[1] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les travailleurs. En plus des indemnités de remplacement du revenu (IRR) qui peuvent être versées pour compenser la perte de la capacité de gain du travailleur, d’autres indemnités sont accessibles à ce dernier afin de répondre à l’objet de la loi. Ces autres indemnités couvrent, entre autres choses, le remboursement des frais de déplacement engagés pour recevoir des soins et traitements liés à la lésion professionnelle. Par ailleurs, pour y avoir droit, le travailleur doit remplir certaines obligations. La Commission des lésions professionnelles (CLP) s’est récemment penchée sur ces questions.

Droit de recevoir des soins et traitements médicaux 

[2] Le droit de recevoir des soins médicaux englobe celui de se voir rembourser les frais de déplacement engagés pour recevoir ces soins. Dans Boissonnet et Service correctionnel du Canada2, la CLP a reconnu que la travailleuse avait droit au remboursement des frais de déplacement qu’elle avait engagés pour recevoir des traitements médicaux — même si, de prime abord, elle n’avait pas rempli toutes les conditions prescrites pour recevoir un tel remboursement — parce que le lien de confiance entre son médecin spécialiste et elle s’était rompu.

[3] En effet, la travailleuse, qui résidait à Montréal, avait tout d’abord été traitée par un médecin spécialiste en neurochirurgie de la région montréalaise qui avait procédé à deux interventions chirurgicales. Celles-ci n’avaient pas donné les résultats escomptés, la travailleuse demeurant très souffrante. La neurochirurgienne n’avait offert aucune explication ni proposé aucun autre traitement. La travailleuse a perdu confiance en cette experte et, après plusieurs démarches, elle a eu recours à un neurochirurgien de la région de Québec, qui a accepté de poursuivre ses traitements. Elle s’est par la suite adressée à la CSST afin d’obtenir le remboursement des frais de déplacement qu’elle avait engagés à quelques reprises pour recevoir ses traitements à Québec. Celle-ci a rejeté sa demande aux motifs que les soins reçus étaient disponibles dans un rayon de 100 kilomètres de sa résidence, que la travailleuse n’avait pas obtenu son autorisation préalable et que ces soins auraient pu être donnés par sa première neurochirurgienne.

[4] La décision de la CSST se fonde sur l’article 115 LATMP, qui énonce que :

La Commission [CSST] rembourse, sur production de pièces justificatives, au travailleur [?] les frais de déplacement et de séjour engagés pour recevoir des soins, subir des examens médicaux [?] selon les normes et montants qu’elle détermine [?].

[5] L’une de ces normes, mentionnée à l’article 9 du Règlement sur les frais de déplacement et de séjour3, prévoit que, avant de recevoir des soins à une distance de plus de 100 kilomètres de sa résidence, le travailleur doit tout d’abord obtenir une autorisation de la CSST.

[6] Dans ce cas, même si la travailleuse n’avait pas obtenu cette autorisation préalable, la CLP lui a donné raison, concluant que les soins requis ne pouvaient être donnés par la première neurochirurgienne en raison de la perte de confiance qui s’était installée entre elle et la travailleuse4 :

[33] Dans de telles circonstances, le tribunal est d’avis que le retrait du neuro-stimulateur ne pouvait plus être effectué par la docteure Jacques en raison du bris de confiance entre la travailleuse et son médecin et que celle-ci était justifiée de rechercher l’avis d’un autre neurochirurgien pour investiguer ses troubles moteurs et lui donner les soins et les traitements requis par sa condition.

[7] La CLP a également déclaré que, puisque ces soins n’étaient pas disponibles à une distance de moins 100 kilomètres de sa résidence, la travailleuse n’avait pas à obtenir l’autorisation préalable de la CSST mentionnée à l’article 9 du règlement. Elle a donc ordonné le remboursement des frais de déplacement réellement engagés par la travailleuse.

[8] Dans une autre affaire, Thériault et Transport Canada ltée5, la CLP a décidé que le travailleur avait droit à ses frais réels de déplacement avec son véhicule personnel conduit par sa conjointe car, en raison d’une forte médication narcotique, son médecin lui interdisait de conduire et la SAAQ avait suspendu son permis. De plus, l’utilisation de son véhicule personnel constituait, en l’absence de transport en commun adéquat dans la région, la solution économique la plus appropriée. En effet, comme le travailleur ne pouvait conduire lui-même son véhicule, restait l’utilisation d’un taxi, ce qui aurait entraîné des coûts de beaucoup supérieurs.

