[1] En vertu de l’article 541 du Code civil du Québec1, toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue. Cette disposition a récemment fait couler beaucoup d’encre à la suite du jugement rendu le 6 janvier 2009 dans Adoption — 0912 de la Cour du Québec. Dans sa décision, le juge Michel DuBois a rejeté la demande d’ordonnance en vue de l’adoption d’une enfant née d’une mère porteuse formulée par la conjointe du père biologique.

[2] On ne peut se surprendre du fait que ce jugement ait attiré l’attention puisqu’il s’agissait de la première fois qu’un tribunal québécois avait à se prononcer directement sur une telle question. Pour cette raison, notre analyse portera principalement sur cette décision du juge DuBois. Par ailleurs, étant donné que l’article 16-7 du Code civil français3 considère également les conventions de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui comme nulles, et puisque les tribunaux français ont été saisis à maintes reprises de cette question, nous aborderons brièvement certaines considérations selon cette perspective.

La décision de la Cour du Québec

Les faits

[3] La requérante et le père de l’enfant en cause vivent maritalement depuis plus de six ans. Au fil des années, ils ont effectué de nombreuses démarches afin qu’un enfant naisse de leur union, mais en vain. Ils ont donc choisi de recourir aux services d’une mère porteuse et ont conclu avec la candidate qu’ils avaient retenue un contrat verbal comportant une rémunération pour services rendus. Aux termes de cette entente, il était convenu que la location de l’utérus de la mère porteuse avait comme seule finalité de mettre au monde un enfant dont les parents seraient le père biologique et la requérante. À la naissance de l’enfant, une déclaration de naissance a été remplie, ne mentionnant toutefois que le père. Celui-ci a par la suite consenti à l’adoption de sa fille par la requérante. Quant à la mère porteuse, elle a signé, deux jours après la naissance, un consentement spécial en vue de l’adoption de l’enfant, acceptant expressément que celle-ci soit confiée à la requérante et au père dans le contexte d’un placement en vue de son adoption. La requérante n’a toutefois pas demandé au tribunal de donner suite à ce document.

L’argumentation

[4] L’avocate de la requérante a soutenu qu’il n’était pas nécessaire de sanctionner la nullité absolue du contrat de maternité de substitution prévue à l’article 541 C.C.Q. ni de trancher un litige concernant l’exécution d’un contrat. Elle a allégué qu’il fallait plutôt s’assurer que les conditions d’adoption avaient été remplies aux fins de rendre l’ordonnance de placement recherchée. Finalement, elle a insisté sur l’argument de l’intérêt supérieur de l’enfant et la nécessité d’établir la filiation maternelle de celle-ci en raison du consentement spécial à l’adoption signé par le père.

La décision

[5] Le tribunal établit dans un premier temps que son rôle ne consiste pas en l’espèce à sanctionner la conduite des personnes impliquées ou à se prononcer sur certaines infractions pénales mentionnées à la Loi sur la protection de la jeunesse4. Il rappelle ensuite succinctement l’état du droit au Canada quant au contrat de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui. La Loi sur la procréation assistée5 proscrit la rétribution de la mère porteuse mais n’interdit pas les gestes d’altruisme, le tout dans le respect de la législation adoptée par les provinces. Au Québec, ce contrat est illégal, indépendamment de son caractère onéreux ou gratuit. La Cour attire finalement notre attention sur le premier alinéa de l’article 543 C.C.Q., qui prévoit que l’adoption ne peut avoir lieu que dans l’intérêt de l’enfant et aux conditions prévues par la loi, et elle spécifie que ces conditions vont au-delà du respect formel et procédural du consentement à l’adoption effectué par le père dans le contexte du projet parental intervenu.

[6] Selon le juge DuBois, eu égard aux conditions prévues par la loi, on ne peut mettre de côté le caractère illégal et contraire à l’ordre public de la démarche qui a été suivie par la requérante et son conjoint, car il vient vicier le consentement spécial accordé en vue de l’adoption, consentement qui, en l’espèce, n’est réellement qu’une manière détournée de donner effet à l’entente contractuelle en faisant produire des conséquences juridiques à ce qui est prohibé par la loi. Eu égard au critère de l’intérêt de l’enfant, le juge a estimé que son utilisation permettrait, si l’on adhérait à la conception de la requérante, de faire aboutir finalement à un résultat légal l’ensemble de cette démarche conçue et réalisée dans l’illégalité. Or, conclut-il, malgré son importance, l’intérêt supérieur de l’enfant ne permet pas de faire fi de toute autre règle de droit.

[7] Considérant que de donner effet au consentement du père à l’adoption de l’enfant équivaudrait à faire preuve d’aveuglement volontaire et confirmerait que la fin justifie les moyens, le juge DuBois décide que l’enfant n’a pas droit à une filiation maternelle à tout prix et il rejette la requête.

Commentaire

[8] Les auteurs Pineau et Pratte6, dans leur analyse de la maternité de substitution, ont examiné un scénario hypothétique semblable quant à la possibilité qu’aurait le conjoint ou la conjointe du père biologique d’un enfant de devenir légalement son deuxième parent. Se penchant, d’une part, sur l’objectif du respect de l’ordre public et la logique juridique et, d’autre part, sur celui de la protection de l’intérêt de l’enfant en cause, ceux-ci ont émis l’opinion que l’on devrait accorder une préférence au second objectif. Ainsi, ils sont d’avis que le recours à l’adoption en faveur du conjoint ou de la conjointe du père devrait être toléré, pour autant que la mère porteuse y consente. À cette fin, ils suggèrent de privilégier une interprétation de l’article 555 C.C.Q. qui favoriserait le détournement de la loi et qui permettrait à la mère porteuse de donner un consentement spécial en faveur du conjoint ou de la conjointe du père biologique de l’enfant.

[9] L’auteur Tétrault7 s’est également exprimé sur la possibilité d’une adoption par consentement spécial de la mère porteuse et du parent biologique et est d’avis qu’il ne sera pas possible d’établir une filiation dans la mesure où la démarche comprendrait une forme quelconque de compensation ou une entente préalable de la remise de l’enfant.

Une autre perspective

[10] Tel qu’il a été mentionné précédemment, le Code civil français, tout comme le nôtre, considère comme nulles les conventions de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui. En mai 1991, l’assemblée plénière de la Cour de cassation avait affirmé que «la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes8». Cette notion a été reprise lors de l’entrée en vigueur de l’article 16-7 du Code civil français. Par ailleurs, il ressort de l’analyse de l’auteure Lavallée9 que, pour la Cour de cassation, «l’utilisation de l’adoption dans le contexte des mères porteuses constitue un détournement de l’institution puisque l’adoption est indissociable de la convention et que l’illégitimité de l’une entraîne celle de l’autre, s’agissant d’un tout indivisible».

Conclusion

[11] La vision de la Cour de cassation semble compatible à celle adoptée par la Cour du Québec, les deux accordant une importance supérieure au critère de l’illégalité de la convention par rapport à celle du critère de l’intérêt de l’enfant. Néanmoins, il reste à voir si les décisions futures qui seront rendues en la matière au Québec continueront de bâtir sur les fondations posées par ce jugement ou si elles adopteront une vision différente des critères à considérer.

Print Friendly, PDF & Email