[1] Cet article fait suite à la conférence du 26 mars 2008 organisée par l’Association du Jeune Barreau de Montréal, au cours de laquelle Mes Alexandre St-Onge et Marco Labrie ont présenté les modifications apportées au Code criminel (C.Cr.) lorsque le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence1, qui a reçu la sanction royale le 28 février 2008, entrera en vigueur. Certaines des modifications prendront effet dès le 1er mai, telles celles créant de nouvelles infractions relativement aux armes à feu et à l’augmentation de l’âge du consentement à une activité sexuelle, tandis que les dispositions modifiant notamment les règles de preuve en matière d’infractions de conduite avec les facultés affaiblies et repoussant le fardeau de preuve en matière de déclaration de délinquants dangereux entreront en vigueur le 2 juillet suivant.

Consentement à une activité sexuelle

[2] À compter du 1er mai 2008, l’âge du consentement à une activité sexuelle passera de 14 à 16 ans. En conséquence de ce changement, la mention «14 ans» sera remplacée par «16 ans» dans les articles 150.1 (4), 151, 152, 153 (2), 160 (3), 161 (1), 170 a) et b), 171 a) et b), 173 (2), 273.3 (1) a) et b), 810.1 (1) et 810.1 (3) a) et b) C.Cr. L’article 13 (1) du projet de loi prévoit des modifications aux articles 150.1 (1) et (2) C.Cr., notamment en ce que sous réserve des exceptions énoncées aux paragraphes 2 à 2.2 du nouvel article 150.1, lorsqu’une personne est accusée d’une infraction prévue aux articles 151, 152, 153 (1), 160 (3) ou 173 (2) ou d’une infraction aux articles 271 à 273 à l’égard d’un plaignant âgé de moins de 16 ans, le fait que ce dernier ait consenti à l’activité sexuelle à l’origine des accusations ne constitue pas un moyen de défense. Au paragraphe 2 du nouvel article 150.1, il est mentionné que ce moyen de défense sera recevable dans le cas d’un plaignant âgé d’au moins 12 ans mais de moins de 14 ans si, à la fois, l’accusé est de moins de 2 ans l’aîné de celui-ci et n’est pas une personne en situation d’autorité ou de confiance ni une personne dans une relation où elle exploite le plaignant.

[3] Le nouveau paragraphe 2.1 de l’article150.1 prévoit que la défense de consentement pourra être acceptée dans 2 situations lorsque le plaignant est âgé de 14 ans ou plus mais de moins de 16 ans. La première situation est celle où l’accusé est de moins de cinq ans l’aîné du plaignant et n’est pas une personne en situation d’autorité ou de confiance à l’égard du plaignant, ni une personne à l’égard de laquelle celui-ci est en situation de dépendance, ni une personne dans une relation où elle exploite le plaignant. L’autre situation vise le cas où l’accusé est marié au plaignant. Enfin, l’article 150.1 (2.2) explique que pendant le régime transitoire, dans le cas où l’accusé visé au paragraphe 2.1 est de plus de cinq ans l’aîné du plaignant, le consentement pourra servir de moyen de défense si, à la date d’entrée en vigueur du paragraphe 2.2 – soit le 1er mai 2008 -, l’accusé est le conjoint de fait du plaignant ou vit dans une relation conjugale avec lui depuis moins d’un an et qu’un enfant est né ou à naître de cette union et que l’accusé n’est ni une personne en situation d’autorité ou de confiance à l’égard du plaignant, ni une personne à l’égard de laquelle celui-ci est situation de dépendance, ni une personne dans une relation où elle exploite le plaignant.

[4] Me Labrie a souligné que ces nouvelles dispositions risquent d’être attaquées. À titre d’exemple, un jeune de 19 ans pourrait se voir accuser au criminel alors qu’il entretient une relation sérieuse avec une jeune fille de 14 ans. Me Labrie a également fait valoir que les parents qui consentent à cette relation de leur adolescente avec le jeune homme pourraient eux aussi être accusés en vertu du Code criminel. D’ailleurs, dans ses commentaires adressés à la sénatrice Joan Fraser le 20 février 20082, le Barreau du Québec s’interroge sur l’«opportunité d’une initiative qui aurait pour effet de criminaliser des activités de nature sexuelle auxquelles peut se livrer aujourd’hui une partie de la population». Il rappelle que les dispositions actuelles sont suffisantes pour atteindre l’objectif d’assurer la protection des jeunes. Il souligne qu’à l’heure actuelle l’analyse de la situation selon la différence d’âge entre le plaignant et l’accusé, l’évolution de leur relation ainsi que l’emprise et l’influence de l’adulte sur l’adolescent permet de condamner les abus en se fondant sur des circonstances indésirables et non seulement sur l’âge des personnes en cause.

