[1] Au cours des dernières années, la Commission des lésions professionnelles (CLP) s’est prononcée à plusieurs reprises sur des questions concernant la prescription dans des matières touchant le recouvrement des prestations. Ainsi, les questions suivantes ont été abordées : 1) Quelle est la durée de la prescription applicable? 2) Quand commence-t-elle à courir? et 3) Qu’est-ce qu’un acte interruptif de prescription? La CLP s’est aussi penchée sur la question de savoir si l’on pouvait se servir du Code civil du Québec1 pour interpréter les dispositions pertinentes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2 relativement à ce sujet.

[2] Le recouvrement des prestations reçues sans droit est prévu aux articles 430 et ss. LATMP. L’article 430 prévoit qu’une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n’avait pas droit doit rembourser le trop-perçu à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). L’article 431 mentionne que la CSST peut recouvrer ce montant dans les trois ans suivant le paiement de l’indu. Selon l’article 432, la CSST doit alors mettre le débiteur en demeure au moyen d’un avis qui indique le montant dû, les motifs d’exigibilité de la dette et le droit du débiteur de demander la révision de cette décision. Cet article précise que la mise en demeure interrompt la prescription.

La prescription prévue à l’article 431 LATMP ou au Code civil du Québec

[3] Tout d’abord, la CLP a précisé quelle prescription s’applique au recouvrement des prestations : celle de 3 ans, prévue par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, ou celle établie par le Code civil du Québec, qui est de 10 ans. Dans Lachaine et Transelec & Carjan, s.e.n.c. (F)3 et dans Ouellet et Entretien de voies ferrées Coyle4, la CLP a considéré qu’il n’était pas nécessaire de recourir au Code civil du Québec pour interpréter les dispositions des articles 430 et ss. LATMP; cependant, elle n’a pas écarté le recours au droit civil lorsqu’il était nécessaire pour trancher un litige. Cette position a été majoritairement suivie par la suite. Par conséquent, dans ces affaires, la CSST pouvait appliquer l’article 431 et recouvrer le montant de la dette dans les trois ans suivant le paiement de l’indu. Que signifie exactement l’expression «paiement de l’indu», toutefois? La réponse à cette question est importante puisqu’elle détermine le moment où le délai de la prescription commence à courir.

Début de la prescription prévue à l’article 431 LATMP

[4] Une décision de principe rendue par une formation de trois juges administratifs, soit l’affaire Lapierre et Général Motors du Canada ltée5, a traité de cette question en cernant ainsi le problème : certaines décisions de la CLP rendues jusqu’alors estimaient que le début de la prescription correspondait à la date où les prestations avaient été payées, ce qui fait que la dette existerait à partir du paiement des prestations versées sans droit. Selon d’autres décisions, la dette naîtrait au moment de la décision exécutoire ou finale qui statue sur son existence. L’affaire Lapierre6 a suivi la deuxième position jurisprudentielle. La Cour d’appel a par la suite confirmé la justesse de cette position dans General Motors du Canada ltée c. Bousquet (Lapierre en appel), et elle est allée encore plus loin en estimant qu’il serait incongru d’exiger de la CSST, qui aurait en premier lieu reconnu le bien-fondé de la réclamation d’un travailleur, qu’elle mette celui-ci en demeure de rembourser les prestations versées dès le moment où l’employeur contesterait sa décision. En effet, pour se conformer à l’article 432, quels motifs d’exigibilité devrait-elle alors invoquer? La Cour d’appel a conclu qu’il ne serait pas approprié d’obliger le travailleur à enclencher le mécanisme de révision de la mise en demeure alors que l’issue de la contestation par l’employeur de la décision en admissibilité de la CSST ne serait pas encore connue.

[5] Cet énoncé de principe a été suivi par la suite. Ainsi, dans Dumont et CH-CHSLD de Matane7, la décision finale et exécutoire concernant la dette n’avait pas encore été rendue à la date de l’audience devant la CLP, faisant en sorte que le paiement n’était pas encore indu et que le délai de trois ans ne pouvait donc pas avoir commencé à courir.

