Introduction

[1] Plusieurs décisions importantes ont été rendues au cours de l’année, certaines bouleversant des notions aussi fondamentales que celle du statut de victime d’un accident. La revue de la jurisprudence est donc assez abondante. Sauf en cas de mention contraire, les décisions discutées proviennent du Tribunal administratif du Québec (TAQ) et les accidents ayant donné lieu à ces décisions ont eu lieu à compter du 1er janvier 2000.

1. Admissibilité — Accident

[2] La notion d’«accident» fait référence au préjudice causé par une automobile. L’article 1 de la Loi sur l’assurance automobile[1] définit le «préjudice causé par une automobile» comme «tout préjudice causé par une automobile, par son usage ou par son chargement, […] à l’exception du préjudice causé […] à une personne ou à un bien en raison d’une action de cette personne reliée à l’entretien, la réparation, la modification ou l’amélioration d’une automobile». Cette définition a souvent été interprétée par les tribunaux. Voici quelques cas étudiés cette année.

a) Automobile : notion

[3] Le requérant circulait en bicyclette électrique et s’est blessé en tentant d’éviter une automobile. La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) a rejeté sa demande d’indemnité au motif que l’automobile n’était pas la cause de l’accident puisqu’elle était garée, donc non en mouvement. Le requérant a soutenu que sa bicyclette électrique est une automobile au sens de la loi, ce qui rend le fait accidentel indemnisable, peu importe s’il mettait en cause un autre véhicule ou non. Or, sa bicyclette ne répond pas à la définition d’«automobile» au sens de l’article 1 de la loi, soit «tout véhicule mû par un autre pouvoir que la force musculaire». Il s’agit d’un véhicule muni de pédales, sans immatriculation et considéré comme une bicyclette. L’application du Code de la sécurité routière[2] à ce genre de véhicule ne permet pas de conclure autrement. Enfin, rien ne démontre qu’une automobile ait joué un rôle dans l’événement[3].

[4] Un jugement a élargi la notion d’automobile. Une personne qui circulait en fauteuil roulant de type trimoteur ou quadrimoteur a vu son véhicule s’enfoncer dans un nid-de-poule sur la propriété d’une ville. Elle a été grièvement blessée et est morte quelques jours plus tard. Sa légataire universelle a intenté une poursuite en dommages-intérêts contre la ville. Sa requête a été déclarée irrecevable au motif qu’il s’agissait d’un préjudice corporel subi lors d’un accident d’automobile au sens de la loi. Le véhicule répond à tous les critères d’un véhicule qui, sur demande, pourrait être immatriculé pour circuler sur les chemins publics. Le fait qu’une telle demande n’ait pas été formulée en l’espèce ne peut être interprété contre la ville. En effet, le fauteuil roulant en question est un véhicule au sens de la loi, qu’il soit ou non immatriculé. L’action ne peut donc être intentée que contre la SAAQ[4]. Une inscription en appel a été déposée et un jugement est à venir[5].

b) Dommage causé par une automobile, par son usage ou par son chargement

[5] Le rôle de l’automobile est fréquemment discuté dans ce type de décisions.

[6] Un requérant circulant en bicyclette a heurté une automobile immobilisée. La SAAQ a rejeté sa demande d’indemnisation au motif que la présence de l’automobile n’avait été que l’occasion du dommage et non sa cause. Le requérant a soutenu que la voiture était immobilisée et non garée, qu’elle était en marche et que le conducteur était à l’intérieur. Le TAQ indique qu’il est impossible de déterminer si le préjudice subi résulte de la conduite, du maniement ou du fonctionnement de l’automobile, ou encore s’il s’est réalisé dans le contexte général de l’usage de l’automobile. Le requérant n’a rien vu, ayant la tête penchée contre le vent et regardant le sol. Le préjudice subi résulte de l’usage imprudent d’une bicyclette. L’automobile immobilisée n’a été qu’un obstacle comme tout autre obstacle que le requérant aurait pu heurter par distraction. Il s’agit d’un accident de bicyclette qui ne peut donner ouverture à l’application de la loi[6].

[7] Dans une autre affaire, une personne qui voulait décharger le contenu de sa camionnette dans un conteneur situé dans un écocentre a été blessée après avoir forcé pour ouvrir le hayon de son véhicule, lequel était coincé. Le hayon a cédé et s’est rabattu brusquement, projetant la personne à l’arrière dans le conteneur situé en bas. La personne a estimé que la municipalité devait être tenue responsable de sa chute et des différents dommages qu’elle avait subis. Or, la Cour supérieure a conclu qu’il s’agissait d’un accident d’automobile au sens de la loi. D’une part, le hayon, dont la brusque ouverture a entraîné le mouvement de recul et la chute de la personne dans le conteneur, faisait partie intégrante du véhicule automobile qui a causé l’accident. D’autre part, le rôle actif ou passif du véhicule n’est pas en soi un critère déterminant du lien de causalité. Le simple maniement de l’automobile suffit pour entraîner l’application de la loi. Finalement, le dommage s’est réalisé dans le contexte général de l’usage, par la personne, de son véhicule[7].

[8] Une requête en dommages-intérêts a été déclarée recevable. Une personne s’est retrouvée coincée entre le pare-chocs de son camion et une voiture. Elle a prétendu avoir été victime d’une intervention de sauvetage fautive et contraire aux règles de l’art de la part des préposés de la ville en cause. Elle a réclamé des dommages-intérêts à cette dernière, soutenant que la négligence de ses employés constituait une faute nouvelle ayant rompu le lien de causalité avec l’accident d’automobile. La ville a demandé le rejet de cette action au motif que les indemnités que la personne reçoit de la Commission de la santé et de la sécurité du travail des suites de l’accident automobile tiennent lieu de tous ses droits et recours en raison du préjudice corporel qu’elle aurait subi. Or, l’indemnité que la personne reçoit en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[8] rend irrecevable toute action relative à un préjudice corporel causé par une automobile, et ce, même si cette loi prévoit un recours contre le tiers responsable pour l’excédent de la perte subie au-delà de la prestation. Dès que la preuve révèle qu’une automobile a été un facteur déterminant dans l’accident, la victime bénéficie du régime public d’indemnisation. En l’espèce, le recours de la personne pourrait être recevable si celle-ci démontrait que les préposés de la ville ont commis une faute ou un acte négligent ayant rompu le lien de causalité et si elle établit que cette faute a aggravé son préjudice ou a causé des dommages distincts qui ne constituent pas une conséquence logique ou prévisible de l’usage du véhicule. Dans ces circonstances, le moyen de non-recevabilité de la ville est rejeté puisqu’il est possible qu’une partie des dommages subis par la personne soit exclue de l’application de l’article 83.57 de la loi[9].

[9] Le dommage causé par une automobile au sens de la loi peut se présenter de manière tout à fait inattendue. Le requérant s’est rendu chez un concessionnaire d’automobiles afin de faire l’essai d’un véhicule. Il a allumé la radio, dont le volume très élevé lui a causé un important traumatisme sonore pour lequel il a réclamé des dommages-intérêts. La Cour supérieure a conclu qu’il s’agissait d’un préjudice corporel causé par une automobile au sens de la loi. Le demandeur faisait l’usage de l’une des composantes d’une automobile au moment où il a subi le préjudice. En application de l’article 83.57 de la loi, il ne peut poursuivre le concessionnaire ni le fabricant du véhicule ; il doit adresser sa réclamation à la SAAQ[10]. Il est à noter qu’une requête en rétractation de jugement est actuellement pendante dans cette affaire[11].