Conduite avec les facultés affaiblies

[5] Le projet de loi entraîne une modification importante quant à la preuve relativement aux infractions de conduite avec les facultés affaiblies. En effet, son article 24 (3) entraînera une modification de l’article 258 (1) c) C.Cr., de sorte que, à compter du 2 juillet 2008, «la preuve des résultats des analyses fait foi de façon concluante, en l’absence de toute preuve tendant à démontrer à la fois que les résultats des analyses montrant une alcoolémie supérieure à quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang découlent du mauvais fonctionnement ou de l’utilisation incorrecte de l’alcootest approuvé et que l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise ne dépassait pas quatre-vingts millilitres d’alcool par cent millilitres de sang, de l’alcoolémie de l’accusé tant au moment des analyses qu’à celui où l’infraction aurait été commise». Le Barreau du Québec souligne que cette double exigence quant à la preuve risque fort de porter atteinte à la présomption d’innocence de l’accusé3. Obliger celui-ci à présenter une défense à l’encontre d’une accusation alors que son fondement juridique a été mis en doute par une preuve concluante quant au mauvais fonctionnement ou à l’utilisation incorrecte de l’appareil équivaut à exiger de lui qu’il prouve son innocence en l’absence d’un élément essentiel de l’infraction reprochée.

[6] Me Labrie a fait valoir que pourront se présenter des cas où des personnes seront déclarées coupables même si le juge les croit quant à leur scénario de consommation parce qu’elles n’arriveront pas à démontrer le mauvais fonctionnement de l’appareil ou l’utilisation incorrecte de celui-ci. Il est impossible pour l’accusé d’établir le lien de causalité entre le faux résultat du test et le mauvais fonctionnement de l’appareil s’il n’a pas accès à celui-ci pour le soumettre à une expertise. Aucune disposition du projet de loi ne prévoit l’accès à l’appareil, et l’expertise quant à celui-ci devra se faire rapidement si l’accusé veut pouvoir démontrer le lien de causalité. Le contre-interrogatoire du technicien qualifié sera dorénavant inévitable. Il y aurait aussi lieu de demander une divulgation de preuve supplémentaire pour obtenir le registre d’entretien de l’appareil ou encore le manuel du fabricant. Par contre, le projet de loi ne contient aucune disposition quant à l’entretien des appareils et il n’existe aucune obligation minimale d’entretien ni de normes de contrôle de ceux-ci. De nombreuses personnes ne pourront pas se défendre des accusations portées contre elles en raison des coûts importants qu’entraînent ces nouvelles exigences quant à la preuve. Le Barreau s’inquiète de l’effet restrictif de l’expression «de façon concluante» sur la possibilité déjà affaiblie de présenter une preuve contraire vu l’article 25 de la Loid’interprétation4, en vertu duquel une preuve contraire peut être présentée pour contredire une preuve documentaire si le texte de loi ne prévoit pas le caractère concluant de la preuve5.

[7] L’article 24 (5) du projet de loi introduit l’article 258 (1) d.01) C.Cr., qui édicte que les éléments de preuve portant sur la quantité d’alcool consommée par l’accusé, son taux d’absorption ou d’élimination ou encore le calcul fondé sur ces éléments de ce qu’aurait été son alcoolémie au moment où l’infraction aurait été commise ne constituent pas une preuve tendant à démontrer le mauvais fonctionnement de l’appareil, son utilisation incorrecte ou le fait que les analyses n’ont pas été effectuées correctement. De plus, le libellé de l’article 258 (1) c) C.Cr. empêche l’accusé de présenter une preuve directe d’une alcoolémie inférieure à 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang pour contrer le résultat de l’appareil. Enfin, l’article 258 d.1) prévoit que, si les analyses démontrent une alcoolémie supérieure à la limite permise, leur résultat fait foi d’une telle alcoolémie au moment où l’infraction aurait été commise en l’absence de preuve tendant à démontrer que la consommation d’alcool par l’accusé était compatible avec, à la fois, une alcoolémie ne dépassant pas la limite permise au moment où l’infraction aurait été commise et l’alcoolémie établie par les analyses au moment du prélèvement des échantillons. Me Labrie fait valoir que ne pourrait plus être utilisée la défense consistant, comme dans Piuze c. Québec (Procureur général)6, à ne pas contester le résultat des analyses mais à démontrer, par exemple, qu’un délai de 1 heure s’était écoulé entre le moment de l’arrestation et celui du prélèvement, de sorte que, au moment où l’accusé conduisait son véhicule, son alcoolémie était inférieure à 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang puisqu’il se trouvait alors en phase montante et que son alcoolémie n’était pas encore rendue au-delà de la limite.

