. Son état a nécessité des interventions chirurgicales et de nombreux traitements. La SAAQ a refusé de rembourser une allocation de disponibilité à sa conjointe pour les périodes du 14 février 2001 au 28 janvier 2005 et du 10 juin au 15 juillet 2005 au motif que la nécessité médicale n’avait pas été constatée. Le TAQ indique que l’allocation de disponibilité répond à un besoin précis qu’un simple chauffeur de taxi ou de limousine ne peut toujours remplir. Dans le présent cas, aucune preuve écrite d’un médecin ou d’un intervenant quelconque ne démontre qu’une accompagnatrice est nécessaire aux déplacements de la victime, que ce soit pour des traitements ou des visites médicales. La conjointe n’a pas non plus obtenu une attestation d’un professionnel ou de la personne autorisée du lieu visité pour les besoins d’accompagnement. La loi et le Règlement sur le remboursement de certains frais48 ne font pas état de la nécessité d’obtenir une autorisation médicale pour justifier l’obtention de l’allocation de disponibilité. La directive administrative de la SAAQ fait mention de deux situations, à savoir l’allocation de disponibilité pour accompagnement et l’allocation de disponibilité pour présence. L’article 83.5 de la loi ne fait toutefois pas de telles distinctions. La SAAQ confond les deux situations et crée de la confusion en interprétant erronément la directive. Lorsque l’accompagnatrice participe aux soins ou aux traitements, à la demande de l’équipe traitante, sans être cependant une intervenante additionnelle, la SAAQ pourrait exiger une preuve médicale. Ce n’est pas le cas dans l’affaire à l’étude. Chaque situation est un cas d’espèce, et la directive de la SAAQ ne lie pas le TAQ. Une directive ne peut ajouter à la loi ou au règlement. La SAAQ se trompe lorsqu’elle rejette la demande d’allocation de disponibilité au motif que la conjointe n’a servi que de conductrice pour la victime. Elle se trompe également lorsqu’elle prétend que la présence de la conjointe de la victime à titre d’accompagnatrice devait être médicalement requise. La victime a toujours dû se déplacer avec l’automobile conduite par sa conjointe entre le lieu de sa résidence et les différentes villes où elle était traitée. Les déplacements ont donc été effectués pour lui permettre de recevoir des soins et des traitements liés à son accident, qu’elle ne pouvait obtenir dans la ville de sa résidence. Sa conjointe n’a pas seulement servi de simple conductrice à l’occasion de longs trajets : elle a aidé la victime, dans ses transferts en voiture, à se vêtir et à se dévêtir et à se diriger dans les centres hospitaliers ainsi qu’à ouvrir les portes et elle l’a conduit aux restaurants et cafétérias. La condition médicale de la victime justifiait la présence d’un accompagnateur pour la conduite automobile et lors des visites aux divers intervenants par mesure de sécurité et de protection. Ainsi, conclut le TAQ, les frais d’allocation de disponibilité réclamés sont justifiés et doivent être payés.

10.2 Aide personnelle

[43] Dans le litige qui suit, même si la SAAQ alléguait n’avoir jamais eu l’occasion de se prononcer sur les besoins d’aide personnelle de la victime pour une période précise, le TAQ a jugé qu’il avait compétence pour rendre une décision sur ce sujet.

[44] Une victime a subi un accident en 2000. Elle a eu des interventions chirurgicales à l’automne 2003 et en 2005. Pour la période du 24 novembre au 18 décembre 2003, la SAAQ a évalué ses besoins d’aide personnelle à un pointage insuffisant pour donner droit à un remboursement. Par contre, elle a conclu que la victime avait droit à un remboursement pour les besoins d’aide personnelle du 29 avril au 30 juin 2005. Devant le TAQ, la victime a réclamé un pointage permettant un remboursement pour la période du 24 novembre 2003 au 28 avril 2005. La SAAQ s’est opposée à ce que le TAQ rende une décision sur les besoins d’aide personnelle du 18 décembre 2003 au 28 avril 2005 au motif qu’elle n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur cette période. Le TAQ indique que la décision initiale quant à la première demande de besoins d’aide personnelle a été rendue le 20 mai 2004 et a refusé de verser une indemnité pour la période du 24 novembre au 18 décembre 2003, date de la demande. La victime a exigé la révision de cette décision le 4 juin 2004, et l’audience en révision a eu lieu le 25 novembre suivant. Elle a alors prétendu que ses besoins étaient restés les mêmes à compter du 24 novembre 2003 «jusqu’à aujourd’hui», ce que la SAAQ n’a pas retenu. Elle a invoqué la même continuité devant le TAQ par rapport à une période qui s’étend maintenant jusqu’au 28 avril 2005. En pareilles circonstances, le TAQ a compétence en appel pour se saisir de la demande de la victime. D’un point de vue factuel, la situation tant alléguée que constatée est, en effet, restée la même. La SAAQ a jugé en première instance et en révision qu’une indemnité à compter du 24 novembre 2003 n’est plus fondée, ce que la victime conteste. Le TAQ conclut qu’il n’est donc pas nécessaire de lui renvoyer le dossier d’indemnisation à cette fin, multipliant ainsi décisions et délais, alors que la position respective des parties sur la question est connue et peut être débattue dans toute son ampleur dans le contexte du présent litige. Quant au fond du litige, il reconnaît que la victime a droit à un pointage de 15,5 sur 174 pour la période du 24 novembre 2003 au 28 avril 2005 et qu’une indemnité doit être versée en conséquence49.

[45] Il est intéressant de noter que cette décision s’appuie sur un article rédigé à l’occasion du colloque de l’an dernier sur les développements récents en matière d’accidents d’automobile50.

10.3 Présence continuelle

[46] L’indemnisation pour présence continuelle est un autre cas où la jurisprudence est assez rare. Voici donc un cas d’application dans lequel une victime recevant une aide personnelle maximale et s’étant vu accorder un taux de séquelles permanentes de 100 % a échoué à démontrer la nécessité d’une présence continuelle auprès d’elle51.

