[1] Depuis l’entrée en vigueur du Code civil du Québec1 (C.C.Q.), en 1994, les nombreux jugements rendus en matière d’hypothèques ont éliminé bien des incertitudes sur les différents aspects de celles-ci. Néanmoins, certains jugements rendus en 2006 et 2007 méritent notre attention parce qu’ils précisent des points particuliers sur lesquels il existe encore peu de jurisprudence. Parmi eux, trois se rapportent à l’hypothèque mobilière et un, à l’hypothèque immobilière. Ceux rendus en matière d’hypothèques mobilières ont apporté des précisions sur l’objet d’une telle garantie alors que celui rendu dans le domaine de l’hypothèque immobilière portait sur la diminution de la garantie.

Hypothèque conventionnelle mobilière

[2] Étant donné que l’hypothèque mobilière sans dépossession ne peut grever que les biens de l’entreprise2, sa validité dépend, d’une part, de l’existence d’une entreprise et, d’autre part, de la nature du bien hypothéqué.

[3] Ainsi, dans Ceracaise c. Catalfamo3, la Cour d’appel a conclu qu’un permis de taxi pouvait faire l’objet d’une hypothèque mobilière sans dépossession.

[4] Dans cette affaire, Mansuy avait hypothéqué son permis de taxi, son automobile, un taximètre et une radio en faveur des intimés. En février 1996, il avait remplacé son véhicule par un autre. Par la suite, il avait vendu à l’appelant son permis de taxi (52 000 $), l’automobile (1 000 $), le taximètre (200 $) et la radio (300 $). La vente était conditionnelle à l’autorisation de la Commission des transports du Québec. Le 3 mai suivant, les intimés ont fait signifier à Mansuy un préavis d’exercice de leur droit hypothécaire. Le 10 juin, la Commission a autorisé le transfert de permis à l’appelant. Informés de la vente à la fin de juin, les intimés ont publié un avis de conservation d’hypothèque dès le 2 juillet suivant. Le lendemain, ils ont présenté une requête en délaissement forcé. En première instance, le juge a conclu que le permis pouvait être hypothéqué. Selon l’appelant, la requête aurait dû être rejetée parce que l’hypothèque sur le permis était invalide et qu’aucun préavis d’exercice ne lui avait été signifié.

[5] En Cour d’appel, le juge Dalphond a conclu que l’exploitant d’une entreprise de taxi pouvait hypothéquer les biens de celle-ci, dont le véhicule automobile, la radio, le taximètre et le permis de taxi, et que, par conséquent, l’hypothèque grevant le permis en l’espèce était valide. Il a rappelé que la Loi sur le transport par taxi4 n’interdisait pas d’hypothéquer un permis, ajoutant que l’obligation d’obtenir l’autorisation de la Commission n’était pas incompatible avec l’exercice des droits hypothécaires. D’autre part, il a conclu que l’obligation du créancier hypothécaire de produire un préavis d’exercice au bureau de la publicité des droits devait être évaluée au moment où le préavis était donné. Or, lorsqu’ils avaient signifié leur recours à Mansuy, en mai, les intimés ne savaient pas que celui-ci s’apprêtait à vendre les biens hypothéqués. De plus, le permis n’appartenait pas encore à l’appelant puisque le transfert a eu lieu le 10 juin après l’autorisation de la Commission. Le juge a conclu que le préavis avait été donné à tous ceux qui y avaient droit et que, par conséquent, le transfert du permis après l’inscription du préavis était inopposable aux intimés. À son avis, le fait que la requête en délaissement forcé ait été présentée après l’expiration du délai pour délaisser le bien n’avait pas pour effet de conférer au nouvel acquéreur le droit de recevoir le préavis.

[6] Dans Productions Sky High Courage Inc. (Séquestre de) c. Banque Laurentienne du Canada5, c’est la validité de l’hypothèque sur des crédits d’impôt qui était en cause. La débitrice avait autorisé la Banque à percevoir les crédits d’impôt fédéral auxquels elle avait droit. En outre, elle avait grevé l’universalité de ses biens d’une hypothèque mobilière afin de garantir le remboursement du prêt que celle-ci lui avait accordé. En 2002, la Banque lui avait retiré son autorisation de percevoir les crédits d’impôt. Après la nomination d’un séquestre intérimaire, elle avait réclamé la remise des 687 928 $ que ce dernier détenait en fiducie à cet égard. La débitrice a contesté la validité de l’hypothèque sur les crédits en invoquant l’incessibilité des créances de la Couronne, prévue à l’article 67 de la Loi sur la gestion des finances publiques6. Pour sa part, la Banque se fondait sur l’article 220 (6) de la Loi de l’impôt sur le revenu7, qui crée une exception à l’article 67 précité. M. le juge Jean-Roch Landry a conclu que ces lois ne prévoyaient pas l’insaisissabilité des crédits d’impôt et que c’est l’article 220 (6) qui s’appliquait à l’égard de ceux-ci. Il a déclaré que la nomination du séquestre intérimaire ne changeait rien à la situation qui existait entre la débitrice et la Banque, car le séquestre exerce uniquement un pouvoir de surveillance sur les biens. Il a aussi conclu que la Loi de l’impôt sur le revenu n’imposait aucune restriction quant à la cession des crédits et que le séquestre devait remettre à la Banque les sommes perçues à ce titre jusqu’à concurrence de la créance hypothécaire de cette dernière.