[10] Une victime de rage au volant a bénéficié de l’indemnisation. Elle était au volant de son automobile lorsqu’elle a eu une altercation avec le conducteur d’une bétonnière. Les deux véhicules ont repris la route et le conducteur de la bétonnière a fait une manoeuvre pour bloquer le chemin de la victime. Celle-ci a déposé une demande d’indemnité. Elle a affirmé avoir été effrayée par la manoeuvre de la bétonnière ainsi que par la proximité de cette dernière. La SAAQ a rejeté sa demande d’indemnité au motif qu’elle n’avait pas subi un accident d’automobile au sens de la loi. Le TAQ a souligné la crédibilité de la victime et a conclu que l’événement en cause constituait bien un accident d’automobile. La loi doit recevoir une interprétation large et libérale. Elle s’applique même si la bétonnière n’est pas entrée directement en contact avec la victime. Le fait que la bétonnière était arrêtée lorsque la victime a subi un choc ne peut empêcher l’application de la loi. L’accident résulte de l’usage de la bétonnière, soit son maniement. C’est la manoeuvre inopportune du conducteur de la bétonnière qui a effrayé la victime[12].

[11] Les cas où le «chargement» de l’automobile a été mis en cause sont rares. En voici un exemple. Alors qu’elle circulait à bicyclette, la demanderesse est tombée en glissant sur de l’huile diesel déversée sur l’asphalte et a subi des blessures. Cette huile s’était répandue sur la chaussée lorsque le réservoir d’un autobus de transport en commun de la ville défenderesse avait perdu du carburant. La demanderesse a intenté une poursuite contre la ville et la société de transport. Celles-ci ont soutenu qu’il s’agissait d’un accident d’automobile au sens de la loi et que les tribunaux de droit commun n’avaient pas compétence pour entendre la réclamation découlant de celui-ci. Elles ont prétendu que les dommages avaient été causés par l’usage du véhicule ainsi que par son chargement. La Cour du Québec a conclu que, pour que la loi s’applique, le véhicule doit se trouver sur les lieux de l’accident et celui-ci doit être survenu dans le cours général de son utilisation. Or, dans l’affaire en l’espèce, ces critères de lieu et de lien avec l’usage ne sont pas remplis. D’une part, l’autobus qui a déversé son essence diesel sur la chaussée n’était plus dans l’environnement où est survenue la chute. D’autre part, il est impossible d’affirmer que le fait pour une bicyclette de glisser sur une flaque d’huile et la chute de la demanderesse qui a suivi sont survenus dans le cours général de l’usage de cet autobus. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’un accident causé par le chargement du véhicule. Environ une heure pourrait s’être écoulée entre le déversement et la chute. En raison de ce délai, l’huile qui s’est déversée a perdu sa qualité de chargement et n’avait plus aucun rapport avec l’autobus ou son usage. La demanderesse n’a donc pas subi un accident au sens de la loi[13]. Une requête pour permission d’interjeter appel de cette décision a été rejetée[14].

c) Action reliée à l’entretien, à la réparation, à la modification ou à l’amélioration d’une automobile

[12] Deux décisions ont été rendues sur ce sujet. Dans la première, une personne s’est blessée en faisant démarrer son véhicule à l’aide de pinces. Sa demande d’indemnité a été rejetée au motif que les dommages subis l’avaient été en raison d’une action reliée à la réparation d’une automobile. En accomplissant la série de gestes qu’elle a faits, la personne a remis son véhicule en état de fonctionner, ce qui correspond à l’acception du mot «réparation». Le fait de descendre de son véhicule, d’ouvrir le capot, de s’emparer d’une paire de pinces et de s’en servir pour rétablir le contact est une façon de remettre en état de fonctionner un véhicule en panne. Cette série d’actions ne peut être assimilée à une simple méthode de démarrage différente. En utilisant une paire de pinces pour rétablir le contact, la personne a apporté un changement au circuit électrique du mécanisme de démarrage de son véhicule, ce qui correspond à l’acception du mot «modification» employé à l’article 1[15].

[13] La seconde affaire met en cause la théorie du tiers innocent. La victime a été blessée lors de la réparation d’un véhicule dans son garage, mais elle a soutenu n’avoir pris aucune initiative à cet égard : elle n’aurait que conseillé un ami sur les réparations au véhicule, sans travailler ni effectuer celles-ci elle-même. Elle a ainsi invoqué la théorie du tiers innocent, laquelle permet d’indemniser une personne blessée par le fait d’une automobile en réparation dans les cas où cette personne n’accomplit pas de gestes reliés à cette réparation. Sa demande d’indemnité a été rejetée. D’une part, elle a été jugée peu crédible. D’autre part, le fait de descendre dans le puits du garage afin d’avoir accès au dessous de l’automobile et, par la suite, d’entreprendre de conseiller et de diriger un ami pour lui permettre d’effectuer les réparations constitue une action directement liée à la réparation d’une automobile. Par ce geste volontaire, la victime agissait en fonction d’un but unique et commun aux deux individus, soit la réparation du véhicule. Elle ne peut donc être assimilée à un tiers innocent[16].

2. Admissibilité — Véhicule destiné à être utilisé en dehors d’un chemin public

[14] La loi prévoit certaines exceptions à l’indemnisation. Parmi celles-ci, à l’article 10 paragraphe 3, il y a le dommage causé par un véhicule destiné à être utilisé en dehors d’un chemin public.

[15] Une victime a subi un accident de motocyclette en 2003. La SAAQ a rejeté sa demande d’indemnité au motif que l’accident n’était pas survenu avec un véhicule destiné à circuler sur le chemin public. La victime a prétendu qu’il fallait faire une différence entre usage et destination. Elle a fait valoir que la SAAQ avait destiné le véhicule à circuler sur la voie publique, car l’immatriculation détenue jusqu’en 1987 l’autorisait à circuler sur cette voie. La SAAQ a estimé pour sa part qu’il fallait faire une distinction entre le Code de la sécurité routière et la loi. Elle a affirmé que la notion de destination faisait référence au code et que les règles d’indemnisation se trouvent dans la loi, qui exclut le véhicule avec lequel l’accident est survenu, compte tenu de l’usage qui était fait de celui-ci, soit circuler en dehors du chemin public. Dans sa décision, le TAQ juge que le législateur a voulu exclure du régime d’indemnisation des véhicules dont la vocation principale n’est pas de circuler sur les routes. La motocyclette de la victime était adaptée pour la circulation sur les routes autant que hors route. Il faut se référer à la destination ou à la conception du véhicule quand il est question d’usage. Le fait que le véhicule soit hybride n’entraîne pas un exercice mathématique pour savoir si l’usage sur un chemin public était d’une durée plus importante que celui sur un chemin privé. Cela ferait en sorte que l’utilisation d’un même véhicule pourrait conduire ou non à une indemnisation. La conception du véhicule en cause permet de décider qu’il est destiné à circuler sur un chemin public et que, par conséquent, l’accident survenu avec celui-ci donne ouverture à une indemnisation[17].

[16] Le TAQ en révision a infirmé cette dernière décision. Il a indiqué que la première formation s’était soustraite à l’examen de l’usage qu’a fait l’utilisateur du véhicule. Une telle approche va à l’encontre de l’article 10 paragraphe 3 de la loi et de l’article 9 du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance automobile[18]. L’examen de la preuve doit être axé sur l’usage qui est fait du véhicule. La première formation ne pouvait se permettre d’écarter les prescriptions du règlement par le biais d’une interprétation réductrice limitée aux intentions initiales du fabricant du véhicule. L’omission d’immatriculer le véhicule n’est pas un élément déterminant. Dans la période concomitante de l’accident, la motocyclette en cause était utilisée principalement en dehors des chemins publics. Cela en faisait un véhicule non couvert, suivant l’article 10 paragraphe 3 de la loi. Les véhicules visés par l’exclusion énoncée au paragraphe 3 ne permettent pas l’application de la loi, que l’accident survienne sur un chemin public ou en dehors de celui-ci[19].