[47] L’accident de la victime est survenu en 1986. Celle-ci a subi une amputation de la jambe gauche, une amputation presque totale du bras gauche et une fracture de la cheville droite avec luxation du tibia et du péroné. La SAAQ lui a accordé un taux d’atteintes permanentes de 100 % et l’a reconnue invalide pour tout emploi. En août 1992, la Commission des affaires sociales (CAS) a refusé de lui reconnaître la nécessité d’une présence continuelle en raison de l’absence de preuve médicale. En février 1993, la victime a déposé une nouvelle demande, alléguant un besoin de surveillance constante suivant les critères prévus à l’article 81 de la loi. La SAAQ a de nouveau rejeté cette demande aux motifs que seules des séquelles de nature orthopédique avaient été reconnues et que la victime ne présentait aucun problème de nature psychique ou neurologique. Le TAQ souligne que la victime réclame que la nécessité d’une présence continuelle lui soit reconnue rétroactivement à l’accident. Or, une telle indemnité n’existait pas avant l’entrée en vigueur de l’article 81 et du Règlement sur le remboursement de certains frais, le 1er janvier 1990. De plus, il y a chose jugée pour la période du 1er janvier 1990 au 25 août 1992 puisque la décision de la CAS vise cette période. Avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 1er juillet 1993, les anciennes dispositions ont continué à être en vigueur, c’est-à-dire les articles 81 de la loi et l’annexe 1 E du règlement. Ces dispositions obligeaient la victime à justifier médicalement ses prétentions, ce qu’elle n’a pas fait à l’époque. Elle ne l’a pas fait non plus au soutien du présent litige, ce qui s’avérait essentiel étant donné que les nouvelles dispositions lui imposent la même obligation. La preuve démontre l’absence de trouble cognitif ou comportemental. Les séquelles orthopédiques de la victime entraînent des restrictions majeures, lesquelles sont compensées par une aide personnelle maximale à domicile ainsi qu’un aménagement de sa résidence. Cela ne signifie pas pour autant un droit automatique à une indemnité pour présence continuelle.

10.4 Traitements médicaux

[48] Les litiges relatifs au remboursement de traitements médicaux usuels – physiothérapie, chiropractie, etc. – sont très fréquents. Les décisions qui suivent présentent donc des cas inhabituels rencontrés cette année; les motifs du TAQ pourraient s’appliquer à d’autres traitements.

[49] Une victime a obtenu le remboursement de frais engagés pour une «Intra Discal Electrothermal Therapy» (IDET) ainsi que pour des traitements de thermolésion cervicale, et ce, même si ces frais sont couverts par le régime de l’assurance-maladie52. Dans cette affaire, la victime a subi des entorses cervicale, dorsale et lombaire lors d’un accident survenu en février 2001. Elle a présenté par la suite une condition douloureuse persistante. La SAAQ a refusé de lui rembourser des frais engagés pour une IDET et pour des traitements de thermolésion cervicale. Elle a considéré que ces frais étaient couverts par un autre régime de sécurité sociale, soit celui de la Régie de l’assurance maladie du Québec. À l’audience devant le TAQ, elle a fait état d’une directive à cet effet. Elle a invoqué de plus que l’efficacité de ces traitements n’a pas été prouvée. Le TAQ mentionne que la victime présente, depuis son accident, une condition douloureuse importante dont l’évolution peut être qualifiée de désastreuse. Il conclut que les frais de thermolésion cervicale et d’IDET doivent être remboursés. La victime, vu la précarité de sa condition, était fondée à suivre les recommandations de ses médecins. Elle n’a pas à subir les conséquences d’un imbroglio administratif ou de directives restrictives alors que les traitements en question pouvaient lui être donnés. L’efficacité de ceux-ci ne peut constituer un élément déterminant, d’autant moins qu’un médecin s’est montré favorable à ce type d’interventions et qu’un autre, bien que plus réservé, a admis qu’ils auraient pu être indiqués plus tôt dans l’évolution de la condition de la victime.

[50] Dans une autre affaire53, une victime a obtenu le droit au remboursement d’infiltrations de Synvisc pour soulager les douleurs reliées une condition d’arthrose à un genou, fracturé lors d’un accident survenu en 2002. La SAAQ avait refusé de rembourser les frais engagés à compter de 2003 au motif que l’atteinte pour laquelle le Synvisc était prescrit relevait d’une condition personnelle et n’était donc pas reliée à l’accident. Elle a ajouté que le caractère palliatif et non curatif du traitement justifiait le refus de remboursement. À cela le TAQ répond que le Synvisc est un fluide de remplacement et un supplément temporaire du liquide synovial présent dans les articulations. Il est administré par voie intra-articulaire afin de soulager la douleur associée à l’arthrose. En l’espèce, la condition arthrosique du genou de la victime ne fait pas de doute. Cette condition est reliée à l’accident. En application de l’article 83.7 de la loi, l’administration du Synvisc permet d’atténuer l’incapacité résultant d’un préjudice corporel et de faciliter le retour à la vie normale. La SAAQ a agi de façon déraisonnable en refusant de rembourser les frais engagés. Le traitement a été prescrit par le médecin traitant, qui assure le suivi médical de la victime depuis une intervention chirurgicale ayant entraîné un remodelage de la structure anatomique du genou. L’administration de Synvisc permet non seulement de conserver les acquis eu égard à l’atténuation des conséquences de l’accident, mais également de retarder l’évolution vers une rechute de la fonction articulaire du genou.

10.5 Autres frais

[51] La SAAQ adopte des directives administratives pour encadrer le remboursement de certains frais prévus à l’article 83.7 de la loi. Le TAQ n’est pas lié par ces directives et peut juger qu’elles sont déraisonnables.

[52] Une victime est demeurée paraplégique à la suite d’un accident d’automobile survenu en 1992 et elle se déplace en fauteuil roulant manuel. Elle a réclamé un quadriporteur pour pouvoir se déplacer à l’extérieur l’hiver puisque son fauteuil actuel n’est pas stable dans la neige et se renverse. La SAAQ a refusé de lui rembourser les frais d’achat d’un quadriporteur au motif qu’elle ne respectait pas l’un des critères d’attribution prévus à une directive administrative, à savoir : «Être incapable de se déplacer en fauteuil roulant manuel pour assurer son autonomie reliée à des activités sociales et professionnelles.» Le TAQ rétorque qu’il n’est pas lié par les directives administratives. Il n’a pas à faire preuve de réserve face à une décision de la SAAQ fondée essentiellement sur une directive interne et n’intervenir que si celle-ci est déraisonnable. Exerçant une compétence d’appel, il peut substituer sa décision à celle de la SAAQ dès qu’il estime que la victime a motivé sa demande. Chaque cas doit être étudié suivant son bien-fondé dans une perspective d’interprétation libérale favorisant l’indemnisation de la victime. En l’espèce, la victime a satisfait aux conditions énoncées à la loi et au Règlement sur le remboursement de certains frais. Elle remplit en outre tous les critères qu’ajoute la directive, sauf celui sur lequel la SAAQ fonde son refus. Cette condition est extrêmement restrictive, et très peu de victimes sont susceptibles d’y satisfaire. Il en résulte que le fauteuil manuel est la règle et que les autres options sont réservées à des situations très exceptionnelles. Il s’agit d’un choix administratif de la SAAQ que le TAQ n’a pas à entériner indistinctement pour toutes les victimes, d’autant moins qu’il restreint significativement la portée de la loi et du règlement. Les déplacements de la victime pour les simples activités de sa vie quotidienne sont limités pendant la saison d’hiver. Sa demande de quadriporteur est amplement justifiée54.

