[1] Le régime québécois d’assurance parentale (RQAP) est en vigueur depuis le 1er janvier 2006. De nombreuses décisions ont été rendues depuis par le Tribunal administratif du Québec (TAQ). Si l’on compare avec les décisions rendues par ce dernier dans les autres domaines de droit qu’il couvre, on trouve un nombre très élevé de requérants qui soutiennent avoir été mal informés par les agents du RQAP.

[2] Il y a deux types d’erreurs : celles qui font en sorte qu’un droit est nié et celles qui emportent un versement trop élevé de prestations. Dans ce dernier cas, les requérants sont susceptibles de devoir rembourser les prestations reçues en trop. En effet, l’article 27 de la Loi sur l’assurance parentale1 prévoit que : «Une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n’a pas droit ou dont le montant excède celui auquel elle a droit doit rembourser les montants reçus sans droit, sauf s’ils ont été payés par suite d’une erreur administrative que cette personne ne pouvait raisonnablement constater.» Cette disposition législative n’est pas unique en son genre. Notamment, l’article 147 de la Loi sur le régime de rentes du Québec2 et l’article 86 de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles3, qui sont des lois à caractère social au même titre que la Loi sur l’assurance parentale, sont au même effet.

[3] Évidemment, c’est la possibilité raisonnable de constater une erreur administrative qui constitue l’élément clé à considérer pour déterminer si un requérant doit rembourser les prestations du RQAP qu’il a reçues en trop. Passons en revue quelques décisions du TAQ à ce sujet.

[4] Une requérante a reçu des prestations en trop après avoir déclaré son revenu brut d’entreprise plutôt que son revenu net. La direction du RQAP lui a réclamé les sommes reçues en trop et a diminué les prestations pour l’avenir. Le TAQ a conclu que la requérante avait été induite en erreur par un agent du RQAP. Elle a obtenu des informations par téléphone, à compter de décembre 2005, à propos d’une loi qui entrait en vigueur le 1er janvier 2006. Certaines de ces informations étaient erronées. La documentation disponible à l’époque sur Internet n’était pas rédigée clairement et des renseignements contradictoires s’y trouvaient. Le TAQ n’a pas fait état dans sa décision de la possibilité raisonnable de la requérante de constater l’erreur, mais il cite l’article 27 de la loi et semble donc tenir pour acquis qu’elle n’a pas eu cette possibilité. Quoi qu’il en soit, il a infirmé la décision ayant diminué les prestations et ayant réclamé celles reçues en trop4.

[5] Cette décision a été révoquée par le TAQ en révision5 au motif que l’article 27 ne s’applique qu’au remboursement de sommes versées en trop par le passé et non à la détermination du montant des prestations définitives que la direction du RQAP devra verser à l’avenir. La première formation du TAQ a notamment erré en droit en se basant sur la présence d’une erreur administrative pour infirmer en totalité la décision du ministre, en appliquant l’article 27 et en décidant de l’ensemble du litige, soit l’annulation de la réclamation et la diminution des prestations définitives. La première formation ne pouvait infirmer la décision en révision quant à la détermination du montant des prestations définitives. Le TAQ en révision a maintenu l’annulation de la réclamation mais a confirmé le droit de la direction du RQAP de diminuer les prestations.

