[1] L’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] définit ainsi la «lésion professionnelle»: «une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation». Dans plusieurs décisions récentes de la Commission des lésions professionnelles (CLP), celle-ci a adopté une nouvelle approche en matière de récidive, rechute ou aggravation. On fait référence à la notion de «modification de l’état de santé» du travailleur par rapport à l’état qui existait au moment de la consolidation plutôt qu’à celle de «détérioration objective». C’est ce que le travailleur est tenu d’établir, à l’aide d’une preuve médicale, en plus du lien de causalité qui doit exister entre la lésion initiale et la condition alléguée. Le bref survol qui suit permet de constater l’évolution de la jurisprudence de la CLP à ce sujet.

[2] Puisque la notion de récidive, rechute ou aggravation n’est pas définie dans la loi, la jurisprudence a dû établir le sens de ces termes. Dans Boisvert et Halco inc.[2], les paramètres permettant de déterminer l’existence d’un lien de causalité entre la rechute, la récidive ou l’aggravation alléguée et l’événement initial ont été énumérés, soit: la gravité de la lésion initiale, la continuité de la symptomatologie, l’existence d’un suivi médical, le retour au travail, la présence d’une atteinte permanente ou d’une condition personnelle, la compatibilité des symptômes allégués avec la lésion initiale et du délai entre celle-ci de même que la récidive, rechute ou aggravation.

[3] Dans Dubé et Entreprises du Jalaumé enr.[3], décision rendue en septembre 2009, la juge Tardif a rappelé les facteurs déjà établis par la jurisprudence pour déterminer si un lien de causalité existe entre la lésion initiale et la condition ultérieure. Quant au fardeau de preuve imposant au travailleur d’établir une «détérioration objective» de son état de santé, elle a considéré que cette expression suscite des interrogations et de la confusion puisqu’elle suggérerait que seule l’aggravation est admissible à titre de lésion professionnelle, à l’exclusion de la rechute ou de la récidive. Selon la juge, il s’agissait d’englober dans un même terme toutes les modalités possibles de modification de l’état de santé. Pour elle, la modification dont il est question est nécessairement négative, d’où l’emploi du terme «détérioration». Afin d’éviter toute confusion, elle a retenu le terme générique «modification de l’état de santé» pour englober tant la récidive et la rechute que l’aggravation. De plus:

[16] Quant au caractère objectif de la modification de l’état de santé […], il n’est pas strictement requis de démontrer la présence de signes nouveaux qui soient purement objectifs; la preuve de l’apparition, de la réapparition ou de l’intensification de signes cliniques déjà présents, même partiellement objectifs ou purement subjectifs suffit, lorsqu’ils sont fiables. Cette question relève en réalité de l’appréciation du caractère prépondérant de la preuve médicale relative à la modification de l’état de santé. Cette question relève en réalité de l’appréciation du caractère prépondérant de la preuve médicale relative à la modification de l’état de santé. Il n’est donc pas strictement requis que la détérioration soit corroborée par l’imagerie ou des signes cliniques purement objectifs.

[…]

[20] […] la formulation adéquate du fardeau qui incombe à la travailleuse est énoncée dans l’affaire Beauchamp [(C.L.P., 2009-04-21), 2009 QCCLP 2752, SOQUIJ AZ-50551988, C.L.P.E. 2009LP-2, [2009] C.L.P. 93]:

— il lui faut prouver une modification de son état de santé par rapport à la situation qui prévalait au moment de la consolidation de la lésion professionnelle ainsi que,

— l’existence d’un lien de causalité entre cette modification et la lésion professionnelle.

[4] Cette nouvelle formulation du fardeau de la preuve du travailleur a été reprise dans plusieurs décisions. Dans Bilodeau et Centre jeunesse Québec[4], le travailleur avait subi une lésion professionnelle, soit une épicondylite. Sa réclamation quant à une récidive, rechute ou aggravation d’épicondylite huit ans plus tard a été acceptée. Selon la juge Sénéchal:

[69] […] il n’est pas question d’un nouvel événement, bien que certaines tâches semblent accentuer la douleur, mais bien d’une reprise, d’une réapparition ou d’une recrudescence de la lésion professionnelle du 13 décembre 2000 ou de ses conséquences. L’une de ces conséquences étant, bien entendu, de légères douleurs occasionnelles […].