11. Réadaptation

[53] Les directives administratives de la SAAQ sont également au cœur des conditions de remboursement des frais engagés en matière de réadaptation.

[54] Une victime est demeurée paraplégique à la suite d’un accident survenu en 1981. En 1998, le TAQ lui a accordé le remboursement du coût d’achat d’un fauteuil roulant sportif au motif qu’il contribuait au maintien de la condition physique nécessaire à son travail exigeant physiquement. En 2004, la victime a demandé à la SAAQ de lui payer un vélo adapté. Cette dernière a refusé au motif qu’un seul équipement sportif à vie est permis. La victime a soutenu que, comme elle ne peut plus faire de compétition en fauteuil roulant en raison de blessures, le vélo est le seul sport cardiovasculaire qui lui reste. L’article 46, relatif à la réadaptation à la date de l’accident, se lisait comme suit : «La Régie peut prendre les mesures nécessaires et faire les dépenses qu’elle croit opportunes ou convenables pour contribuer à la réadaptation des victimes, pour atténuer ou faire disparaître toute incapacité résultant d’un dommage corporel et pour faciliter leur retour à la vie normale et leur réinsertion dans la société et sur le marché du travail.» Le TAQ a conclu que les motifs pour lesquels la victime réclame un vélo adapté satisfont aux critères prévus à cet article 46. En effet, le vélo constitue non seulement une activité de loisir, mais principalement un moyen de garder la forme physique nécessaire à l’exécution de son travail. Le TAQ rappelle qu’il n’est pas lié par la directive de la SAAQ imposant une limite d’un seul équipement adapté à vie. Cette limitation, selon le TAQ, est restrictive et déraisonnable. La victime n’a pas épuisé son droit parce que la pratique du sport en fauteuil roulant ne lui convient plus. Le vélo ne constitue pas une activité sportive additionnelle, mais plutôt la seule qui permette actuellement à la victime de maintenir une forme physique et cardiovasculaire à la hauteur des exigences de son travail55.

12. Indemnité de décès

[55] Le décès d’une victime entraîne le versement d’une indemnité à ses proches. Quelques cas particuliers ont marqué la dernière année.

12.1 Lien de causalité entre l’accident et le décès

[56] Les circonstances d’un accident font quelquefois en sorte qu’il est difficile de prouver que le décès a bel et bien été causé par cet accident lui-même, et non par une cause extrinsèque. Certains proches de victimes ont réussi, en dépit d’un rapport du coroner qui leur était défavorable.

[57] En novembre 2003, le fils des requérants a été retrouvé noyé; son automobile accidentée avait été sortie de la rivière la nuit précédente. Le pathologiste ayant effectué l’autopsie a indiqué que la victime ne présentait que quelques lésions traumatiques très mineures et qu’il lui semblait peu probable qu’elle ait été éjectée de son véhicule lors de la collision. Il a émis l’hypothèse selon laquelle elle pouvait s’être jetée à l’eau volontairement. Le coroner, dans son rapport d’enquête, a indiqué que l’automobile avait heurté violemment un ponceau, qu’il n’y avait pas de traces de freinage et que le véhicule semblait rouler très vite. Il a rapporté les propos du pathologiste à propos des lésions mineures. Il a mentionné que le profil de santé mentale de la victime — psychopathologie récente, tentative de suicide antérieure et toxicomanie — lui semblait compatible avec un suicide. Il a donc conclu à une mort violente par suicide. La SAAQ a refusé d’accorder une indemnité de décès aux requérants. Le TAQ infirme cette décision. Il indique que l’opinion du coroner est significative puisqu’il a le mandat exprès de déterminer les causes et les circonstances d’un décès. Cependant, le TAQ n’est pas lié par son opinion. En l’espèce, le coroner s’est appuyé sur une fausse prémisse en faisant jouer à tort un rôle déterminant à un ponceau. Les policiers ont plutôt conclu que la victime roulait à haute vitesse et qu’elle avait raté une courbe. Jamais il n’a heurté le ponceau situé non loin du point d’impact dans la rivière. Le coroner n’a pas non plus tenu compte des circonstances dans lesquelles s’était produit l’accident. Il n’a pas analysé l’effet probable, pour la victime, de se retrouver momentanément prisonnière dans l’eau glacée, la difficulté de s’en sortir pour un individu lourdement habillé, myope et encore sous le choc de l’impact des coussins gonflables, le tout, par une nuit glaciale, dans un lieu inconnu et désert. Il est difficilement concevable qu’un individu, dans ce contexte, puisse se cacher pendant des heures pour finalement se suicider. Il est beaucoup plus probable qu’il ait perdu la maîtrise de la situation et qu’il se soit noyé après s’être trouvé en proie à la panique dans l’eau glacée et que son corps ait dérivé, ce qui explique qu’il ait été retrouvé loin des lieux de l’accident. Les policiers n’ont pas retenu l’hypothèse du suicide, et l’opinion du coroner à ce sujet s’appuie sur une preuve non déterminante. Rien ne démontre des problèmes psychiques dans les jours, les semaines ou les mois précédant le décès. Le fait d’avoir trouvé des traces de phencyclidine (PCP) dans le sang de la victime s’avère peu révélateur, celles-ci pouvant perdurer pendant des mois. La seule conclusion logique est la mort par noyade des suites de l’accident56.

[58] Un autre rapport du coroner a été mis de côté par le TAQ. En janvier 2002, après avoir passé la soirée dans un bar, le conjoint de la requérante a raté une courbe et s’est retrouvé dans un fossé; les sacs gonflables de sa voiture se sont alors déployés. Lorsque les secours sont arrivés, il était mort. La SAAQ a refusé de verser une indemnité de décès à la requérante au motif que la mort de son conjoint était attribuable à une condition personnelle d’arythmie cardiaque. Cette dernière a soutenu devant le TAQ que son conjoint souffrait de syncope à la toux; lorsqu’il toussait, il s’étouffait régulièrement et s’évanouissait, particulièrement lorsqu’il consommait de l’alcool. Elle a prétendu que c’était ce qui avait dû arriver le soir de l’accident. Le TAQ rappelle que, selon la jurisprudence, il faut déterminer si le décès a été causé par une automobile, son usage ou son chargement. La décision de la SAAQ repose sur la conclusion du coroner selon laquelle le conjoint de la requérante est décédé de mort naturelle : aucune lésion traumatique n’ayant été décelée à l’autopsie, les changements notés suggèrent que la victime était décédée ou en arrêt cardiorespiratoire au moment de l’impact. Une alcoolémie de 285 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang a été rapportée. Une preuve médicale importante concernant le problème de syncope à la toux de la victime n’a pas été prise en considération par le pathologiste ni par le coroner. Quant au rapport du coroner en ce qui concerne l’arythmie cardiaque, il s’agit d’une hypothèse puisqu’il était impossible de diagnostiquer chez une personne décédée un tel malaise. De plus, la requérante a affirmé que son conjoint n’avait jamais souffert d’arythmie cardiaque et n’avait jamais été traité pour un problème semblable. Le TAQ indique qu’il n’est pas lié par l’opinion du coroner. Un témoin arrivé sur les lieux peu de temps après l’accident a révélé que la victime respirait encore, quoique difficilement. Il est donc probable qu’elle a eu un épisode de syncope à la toux, qu’elle a perdu connaissance et, se retrouvant coincée entre le siège, le volant, le tableau de bord du véhicule et le sac gonflable après l’impact — qui a été violent —, qu’elle n’a pu reprendre son souffle, d’où l’arrêt respiratoire et le décès. La mort n’a pas été causée par des lésions traumatiques, mais plutôt par le fait accidentel lui-même. La requérante avait droit aux indemnités découlant de ce décès57.