[8] Mentionnons enfin, comme autres modifications au Code criminel portant sur la conduite avec les facultés affaiblies, la création des infractions de conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise causant la mort (art. 255 (3.1) C.Cr.) et avec une alcoolémie supérieure à la limite permise causant des lésions corporelles (art. 255 (2.1) C.Cr.). Les peines minimales seront augmentées à compter du 2 juillet 2008. Pour la première infraction, l’amende minimale sera de 1 000 $ alors que, pour une deuxième infraction, la peine minimale consistera en un emprisonnement de 30 jours, puis en une détention minimale de 190 jours pour la troisième infraction. Ainsi, il sera dorénavant impossible aux personnes déclarées coupables pour la troisième fois d’une telle infraction de bénéficier d’une peine discontinue qu’elles pourraient purger la fin de semaine puisqu’il s’agit d’une peine dépassant 90 jours de détention. Si l’infraction fait l’objet d’une poursuite par procédure sommaire, la peine maximale passe de 10 à 18 mois d’emprisonnement. Enfin, l’agent de la paix interpellant un individu pourra enregistrer sur bande vidéo des épreuves de coordination (art. 254 (2.1) C.Cr.). Il pourra également enregistrer l’évaluation prévue à l’article 254 (3.1) lorsqu’il aura des motifs de croire qu’une personne est en train de commettre ou a commis dans les trois heures précédentes l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies par suite de l’absorption d’une drogue ou d’une combinaison d’alcool et de drogue.

Armes à feu

[9] L’article 9 du projet de loi a pour effet d’ajouter de nouvelles infractions au Code criminel en matière d’armes à feu. Ainsi, on trouvera dorénavant l’infraction d’introduction par effraction pour voler une arme à feu à l’article 98 (1) C.Cr. Le projet de loi crée également l’infraction de vol qualifié avec intention de voler une arme à feu ou au cours duquel il y a vol d’arme à feu qui se trouve à l’article 98.1 C.Cr. Ces deux infractions sont passibles d’un emprisonnement à perpétuité. Le projet de loi prévoit également l’augmentation des peines minimales prévues pour les infractions relatives aux armes à feu et oblige le juge à imposer des peines minimales même à l’occasion d’une première infraction. En vertu de l’article 95 (2) C.Cr., l’infraction de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions sera ainsi sanctionnée par une peine minimale d’emprisonnement de cinq ans pour la première infraction et de sept ans en cas de récidive. De plus, en vertu des articles 272 (2) a), 273 (2) a), 279 (1.1) a), 279.1 (2) a), 344 (1) a) et 346 (1.1) a) C.Cr., le juge devra imposer ces mêmes peines minimales s’il y a usage d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme à feu prohibée à l’occasion de la perpétration de l’infraction ou s’il y a usage d’une arme à feu durant la perpétration de l’infraction et que celle-ci est commise au profit d’une organisation criminelle ou en association avec elle. Dans les autres cas où il y a usage d’une arme à feu pour la perpétration de ces infractions, la peine minimale restera de quatre ans.

[10] L’Association du Barreau canadien souligne que ces nouvelles dispositions sur la peine minimale obligatoire «enlèvent le pouvoir discrétionnaire aux juges et [qu’]elles leur enlèvent la possibilité de déterminer la peine la plus adéquate pour réaliser les objectifs primordiaux dont il faut tenir compte lors de la détermination de la peine7». Elle formule une mise en garde contre l’application de celles-ci, qui pourrait donner lieu à des injustices dans certaines situations de fait que les juges ne pourront pas rectifier puisqu’ils auront perdu le pouvoir de le faire. Selon l’Association, «il est peu probable que ces modifications législatives rendent la société plus sécuritaire, mais elles ébranleront encore plus la confiance que le public a placée dans l’équité et l’efficacité du système de justice8».