[70] Le 16 juin 2008, cette recrudescence des symptômes semble plus marquée. En effet, le travailleur reçoit une infiltration de cortisone. Il doit également porter son orthèse. Il est vrai qu’il n’y a pas d’arrêt de travail. Par contre, le tribunal note que l’infiltration coïncide avec le début des vacances estivales du travailleur. Il est donc un mois sans travailler.

[72] […] il y a une modification de la condition du travailleur à son coude droit […] par rapport à ce que l’on connaît déjà de son état […] en relation avec la lésion professionnelle du 13 décembre 2000 ou ses conséquences. On parle d’ailleurs d’une épicondylite chronique.

[5] Par ailleurs, dans Via Rail Canada inc. et Gervais[5], la réclamation du travailleur relative à un nouvel épanchement au genou 14 ans après sa lésion initiale, soit une entorse au genou et une chondromalacie ayant nécessité une intervention chirurgicale, a été acceptée par le juge Hudon:

[68] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la constatation d’un épanchement à un genou qui, au surplus, nécessite une ponction est, à sa face même, une modification d’un état de santé. Le nombre de fois que le travailleur a pu présenter un tel épanchement au genou gauche […] n’empêche aucunement de reconnaître à titre de lésion professionnelle un nouvel épanchement.

(L’italique est de la soussignée.)

[6] Dans Vaillancourt et Manoir Forget[6], le travailleur a présenté une réclamation pour un kyste arachnoïdien quatre ans après sa lésion initiale, un traumatisme crânien avec commotion cérébrale et entorse cervicale. Celle-ci a été acceptée par la juge Montplaisir:

[56] […] le délai de découverte d’un kyste arachnoïdien est long en raison de cet aspect un peu sourd de la symptomatologie au niveau thoracique. Ce n’est qu’en fin de course, lorsqu’on aura une atteinte des grands faisceaux, que l’on posera l’hypothèse d’une compression thoracique. […]

[57] […] l’hypothèse d’une relation entre le traumatisme subi […] le 3 août 2001 et la manifestation symptomatique du kyste arachnoïdien est très probante.

[7] Dans Gauthier et Métal Expert inc.[7], la juge Lajoie a accepté la réclamation du travailleur relativement à un diagnostic de céphalée invalidante sur «status post-traumatique» 24 ans après la lésion initiale, soit un traumatisme cranio-encéphalique :

[64] […] les céphalées incapacitantes dont souffre le travailleur découlent des conséquences de la lésion professionnelle survenue en 1985. De façon plus particulière, les céphalées de nature tensionnelle résultent de son incapacité cognitive et comportementale, des efforts déployés pour demeurer au travail et des nombreux revers subis par le travailleur.

[65] Si l’on compare l’état du travailleur au moment de la consolidation de la lésion professionnelle en 1988 à son état au moment de la rechute alléguée, force est de constater qu’il y a eu modification négative de son état de santé.

[8] Dans Tremblay et Rond Point Dodge Chrysler[8], où le travailleur a fait une réclamation concernant une récidive d’entorse dorsale un an après sa lésion initiale, le juge Vignault a conclu ainsi:

[31] Nul doute qu’il existe un lien entre la condition actuelle du travailleur et sa lésion initiale. L’intensification progressive de la douleur, les traitements de massothérapie de juin à octobre, le fait d’un travail lourd, exigeant physiquement et l’échec du retour au travail en sont la preuve probante. D’ailleurs, les limitations fonctionnelles fixées par l’expert traduisent l’impossibilité du travailleur à exécuter son métier.

[33] […] l’accident du 4 septembre 2007 a rendu symptomatique une condition personnelle qui le prive maintenant de toute possibilité de reprendre son emploi habituel. […]

[9] Enfin, dans Morest et Chemins de Fer Nationaux du Canada[9], la réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation de la surdité du travailleur qui avait été reconnue 17 ans plus tôt a été acceptée par le juge Therrien:

[30] Le travailleur a donc fait une «démonstration raisonnable» d’exposition à un bruit excessif de 1996 à 2008. Puisque cette exposition a déjà été reconnue à titre de maladie professionnelle en 1991 et en 1996 […], la preuve prépondérante au dossier démontre que la perte auditive diagnostiquée le 24 juillet 2008 est en relation avec le travail exercé chez l’employeur de 1996 à 2008.

[10] Ainsi, à l’aide de cette nouvelle façon d’aborder les réclamations visant des récidives, rechutes ou aggravations, le décideur administratif semble mieux placé pour évaluer la situation propre à chaque dossier. Sans conteste, il s’agit d’une évolution fort intéressante qu’il faudra suivre au cours des mois à venir.

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