12.2 Conjoint et cohabitation

[59] Pour avoir droit à une indemnité de décès, un conjoint de fait doit démontrer l’existence d’une vie maritale. La cohabitation constitue l’un des critères à considérer.

[60] Le requérant et sa conjointe de fait ont commencé à cohabiter à l’été 1992. Ils avaient des enfants nés d’unions précédentes. En juin 1999, la conjointe a quitté le domicile conjugal avec sa fille, qui avait de graves problèmes de toxicomanie et de comportement, pour s’installer dans un logement situé dans le même quartier. Le requérant et sa conjointe ont alors vécu à deux adresses différentes. La fille est finalement allée vivre chez son père au printemps 2000. Le requérant et sa conjointe ont fait l’acquisition d’une maison à la fin de l’année 2001. En août 2004, le couple a eu un accident de motocyclette et la conjointe a perdu la vie. La SAAQ a refusé de verser une indemnité de décès au requérant au motif d’absence de cohabitation pendant les trois ans qui avaient précédé le décès puisque la cohabitation n’a repris que vers la fin de l’année 2001. Le TAQ rappelle que les critères servant à définir une situation de vie maritale sont la cohabitation, le secours mutuel et la commune renommée. Seule la cohabitation est en litige en l’espèce. Cette notion s’est adaptée aux exigences des temps modernes. Ainsi, la jurisprudence a établi que deux personnes peuvent cohabiter même si elles ne vivent pas sous le même toit. La victime, financièrement indépendante et soutenue moralement par le requérant, a décidé d’avoir une résidence distincte tout près du domicile conjugal afin d’accommoder le requérant. Celui-ci trouvait la situation insupportable en raison des comportements inappropriés de la fille de la victime. Il ne s’agit pas d’une séparation ni d’une rupture mettant un terme à la vie maritale. La victime a décidé de partager plus de temps avec sa fille pour l’aider à vaincre ses problèmes de comportement et de drogue. Malgré la nouvelle résidence, le couple a continué à vivre comme auparavant. Les déclarations de revenus du requérant et de la victime, pour les années d’imposition de 2000 à 2003, font état d’un statut respectif de «sans conjoint». Ces déclarations ne sont pas déterminantes puisque les couples en union libre ne retirent aucun avantage fiscal lorsque tous les deux travaillent et sont des salariés. L’on ne peut exiger des couples aisés vivant en union libre et qui ont de grandes familles de cohabiter sous un toit unique en permanence pour avoir droit aux avantages des lois sociales. L’intention de la requérante, en allant vivre avec sa fille, n’était pas de se séparer de son conjoint, mais plutôt de sauvegarder sa vie de couple. Il n’y a jamais eu de rupture entre juillet 1999 et décembre 2001. Le couple a vécu en harmonie dans deux logements à proximité l’un de l’autre, sans qu’il y ait absence de cohabitation réelle58.

12.3 Enfant

[61] Dans le cas du décès d’un enfant, l’indemnité est habituellement divisée entre le père et la mère. Il peut toutefois en être autrement. Ainsi, une indemnité de décès a été divisée en trois.

[62] La fille du requérant, âgée de neuf ans, est décédée dans un accident survenu en 2005. La SAAQ a considéré que le nouveau conjoint de la mère avait agi in loco parentis à l’égard de l’enfant et lui a attribué un tiers de l’indemnité de décès. Le requérant a contesté cette décision devant le TAQ. Celui-ci indique que le nouveau conjoint de la mère de la victime était, aux yeux de l’entourage, celui qui tenait lieu de père à celle-ci. Il paraissait celui qui s’occupait d’elle comme si c’était sa propre fille. Il s’acquittait également des responsabilités qu’un parent assume à l’égard de son enfant. En conséquence, il agissait effectivement in loco parentis. La SAAQ pouvait diviser en trois l’indemnité de décès. Elle s’est appuyée sur les articles 60 et 69 de la loi pour ce faire. Or, aucun empêchement légal ne lui interdit de diviser l’indemnité de décès entre le père, la mère et une personne, comme c’est le cas en l’espèce, tenant lieu de père au moment du décès de la victime. Le partage de l’indemnité en trois ne contrevient donc pas à la loi59.

[63] Il est à noter que c’est la première fois que le TAQ rendait une décision en ce sens. Il s’est notamment appuyé sur un extrait de doctrine rédigé par Me Janick Perreault60.

13. Lien de causalité

[64] Un très grand nombre de décisions sont rendues chaque année relativement au lien de causalité entre un accident et une blessure. Il s’agit souvent de questions de fait, tels le délai de consultation, la présence ou non d’une condition personnelle préexistante, etc. Il vaut quand même la peine de relever certaines décisions qui ont été marquantes à leur façon.