3. Admissibilité — Victime

[17] Si une décision a marqué l’année 2009, c’est bien celle qui suit. Elle touche la notion de «victime». En décembre 2005, les deux enfants de la requérante ont été écrasés par un camion de déneigement. La requérante a déposé une demande d’indemnité dans laquelle elle a affirmé qu’elle avait subi un accident à cette date alors qu’elle était arrivée sur les lieux de l’accident quelques minutes après celui-ci et que la scène était encore en activité. Sa fille était décédée et son fils, grièvement blessé. La SAAQ a rejeté sa demande d’indemnité au motif que les dommages subis n’avaient pas été causés par un accident d’automobile. Elle a invoqué l’article 6 alinéa 1 de la loi, qui prévoit que : «Est une victime, la personne qui subit un dommage corporel dans un accident.» Elle a soutenu que la requérante n’était pas une victime au sens de cette disposition puisqu’elle n’était pas «dans l’accident». La requérante a estimé pour sa part que la présomption prévue à l’article 6 alinéa 2 lui donne droit à l’ensemble des bénéfices qu’accordent la loi et les règlements d’application. Cet alinéa énonce que : «À moins que le contexte n’indique un sens différent, est présumée être victime, aux fins de la présente section, la personne qui a droit à une indemnité de décès lorsque le décès résulte de l’accident.» La requérante a mentionné que, compte tenu de son droit à une indemnité de décès, elle est présumée être une victime en vertu de l’article 6 alinéa 2 et que ce statut lui donnait droit à d’autres indemnités. Elle a également prétendu que, une personne qui a droit à une indemnité de décès étant présumée victime, elle ne peut être autre chose qu’une victime au même sens que toute autre victime. Elle a estimé que le principe de l’uniformité d’expression doit s’appliquer, ce principe voulant que chaque terme ne doive avoir qu’un seul et même sens où qu’il se trouve dans la loi. La SAAQ a répliqué que la présomption prévue au deuxième alinéa de l’article 6 de la loi a une portée restreinte et que les personnes ayant droit à une indemnité de décès sont présumées victimes pour l’application des articles 5 à 12.1 de la loi seulement. Le TAQ a donné raison à la requérante. Lorsque la victime décède dans l’accident, le recours contre la SAAQ appartient depuis 1978 à la présumée victime mentionnée à l’article 6 alinéa 2 de la loi, soit à la personne qui a droit à une indemnité de décès. La requérante a eu droit à une indemnité de décès et le décès de sa fille résulte de l’accident. Elle est donc présumée être victime au sens de l’article 6 alinéa 2. Puisqu’elle avait déjà eu droit à une indemnité de décès en vertu des articles 62 et 69 alinéa 2 de la loi, la portée, l’étendue ou l’utilité de la présomption prévue à l’article 6 alinéa 2 n’a pas pour unique objet de la faire bénéficier de l’indemnité de décès, auquel cas le législateur aurait parlé pour ne rien dire. Ce n’est pas d’être présumée victime qui donne droit aux indemnités de décès mais bien l’inverse, c’est-à-dire que le droit à de telles indemnités permet à une personne d’être présumée victime. Les termes «à moins que le contexte n’indique un sens différent» employés à l’article 6 alinéa 2 permettent de reconnaître la requérante comme une présumée victime au sens de l’article 7 de la loi — «[l]a victime qui réside au Québec et les personnes à sa charge ont droit d’être indemnisées en vertu du présent titre» —, car le contexte n’indique pas un sens différent. En l’espèce, la requérante a un double statut, soit celui de personne qui a droit à une indemnité de décès selon les articles 62 et 69 et celui de victime par l’effet de la présomption prévue à l’article 6 alinéa 2. La fille décédée de la requérante ne peut être incluse dans la notion de victime de l’article 7 parce que le contexte indique un sens différent. Les personnes qui, dans le présent dossier, peuvent se qualifier de victimes au sens de l’article 7 et peuvent personnellement réclamer les indemnités prévues au titre II (art. 2 à 83.68) de la loi sont, d’une part, la victime qui a survécu et qui a subi un préjudice corporel dans l’accident au sens de l’article 6 alinéa 1, soit le fils de la requérante, et, d’autre part, la victime par l’effet de la présomption prévue à l’article 6 alinéa 2, à savoir la «présumée victime» qui a droit à une indemnité de décès et qui «résidait au Québec», soit la requérante. Cette dernière a donc droit à toutes les indemnités prévues au titre II de la loi ; la SAAQ doit l’indemniser en conséquence[20]. La SAAQ a demandé la révision judiciaire de cette décision, et le jugement de la Cour supérieure est à venir[21].

4. Calcul du revenu

[18] Le calcul du revenu d’une victime soulève souvent la question du statut de la victime : travailleur salarié ou travailleur autonome ? Voici deux exemples.

[19] La victime, actionnaire et administratrice de deux compagnies lors de son accident, a été considérée comme salariée par la SAAQ. Elle a réclamé un statut de travailleur autonome. Elle a aussi contesté la façon dont les dividendes avaient été pris en considération aux fins du calcul du revenu servant à établir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR). Le TAQ a indiqué que la présence d’une entreprise incorporée ne signifie pas nécessairement qu’un actionnaire ou un administrateur doive être reconnu comme un travailleur autonome. Le statut de cette personne sera déterminé en fonction des circonstances. La participation aux profits, le versement de dividendes et la possibilité de réaliser des pertes ou des profits peuvent constituer des indices qu’il s’agit d’un travail autonome, mais ces éléments ne sont pas à eux seuls déterminants. En présence d’une entreprise incorporée, l’actionnaire et administrateur unique pourra être considéré, selon les circonstances, comme l’alter ego de la compagnie, peu importe le mode de rémunération choisi. Dans le cas où l’entreprise incorporée est composée de plus d’un actionnaire, l’un de ceux-ci ne pourra être considéré comme l’alter ego de la compagnie que si la preuve est faite que cet actionnaire contrôle à lui seul la compagnie. La victime n’a pas démontré qu’elle contrôlait seule l’entreprise. Elle avait un associé, copropriétaire de l’entreprise à 50 % et dont les compétences ont été jugées essentielles à la création et à la poursuite des activités de l’entreprise. La victime n’a jamais indiqué de somme à la rubrique «Revenu d’un travailleur indépendant» dans ses déclarations de revenus. Elle se considérait donc comme une salariée de l’entreprise. Par ailleurs, le paragraphe 1 de l’article 15 de la loi, en faisant référence au fait que l’IRR est calculée à partir du revenu brut que la victime «tire» de son emploi, amène à conclure qu’il doit s’agir de revenus réellement perçus, et ce, pour la rétribution d’un travail. Le dividende n’est soumis à aucune règle concernant les retenues à la source, contrairement aux salaires. La méthode de calcul utilisée par la SAAQ en vue de déterminer le revenu brut que la victime tirait de son emploi, sous forme de dividende, lorsque la réception d’un tel dividende est attestée par la production d’une déclaration de revenus, est conforme aux objectifs de la loi. L’IRR à verser a donc été déterminée de façon adéquate[22].