[6] Par ailleurs, selon l’article 432, une prescription peut être interrompue.

L’acte interruptif de prescription

[7] La décision Lachaine et Transelec & Carjan, s.e.n.c. (F) illustre bien l’effet de ces questions sur l’issue d’une demande de la CSST en recouvrement de prestations reçues sans droit. Les faits suivants y sont relatés : en 1994, la travailleuse a subi un accident du travail à la suite duquel des mesures de réadaptation ont été mises en place pour qu’elle puisse occuper l’«emploi convenable» de maraîchère. Ainsi, une subvention de 30 000 $ lui a été accordée pour l’achat de serres qu’elle devait installer à son domicile, ce que, finalement, elle n’a pas fait. Comme la travailleuse ne pouvait justifier l’utilisation de la subvention, la CSST, le 7 juillet 2007, lui a réclamé la somme de 30 000 $. Toutefois, le 23 mai 2002, dans le contexte d’une entente, la CSST et la travailleuse avaient convenu que cette dette, devenue exigible, ne pourrait être récupérée que lorsque la travailleuse serait de nouveau prestataire, et seulement par voie de compensation, conformément à l’article 434 LATMP, qui se lit comme suit :

434. Si le débiteur est aussi créancier d’une indemnité de remplacement du revenu et que sa dette est exigible, la Commission peut opérer compensation jusqu’à concurrence de 25 % du montant de cette indemnité […].

[8] Cette entente de 2002 suspendait donc l’exécution du recouvrement de la dette et prévoyait les modalités de son recouvrement. En septembre 2004, la travailleuse a déposé une nouvelle réclamation pour un accident du travail survenu le 7 mai précédent. Cette réclamation a d’abord été rejetée par la CSST, pour être finalement, le 7 juin 2007, accueillie par la CLP. Ainsi, la travailleuse étant redevenue prestataire, la CSST a exécuté l’entente en créant à son dossier un surpayé de 13 000 $ en compensation de la dette de 30 000 $. De façon pratique, ce surpayé annulait le versement des nouvelles prestations. La travailleuse s’est opposée à cette compensation, alléguant que le recouvrement des prestations était prescrit. La CSST a encore soutenu, contrairement aux enseignements de la Cour d’appel dans General Motors du Canada ltée c. Bousquet, que le délai de prescription de la réclamation pour un surpayé était de 10 ans, conformément au Code civil du Québec. En l’espèce, la CLP s’est prononcée en faveur du délai de trois ans, pour des raisons déjà évoquées, et elle a aussi reconnu l’existence d’un acte interruptif de prescription.

[9] En effet, la CLP était d’avis que cette prescription avait été interrompue par l’entente du 23 mai 2002. À ce moment, il y a eu une reconnaissance de dette de la part de la travailleuse, suivie de son désistement, et la CSST a consenti un accord. Or, entre le 23 mai 2002 et le 23 mai 2005, soit trois ans plus tard, aucun autre acte interruptif de prescription n’a été fait, ni par la travailleuse ni par la CSST. La réclamation de la travailleuse relativement à une nouvelle lésion professionnelle, survenue le 7 mai 2004, n’a pas eu pour effet d’interrompre de nouveau la prescription. Il s’agissait là plutôt de l’exercice par la travailleuse d’un autre droit prévu par la loi. Par conséquent, le 3 juillet 2007, lorsque la CSST a finalement opéré compensation au sens de l’article 434, sa créance était prescrite, de sorte que la travailleuse n’était plus débitrice de la CSST. Cette dernière n’était donc pas fondée à recouvrer la somme de 13 000 $.