[7] Dans Caisse Desjardins de Salaberry-de-Valleyfield c. General Motors Acceptance Corporation du Canada ltée8, la Cour d’appel a reconnu la validité d’une hypothèque sur un véhicule récréatif réservé à l’usage exclusif du président d’une entreprise.

[8] En mai 2000, Boisvert Chevrolet Cadillac ltée, qui exploitait un commerce de vente et de réparation d’automobiles, a consenti à l’intimée une hypothèque mobilière sur l’universalité de ses biens meubles. En septembre 2004, elle a accordé une hypothèque mobilière à l’appelante en garantie du prêt que celle-ci lui avait consenti pour l’achat d’un véhicule récréatif destiné à l’usage exclusif de son président. En novembre 2006, elle a fait cession de ses biens. Dans un jugement visant à déterminer la priorité des droits hypothécaires des parties, le juge de première instance avait conclu que l’article 2684 C.C.Q. n’était pas limitatif et qu’il visait tous les biens de l’entreprise, y compris ceux qui ne servaient pas à son exploitation. Il a déclaré que l’hypothèque sur l’universalité des biens visait aussi le véhicule récréatif, ce que la Caisse a contesté en appel.

[9] Mme la juge Dutil, pour la Cour d’appel, a conclu que la restriction imposée à l’article 2684 C.C.Q. visait à protéger la personne physique qui n’exploite pas d’entreprise et qu’il n’avait pas pour but de limiter les biens pouvant être hypothéqués lorsqu’il y a exploitation d’une entreprise. Elle s’est dite d’avis que l’énumération à cet article n’était pas limitative et que le législateur n’exigeait pas qu’un bien serve à l’exploitation de l’entreprise pour faire l’objet d’une hypothèque sur l’universalité des biens. Enfin, elle a conclu que l’expression «véhicule du constituant», dans la description des biens grevés, était suffisamment précise pour couvrir le véhicule récréatif.

[10] Ces trois jugements nous indiquent que, dans la mesure où une entreprise est exploitée, les tribunaux donnent une interprétation large des biens meubles pouvant être grevés d’une hypothèque.

Hypothèque conventionnelle immobilière

[11] Il existe peu de jugements portant sur la diminution de la valeur de la garantie immobilière, ce qui confère un certain intérêt à celui rendu dans Standard Life Assurance Company c. Lyndale Development Ltd.9. Dans cette cause, la demanderesse, qui détenait une hypothèque sur le centre commercial de sa débitrice, avait donné un préavis d’exercice de son droit hypothécaire. Avant de délaisser l’immeuble, la débitrice avait consenti à sa locataire Métro-Richelieu une servitude d’exclusivité qui empêchait l’exploitation d’un autre marché d’alimentation dans le centre commercial. Faisant valoir que cette servitude avait diminué la valeur de l’immeuble hypothéqué, la demanderesse a réclamé des dommages-intérêts à sa débitrice.

[12] Mme la juge Diane Marcelin a rejeté la réclamation. Après avoir rappelé que le constituant ne pouvait diminuer sensiblement la valeur du bien hypothéqué, sauf par une utilisation normale ou en cas de nécessité (art. 2734 C.C.Q.), elle a conclu que la demanderesse n’avait pas fait la preuve d’une telle diminution puisque l’immeuble n’avait pas été évalué au moment du prêt et que la réclamation reposait sur des hypothèses qui n’avaient pas été corroborées. Elle a déclaré que la servitude avait été consentie dans le cours normal des affaires et non en vue de priver la demanderesse de la valeur du bien hypothéqué. À cette fin, elle a tenu compte du fait que la débitrice devait contrer l’effet de l’arrivée d’un compétiteur à proximité du centre commercial et tenter de conserver ses principaux locataires, dont les baux arrivaient à échéance. Elle a aussi conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé de lien de causalité entre l’existence de la servitude et la perte de valeur de son immeuble.

[13] Lorsqu’il invoque une diminution de sa garantie, le créancier devra donc prouver la valeur de l’immeuble quand l’hypothèque a été constituée ainsi que celle au moment du délaissement en sa faveur. Si, entre ces deux événements, l’immeuble a diminué de valeur, il devra aussi démontrer le lien de causalité entre le fait reproché et la perte subie. Malgré cela, son recours pourrait échouer si la perte de valeur résulte d’un geste accompli par nécessité ou dans le cours normal des affaires.

[14] Si les jugements rendus depuis 1994 ont couvert l’ensemble des aspects généraux des hypothèques, ceux rendus récemment restent intéressants parce que, en apportant le raffinement du détail, ils ont surtout permis de préciser des points très particuliers de ce domaine du droit des sûretés.

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