[20] Dans l’autre cas, la SAAQ a fixé le revenu brut annuel selon le revenu d’un travailleur autonome exerçant à temps plein l’emploi de nettoyeur de tapis et de meubles. La victime a démontré qu’elle était plutôt employée à temps plein pour le compte d’une compagnie. Le fait que le contrat signé par la victime soit intitulé «Contrat de sous-traitant» ne permet pas de préjuger de la qualification qu’il y a lieu de donner à la relation entre celle-ci et la compagnie. Il faut plutôt évaluer les faits réels qui sous-tendent la relation entre les deux parties. Le témoignage crédible de la victime a démontré que, même si elle doit fournir son équipement, se déplacer par ses propres moyens et payer son essence ainsi que son téléphone cellulaire, il existe un véritable lien de subordination entre elle et la compagnie. Le fait que les sommes payées par chèque à la victime n’aient pas été l’objet de déductions à la source par l’employeur n’autorise pas, à lui seul, à conclure à un statut de travailleur autonome. La victime était, à la date de l’accident, un salarié effectuant l’emploi de nettoyeur de tapis et de meubles en contrepartie d’un salaire brut à base de commissions[23].

5. Capacité de travail et détermination d’un emploi

a) Article 24 de la Loi sur l’assurance automobile

[21] Une décision a mis en cause l’interprétation de l’article 24 de la loi, relatif aux victimes sans emploi au moment de l’accident.

[22] La victime était au chômage au moment de son accident et devait recommencer sous peu à travailler à titre de moniteur de conduite de motocyclette, son emploi au cours des cinq dernières années. Elle a reçu une IRR basée sur le revenu de cet emploi garanti au cours des 180 premiers jours qui ont suivi l’accident. La SAAQ lui a déterminé un emploi de moniteur de conduite automobile à compter du 181e jour. La victime a prétendu qu’elle n’était pas sans emploi au moment de l’accident puisqu’elle était en attente de reprendre son travail. De façon subsidiaire, elle a soutenu qu’il ne s’agissait pas d’un emploi temporaire mais d’un emploi à temps plein. Or, l’article 24 de la loi vise la personne qui «n’exerce aucun emploi» au moment de l’accident. C’est le cas de la victime. Le verbe «exercer», à l’article 24, a le sens de pratiquer un emploi ou de s’acquitter d’un travail au moment de l’accident, et non d’avoir un emploi garanti à ce moment. Pour les trois années qui précèdent le fait accidentel, l’emploi de la victime en l’espèce ne peut se qualifier en tant qu’emploi à temps plein puisque la durée du travail était inférieure à huit mois et que les intervalles d’arrêt étaient supérieurs à quatre mois. Il s’agissait d’un emploi temporaire[24].

b) Capacité de se rendre au travail

[23] Le TAQ a considéré que la capacité d’occuper un emploi présumé ne doit pas être dissociée de la capacité de s’y rendre.

[24] Dans cette affaire, la victime a reconnu qu’elle possédait les aptitudes physiques et psychiques requises pour exercer l’emploi présumé d’infirmière, mais elle a soutenu qu’elle ne pouvait le faire à temps plein, comme le soutenait la SAAQ, en raison de problèmes causés par les déplacements pour se rendre au travail. Il faut se prononcer sur la capacité d’une personne à exercer un emploi présumé en se fondant d’abord sur l’emploi générique décrit dans le système Repères. Il semble justifié de ne pas dissocier la capacité d’occuper l’emploi présumé de la capacité de s’y rendre. Ainsi, il faut prendre en considération la capacité d’une personne à se rendre au travail en analysant cette capacité sous l’angle de la disponibilité de moyens de transport compatibles avec les restrictions et limitations fonctionnelles découlant d’un accident. La victime présente une condition de stress post-traumatique. Elle éprouve de la difficulté à se déplacer en voiture de façon autonome. Elle habite une petite municipalité qui n’est pas desservie par un service de transport en commun ayant la souplesse requise pour répondre aux besoins d’une personne soumise à des horaires de travail variables et ayant à se déplacer à une certaine distance. La victime a déployé des efforts considérables pour s’adapter, sur le plan professionnel, à sa condition d’accidentée. Malgré cela, sa capacité de travail est considérablement réduite. Elle n’était pas apte à exercer à temps plein l’emploi présumé d’infirmière. Cet emploi pouvait être exercé à temps partiel[25]. Le TAQ a déposé une requête en révision ; une décision est à venir.

c) Emploi de téléphoniste en télémarketing

[25] La détermination de l’emploi de téléphoniste en télémarketing, toujours aussi populaire, a donné lieu à quelques décisions du TAQ.

[26] Dans le cas d’une victime qui ne parle pas l’anglais et qui ne peut garder la position assise très longtemps, la détermination d’un emploi en vertu des articles 46 et 48 de la loi n’est pas un exercice purement théorique servant exclusivement à déterminer une rente résiduelle. L’exercice doit se faire avec réalisme, en ce sens que l’emploi doit bel et bien exister et être disponible au sens du règlement d’application. La difficulté à tolérer la position assise plus de 30 ou 40 minutes sans faire une pause de plusieurs minutes n’est pas compatible avec les exigences d’un emploi dont la caractéristique essentielle est de s’exécuter dans cette position. Même si la jurisprudence a déjà reconnu que l’emploi de téléphoniste en télémarketing permet d’alterner les positions et peut s’exécuter en position debout ou assise, aucune preuve n’a été faite à cet égard dans le cas en litige. Le TAQ n’a pas la compétence d’office lui permettant de suppléer à cette preuve et d’ajouter des caractéristiques à celles que l’on trouve dans le système Repères. La victime ne peut donc respecter l’exigence de l’emploi de téléphoniste en télémarketing relative à la position assise. Le bilinguisme n’est pas obligatoire pour exercer l’emploi présumé, même s’il est généralement exigé. La carence au regard de la connaissance de la langue anglaise a pour effet de rendre la victime non compétitive pour ce type d’emploi. En conclusion, le manque de tolérance à la position assise, la nécessité de faire de nombreuses pauses de plusieurs minutes et celle d’atteindre certains quotas, l’absence de connaissance de l’anglais ainsi que l’incapacité de se servir simultanément de ses deux mains pour transporter quoi que ce soit empêchent la victime d’occuper l’emploi de téléphoniste en télémarketing. La SAAQ doit déterminer un nouvel emploi[26].

[27] Dans une autre affaire, l’accident a notamment causé un problème d’anxiété ; une classe de gravité 2 a été reconnue à la victime pour la fonction psychique. Sur le plan de la formation, le matériel décrit dans le guide Repères comprend l’utilisation de l’ordinateur. Or, la victime ignore l’utilisation de cet outil de travail. La psychologue traitante rapporte qu’elle a une grande fragilité au stress, qu’elle a organisé sa vie afin de limiter le plus possible les facteurs de stress et que les événements de la vie normale lui causent beaucoup d’anxiété. En toute probabilité, la victime verrait son niveau d’anxiété s’accroître, non seulement parce qu’elle devrait acquérir de nouvelles connaissances alors qu’elle ne présente aucune expérience de travail dans la sollicitation, mais également parce que le milieu, selon Repères, est impopulaire et très difficile. Se pose également le problème de la langue. La victime est unilingue francophone. Toujours selon Repères, le bilinguisme est généralement demandé pour les téléphonistes en télémarketing. La jurisprudence indique que la connaissance de la langue anglaise s’avère d’importance pour occuper cet emploi. La victime ne possède donc ni la formation, ni l’expérience de travail, ni les capacités émotives pour occuper l’emploi déterminé[27].

