[1] Les articles 270, 271 et 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 prévoient que la réclamation d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle ou atteint d’une maladie professionnelle doit être faite sur un formulaire prescrit par la CSST. Ils précisent également le délai applicable pour ce faire.

[2] Un formulaire est-il toujours nécessaire? La question est très importante puisque le droit d’un travailleur d’être indemnisé des conséquences de sa lésion professionnelle peut en dépendre.

Compétence de la CSST

[3] Dans la décision Philippe et Bowater Pâtes et papiers (Gatineau)2, la juge administrative Suzanne Séguin a examiné la question de la compétence de la CSST sous l’angle des obligations prévues à la Loi sur la justice administrative3, en plus des dispositions mentionnées ci-dessus. Elle a conclu que la procédure de réclamation n’obéit pas à un formalisme rigide.

Contexte

[4] Dans cette affaire, le travailleur a transmis à la CSST, le 16 janvier 2004, un rapport médical rédigé le 5 janvier précédent, à la suite d’une chute survenue à cette date. Puis, le 16 juillet suivant, il a déposé sa réclamation à la CSST. Cette dernière l’a rejetée au motif qu’elle n’avait pas été produite dans le délai de six mois prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Dépôt d’un rapport médical

[5] Dans cette affaire, la CLP a assimilé le dépôt d’un rapport médical à la réclamation prévue à l’article 270 LATMP. Le travailleur avait fait six demandes visant des rechutes, récidives ou aggravations, qui avaient été traitées de façons différentes par la CSST. À certaines occasions, le travailleur a déposé un rapport médical et rempli le formulaire de réclamation à la demande d’un agent d’indemnisation. Parfois, il a rempli le formulaire de réclamation et produit un rapport médical ensuite. Il est également arrivé que le travailleur produise sa réclamation et que la CSST n’y donne pas suite ou y donne suite tardivement.

[6] La juge Séguin a conclu que la procédure de réclamation n’obéit pas à un formalisme rigide, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Loi sur la justice administrative. Elle a également précisé que, selon le deuxième paragraphe de l’article 5 et le premier alinéa de l’article 6 de cette loi, la CSST doit s’assurer que le travailleur a eu l’occasion de fournir les renseignements utiles à la prise de décision et, le cas échéant, de compléter son dossier. Si tel n’est pas le cas, la CSST doit retarder sa décision afin de communiquer avec le travailleur et de donner à celui-ci l’occasion de fournir les renseignements ou les documents pertinents pour compléter son dossier.

Justice administrative

[7] La juge Séguin a également précisé que les dispositions de la Loi sur la justice administrative doivent recevoir une interprétation large et libérale et s’interpréter les unes par rapport aux autres afin de lui donner effet conformément aux articles 41 et 41.1 de la Loid’interprétation4. Dès lors, la CSST doit respecter les prescriptions de la Loi sur la justice administrative même si elle ne rend pas une décision officielle.

[8] Par conséquent, la CSST ne peut tout simplement pas mettre de côté le rapport médical produit et doit exiger la production de la réclamation sur le formulaire requis si elle l’estime nécessaire. Si elle ne le fait pas, la CLP en infère que le formulaire n’est pas requis et considère que la production du rapport médical est assimilée à une réclamation au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles — d’autant plus que la CSST a le devoir d’agir équitablement en vertu de l’article 2 de la Loi sur la justice administrative et que, dans ce dossier, elle avait déjà communiqué avec le travailleur afin qu’il complète sa réclamation sur le formulaire prescrit. Celui-ci pouvait raisonnablement s’attendre qu’elle le fasse dans le cas présent, si cela était nécessaire.

[9] Enfin, la juge souligne qu’en vertu de l’article 353 LATMP la production du rapport médical — assimilée à une réclamation — ne peut être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.

[10] La juge conclut que la réclamation a été produite dans le délai légal. Elle ajoute que, de toute façon, le travailleur avait un motif raisonnable pour être relevé de son défaut.

Obligation du travailleur

[11] Dans la décision E.L. et Compagnie A5, la juge administrative Martine Montplaisir s’est penchée sur la question du caractère impératif ou non de l’obligation, pour un travailleur, de produire un formulaire de réclamation à la CSST lorsqu’un dossier est déjà ouvert.  Les principes applicables ont bien été établis et la juge a fait une revue de la jurisprudence traitant de cas similaires.