[65] Une victime a subi un accident le 14 novembre 1998. Son automobile a été heurtée à l’arrière par un autre véhicule. Un constat amiable a été rédigé et la victime est rentrée chez elle. Elle s’est rendue au service des urgences le 22 novembre suivant et, quelques heures plus tard, elle était dans le coma à la suite d’une hémorragie cérébrale causée ou précipitée par la malformation d’un vaisseau cérébral qui s’était rompu. Elle est demeurée lourdement handicapée. La SAAQ a refusé de reconnaître une relation entre l’accident et la pathologie vasculaire cérébrale ainsi qu’un syndrome cérébral organique. Le TAQ, en novembre 2005, a confirmé cette décision61. En juillet 2006, il a refusé de réviser sa première décision62. La victime a demandé la révision judiciaire des deux décisions du TAQ. La Cour supérieure indique que la victime a déposé le rapport d’un expert, qui a également témoigné. Ce médecin a conclu que le traumatisme subi lors de l’accident a probablement été à l’origine du saignement de la lésion vasculaire cérébrale. Le TAQ a toutefois fondé sa décision sur le rapport d’expertise et le témoignage d’un neurologue mandaté par la SAAQ. Celui-ci n’a pas rencontré la victime et son expertise a été faite sur dossier. Il a fait état d’un accident banal et a conclu à l’absence de traumatisme crânien puisqu’il n’y avait pas eu altération de la conscience. Il a rappelé à cet effet que la victime avait rempli elle-même le constat à l’amiable et qu’elle avait repris sa voiture pour rentrer chez elle. Or, le TAQ n’a pas tenu compte du contre-interrogatoire de ce neurologue ni du témoignage de la soeur de la victime, qui était une preuve concomitante des faits de l’accident. Ainsi, dans son contre-interrogatoire, le neurologue a admis qu’il peut se produire un traumatisme crânien même s’il n’y a pas de coup direct au crâne. La soeur de la victime, qui est arrivée sur les lieux de l’accident quelques minutes plus tard, a rempli le constat à l’amiable. Les déclarations que lui a faites la victime ressemblent à une altération de la conscience, et c’est d’ailleurs sa conjointe qui a pris le volant pour rentrer à la maison. La victime a répété le lendemain qu’elle ne se sentait pas dans son état normal. Les symptômes ne sont donc pas apparus deux ou trois jours plus tard, comme le déclare le TAQ dans sa décision de novembre 2005. Celui-ci avait le droit d’écarter le témoignage de la soeur de la victime s’il ne le jugeait pas crédible, mais il devait au moins expliquer ce choix. Il pouvait décider laquelle des expertises il retenait. Cependant, les prémisses sur lesquelles était fondée celle du neurologue ont été sérieusement remises en question. Le TAQ a donc commis une erreur manifestement déraisonnable dans l’analyse et l’évaluation de la preuve. Par conséquent, la Cour supérieure casse ses deux décisions, accueille la requête en révision judiciaire et lui renvoie le dossier afin qu’il décide, à la lumière de l’ensemble de la preuve, s’il est plus probable que la condition de la victime soit devenue symptomatique en raison de l’accident ou qu’il s’agisse d’une pure coïncidence63.

[66] Dans une autre affaire, une victime a subi un accident en 1999. Une contusion au coude droit a été diagnostiquée. Les rapports médicaux transmis à la SAAQ au cours des années qui ont suivi ont fait état de problèmes au coude et à l’avant-bras droits. La SAAQ n’a pas reconnu de séquelles permanentes à ces régions. Un accord de conciliation entériné par le Tribunal administratif du Québec n’a pas modifié cette situation. La SAAQ a par la suite refusé de reconnaître une relation entre l’accident et une épicondylite au coude. Le TAQ mentionne qu’il est indéniable que l’accident a entraîné une blessure au coude droit. En effet, la très grande majorité des rapports médicaux jusqu’en 2002 — sinon tous — ont mentionné des problèmes de plus en plus importants à ce coude. Il est vrai qu’il y a eu une interruption entre 2002 et 2005. Cependant, il n’y a eu que très peu de rapports médicaux pendant cette période et la majorité de ceux-ci ne faisaient état que du problème de stress post-traumatique pour lequel la victime avait été reconnue inapte au travail de façon définitive. La SAAQ soutient que le TAQ ne serait pas tenu par l’affection générale au coude, mais bien par le diagnostic d’épicondylite. Or, c’est tout le contraire, indique le TAQ, puisque la seule question qu’il doit se poser est de savoir si l’état du coude de la victime devant faire l’objet de traitements en 2005 et 2006 dépend de l’accident de 1999. La victime n’a pas à faire les frais de fluctuation dans les termes diagnostiques utilisés par différents médecins, comme si ces diagnostics — contusion, épicondilyte, déchirure musculo-tendineuse, hématome, névrome, etc. — constituaient des entités pathologiques complètement différentes. Le fait qu’il s’agisse du coude ou de la portion proximale de l’avant-bras ne change rien. L’absence de séquelles permanentes est également sans incidence. Ce n’est pas parce qu’un accord de conciliation est intervenu sans que l’on ait réussi à négocier la présence de séquelles permanentes au coude que cela fait en sorte que, subitement, la victime n’aurait plus été blessée à ce coude lors de l’accident. La relation recherchée est donc reconnue64.

[67] Enfin, une victime a subi une entorse cervico-dorsolombaire lors d’un accident de motocyclette survenu en 2001. Les médecins qui l’ont examinée au cours des années suivantes ont rapporté des douleurs persistantes et des problèmes psychologiques. La SAAQ a déclaré qu’il n’y avait pas de relation entre ces problèmes et l’accident. Elle a conclu à la capacité de travail de la victime à compter du 1er octobre 2002, a mis fin à l’IRR et a jugé que des traitements additionnels n’étaient plus requis. La victime a contesté cette décision devant le TAQ. Celui-ci souligne que rien ne permet de croire que la victime avait des antécédents psychiatriques. Il s’agit d’un homme qui travaillait dur et qui avait un bon réseau d’amis ainsi que des loisirs. Après l’accident, l’entorse cervico-dorsolombaire n’a pas répondu aux traitements habituels. La réaction psychologique ou psychiatrique est hors de proportion avec l’absence de gravité objective des lésions musculo-squelettiques. Néanmoins, la victime n’est plus que l’ombre d’elle-même. Un psychiatre a diagnostiqué une dépression majeure d’intensité légère à modérée secondaire à un syndrome douloureux chronique. Un autre psychiatre a conclu à une condition personnelle. Il est clair que la victime devait avoir des traits de personnalité préexistants, mais ceux-ci ne se sont pas manifestés tant qu’un stresseur comme l’accident n’est pas survenu. Lorsqu’un traumatisme rend symptomatique une arthrose préexistante, la jurisprudence veut que la victime ait droit aux indemnités. Il en est de même sur le plan de la personnalité, et ce, même s’il semble y avoir une nette disproportion entre les conséquences de l’accident et la réaction psychologique ou psychiatrique qu’elles ont pu entraîner. Il y a donc une relation entre l’accident et l’état psychologique de la victime. Celle-ci était incapable de travailler le 1er octobre 2002, et l’IRR doit être prolongée, sous réserve des articles 46 et 48 de la loi. Enfin, la victime pourra avoir besoin de traitements psychologiques ou psychiatriques et pourra être admissible à un traitement de sa douleur chronique65.

[68] Par ailleurs, la question de savoir si un problème causé par un nouvel événement est en relation directe ou indirecte avec un accident n’est pas toujours évidente. Le TAQ a rendu une décision indiquant les critères à considérer.