[28] Une autre décision a mis en lumière ces mêmes problèmes de l’unilinguisme — anglophone, cette fois — et de la difficulté psychologique d’exercer cet emploi. L’état psychologique de la victime la rend inapte à occuper l’emploi de téléphoniste en télémarketing, même à temps partiel, si l’on considère le milieu de travail dans lequel il est exercé, connu pour être difficile, notamment en raison des quotas à atteindre et des réactions souvent négatives des personnes jointes. La victime est très sensible à toute situation de stress. Elle verrait son niveau d’anxiété s’accroître, non seulement parce qu’elle devrait acquérir de nouvelles connaissances alors qu’elle ne possède aucune expérience de travail dans la vente ou la sollicitation, mais également parce que le milieu de travail est réputé difficile. L’état émotionnel dans lequel elle se trouve, tributaire de son état de santé, fait en sorte qu’elle n’est pas en mesure de convaincre des gens de se procurer des biens ou des services. L’ignorance du français empêche également la victime d’occuper un tel emploi au Québec. Enfin, elle ne possède ni expérience ni formation dans le domaine de la vente. Un nouvel emploi doit lui être déterminé[28].

[29] Dans une dernière affaire, comme l’emploi de téléphoniste en télémarketing requiert l’utilisation d’un ordinateur, il est difficile de croire que la victime, qui ne peut plus utiliser son membre supérieur droit et qui frappe les touches d’un clavier d’un seul doigt de la main gauche, soit en mesure de satisfaire aux exigences de cet emploi, particulièrement dans un lieu de travail décrit comme étant très difficile en raison, notamment, de la surveillance informatique du milieu de travail et des quotas à atteindre. La connaissance de la langue anglaise de la victime est limitée à ce qu’elle a appris jusqu’en quatrième secondaire. La région administrative où elle peut chercher du travail inclut la région métropolitaine, dans laquelle le bilinguisme est un atout pour les entreprises. Les employeurs recherchent des candidats qui sont essentiellement de bons vendeurs. Or, la victime ne possède ni expérience ni formation dans le domaine de la vente. Elle ne possède pas les habiletés physiques, les facilités linguistiques ni les expériences de travail qui lui permettraient d’exercer l’emploi déterminé de téléphoniste en télémarketing[29].

d) Emploi de préposé au recyclage de cartouches d’encre

[30] Cet emploi gagne en popularité auprès de la SAAQ. Deux décisions déterminant cet emploi ont notamment été rendues.

[31] Dans la première décision, la victime avait travaillé en tant que bûcheron depuis l’âge de 14 ans et n’avait pas terminé sa sixième année du primaire. Or, selon le système Repères, pour l’emploi de préposé au recyclage de cartouches d’encre, on demande au préalable d’avoir terminé quelques années d’études secondaires. Étant donné son unique expérience de travail de bûcheron, la victime n’a pas pu acquérir des habiletés et des compétences équivalant à la formation requise. Elle ne répond manifestement pas aux exigences de formation. Par ailleurs, selon Repères, l’emploi présumé requiert la manipulation de poids de 5 à 10 kilogrammes. Or, la victime doit éviter la manipulation de poids dépassant cinq kilogrammes. L’obligation de la SAAQ, lorsqu’elle détermine un emploi, doit se faire dans le respect des exigences établies par le système Repères. En l’espèce, celles de l’emploi présumé sont incompatibles avec les limitations fonctionnelles observées et la formation de la victime. Un nouvel emploi doit être déterminé[30].

[32] La SAAQ a déterminé ce même emploi à une victime ayant subi des blessures importantes au membre inférieur droit. Or, l’emploi de préposée au recyclage de cartouches d’encre requiert notamment de travailler dans une chaîne de production. La victime ne satisfait pas aux critères nécessaires pour occuper un poste de préposée au recyclage de cartouches d’encre. Il est peu probable qu’elle puisse exercer un travail dans une chaîne de production, compte tenu de sa condition. Elle ne peut rester assise ou debout de façon prolongée. Elle ne peut soulever de poids. Les mouvements répétitifs augmentent la douleur, et les médicaments qu’elle doit prendre entraînent des difficultés de concentration. Les exigences physiques de l’emploi présumé sont aussi importantes, sinon plus, que celles de téléphoniste en télémarketing, emploi que la SAAQ a reconnu être inadéquat. Les médecins traitants sont catégoriques sur l’incapacité de la victime relativement aux blessures subies en 2001. Ils bénéficient du meilleur éclairage possible pour juger de la capacité de travail. Il faut conclure que la victime est inapte à tout emploi. L’IRR doit être reprise à compter de la date à laquelle elle a été cessée[31].

[33] L’emploi de préposé au recyclage de cartouches d’encre a justement fait couler beaucoup d’encre au regard de sa disponibilité dans la région du domicile des victimes. En voici deux exemples.

[34] Dans la première affaire, le TAQ a considéré que la nature et la disponibilité de l’emploi présumé n’ont pas la notoriété lui permettant d’utiliser sa connaissance d’office. La SAAQ n’a présenté aucune preuve de la disponibilité de l’emploi de préposé au recyclage de cartouches d’encre dans cette région. Le dossier d’indemnisation ne laisse voir aucun élément démontrant que cette vérification ait été effectuée. Bien que les démarches faites par la victime dans sa recherche d’un poste de préposé au recyclage de cartouches d’encre s’avèrent peu convaincantes, la SAAQ ne s’est pas déchargée du fardeau qui lui incombait. Le dossier lui est renvoyé afin qu’elle détermine un emploi conformément aux dispositions législatives et réglementaires[32].

[35] Dans l’autre décision, la victime a effectué des démarches qui tendent à démontrer que l’emploi de préposé au recyclage de cartouches d’encre constitue une tâche centralisée dans de plus grandes villes que celles de sa région, même lorsque de petites entreprises déclarent offrir ce service régionalement ou localement. La SAAQ n’a pas établi que des employeurs potentiels de la région offrent ce type d’emploi. Lorsqu’une victime nie l’existence d’un emploi présumé dans sa région, le TAQ doit s’assurer que cette prétention est sérieuse et qu’il ne s’agit pas d’une contestation frivole. Une fois acquis le sérieux de la contestation, le fardeau de la preuve est repoussé et il appartient à la SAAQ de démontrer que l’emploi est normalement disponible dans la région. Cela n’a pas été fait en l’espèce[33].

e) Emploi saisonnier

[36] La victime ne détient pas l’expérience requise pour occuper l’emploi présumé de gardien de terrain de stationnement qui lui a été déterminé à compter du 181e jour suivant l’accident. Elle a presque toujours travaillé à titre d’ouvrier sylvicole. Ses limitations fonctionnelles sont compatibles avec un poste de débroussailleur à temps plein. Bien que le travail d’ouvrier sylvicole soit classé comme saisonnier dans le système Repères, il peut être reconnu en tant qu’emploi présumé. L’emploi qui aurait dû être déterminé au 181e jour suivant le fait accidentel est donc celui d’ouvrier sylvicole[34].

[37] La SAAQ a demandé la révision de cette dernière décision. Elle a soutenu qu’il s’agit d’un emploi qualifié de saisonnier dans le système Repères et que la première formation n’a pas tenu compte des articles 10 et 11 du règlement d’application. En réponse à ces arguments, la victime a prétend que l’article 4 du Règlement sur la détermination des revenus et des emplois et sur le versement de l’indemnité visée à l’article 83.30 de la Loi[35] permet de présumer, à compter du 180e jour suivant l’accident, un emploi temporaire. Or, la victime a occupé un emploi d’ouvrier sylvicole sur une base saisonnière de 1998 à 2003. Elle n’était pas un travailleur à temps plein ou à temps partiel au regard des articles 10 et 11 du règlement d’application. Puisque ce travail devait être qualifié d’emploi temporaire, la première formation ne pouvait présumer un tel emploi suivant l’article 45 de la loi. L’argument de la victime est irrecevable en droit, car l’article 4 du règlement sur la détermination des revenus et des emplois vise exclusivement le calcul de l’IRR et n’a pas de portée sur la détermination d’un emploi. De plus, une disposition de la loi ne peut être éludée par le biais d’une disposition réglementaire[36]. La victime ayant déposé une requête en révision judiciaire de cette décision, un jugement de la Cour supérieure est à venir[37].

f) Révision devant le TAQ

[38] Le TAQ rejeté une requête en révision de la SAAQ relative à la capacité d’effectuer un emploi déterminé, mais il a accueilli une telle requête de la part d’une victime.

