[1] L’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail1 prévoit que :

Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.

[2] Dans des articles publiés antérieurement, nous avons vu quels sont les tribunaux compétents, selon que l’employé est syndiqué ou non ou que la situation a causé une lésion professionnelle : «L’article 123.16 de la Loi sur les normes du travail — ou quand le harcèlement psychologique est susceptible d’avoir causé une lésion professionnelle», par Sylvie Théoret, avocate2. Nous avons également examiné l’incidence des mesures prises par un employeur afin de régler la situation sur l’imputation du coût des prestations versées par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) : «Lésion professionnelle reliée à du harcèlement de la part de collègues : qui paye?», par Marie-Andrée Miquelon, avocate3.

[3] Le présent article, qui couvre les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles (CLP), donne un aperçu de situations, dans divers milieux de travail, où le harcèlement d’un employé a causé une lésion professionnelle.

[4] Les coûts et les conséquences, pour une entreprise, de laisser perdurer une situation de harcèlement vont bien au-delà des seules personnes en cause. Une revue de la jurisprudence récente — dans les cas où la réclamation pour une lésion professionnelle a été acceptée — permet de bien saisir les critères appliqués.

Compétence de la CLP et principes applicables

[5] Comme l’a rappelé récemment la CLP dans Pellerin et Centre de réadaptation la Myriade4:

— Pour déterminer si une lésion d’ordre psychologique est une lésion professionnelle, il faut appliquer la notion d’accident du travail (art. 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles5) à des circonstances inhabituelles, ponctuelles et limitées dans le temps;

— Il faut recourir à la notion de «maladie professionnelle» (art. 2 LATMP) lorsqu’une maladie est contractée à la suite de l’exposition à des agents stresseurs généralement présents dans le milieu de travail;

— Lorsque le travailleur fait référence à des difficultés réparties sur plusieurs années, il faut porter l’analyse en fonction de la notion de «risques particuliers» énoncée à l’article 30 LATMP, et les événements et les risques allégués être à l’origine d’une lésion doivent déborder le cadre normal des relations du travail et ne pas résulter d’un simple conflit de personnalités ou de la perception subjective du travailleur; et

— La CLP n’a pas à décider de l’existence d’une situation de harcèlement; elle peut cependant s’inspirer de la définition de cette notion contenue à l’article 81.18 L.N.T. afin de déterminer ce que peuvent constituer des conditions anormales de travail.

[6] Par ailleurs, il est intéressant de noter que, dans l’exercice de sa compétence en matière de lésion attribuée à du harcèlement psychologique, la CLP :

— N’a pas à surseoir à l’audience tant que la Cour supérieure ne s’est pas prononcée sur une requête en révision judiciaire d’une décision rendue par la Commission des relations du travail (CRT) dont les faits sont les mêmes que ceux à l’origine de la réclamation à la CSST6;

— Doit tenir compte du fait qu’une entente rédigée à la suite d’une plainte de harcèlement psychologique déposée à la Commission des normes du travail constitue un aveu que les conflits dépassaient ce à quoi on peut s’attendre dans un milieu de travail7;

— N’a pas à tenir compte des règles de preuve et de procédure civile, dont la chose jugée; il n’y a pas identité de cause et d’objet avec une décision de la CRT ou d’un arbitre de griefs puisque l’objet du recours n’est pas le même8;

— A le pouvoir de rendre une ordonnance visant la production, par le travailleur, des notes médicales et du suivi psychologique effectués dans le contexte de la réclamation produite à la CSST en vertu de ses pouvoirs d’enquête (art. 6 de la Loi sur les commissions d’enquête9). En déposant une réclamation à la CSST pour une condition psychologique qu’il allègue reliée à une forme de harcèlement au travail, le travailleur renonce implicitement à la protection de la confidentialité des dossiers médicaux relatifs à sa condition psychologique10;

— Ne peut accorder au supérieur à qui le travailleur reproche d’avoir fait preuve de harcèlement psychologique d’être déclaré partie à l’instance ni la possibilité de se voir accorder certains droits procéduraux en l’absence de mention d’un comportement précis portant atteinte à la dignité et à la réputation du travailleur11;

— Ne peut accepter en preuve la lettre de l’employeur faisant état des conclusions d’une enquête interne effectuée à la suite d’une plainte de harcèlement psychologique. La CLP possède la compétence exclusive pour déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle, et les conclusions d’un comité d’enquête mis en place par l’employeur en vertu d’une politique interne ne sauraient la lier12; et

— Ne peut rendre une ordonnance afin que les parties «ne se trouvent pas au même endroit» pour les journées d’audience restantes, en raison du conflit qui les oppose, sans avoir obtenu le point de vue de l’employeur13.

Cas d’application

[7] Voici un aperçu de situations où la CLP a conclu que la situation existant au travail a été la cause de la lésion d’ordre psychologique dont souffrait le travailleur.

Harcèlement par un supérieur

— Surveillance constante de la part de la directrice lors du retour au travail14 à la suite d’une lésion professionnelle;

— Violence verbale et comportement non désiré durant la période de probation15;

— Enregistrement d’une conversation à l’insu du travailleur et dévoilement de faits personnels16;

— Inciter des collègues à rédiger des lettres de reproches et à refuser de travailler avec une personne17;

— Attitude hostile, méprisante et sans respect de la part du supérieur18;

— Conduite méprisante visant à humilier la personne19; et

— Acharnement à l’égard d’un enseignant dans le contexte d’un conflit avec des étudiants20.

Harcèlement par des collègues

— Insultes racistes et intimidation ou paroles vexatoires21; et

— Violence verbale à l’endroit d’un employé d’un autre secteur22.

Harcèlement par un tiers

— Attitude hostile, paroles vexatoires, gestes disgracieux et menaces de la part d’un bénéficiaire; les efforts de l’employeur ne changent rien, compte tenu de l’article 26 LATMP23;

— Harcèlement psychologique et agression par un parent d’élève24; et

— Injures, insultes ou menaces de la part d’un membre du conseil d’administration25.

[8] Il ressort de l’ensemble de ces exemples — ainsi que des cas où il n’a pas été prouvé qu’il y avait eu harcèlement — que les critères considérés par la CLP sont de savoir, notamment, si le contexte de travail est normal ou anormal, s’il y a eu un exercice normal des droits de la direction, s’il s’agit uniquement d’une perception du travailleur ou s’il ne s’agissait que de problèmes de relations du travail, d’un conflit de personnalités ou encore d’une condition personnelle de vulnérabilité sur le plan émotionnel.

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