[69] La victime a subi une fracture de la tête du péroné droit lors d’un accident en juin 2003. Le 23 décembre suivant, en marchant dans la neige, elle a perdu pied et est tombée. Des douleurs lombaires se sont alors manifestées. La SAAQ a refusé de reconnaître une relation entre l’accident et la lombalgie apparue en décembre 2003 en raison du délai d’apparition, jugé tardif. De prime abord, le TAQ souligne que l’accident initial n’a causé aucune lésion à la région lombaire, qu’un silence médical de six mois est présent entre le traumatisme et la chute qui s’est produite en décembre 2003 et que la symptomatologie subite et extrêmement douloureuse alors ressentie milite en faveur d’un lien entre la chute et le problème lombaire. Toutefois, indique le TAQ, il ne faut pas nier pour autant la relation recherchée avec l’accident. Un lien entre un accident initial et des blessures dues à un nouvel événement traumatique doit être considéré comme direct si celles-ci surviennent en raison de blessures non encore consolidées. En décembre 2003, la victime était toujours souffrante et limitée par le problème au genou droit. Une note médicale du 16 décembre fournit d’ailleurs la preuve de cette «non-consolidation» en rapportant une atteinte de la force et une douleur fémoro-patellaire greffée sur une condition préexistante. La victime n’est pas fautive en ce qui a trait à sa chute : elle marchait et c’est sa jambe droite, alors en traitements actifs de physiothérapie, qui n’a pu résister à l’exigence des déplacements dans la neige et sur la glace. La situation vécue par la victime respecte les critères qui permettent de la relier directement à l’accident66.

14. Fibromyalgie

[70] La relation entre un accident et un diagnostic de fibromyalgie constitue un sujet d’intérêt depuis quelques années. La position du TAQ semble s’assouplir, mais la partie est loin d’être gagnée pour les victimes67.

[71] Une victime a subi une entorse cervicale lors d’un accident d’automobile survenu en juillet 1999. Le 20 septembre 2001, un rhumatologue a diagnostiqué une fibromyalgie. La SAAQ a conclu qu’il n’y avait pas de relation entre cette condition et l’accident. Le TAQ fait une analyse de la preuve médicale. Il rapporte que deux experts, à savoir un rhumatologue et un interniste, s’entendent sur le diagnostic de fibromyalgie et sur sa relation avec l’accident. Le TAQ est d’avis que l’expertise de l’interniste est prépondérante en raison de sa qualité exceptionnelle. Il met en évidence la probabilité de l’accident comme événement déclencheur de la fibromyalgie. Il possède une expertise clinique dans des cas de fibromyalgie. Néanmoins, la SAAQ écarte ses conclusions, alors qu’il s’agit de son expert, et remet en question le diagnostic lui-même ainsi que le lien de causalité. Elle reproche aux médecins qui ont examiné la victime, soit le rhumatologue et l’interniste, de ne pas avoir fait la distinction entre les points de fibromyalgie et les points douloureux reliés à l’entorse cervicale. Ce reproche constitue un déni de leur compétence. Un expert a précisément l’expérience et l’habileté nécessaires pour établir de telles nuances et discriminer ce qui relève de l’un et l’autre diagnostic. Les experts de la SAAQ n’ont pas eu le privilège d’examiner la victime ni de la questionner. Il leur manque donc des éléments fondamentaux pour établir un diagnostic, principalement dans un domaine aussi controversé que celui de la fibromyalgie. Ce diagnostic ne présente aucune difficulté pour le rhumatologue et l’interniste. Il ne peut être mis en doute, compte tenu du grand nombre de médecins spécialistes l’ayant réitéré et de toutes les années qui se sont écoulées sans qu’une autre pathologie soit apparue pour expliquer la condition médicale de la victime. Il faut donc conclure au bien-fondé du diagnostic de fibromyalgie chez la victime. Quant au lien de causalité avec l’accident, l’interniste a bien pris soin de préciser qu’il n’existe pas encore à ce jour de preuve scientifique certaine sur le lien de causalité entre les troubles associés à l’entorse cervicale et le syndrome de fibromyalgie. Or, en semblable matière, il faut établir le lien de causalité par preuve prépondérante. Une preuve ayant la rigueur d’une preuve scientifique ne peut donc être exigée. Il y a un bris dans la continuité évolutive du 13 juillet 2000 au 9 juin 2001. Ce silence médical de 11 mois n’est pas nécessairement fatal. L’interniste est d’avis qu’il suggère une atteinte d’abord légère et lentement progressive. De plus, la victime a témoigné de la continuité de la douleur, même durant cette période. Son témoignage est crédible et cohérent avec les rapports d’expertise. Rien ne permet de croire que des facteurs psychosociaux pourraient, plus que l’accident, avoir causé la fibromyalgie. Une certaine période de temps sépare l’accident et le diagnostic de fibromyalgie, posé en septembre 2001. Ce délai de 26 mois ne s’avère pas davantage fatal. L’interniste est d’avis que ce diagnostic est difficile et met parfois des années à être posé. Il existe une preuve de continuité dans le tableau douloureux de la victime. La douleur s’est maintenue à la région cervicale et s’est ensuite propagée pour atteindre des régions non traumatisées, puis s’est finalement chronicisée au fil du temps. Toute la preuve confirme que l’accident est l’élément déclencheur de la fibromyalgie. La relation recherchée est donc reconnue68.

[72] Dans une autre affaire, la victime a subi un accident de motocyclette en avril 1998. Devant une condition douloureuse généralisée et variable, plusieurs diagnostics ont été posés. La SAAQ a refusé de reconnaître une relation entre l’accident et une condition de fibromyalgie. À l’audience devant le TAQ, la victime s’oppose au dépôt d’une expertise médicale réalisée d’après son dossier par un neurochirurgien. Elle conteste la qualité d’expert de ce dernier dans le domaine de la fibromyalgie. Or, le TAQ est d’avis que l’expertise est recevable en preuve. Comme toute autre analyse au dossier, elle peut apporter un éclairage dans le litige. Le TAQ indique qu’il lui appartient d’en déterminer la valeur probante. Quant au fond, la condition douloureuse de la victime est apparue dès le moment de l’accident; elle a perduré et a connu une évolution fluctuante très rapidement, atteignant plusieurs régions anatomiques. Elle semble démesurée par rapport à l’état antérieur de la victime. Le diagnostic de fibromyalgie est retenu par tous les médecins au dossier — à l’exception du neurochirurgien —, mais certains d’entre eux ne relient pas cette condition à l’accident. La cause de cette maladie est inconnue et fait l’objet de multiples recherches et hypothèses. Dans ces conditions, l’on ne peut exiger de la victime une preuve de nature scientifique. L’opinion isolée du neurochirurgien n’est pas prépondérante puisqu’elle n’est pas appuyée par un examen de la victime et que la fibromyalgie ne relève pas de sa spécialité. Une relation entre l’accident et la fibromyalgie est donc reconnue69. Il faut toutefois noter que la SAAQ a déposé une requête en révision de cette décision; il s’agit donc d’une histoire à suivre.