[39] Une première formation du TAQ a conclu qu’une victime était incapable d’exercer un emploi déterminé de technicienne en éducation spécialisée. La SAAQ a demandé la révision de cette décision et a soutenu que la première formation avait fait une application erronée de l’article 45 de la loi en interprétant la description de tâches trouvée dans le système Repères. Selon elle, une telle action n’est pas prévue par la loi. Elle a également reproché à la première formation d’avoir commis une erreur de droit en s’inspirant de l’emploi réel occupé par la victime pour déterminer l’incapacité. Pour sa part, la victime a estimé que la première formation avait apprécié la description de tâches trouvée dans Repères et avait conclu que l’usage de l’automobile était inhérent à l’emploi. Le TAQ en révision a mentionné que la capacité ou l’incapacité en vertu de l’article 45 de la loi doit être déterminée en fonction de l’emploi générique tel qu’il est décrit dans le système Repères et non de l’emploi réel qu’a pu occuper une personne. La première formation s’est reportée directement et uniquement à la description de tâches dans Repères pour conclure à l’incapacité. Elle a déterminé l’incapacité sur la base de cette description de tâches et non en s’inspirant de l’emploi réel. Elle a illustré ou corroboré sa position en faisant référence à l’emploi réel. Il s’agit d’un ajout qui peut être qualifié de malheureux dans les circonstances, en ce sens qu’il introduit une certaine confusion, mais il ne faut pas faire dire à la décision attaquée ce qu’elle ne dit pas. Même si l’on concluait à la présence d’une erreur, celle-ci ne serait pas déterminante puisque, au moment d’«illustrer» sa position, la première formation avait déjà décidé de l’incapacité en fonction de Repères. Par ailleurs, la description de tâches que l’on trouve dans ce système ne mentionne pas la nécessité de se déplacer en automobile. Il faut en conclure que la première formation a fait une interprétation de la description de tâches trouvée dans Repères pour en arriver à ses conclusions. Cela ne constitue toutefois pas un vice de fond invalidant la décision contestée. En effet, la jurisprudence révèle plusieurs décisions où le TAQ a interprété les données de Repères[38].

[40] Dans l’autre décision, la première formation du TAQ a conclu à la capacité de la victime de reprendre son emploi d’aide avicole. La victime a demandé la révision de cette décision, soutenant que la première formation, afin de justifier sa conclusion, a émis des hypothèses non prouvées et non soutenues par la preuve. Le TAQ en révision a indiqué que la première formation avait mis en doute la capacité de la victime d’exercer un emploi d’aide avicole durant la période préaccidentelle. Ce faisant, elle a émis une hypothèse au sujet de faits qui ne pouvaient être remis en question en vertu de la loi. En insistant lourdement, même de façon hypothétique, sur l’incapacité de la victime à exercer cet emploi en raison de ses seuls antécédents médicaux, la première formation a contaminé le processus décisionnel et a alourdi le fardeau de preuve que devait repousser la victime. Le fait d’élargir les limites du litige et ainsi d’émettre une hypothèse qui excède le cadre juridique des décisions contestées devant le TAQ est susceptible d’avoir un effet déterminant sur l’issue du litige et constitue un vice de fond de nature à invalider la décision rendue. La décision attaquée est révoquée et annulée[39].

g) Révision judiciaire

[41] Trois décisions ont été rendues en révision judiciaire.

[42] La Cour supérieure a conclu qu’une décision du TAQ était raisonnable et que rien ne fondait à intervenir. Celui-ci a agi à l’intérieur de sa compétence en remplaçant le nom de l’emploi déterminé et en concluant que la victime pouvait occuper l’emploi déjà déterminé à la fin de la période d’incapacité résultant de sa rechute. L’interprétation qu’il a faite de l’article 46, et notamment du pouvoir discrétionnaire accordé à la SAAQ de statuer sur la capacité de la victime à reprendre son emploi déterminé sans recommencer l’étude des facteurs énoncés à l’article 48, relevait de son expertise. La vérification du dossier médical de la victime par le TAQ était aussi raisonnable[40].

[43] Une victime s’est vu déterminer un emploi de répartiteur de dépanneuses par la SAAQ, ce que le TAQ a confirmé. La Cour supérieure conclut que le raisonnement du TAQ n’est ni intelligible ni transparent et qu’il ne repose pas sur la preuve. En effet, tout en reconnaissant la limitation fonctionnelle de la victime de demeurer immobile de façon prolongée — limitation qui avait été écartée à tort par la SAAQ —, il maintient la décision de celle-ci. Le TAQ est d’avis que la victime peut changer de position au besoin malgré l’exigence clairement établie pour cet emploi de travailler principalement en position assise. Or, les plaintes de la victime relatives à son incapacité de demeurer assise plus de 30 minutes sont compatibles avec l’atteinte permanente au tronc établie par le médecin. Par ailleurs, tant la SAAQ que le TAQ ont omis de considérer la preuve médicale non contredite de l’incapacité de la victime de reprendre un travail à temps plein dans l’immédiat[41].

[44] Dans le cas d’une victime qui a été reconnue apte à exercer un emploi présumé de préposée aux bénéficiaires, la question de la capacité de reprendre son travail se trouve au coeur de la compétence exclusive du TAQ. Rien ne démontre que la décision de celui-ci est déraisonnable. Le fait que la Régie des rentes du Québec ait reconnu l’invalidité de la victime n’est pas significatif pour le TAQ, qui doit seulement considérer les décisions de la SAAQ. L’invalidité constatée par la Régie peut être reliée à plusieurs autres causes que l’accident[42].

6. Changement de situation

[45] La décision qui suit illustre l’importance pour une victime de bien déclarer sa situation au moment de l’accident.

[46] Une victime ayant subi un accident en 2003 a déposé une demande d’indemnisation dans laquelle elle s’est dite régulièrement incapable de travailler. En conséquence, la SAAQ ne lui a versé aucune IRR. La victime n’a pas contesté cette décision. En mars 2006, elle a demandé à la SAAQ de rendre une nouvelle décision au motif qu’elle était redevenue capable d’exercer un emploi rémunérateur depuis avril 2004. La SAAQ a refusé de reconnaître un changement de situation donnant droit à une IRR. La victime a soutenu que les causes de l’inaptitude au travail qui existaient au moment de l’accident, soit les effets secondaires de la médication destinée à combattre le SIDA et la consommation de drogue, étaient réglées depuis le 19 avril 2004. Elle a prétendu qu’il s’agissait là d’un changement de situation au sens de l’article 83.44 de la loi et que la SAAQ devait reconnaître qu’elle était maintenant une victime sans emploi capable de travailler et lui déterminer un emploi afin de lui verser une IRR. Le TAQ n’a pas retenu ces arguments. L’amélioration de l’état de santé de la victime est survenue avant l’accident. Aucun autre changement important n’est survenu depuis. Le fait qu’elle ait occupé un emploi durant quelques mois en 2007 ne permet pas de conclure à un changement de situation entre juillet 2003 et avril 2004. Même si la victime s’est déclarée régulièrement incapable de travailler, il est possible que cela ne correspondait pas à son véritable statut et elle aurait peut-être dû contester la décision lui ayant refusé toute IRR. Celle-ci est devenue finale[43].

7. Étudiant

a) Détermination rétroactive d’un emploi

[47] La SAAQ a déterminé rétroactivement un emploi à une étudiante. Une telle rétroactivité n’est pas conforme à la loi.

