[1] En vertu de ses droits de direction, un employeur a le pouvoir d’imposer des mesures disciplinaires à ses salariés lorsque ceux-ci commettent des manquements volontaires. Ces pouvoirs sont énoncés expressément dans la plupart des conventions collectives. La jurisprudence1 a reconnu que les personnes exerçant des activités syndicales au sein d’une entreprise bénéficient d’une certaine immunité, qualifiée de «relative». Ainsi, le représentant syndical détiendrait un statut particulier qui lui donne une marge de manœuvre et une certaine protection par rapport à ses collègues lorsque l’employeur lui reproche d’avoir manqué à son obligation de loyauté. Cependant, il ne serait pas à l’abri de sanctions disciplinaires en cas de gestes illégaux. À trois occasions, en 2009, la Cour supérieure a eu à se prononcer sur la question de l’immunité du représentant syndical.

Société de transport de Sherbrooke c. Commission des relations du travail2

[2] Le 16 juin 2006, à la suite d’un désaccord avec l’employeur relativement à la mise en place d’un nouveau plan de transport, le syndicat représentant les chauffeurs d’autobus a distribué un tract dénonçant l’application de ce plan au mépris des besoins de la clientèle et des droits des salariés. Quelques jours plus tard, l’employeur a remarqué la présence, sur le tableau d’affichage mis à la disposition du syndicat, de propagande et d’incitation à la désobéissance. Les plaignants, des chauffeurs membres du comité de direction du syndicat, ont reçu des avis de suspension de quatre semaines pour avoir permis et toléré la publication de tracts ainsi que les affichages au tableau syndical, violant ainsi leur obligation de loyauté. La Commission des relations du travail (CRT) a accueilli3 les plaintes déposées en vertu de l’article 15 du Code du travail4. Elle a estimé que les plaignants avaient été suspendus parce que, aux yeux de l’employeur, ils avaient mal rempli leur rôle de dirigeants syndicaux. Elle a conclu que, en leur imposant cette sanction, l’employeur avait voulu punir ou briser le syndicat, ce qui ne pouvait constituer une cause juste et suffisante. L’employeur a demandé la révision judiciaire de cette décision. La Cour supérieure a décidé que la CRT avait éludé la question principale dont elle était saisie, qui consistait à déterminer si les plaignants bénéficiaient d’une immunité face aux sanctions disciplinaires de l’employeur. Procédant elle-même à cette analyse, la Cour a conclu que la preuve non contredite de la fausseté et de l’inexactitude des informations contenues dans le tract avait été faite devant la CRT. Par conséquent, les plaignants, qui connaissaient la fausseté des allégations, ne pouvaient prétendre être de bonne foi. Selon la Cour, même en tenant pour acquis qu’un employé peut critiquer son employeur, la forme de la critique a son importance dans l’appréciation de l’immunité conférée aux représentants syndicaux et aux employés exerçant leur droit à la liberté d’expression. Citant un article de doctrine5, elle précise qu’un représentant syndical dont les propos sont délibérément faux ou qui ne se soucie pas de la véracité de ce qu’il avance ne bénéficie d’aucune immunité. Considérant que le motif invoqué par l’employeur était sérieux, par opposition à un prétexte, et qu’il constituait la véritable cause de la mesure imposée, la Cour a conclu que la CRT aurait dû rejeter les plaintes.