Remise en liberté provisoire

[11] À compter du 1er mai 2008, le juge ordonnera, en vertu de l’article 515 (6) C.Cr., la détention provisoire des personnes accusées de trafic d’armes, de possession en vue de faire le trafic d’armes à feu et d’importation et d’exportation d’armes à feu, à moins que celles-ci ne démontrent que leur détention n’est pas nécessaire selon les critères établis à l’article 515 (10) C.Cr. Il y aura également détention provisoire dans les cas d’infraction de décharge d’une arme à feu (art. 244 C.Cr.) et de non-respect d’une ordonnance d’interdiction reliée aux armes à feu. Enfin, lorsqu’il est présumé qu’une arme à feu a été utilisée pour perpétrer les infractions de tentative de meurtre, agression sexuelle armée, agression sexuelle grave, enlèvement, prise d’otage, vol qualifié et extorsion, il appartiendra à l’accusé de démontrer que sa détention n’est pas nécessaire s’il veut être remis en liberté provisoirement. L’Association du Barreau canadien fait valoir que l’allongement de la liste des infractions exigeant un renversement du fardeau de preuve pour la mise en liberté risque d’entraîner de nombreuses contestations constitutionnelles en vertu de l’article 11 e) de la Chartecanadienne des droits et libertés9, en vertu duquel tout inculpé a le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une liberté assortie d’un cautionnement raisonnable10.

Délinquants dangereux

[12] Dans la dernière portion de la conférence du 26 mars 2008, Me St-Onge a présenté les modifications qui ont été apportées au régime de déclaration des délinquants dangereux. L’article 40 du projet de loi ajoute deux catégories d’infractions à celles déjà mentionnées à l’article 752 C.Cr., soit les infractions primaires et les infractions désignées. Le Barreau du Québec souligne que «le spectre des infractions visées par la Partie XXIV s’en trouve élargi, augmentant du même coup la demande de services auprès du système correctionnel et de surveillance déjà abondamment utilisés11». L’article 41 édicte que l’article 752.1 sera modifié par l’article 752.01, aux termes duquel le poursuivant devra aviser le tribunal de son intention ou non de demander une déclaration de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler dans les plus brefs délais suivant la déclaration de culpabilité lorsqu’il est d’avis que l’infraction commise par le délinquant constitue des sévices graves à la personne et est une infraction désignée et que celui-ci a déjà été condamné pour au moins deux infractions désignées lui ayant valu, chaque fois, une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus. Le Barreau du Québec considère que cette mesure est une intrusion indue dans l’indépendance du poursuivant12. Selon lui, cette nouvelle disposition devrait tendre à informer l’accusé plutôt que d’imposer au procureur général une obligation de divulguer ses intentions au tribunal puisqu’il s’agit d’une mesure allant à l’encontre du principe régissant le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient.

[13] Le projet de loi prévoit également l’ajout de l’article 753 (1.1) C.Cr., en vertu duquel le délinquant est présumé dangereux lorsqu’il a été reconnu coupable d’une infraction primaire entraînant une peine de deux ans ou plus et qu’il a déjà été condamné pour au moins deux infractions primaires lui ayant valu, dans chaque cas, une peine de deux ans ou plus. Pour éviter d’être déclaré délinquant dangereux dans ces circonstances, le délinquant doit présenter une preuve contraire par prépondérance des probabilités. Me St-Onge a souligné que cette présomption de dangerosité risque d’entraîner des résultats étonnants en ce que l’on pourrait conclure automatiquement qu’une personne maintenant âgée de 45 ans, déclarée coupable d’une infraction primaire et déjà condamnée 2 fois pour de telles infractions dans sa jeunesse doit aujourd’hui être déclarée délinquant dangereux alors que cette déclaration ne reflète pas nécessairement la réalité. Il va sans dire que ce renversement du fardeau de la preuve risque fort d’être attaqué devant les tribunaux en vertu des articles 7 et 12 de la charte.

Conclusion

[14] Ces modifications au Code criminel auront de nombreux effets sur la pratique de la profession ainsi que sur nos systèmes judiciaires et correctionnels, mais plus encore sur les individus touchés par celles-ci. Les débats sur les droits fondamentaux des prévenus risquent d’être fort nombreux lorsqu’il sera temps de les appliquer. Il faudra surveiller la jurisprudence qui sera rendue à la suite de l’entrée en vigueur de ces dispositions, laquelle connaîtra sans doute plusieurs rebondissements.

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