[48] La victime, alors âgée de 10 ans, a subi un accident en janvier 1997. En mai 2005, la SAAQ a conclu qu’elle était capable d’exercer un emploi déterminé de commis aux plaintes à compter du 1er juillet 2003. Or, la détermination rétroactive d’un emploi et de la capacité de l’exercer à compter d’une date passée n’est pas conforme à l’interprétation donnée par la jurisprudence de l’application combinée des articles 47 — relatif aux étudiants — et 49 de la loi. La décision de mai 2005 ayant des effets rétroactifs au 1er juillet 2003, elle ne pouvait être rendue, la SAAQ n’étant pas en droit de déterminer de façon rétroactive un emploi. De plus, le 1er juillet 2003, la victime n’avait pas la formation requise pour occuper l’emploi déterminé de commis aux plaintes. Puisque la SAAQ a utilisé son pouvoir discrétionnaire de déterminer un emploi en tout temps à compter de la date prévue pour la fin des études en cours mais que cette décision ne pouvait être rendue à cause de sa portée rétroactive, elle doit verser à la victime une IRR, s’il y a lieu, en vertu des dispositions législatives qui s’appliquent, sous réserve de soustraire le salaire effectivement gagné pour les mêmes périodes, et ce, jusqu’à ce qu’un emploi soit déterminé conformément à la loi[44].

b) Statut d’étudiant à temps plein

[49] Dans une autre affaire, c’est la notion de fréquentation à temps plein d’une institution d’enseignement qui a été précisée.

[50] Une victime a subi un accident en novembre 2006 alors qu’elle était inscrite à un cours à l’université dans le contexte d’un programme de baccalauréat entrepris à l’hiver 2004. Le TAQ a conclu que la victime était réputée fréquenter à temps plein un établissement offrant des cours postsecondaires à la date de l’accident. La SAAQ a demandé la révision de cette décision. Elle a notamment reproché à la première formation d’avoir conclu, d’une part, que la victime détenait un statut d’étudiant à temps plein au moment de l’accident et, d’autre part, qu’un programme d’études de 90 crédits peut s’effectuer sur une période maximale de 4 années, selon le régime à temps plein. Le TAQ en révision a indiqué que la durée maximale d’un programme de baccalauréat de 90 crédits est de 12 sessions selon le régime à temps plein. Cette durée maximale se mesure à partir de l’inscription qui suit la dernière admission au programme, soit à l’hiver 2004 pour la victime. Le régime d’études à temps plein requiert l’inscription à des cours totalisant un minimum de 12 crédits par session. Cela indique que la victime doit avoir accumulé ses 90 crédits en un maximum de 12 sessions, rien de plus. Cette durée de «quatre années» est déterminante puisque, dans sa décision, la première formation établit que la victime aurait terminé ses études en temps voulu. Cette erreur manifeste est suffisante pour invalider la décision attaquée. Le cheminement qui permet à la première formation de conclure que la victime aurait terminé son baccalauréat en 2008 ne se fonde sur aucun fait et relève de la supposition. La première formation s’appuie notamment sur la durée restante des études de la victime pour établir son statut d’étudiant à temps plein. Cette prémisse se révèle non fondée. Lorsque la première formation indique que la loi traite de la poursuite des études, elle commet une erreur de fait et de droit. Bien que la victime ait été admise à l’université afin de poursuivre ses études, la fréquentation à temps plein est assortie d’une exigence précise, soit celle d’être inscrite à au moins 12 crédits pour une session. Au moment de l’accident, la victime était admise dans une université et elle pouvait poursuivre ses études, mais sa fréquentation était celle d’un étudiant à temps partiel. La décision attaquée est donc révoquée[45].

8. Frais

a) Aide personnelle, soins médicaux et réadaptation

[51] Une décision a donné lieu à l’application de diverses dispositions de la loi au regard du remboursement de soins.

[52] Une victime devenue quadriplégique à la suite d’un accident a vu sa situation évoluer au fil du temps, de sorte que l’aide personnelle versée par la SAAQ, ajoutée au remboursement des soins infirmiers par un assureur privé, ne suffit plus à payer toute l’aide à domicile qu’elle reçoit. Elle a contesté la décision de la SAAQ ayant, d’une part, décliné compétence quant à une demande de supplément d’aide personnelle au motif qu’elle reçoit déjà le maximum prévu à cet égard et ayant, d’autre part, refusé de rembourser le déficit engendré par une rémunération payée à un infirmier auxiliaire. La SAAQ a fait valoir un moyen de non-recevabilité au motif qu’une personne qui reçoit le maximum de l’aide personnelle à domicile selon l’article 79 de la loi ne peut demander la révision d’une décision à ce chapitre ni porter l’affaire devant le TAQ. Elle a soutenu que ce dernier n’a donc pas compétence pour entendre le recours. La victime a fait valoir que sa contestation ne porte pas sur l’article 79, mais sur la possibilité d’être indemnisée en vertu des articles 83.2 et 83.7 de la loi, relatifs au remboursement de frais liés à des soins médicaux ou paramédicaux et à la réadaptation. Le TAQ est d’avis que les demandes de la victime nécessitaient que la SAAQ rende une décision abordant toutes les possibilités couvertes par la loi. L’audience devant le TAQ est de novo ; ce dernier a compétence pour se prononcer sur l’application des articles 83.2 et 83.7. Quant au fond du litige, lorsqu’un service est visé par l’annexe I du Règlement sur le remboursement de certains frais[46], il faut conclure que le coût de celui-ci est indemnisé par le montant payé par la SAAQ au chapitre de l’aide personnelle selon l’article 79 de la loi. Puisque cet article prévoit un maximum quant à l’aide à domicile qui est payable, permettre de combler le déficit d’une victime grâce à l’utilisation concurrente des articles 83.2 et 83.7 reviendrait à lui accorder une deuxième fois l’indemnité prévue à l’article 79. Des soins liés à la vidange de la vessie et de l’intestin sont expressément visés par l’annexe I du règlement. Il faut en conclure que c’est par le paiement de l’indemnité prévue à l’article 79 que le législateur veut indemniser la victime. Les soins liés à la peau, à la prise de la glycémie ainsi qu’au suivi et à l’administration des médicaments ne sont pas couverts par l’indemnité versée au titre de cet article. Puisqu’il ne s’agit pas de services rendus par un médecin, un dentiste ou un optométriste, il faut qu’ils soient requis médicalement et qu’ils soient donnés par un professionnel, sur ordonnance d’un médecin, afin d’être remboursables. À la date où la décision en révision a été rendue, soit le 22 septembre 2006, il n’y avait pas au dossier une ordonnance d’un médecin pour que les soins de la peau, la prise de la glycémie et l’administration de la médication soient effectués par un infirmier auxiliaire. Les ordonnances a posteriori ne remplissent pas les exigences qu’imposent la loi et le règlement. L’une des exigences essentielles du règlement, soit l’ordonnance médicale, est absente[47]. Cette décision a été confirmée en révision par le TAQ[48].