Contexte

[12] Dans cette affaire, le travailleur a été victime d’un grave accident du travail en 1993 lorsqu’il a fait une chute. Il a subi une intervention chirurgicale d’urgence en raison d’une fracture des vertèbres T10, T11 et T12 avec paraplégie motrice et sensitive, et un médecin a posé le diagnostic de trauma crânien et médullaire. La lésion professionnelle a été consolidée en 1994 avec une atteinte permanente de 201 %. Compte tenu du fait que le travailleur ne pouvait occuper un emploi convenable, la CSST a décidé de continuer à lui verser une indemnité jusqu’à l’âge de 68 ans.

[13] En 1998, le travailleur a été hospitalisé pour un trouble bipolaire I et pour un trouble schizo-affectif de type maniaque. La CSST a estimé qu’il n’y avait pas de lien direct entre le tableau clinique que le travailleur présentait un mois après ce nouveau diagnostic et l’événement initial. Elle a indiqué, aux notes évolutives, qu’une décision serait rendue si une demande était présentée.

[14] En 2003,  le travailleur a de nouveau été hospitalisé; les diagnostics de maladie affective bipolaire et de deuxième épisode de manie avec psychose ont été posés. La CSST a été informée de ce nouvel épisode par une ergothérapeute qui a produit un rapport d’évaluation des besoins à domicile du travailleur ainsi que par une neuropsychologue qui a examiné le travailleur à trois reprises à la demande de la CSST.

La réclamation

[15] En 2005, le travailleur a demandé à la CSST que sa condition psychiatrique soit évaluée par un spécialiste car, selon la neuropsychologue, les psychoses étaient en lien avec l’accident du travail. Cette demande a été réitérée lors d’une rencontre avec la conseillère en réadaptation, et celle-ci a conseillé au travailleur de produire une réclamation. Le 6 mars 2007, le travailleur a déposé une réclamation à la CSST pour les psychoses survenues en mars 1998 et en mai 2003. La CSST a conclu que sa réclamation était irrecevable, ce qui a été confirmé par la CLP.

Critères à considérer pour décider du caractère impératif ou non de l’obligation de produire une réclamation

[16] La juge Montplaisir a conclu que, selon la jurisprudence consultée, le caractère impératif ou non de l’obligation de produire un formulaire de réclamation doit être apprécié en fonction du caractère social de la loi, qui procède plus de l’équité que du droit strict et qui doit être interprétée largement. Elle précise que :

  • Le dépôt d’un formulaire de réclamation n’est pas obligatoire lorsque la preuve révèle que l’employeur est informé de l’existence de la réclamation du travailleur ou lorsque celui-ci transmet à la CSST le détail de sa réclamation au moyen d’une lettre ou d’un autre document, tel un rapport médical de son médecin.
  • Ce principe est d’autant plus appliqué lorsque le dossier du travailleur est déjà ouvert et qu’un nouveau rapport médical est déposé.
  • Selon la jurisprudence, l’existence d’une réclamation sur un formulaire prescrit par la CSST appartient au domaine des formalités administratives.

Examen de l’admissibilité de la réclamation par la CSST

[17] Revenant à l’affaire E.L., la juge conclut que la CSST n’avait pas à attendre que le travailleur dépose une réclamation sur le formulaire qu’elle prescrit pour statuer sur l’admissibilité à titre de lésion professionnelle de la maladie bipolaire et du trouble schizo-affectif de type maniaque diagnostiqués en 1998 ainsi que sur la maladie affective bipolaire et le deuxième épisode de manie avec psychose diagnostiqués en 2003.

[18] Ainsi, la CSST devait statuer sur la relation entre ces nouveaux diagnostics et l’événement du 30 avril 1993 afin de se prononcer sur le caractère professionnel de cette lésion,  ou encore entreprendre la procédure d’évaluation médicale prévue aux articles 204 et ss. LATMP si elle était en désaccord avec ces diagnostics.

[19] En conséquence, la juge décide que la réclamation déposée par le travailleur en 2007 est recevable et, statuant sur le fond, conclut que le travailleur avait subi des récidives, rechutes ou aggravations en 1998 et 2003.

Conclusion

[20] Les délais causés par le processus «médico-administratif» des dossiers CSST causent certainement des inconvénients pour toutes les parties en cause, et celles-ci ont intérêt à mieux encadrer ce processus, qui entraîne des pertes de temps et d’argent de même que des conséquences négatives tant pour la CSST que les travailleurs et les employeurs.

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