[73] Finalement, une victime a subi des entorses cervicale et lombaire, un déplacement intervertébral mineur lombaire avec irritation L5-S1 ainsi qu’une tendinite du sus-épineux gauche lors d’un accident survenu en décembre 2000. De nombreuses modalités thérapeutiques ont permis une certaine récupération des amplitudes articulaires mais n’ont pas réussi à atténuer adéquatement la symptomatologie douloureuse. Plusieurs diagnostics ont été posés pour tenter d’expliquer ce tableau douloureux, sur lequel s’est rapidement greffé un trouble affectif. La SAAQ a refusé de reconnaître une relation entre l’accident et, notamment, une condition de fibromyalgie. Le TAQ rappelle qu’en matière de fibromyalgie, pour que la relation causale soit reconnue, elle ne peut s’appuyer sur une simple hypothèse; elle n’exige cependant pas une preuve scientifique certaine. Ce diagnostic fait partie des syndromes douloureux chroniques et repose sur des critères diagnostiques reconnus. Il s’agit d’un diagnostic d’exclusion, donc posé après élimination de toute autre condition susceptible d’expliquer la symptomatologie douloureuse. En l’espèce, dès 2001, plusieurs éléments laissaient présager l’installation d’un syndrome douloureux, notamment l’apparition de troubles du sommeil, de problèmes de mémoire et de concentration, d’éléments dépressifs en plus de la persistance d’une symptomatologie persistante et invalidante. Lorsqu’un médecin a posé le diagnostic de fibromyalgie, en 2002, il a précisé que cette conclusion lui paraissait de plus en plus claire après avoir constaté l’amélioration des autres problèmes. Il a donc effectué l’exercice qu’il lui fallait faire avant de poser un diagnostic dit d’exclusion. La relation entre l’accident et la fibromyalgie diagnostiquée en avril 2002 est donc reconnue70.

15. Révision pour cause

15.1 Procédure

[74] Le TAQ a eu à se prononcer sur l’amendement d’une requête en révision… mais s’agissait-il d’une requête en révision?

[75] Le TAQ, en application de l’article 46 de la loi, a conclu qu’une victime n’était pas apte à occuper un emploi de téléphoniste en télécommunications à compter du 18 juin 1999 mais qu’elle était capable, à cette même date, d’occuper un emploi de téléphoniste en télémarketing. La victime a déposé une requête en révision de cette décision au motif d’excès de mandat de l’avocat qui le représentait alors devant le TAQ. Elle a par la suite produit une requête amendée dans laquelle elle a fait valoir la présence de vices de fond en raison d’erreurs et d’excès de compétence de la part du TAQ. La SAAQ s’est opposée à l’amendement. Elle a allégué qu’il était trop tard pour invoquer l’un des motifs de révision prévus à l’article 154 LJA. Ainsi, elle a affirmé que la requête initiale était fondée sur l’absence de mandat du procureur et que l’amendement fait en sorte qu’il s’agit d’une toute nouvelle requête fondée sur des motifs de vice de fond ou de procédure. Le TAQ2 rejette l’objection de la SAAQ. Selon lui, la requête initiale constituait bel et bien une requête en révision formulée en vertu de l’article 154, seule disposition législative autorisant le TAQ à réviser ou à révoquer l’une de ses propres décisions. Le fait que le motif invoqué dans la requête initiale pouvait ne pas respecter les critères énumérés à l’article 154 est sans incidence. L’amendement ne change pas la nature de la requête. En droit civil, le droit à l’amendement constitue la règle, et non l’exception. Cela vaut pour les matières dans lesquelles le TAQ exerce sa compétence71.

15.2 Vice de fond

[76] Pour qu’il y ait un vice de fond permettant de réviser ou de révoquer une décision du TAQ, il faut que celui-ci ait commis une erreur grave, manifeste et substantielle. En voici quelques exemples.

[77] Une victime a subi un accident en 1999. La SAAQ a rendu une décision en révision portant sur les séquelles permanentes. Elle a aussi discuté du lien de causalité entre l’accident et divers problèmes, mais aucune conclusion explicite sur cette question ne figure dans sa décision. Lors de l’audience devant le TAQ, les parties ont convenu que celui-ci avait compétence pour se prononcer sur la relation recherchée, même si aucune décision initiale de la SAAQ ne traite de ce sujet précis. La victime a demandé la révision de la décision du TAQ (TAQ1) au motif que celui-ci n’avait pas compétence pour se prononcer sur la relation. Le TAQ en révision indique que la compétence en révision de la SAAQ porte uniquement sur la décision de première instance et non sur d’autres aspects qui feraient partie de l’ensemble du dossier. En l’espèce, il n’y avait effectivement pas de décision de première instance sur la question de la relation. Lorsque le TAQ1 a constaté ce fait, il aurait dû renvoyer le dossier à la SAAQ afin qu’une décision de première instance soit rendue. Le consentement des parties à ce qu’il soit saisi de cette question en l’absence d’une décision de première instance n’est pas suffisant pour lui donner compétence. Il s’agit d’un vice de fond suffisamment sérieux puisqu’il porte sur la compétence. Le TAQ en révision infirme donc la partie de la décision ayant trait à la relation et renvoie le dossier à la SAAQ afin qu’elle rende une décision de première instance sur le sujet72.

[78] Dans une autre affaire73, le TAQ1 a confirmé une décision de la SAAQ et a refusé de reconnaître une relation entre un état dépressif et un accident subi par la victime en juin 1995. Le TAQ en révision a conclu que la décision du TAQ1 est entachée d’une première erreur portant sur la nature et la gravité de la lésion physique subie lors de l’accident. La première formation fait référence à cette lésion en mentionnant notamment une image radiologique de hernie discale et une entorse cervicale. Or, ces diagnostics ne correspondent pas à la preuve présentée. En effet, dans une décision rendue en août 2001, le TAQ a reconnu une atteinte discale en C4-C5 et a infirmé la décision de la SAAQ qui retenait un diagnostic d’entorse. Quant à la gravité de la lésion, la première formation a conclu à des examens cliniques normaux ou asymptomatiques. Or, tant la SAAQ en 1999 que le TAQ en 2001 avaient reconnu des séquelles permanentes à la région cervicale. Il y avait donc chose jugée au regard de la nature et de la gravité de la lésion physique subie lors de l’accident, et la première formation ne pouvait écarter ces éléments. En ce qui a trait à l’atteinte psychique, la première formation a remis en question le diagnostic de dépression. Or, celui-ci n’a pas été contesté par la SAAQ. La décision faisant l’objet du recours portait uniquement sur la relation entre l’accident et ce diagnostic. Aucune contre-expertise infirmant celui-ci n’a été présentée. Le TAQ n’est pas lié par l’opinion d’un expert sur la relation entre le diagnostic et l’accident. Cependant, le diagnostic est une question qui relève exclusivement de l’acte médical. Lorsqu’il n’y a aucune preuve l’infirmant, le TAQ est lié et doit prendre une décision en fonction du diagnostic au dossier. En l’espèce, la première formation était liée par le diagnostic de dépression présent au dossier. L’ensemble de ces erreurs sur des éléments déterminants constitue un vice de fond. Le TAQ en révision révoque donc la décision de la première formation.