[6] Des erreurs sont parfois imputables non pas directement à un agent du RQAP, mais bien à l’un des intervenants au processus. Une requérante a reçu des prestations en trop à la suite d’une erreur dans son relevé d’emploi. L’employeur est tenu de transmettre les relevés à Service Canada, qui les fait suivre à la direction du RQAP. Le TAQ a rappelé qu’une entente était intervenue entre le gouvernement du Canada et celui du Québec relativement aux échanges de renseignements à des fins administratives en ce qui a trait au RQAP. En vertu de cette entente, le Canada autorise le Québec à utiliser le relevé d’emploi ainsi que l’accès aux banques de données afin de déterminer l’admissibilité des travailleurs salariés. Le TAQ a indiqué que, en l’espèce, une véritable confusion a entouré les indications qui devaient figurer au relevé au sujet des périodes de travail permettant le calcul exact de la prestation. L’employeur, qui prenait conseil auprès d’un agent du RQAP, n’a pu parvenir à remplir le relevé d’emploi de la requérante qu’après plusieurs tentatives. Pour sa part, Service Canada est à l’origine d’un changement qui a provoqué la préparation d’un autre relevé d’emploi. Le TAQ a rappelé que la loi a un caractère social et qu’elle doit être interprétée de façon libérale. La requérante a respecté les exigences que lui impose la loi. Une erreur s’est glissée dans des documents relevant de l’autorité d’un partenaire lié au ministre pour l’administration du programme. Il s’agit d’une erreur administrative couverte par l’article 27 de la loi. La requérante n’était pas en mesure de raisonnablement constater cette erreur; elle n’a pas à rembourser les sommes réclamées6.

[7] Dans un autre cas, la requérante a donné le montant de ses revenus par téléphone à un agent du RQAP. Celui-ci a additionné par erreur certaines sommes. Lorsqu’elle a reçu son premier chèque, la requérante l’a trouvé élevé mais ne s’en est pas préoccupée. Quelque temps plus tard, une somme versée en trop lui a été réclamée, puis cette réclamation a été annulée sans explication. Une nouvelle réclamation lui a été adressée quelques mois plus tard. Dans sa contestation, la requérante a invoqué le fouillis administratif du programme à ses débuts, les délais indus et les erreurs trop nombreuses causées par une certaine improvisation et l’afflux des demandes. La direction du RQAP a reconnu qu’elle avait commis une erreur administrative en ne décelant pas l’inexactitude du revenu d’emploi déclaré. Le TAQ a indiqué que, si ce n’était que de cette erreur, il ne pourrait accueillir le recours puisque la requérante pouvait raisonnablement la constater. Toutefois, la deuxième erreur, où la direction du RQAP a annulé la réclamation sans explication, a laissé croire indûment à la requérante que tout était réglé. Elle ne pouvait raisonnablement constater cette deuxième erreur et n’a pas à rembourser les prestations reçues sans droit7.

[8] Une requérante a été informée par un agent du RQAP que la prestation hebdomadaire qu’elle recevait avait été revue à la hausse et qu’elle avait droit à une somme additionnelle par semaine, ce qui lui a donné droit à un versement rétroactif. Deux mois plus tard, elle a été avisée que ses prestations devaient être diminuées et qu’elle devait rembourser celles reçues en trop. Devant le TAQ, la requérante a affirmé avoir téléphoné à l’agent du RQAP lorsque sa prestation a été augmentée pour s’assurer que le montant était bien exact. L’agent lui aurait dit que tout était en règle. La direction du RQAP a admis la présence d’une erreur administrative, le relevé d’emploi de la requérante ayant été saisi deux fois. Elle a reconnu le fait que la requérante avait téléphoné à l’agent du RQAP, mais elle a soutenu que cet appel était justement motivé par un doute quant à ses droits et qu’elle aurait dû se rendre compte du fait que le montant qui lui était versé était trop élevé. Le TAQ a considéré que la requérante avait vérifié son droit avant d’encaisser son chèque. L’agent du RQAP lui avait répondu que tout était en règle. Un prestataire doit pouvoir se fier aux avis donnés par les agents. Par conséquent, on ne peut se rendre à l’argument selon lequel l’appel de la requérante traduisait un doute dans son esprit. Au contraire, il ne serait pas logique qu’elle soit pénalisée après coup pour avoir agi en citoyenne responsable. La réclamation résulte donc d’une erreur administrative du RQAP, erreur que la requérante ne pouvait raisonnablement constater. Elle n’a pas à rembourser la somme réclamée8.

[9] Une requérante a reçu des prestations plus élevées que celles auxquelles elle avait droit, un relevé d’emploi ne lui appartenant pas ayant été comptabilisé à son dossier. Le TAQ a conclu qu’elle n’était pas en mesure de constater l’erreur de la direction du RQAP. Elle bénéficiait pour la première fois de ce régime, n’en connaissait pas toutes les subtilités et le trouvait très avantageux. Elle ne pouvait non plus vérifier la validité des calculs de la direction du RQAP pour en arriver à un montant hebdomadaire puisqu’ils ne lui avaient pas été communiqués. Elle n’a donc pas à rembourser les sommes reçues en trop9.