[9] Enfin, dans Philibert et Méridien maritime réparations inc.6, la CLP rappelle les conditions d’application à respecter pour avoir droit au remboursement des frais de séjour et de déplacement. Le travailleur, un unilingue francophone originaire de Gaspé ayant subi un accident du travail à Hamilton, en Ontario, n’avait fait aucune démarche pour être autorisé par la CSST à revenir au Québec. La CLP a conclu qu’il n’avait pas droit au remboursement de ses frais de séjour mais, en appliquant par analogie l’article 9 du règlement, elle a décidé qu’il avait droit à certains frais de déplacement pour se rendre à l’hôpital québécois le plus près afin d’y recevoir des soins en français, tout en considérant l’itinéraire le plus court.

Obligation de se soumettre à un examen médical

[10] Le travailleur a l’obligation de se soumettre à un examen médical lorsque l’exige la loi, à défaut de quoi, et à moins qu’il ne présente une raison valable pour justifier son omission, le versement de son IRR peut être suspendu jusqu’à ce qu’il se conforme à son obligation. C’est ce que prévoit l’article 142 LATMP.

[11] En cas de conflit d’horaire, préférer recevoir des traitements médicaux de son médecin plutôt que de subir un examen médical requis par son employeur peut constituer une telle raison valable.

[12] En effet, dans Genest et Soins santé MD7, la CLP a conclu ce que les traitements médicaux constituaient un droit fondamental dont bénéficie un travailleur victime d’une lésion professionnelle et que ce droit prime toute autre mesure administrative concurrentielle. Ainsi, l’employeur ne pouvait demander la suspension de l’IRR de la travailleuse, qui avait préféré recevoir un traitement médical de son médecin, traitement qui avait par la suite influé négativement sur l’examen médical auquel elle était convoquée par l’employeur.

[13] Dans cette affaire, la travailleuse s’était trouvée devant un conflit d’horaires, à savoir un rendez-vous médical avec son médecin traitant le matin et une convocation plus tard dans la même journée avec le médecin désigné par l’employeur pour subir une expertise. Elle a informé son agente d’indemnisation à la CSST de cet état de fait, de même que son employeur, en précisant qu’il était possible qu’elle reçoive un traitement médical durant son rendez-vous avec son médecin traitant. Elle a effectivement reçu une infiltration à cette occasion. Elle s’est ensuite rendue à sa convocation chez le médecin de l’employeur, mais le fait d’avoir subi une infiltration a influé négativement sur les conclusions de l’expertise. L’employeur a alors demandé la suspension de l’IRR de la travailleuse au motif qu’elle aurait, sans raison valable, entravé un examen médical qu’il était en droit d’exiger d’elle. La CLP n’a pas donné raison à l’employeur8 :

[37] La Commission des lésions professionnelles tient à rappeler aux parties que l’objet ultime de la loi est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires, le tout conformément au paragraphe 1 de la loi.

[38] Dans les droits fondamentaux qui sont reconnus à un bénéficiaire, il a le droit de se faire traiter pendant sa période d’incapacité médicale, d’obtenir toute l’assistance médicale requise et de recevoir une indemnité de remplacement du revenu.

[?]

[42] Les traitements médicaux constituent un droit fondamental dont bénéficie un travailleur victime d’une lésion professionnelle et priment toutes mesures administratives concurrentielles.

[14] Dans cette affaire, la travailleuse s’est comportée de manière prudente en prévenant tous les intervenants de son rendez-vous avec son médecin. Elle n’a donc ni refusé ni volontairement entravé la tenue de l’examen médical demandé par son employeur. De plus, il était de la responsabilité médicale de son médecin de lui fournir un traitement. Par conséquent, la CSST ne pouvait suspendre son IRR à la demande de l’employeur, et la travailleuse était en droit de recevoir celle-ci.

[15] Par ailleurs, si le travailleur ne peut refuser sans raison valable de subir un examen médical requis par l’employeur, ce dernier ne peut exiger la tenue d’un tel examen que pour des raisons prévues par la loi. Dans Commissionscolaire de la Région-de-Sherbrooke et Ducharme9, la CLP a reconnu que la CSST avait été fondée à ne pas suspendre l’IRR de la travailleuse, qui avait refusé de subir un examen médical parce que celui-ci avait été requis par l’employeur pour préparer une audience devant la CLP. En effet, ce motif n’est pas prévu à l’article 209 LATMP, qui encadre la procédure d’évaluation médicale. Dès lors, l’omission de la travailleuse de subir cet examen ne pouvait être sanctionnée par le mécanisme prévu à l’article 142. Celle-ci avait donc droit à la poursuite du versement de son IRR.

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