[79] Dans une dernière cause, la SAAQ a rendu des décisions portant notamment sur la fin de l’IRR, sur la non-nécessité médicale de traitements additionnels et sur l’absence de droit à une indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire. La victime a contesté cette décision devant le Tribunal. La SAAQ, dans sa plaidoirie écrite, a accepté de prolonger l’IRR, de rembourser une médication analgésique et de reconnaître une atteinte permanente. La première formation du TAQ a rendu sa décision et a indiqué qu’elle ne partageait pas l’avis de la SAAQ quant au remboursement de la médication et la reconnaissance d’une atteinte permanente. Elle a donc rejeté le recours. La victime a demandé la révision de cette décision, invoquant un vice de fond au sens de l’article 154 LJA afin que soient reconnues les admissions faites par la SAAQ. Le TAQ en révision indique que le TAQ1 a repris deux des trois admissions dans son dispositif, mais elle a décidé de les écarter. Or, ce faisant, elle a erré. Les admissions faites par la SAAQ dans sa plaidoirie écrite constituaient des aveux judiciaires qui liaient la première formation et devenaient ainsi opposables à la SAAQ. Selon la loi et la jurisprudence, le TAQ est lié par les admissions faites par les parties ou par les procureurs dûment mandatés pour les représenter dans le contexte de leurs procédures ou encore à l’audience. La première formation aurait dû prendre acte des admissions et rendre sa décision en conséquence. Elle a commis une erreur de droit et de fait substantielle, manifeste et grave en ce qu’elle a un effet déterminant sur l’issue du litige. Sa décision est donc révoquée. Le TAQ en révision, procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, prend acte des admissions faites par la SAAQ74.

16. Procédure

16.1 Recevabilité d’un recours

[80] Une requête introductive d’instance présentée devant le TAQ par le médecin traitant, pour et au nom de la victime, a été déclarée recevable.

[81] Dans cette affaire75, la SAAQ a refusé d’accorder à la victime une prolongation de délai pour demander la révision d’une décision. Cette décision de la SAAQ, rendue le 13 mars 2006, a été contestée devant le TAQ par la victime elle-même le 25 mai suivant, soit après l’expiration du délai de contestation de 60 jours. Or, une requête signée par le médecin traitant avait été déposée au TAQ à l’intérieur du délai prescrit, soit le 10 mai 2006. La SAAQ a soutenu que la requête signée exclusivement par le médecin était irrecevable au motif qu’elle n’avait pas été présentée par un représentant légalement autorisé en vertu de la Loi sur le Barreau76. Le TAQ reconnaît que, compte tenu l’article 128 de la loi, le médecin n’est pas un représentant autorisé à agir au nom de la victime devant lui. En matière d’assurance-automobile, c’est un avocat qui doit agir, préparer et rédiger une requête introductive d’instance devant le TAQ. Les dispositions de la loi sont d’ordre public puisque l’objectif est de protéger l’intérêt général. Aucune disposition de la loi ne prévoit cependant de sanction de nullité visant une procédure lorsqu’un justiciable commet l’erreur de s’adresser à une personne non autorisée pour rédiger celle-ci. En conséquence, la requête introductive d’un recours formée le 10 mai 2006 par le médecin et reçue au TAQ le 16 mai suivant doit être considérée comme valablement faite dans les délais prescrits, compte tenu de l’amendement apporté à celle-ci et reçu au TAQ le 25 mai. Cet amendement a un effet rétroactif à la date initiale d’introduction de la requête devant le TAQ. Celui-ci a donc compétence pour se prononcer sur le bien-fondé de la décision de la SAAQ rendue le 13 mars précédent. Il est bon de noter qu’il ne s’agit pas d’un précédent, la CAS ayant déjà rendu quelques décisions dans le même sens.

16.2 Conciliation

[82] Lorsqu’une conciliation échoue, qu’arrive-t-il avec les documents qui ont été utilisés lors des séances entre les parties? Le TAQ a eu à répondre à cette question77.

[83] Après que les parties eurent constaté qu’elles ne pouvaient arriver à un accord, la SAAQ a transmis au dossier du TAQ des notes et des documents, y compris un rapport médical, qui avaient été utilisés en conciliation. La victime a invoqué l’article 122 LJA, qui prévoit la confidentialité de ce qui a été dit ou écrit au cours d’une séance de conciliation, pour demander que soit retiré du dossier du TAQ tout document, toute note ou tout rapport directement ou indirectement lié à ce processus. Pour sa part, la SAAQ a souligné que la victime a également transmis au TAQ des déclarations sous serment. À cela le TAQ répond que les écrits, les notes, la correspondance et les procès-verbaux relatifs aux séances de conciliation qui font état d’engagement de la part des parties sont des communications privilégiées visées par l’article 122. Ils doivent donc être retirés des dossiers. Par contre, le rapport médical et les déclarations sous serment transmises par la victime doivent y demeurer. Ces documents ne dévoilent aucunement la teneur des entretiens, des discussions ou des négociations entre les parties ni ne font référence à quelque proposition ou à quelque projet d’entente que ce soit entre elles dans le but d’en arriver à un règlement du litige qui les sépare. Tel est le but évident de l’article 122, soit éviter que ne soient révélées au TAQ les négociations auxquelles se sont livrées les parties lors de la conciliation, de telle manière qu’aucun préjudice ne leur soit causé. Ainsi, les propos exprimés par l’une des parties en cours de conciliation dans le but de régler le litige — et qui s’avèrent favorables à l’autre — ne lui seront pas préjudiciables advenant l’échec de la conciliation. Les dispositions de l’article 122 LJA doivent recevoir application non seulement pour les séances mêmes de conciliation, mais également pour toute la durée de celle-ci. Il faut noter que c’était la première fois qu’un tel problème était soulevé devant le TAQ.

Conclusion

[84] Chaque année, la jurisprudence en matière d’assurance-automobile est riche d’enseignement. Cette revue de l’année 2007 a notamment démontré les controverses, les nouveautés, les divergences d’opinions au sein même du TAQ. La table est mise pour une nouvelle année qui apportera – peut-être! – des réponses aux questions en suspens.

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