[10] D’autres décisions concluent à la possibilité raisonnable de constater l’erreur. La direction du RQAP, après avoir accordé quatre semaines de prestations à un requérant, a constaté une erreur administrative puisque deux semaines de prestations lui avaient déjà été versées alors qu’il travaillait. Une réclamation lui a été adressée. Le TAQ a conclu que le requérant était en mesure de constater l’erreur, car il avait encaissé les prestations alors même qu’il travaillait. Il savait donc qu’il n’y avait pas droit et n’a pas avisé la direction du RQAP que des prestations lui avaient été versées. Par conséquent, la réclamation des deux semaines versées par erreur est justifiée10.

[11] Dans une autre affaire, la direction du RQAP a fait une erreur en versant à la requérante une semaine de prestations. Le TAQ a conclu que la requérante pouvait raisonnablement constater l’erreur. Il a indiqué que : «Selon la preuve, il est vrai qu’elle n’a pas elle-même constaté l’erreur, mais les termes employés par le législateur ne font pas référence au fait mais à la possibilité raisonnable qu’une personne constate l’erreur11.» Or, selon le TAQ, la requérante ne pouvait ignorer qu’elle avait été rémunérée par son employeur durant la semaine en cause, d’où l’erreur administrative commise. Elle doit donc rembourser les prestations reçues en trop.

[12] L’autre type d’erreur administrative évoquée ne met pas en cause un remboursement, mais plutôt la négation d’un droit. Il s’agit notamment de mauvaises informations touchant les délais applicables et le calcul de la prestation. Dans ce dernier cas, le requérant allègue toucher une prestation moindre que ce qu’on lui avait laissé croire. Dans la très grande majorité des cas touchant une erreur niant un droit, le TAQ conclut que «l’erreur n’est pas créatrice de droit12».

[13] Il est parfois arrivé que le TAQ reconnaisse l’existence d’un droit malgré l’erreur administrative. Ainsi, dans un cas, il y a eu un imbroglio touchant la demande de prestation du requérant à la suite d’une mauvaise information de la direction du RQAP. Le requérant a fait valoir que les informations obtenues des agents du RQAP lui avaient laissé croire qu’une demande conjointe de prestations pour lui et son épouse avait été déposée lors de la naissance du bébé. Le TAQ a d’abord rappelé que l’ignorance de la loi ou la mauvaise information ne sont pas créatrices de droit. Toutefois, il a indiqué qu’il ne s’agissait pas en l’espèce de personnes qui ne s’étaient pas informées ou encore qui ne s’étaient informées qu’une seule fois et avaient obtenu des informations d’ordre général. Il s’agit plutôt d’une situation ayant non seulement entraîné la confusion, mais ayant en outre conforté le requérant dans celle-ci. En plus de renseignements téléphoniques qu’il aurait été possible d’écarter parce qu’ils étaient d’ordre général, la direction du RQAP a confirmé par écrit au requérant que l’information transmise avait été prise en considération et que ses documents avaient été déposés à son dossier. Le requérant a cru de bonne foi que son dossier était conforme aux règles. Dès que la direction du RQAP l’a informé du contraire, il a agi avec diligence. Le TAQ a donc conclu que le requérant avait été dans l’impossibilité de déposer sa demande plus tôt. Il a renvoyé le dossier à la direction du RQAP afin qu’il soit traité en conséquence13.

[14] Une requérante a déposé une demande de révision hors délai. Elle a dit s’être fiée aux dates établies par l’agent du RQAP. Le TAQ a souligné le contexte particulier du dossier. Le régime était alors à ses tout premiers débuts, les communications avec la direction du RQAP étaient difficiles et l’information que véhiculait celle-ci indiquait que, s’il y avait erreur, elle ferait les corrections nécessaires. La requérante lui a donc fait confiance et n’a naturellement pas eu le réflexe de faire une demande de révision. Elle avait un motif valable de ne pas avoir déposé sa demande en temps utile14.