L’Eplattenier c. Commission des relations du travail6

[3] Dans cette affaire, le plaignant, qui occupait des fonctions d’enseignant et de président du syndicat, a contesté son congédiement au moyen d’une plainte en vertu de l’article 15 C.tr. La CRT a conclu que l’employeur avait réussi à repousser la présomption légale en démontrant que la mesure avait été imposée au plaignant non pas en raison de ses activités syndicales, mais parce qu’il avait manqué à ses obligations de civilité et de loyauté7. Cette décision a été confirmée par l’instance de révision de la CRT8. En révision judiciaire, le plaignant a notamment soutenu que la CRT avait omis de tenir compte de l’immunité dont il bénéficiait à titre de représentant syndical lorsque, le 21 août 2006, il s’était exprimé d’une façon que l’employeur a qualifiée d’irrespectueuse. La Cour supérieure a d’abord rappelé que l’immunité relative du représentant syndical est reconnue par la doctrine et la jurisprudence. Elle a ensuite constaté que la CRT n’avait pas discuté de la question de savoir si le plaignant s’était exprimé à titre de président du syndicat ou de salarié, ou encore les deux, lors de l’incident reproché. La Cour a conclu que, ce faisant, la CRT avait omis de se demander si les interventions du plaignant pouvaient être protégées en totalité ou en partie en vertu du principe de l’immunité relative. La Cour rappelle que, dans Gauvin c. Tribunal du travail9, le tribunal a conclu en faveur des représentants syndicaux au motif que la liberté d’expression et d’association établie dans la Charte des droits et libertés de la personne10 méritait plus de protection que le devoir de loyauté. La requête en révision judiciaire a été accueillie, et le dossier, retourné à la CRT afin qu’elle détermine si le plaignant devait bénéficier d’une quelconque immunité relativement aux propos qui lui sont reprochés.

Petitclerc c. Commission des relations du travail11

[4] Le plaignant, qui occupait un poste de technicien en administration, était également secrétaire-trésorier du syndicat et membre du comité de santé et de sécurité du travail. Il a été congédié pour avoir donné à une journaliste des informations qui ont été rapportées dans l’article d’un quotidien traitant de la présence d’amiante dans les édifices gouvernementaux et de l’existence de cas d’amiantose. Saisie d’une plainte en vertu de l’article 15 C.tr. à l’encontre de cette mesure, la CRT a conclu que l’employeur avait repoussé la présomption légale en démontrant que le congédiement avait été imposé non pas en raison des activités syndicales du plaignant, mais pour une autre cause juste et suffisante12. Cette décision a été confirmée par l’instance de révision de la CRT13. Le plaignant a demandé la révision judiciaire des deux décisions, soutenant que l’entrevue accordée à la journaliste comportait des propos tenus dans l’exercice de ses fonctions syndicales et qu’il s’était alors prévalu de sa liberté d’opinion et d’expression conformément à l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés14 et à l’article 3 de la charte québécoise. La Cour supérieure écrit que la liberté d’association, qui comprend le pouvoir procédural de négocier collectivement, vise à protéger la capacité des salariés de participer à des activités associatives et celle d’agir collectivement afin de réaliser des objectifs communs concernant des questions liées à leur milieu et à leurs conditions de travail. Ainsi, c’est dans le but de favoriser la participation de salariés à la vie syndicale que le législateur a adopté l’article 15 C.tr., qui interdit à un employeur de sévir contre un salarié en raison de l’exercice d’activités syndicales. Dans le cas du plaignant, c’est en tant que représentant syndical en santé et sécurité du travail qu’il avait été joint par la journaliste et c’est en raison de ses fonctions syndicales qu’il avait répondu aux questions de celle-ci. À l’examen de l’article de journal, la Cour a estimé qu’il était déraisonnable d’y voir un manquement à l’obligation de loyauté du salarié. Elle précise que l’exercice de la fonction syndicale et de la défense des intérêts des employés ne constitue pas un acte de déloyauté envers l’employeur. De plus, la charte québécoise protège la liberté d’expression. La Cour a conclu que la seule raison pour laquelle le plaignant avait été congédié résidait dans l’exercice de sa liberté d’expression lors d’activités syndicales protégées par la loi et qu’aucune autre cause juste de congédiement n’avait été démontrée. Dans les circonstances, la seule conclusion raisonnable à laquelle pouvait en venir la CRT était que l’employeur avait congédié illégalement son salarié, en violation de l’article 15 C.tr.

[5] Il est à noter que trois juges de la Cour supérieure ont annulé des décisions antérieures de la CRT, et ce, malgré le fait que la règle relative à la retenue judiciaire s’applique étant donné qu’il s’agit d’une matière relevant de la compétence spécialisée de la CRT. Dans deux de ces dossiers (Société de transport de Sherbrooke et Petitclerc), il sera intéressant de connaître l’opinion de la Cour d’appel quant à l’application à ces cas d’espèce du principe de l’immunité du représentant syndical.

Print Friendly, PDF & Email