[10] Dans Léveillé et Peinture & déco FP inc.8, la CLP précise les effets d’une entente en suspension du recouvrement de prestations reçues sans droit. Les faits sont similaires : en considération du désistement du travailleur, la CSST s’était engagée, le 17 janvier 2005, à suspendre le recouvrement des prestations pour un événement accidentel survenu le 18 octobre 2003. Cette suspension devait être maintenue jusqu’à la survenance d’un éventuel événement donnant ouverture au versement des prestations. Lorsqu’un tel événement est survenu, la CSST a entamé les procédures de recouvrement en faisant parvenir au travailleur, le 28 août 2007, un «avis de paiement» réclamant la somme due. Le travailleur a prétendu que la réclamation était prescrite. Or, appliquant les principes déjà énoncés, la CLP était plutôt d’avis que la CSST avait agi à l’intérieur du délai de trois ans. En effet, la CLP a rappelé que, par l’entente du 17 janvier 2005, la CSST avait suspendu l’exigibilité de la dette du travailleur, laquelle était devenue exigible au moment où ce dernier s’était désisté de sa contestation. C’est le recouvrement de la dette qui avait été mis en suspens, et non la dette elle-même. L’«avis de paiement» du 28 août 2007 ne visait qu’à exécuter cette entente. La CLP a donc établi que le recours de la CSST n’était pas prescrit et que le recouvrement des prestations était justifié dans ce cas.

[11] Dans Michel et Industries Plastique Transco ltée9, la CLP a fait la distinction entre une simple lettre de la CSST réclamant des prestations reçues sans droit et la mise en demeure prévue à l’article 432. Cette mise en demeure couvre les éléments prévus à l’article 432, soit l’existence de la dette elle-même, le montant de celle-ci et son exigibilité. Cette mise en demeure contient tous les éléments d’une décision de la CSST, et la décision qui confirme ces éléments est une décision de la CSST qui est révisable; si elle n’est pas contestée, elle est finale et sans appel. Par contre, la lettre informant le travailleur que sa dette est devenue exigible ne porte que sur le moment où celle-ci l’est devenue. Il ne s’agit pas d’une décision de la CSST et, de ce fait, elle ne peut être révisée; s’il s’agissait d’une décision, la révision ne pourrait porter que sur le moment de l’exigibilité de la dette. En l’espèce, la lettre de la CSST n’étant pas une décision, la demande de révision du travailleur était irrecevable, et le recouvrement des prestations a été maintenu.

[12] Nous pouvons dégager de cette revue de la jurisprudence sur la question du recouvrement des prestations reçues sans droit que la prescription applicable est celle de trois ans prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles; cette prescription commence à courir au moment de la décision finale et exécutoire statuant sur l’existence de la dette. Elle peut être interrompue par une entente de suspension du recouvrement, laquelle constitue un acte interruptif de prescription. Par ailleurs, une nouvelle réclamation ne constitue pas un tel acte interruptif. Lorsque le travailleur est prestataire de la CSST, cette dernière peut opérer compensation jusqu’à concurrence de 25 % de la dette. Un avis de paiement ou une lettre réclamant les sommes dues n’est pas une décision de la CSST pouvant remettre en cause l’exigibilité d’une dette.

[13] Terminons par l’article 435, qui rappelle l’un des pouvoirs discrétionnaires de la CSST en matière de recouvrement :

435. À défaut du remboursement de la dette par le débiteur, la Commission peut, 30 jours après la date d’exigibilité de la dette ou dès cette date si elle est d’avis que le débiteur tente d’éluder le paiement, délivrer un certificat qui atteste :

1° les nom et adresse du débiteur;

2° le montant de la dette; et

3° la date de la décision finale qui établit l’exigibilité de la dette.

[14] La jurisprudence sur cette question n’est pas très abondante. Dans Tremblay et Service de pneus CTR ltée10, la CLP a souligné que la CSST ne s’était pas prévalue de ce droit de délivrer le certificat mentionné à l’article 435, qui doit être par la suite déposé au greffe du tribunal compétent. La CLP a considéré que ce dépôt aurait rendu exécutoire et finale sa décision initiale et non contestée réclamant un trop-perçu. Il s’ensuit que, quand la CSST a adressé, plus de trois ans plus tard, son «dernier avis» au travailleur, sa créance était déjà prescrite. La CSST n’a pas non plus déposé ce certificat dans Ouellet. Le sort de ces litiges en aurait été changé. D’autres décisions viendront sûrement étayer cette position.

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