[15] Dans une dernière affaire, la direction du RQAP a refusé de verser au requérant des prestations pour 1 semaine au motif que la période maximale de 52 semaines suivant la naissance de l’enfant était dépassée. Le requérant a soutenu qu’il avait pris un congé sans solde en fonction d’une information reçue au téléphone d’un agent du RQAP. Le TAQ a jugé son témoignage crédible, d’autant plus qu’il devait, selon une lettre de son employeur, obtenir des informations sur sa période d’admissibilité. Le requérant a tenté, sans succès, d’obtenir des informations sur l’appel fait à l’agent auprès de son fournisseur de services téléphoniques. Il a fait ce qu’il fallait et croyait en toute bonne foi être dans son droit. Le TAQ a souligné que le bien-fondé du recours du requérant était principalement motivé par sa crédibilité et sa bonne foi15.

[16] Par ailleurs, il faut noter que le TAQ accorde le même traitement à l’erreur provenant de l’employeur ou du gouvernement fédéral16. Il cite des extraits de jurisprudence selon lesquels «le fait de s’être fié à son employeur ne peut constituer une impossibilité d’agir de sa part17» et : «On ne peut invoquer la faute de l’employeur, d’un autre organisme ou d’un tiers pour justifier son propre retard ou sa propre négligence à agir. Les citoyens doivent s’informer des lois en consultant soit les avocats ou les notaires en exercice18

[17] Pour conclure, il convient de signaler différents commentaires du TAQ concernant les erreurs administratives de la direction du RQAP. Certains de ces commentaires remettent aux requérants l’entière responsabilité de leurs actes. «[Les] agents ne sont pas des conseillers juridiques19.» «[L]e requérant n’a jamais consulté le site internet du Régime québécois d’assurance parentale afin d’y recueillir les informations relatives à la demande de prestations de paternité. Or, il lui incombait d’aller chercher les informations qui lui auraient permis d’établir son admissibilité. Ce n’est pas le rôle des agents de fournir tous les détails concernant les programmes offerts aux prestataires. L’agent a pour fonction de fournir de l’information générale à ceux qui en font la demande. Ce n’est pas un spécialiste. Le requérant ne peut prétendre qu’il était dans l’impossibilité d’agir et se décharger de sa responsabilité sur l’agent de l’intimé20.» Enfin, d’autres décisions rappellent que, pour ce qui est de l’ignorance de la loi, il appartient à chacun de s’informer auprès des personnes qualifiées. Les préposés à l’information, les téléphonistes et les agents ne sont pas des conseillers juridiques21.

[18] D’autres commentaires sont plus sensibles aux conséquences des erreurs commises aux dépens des requérants. «La requérante a été victime d’informations transmises rapidement et possiblement prématurément. La prudence devrait être de mise dans les communications avec les administrés lors de l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi. Les informations transmises aux citoyens par les préposés de l’administration ont beaucoup d’impact. En effet, le citoyen s’adresse à une personne qui devrait savoir et connaître les particularités du programme pour lequel il est préposé. Le citoyen accorde toute sa confiance à l’information transmise par ces personnes22.» «Les effets de telles informations inexactes de la part des agents de l’intimé ne doivent pas être sous-estimés. Les jeunes familles sont souvent aux prises avec de nombreuses obligations et leur budget, comme dans le cas en l’espèce, était planifié au dollar près. […] Or, bien que la requérante ait subi un préjudice de cette mauvaise information, le Tribunal ne peut lui accorder d’avantages supplémentaires à que ce que la Loi prévoit. […] Le Tribunal ne peut la compenser pour le manque à gagner en raison de la mauvaise information reçue des agents de l’intimé. Seul le ministre par son pouvoir discrétionnaire peut, en des circonstances exceptionnelles, corriger de telles situations23

[19] Le régime québécois d’assurance parentale est encore jeune. Son application devrait s’améliorer au cours des années à venir.

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