[53] La question de la rémunération pour les services rendus a donné lieu à deux décisions apparemment contradictoires. Dans la première, la SAAQ a refusé de rembourser les frais d’aide personnelle réclamés pour la période du 15 mai 2003 au 31 décembre 2007 au motif que la victime n’avait pas eu à débourser de frais pour les services reçus. Le délai de quatre ans pour déposer une demande de remboursement a aussi été invoqué. La victime a néanmoins droit au remboursement. Les besoins d’aide personnelle à domicile et de surveillance sont reconnus par la SAAQ. Des services ont été rendus sans rémunération mais avec promesse de paiement lorsque le dossier serait réglé avec la SAAQ. Les pièces justificatives présentées afin de démontrer l’engagement de ces frais sont constituées de formulaires d’attestation de frais déboursés ou engagés. Il ne s’agit pas de reçus hebdomadaires mentionnant une somme précise pour des services bien définis. Compte tenu des circonstances, les formulaires d’attestation fournis constituent des pièces justificatives suffisantes relativement aux services rendus entre mai 2003 et décembre 2007. Des frais d’aide à domicile n’ont pas été engagés, c’est à dire déboursés, sauf pour des montants rapportés en 2004. Toutefois, un remboursement de nature pécuniaire avait été promis ou prévu de façon concomitante de la période en litige, constituant ainsi une «reconnaissance de dette» qui répond à l’une des deux situations décrites dans le formulaire d’attestation de services d’aide à domicile. Par ailleurs, aucun délai de prescription n’est prévu en ce qui concerne la présentation de demande de remboursement ou de pièces justificatives. L’argument du dépôt tardif de la demande de remboursement n’est donc pas retenu[49].

[54] Dans la seconde décision, la SAAQ a aussi refusé de rembourser des frais d’aide personnelle à la victime au motif qu’elle n’avait pas engagé de frais à cet égard. La victime a invoqué une décision de la Commission des lésions professionnelles (CLP) ayant accordé une aide personnelle de façon rétroactive. Or, cette fois, la victime n’a pas eu gain de cause. Pour que l’on puisse parler de remboursement d’aide personnelle, il faut qu’une somme ait préalablement été déboursée par la personne à qui le remboursement est dû. Le formulaire de la SAAQ reconnaît deux situations possibles : soit qu’il y a eu paiement, soit qu’il s’agit d’une reconnaissance de dette. Le formulaire ne vise en aucun cas des services fournis à titre gratuit. Afin d’avoir droit au remboursement des frais engagés pour de l’aide personnelle, l’existence du besoin doit être démontrée et des pièces justificatives relativement aux services reçus doivent être présentées. Cette dernière exigence est incontournable et se justifie par le fait qu’il s’agit d’un paiement effectué pour couvrir l’utilisation des services d’une ou de tierces personnes. Le fait que la victime remplisse elle-même le formulaire de la SAAQ de façon rétroactive ne peut satisfaire à l’exigence relative à la réalité d’un service rendu contre rétribution. De plus, les difficultés alléguées quant à l’exécution des tâches domestiques ne sont pas documentées. Une entente conclue sur la rémunération entre la victime et deux personnes visées par l’attestation de frais d’aide personnelle n’a pas été démontrée. Celui-ci a consenti à ce qu’une aide personnelle lui soit offerte et les personnes ayant fourni cette aide ont accepté de le faire sans rémunération. Une décision de la CLP ne peut servir de fondement pour conclure à l’application rétroactive de l’article 79 de la loi. En effet, l’article 152 LATMP traite du paiement de frais à un travailleur pour de l’aide personnelle, tandis que la loi pourvoit plutôt au remboursement de certains frais engagés pour de l’aide personnelle. De tels frais ne peuvent donc être remboursés en l’espèce[50].

b) Expertise

[55] La question de la différence entre le remboursement d’une expertise médicale et d’une expertise provenant d’un professionnel autre qu’un médecin a de nouveau été soulevée au cours de l’année.

[56] Une victime a contesté une décision de la SAAQ lui ayant remboursé une somme de 500 $ pour l’obtention d’un rapport d’expertise en neuropsychologie. Elle a soutenu que la directive sur le remboursement de certains frais de la SAAQ n’est pas valide. Elle a prétendu que l’expertise d’un neuropsychologue doit être assimilée à une expertise médicale et, par conséquent, être remboursée au même tarif que celui prévu au Règlement sur le remboursement de certains frais pour une telle expertise, soit 600 $. Or, au regard des types d’expertises remboursées, la directive attaquée a une portée plus généreuse que la loi ou le règlement. Le fait que, par cette directive, le tarif accordé pour une expertise non médicale s’avère différent de celui prévu pour une expertise médicale ne constitue pas une contravention à la loi ou au règlement[51].

c) Frais de garde

[57] L’article 80 de la loi prévoit notamment qu’une victime qui a comme occupation principale de prendre soin sans rémunération d’un enfant de moins de 16 ans a droit à une indemnité pour frais de garde.

[58] La SAAQ a refusé de verser une telle indemnité à une victime au motif que celle-ci n’avait pas la garde d’enfant à titre d’occupation principale mais que cela constituait plutôt une occupation parmi d’autres puisque la victime travaillait à titre de greffier audiencier 20 heures par semaine. Le TAQ a rappelé une directive de la SAAQ qui indique que[52] : «La notion d' »occupation principale » de la victime de prendre soin d’enfants de moins de 16 ans […] fait référence à une personne qui est généralement au foyer et qui exécute des tâches de gardiennage et de tenue de maison.» Selon le TAQ, cette directive est raisonnable, mais elle semble avoir été mal appliquée. La garde de ses enfants a constitué l’occupation principale de la victime jusqu’à son accident. En plus d’assumer pleinement son rôle de père, soutenant ses enfants à tout point de vue et se rendant disponible pour eux, elle a pris soin d’eux même lorsqu’ils dormaient chez leur mère, donc, dans les faits, plus d’une semaine sur deux. Elle a droit à l’indemnité.

d) Traitements médicaux

[59] La décision qui suit a donné un sens très large à la notion de «traitements requis médicalement».

[60] Une victime blessée au cou et au dos lors d’un accident a obtenu que le droit au remboursement de traitements occasionnels de physiothérapie, d’acupuncture et d’ostéopathie lui soit accordé sur une base permanente. Des traitements occasionnels sont, sur le plan médical, nécessaires à titre préventif en vue de préserver les acquis, notamment sur le plan fonctionnel. Un courant de jurisprudence établit que, pour être requis médicalement, un traitement doit avoir un but curatif, ce qui sous-entend que, une fois la stabilisation atteinte, les traitements ne sont plus nécessaires. Un autre courant de jurisprudence rejette cette interprétation restrictive qui limite la nécessité de traitement à un but curatif. La prétention selon laquelle un traitement doit avoir un but curatif pour être requis médicalement est une assertion qui, si l’on s’y arrête, ne se confirme pas à la lecture de l’article 83.2 de la loi et de l’article 7 du Règlement sur le remboursement de certains frais. Deux critères correspondent à l’esprit de la loi et pourraient définir l’expression «requis médicalement». Premièrement, l’approche thérapeutique prescrite doit être conforme aux connaissances et aux pratiques médicales reconnues appliquées aux circonstances propres à chaque cas d’espèce. Deuxièmement, le traitement prescrit doit avoir pour but un ou plusieurs objectifs, à savoir la guérison, le maintien des acquis fonctionnels, la prévention de la détérioration et le soulagement temporaire ou permanent de la douleur lorsque les autres types de traitements sont insuffisants. En l’espèce, la preuve révèle que les traitements physiques donnés sur une base occasionnelle sont bénéfiques et nécessaires médicalement dans un but de maintien des acquis, de soulagement de la douleur et de prévention de la détérioration. Les traitements prescrits étaient encore médicalement requis au moment de la décision défavorable de la SAAQ ; les frais engagés à cet égard doivent être remboursés[53].

9. Indemnité de décès

a) Conjoint de fait

[61] Deux personnes qui ne sont pas mariées et qui n’ont pas d’enfants doivent cohabiter depuis trois ans afin de se qualifier à titre de conjoints au sens de la loi. Les critères de la cohabitation, du secours mutuel et de la représentation publique doivent être considérés.

[62] Le fils de la requérante a subi un accident le 18 août 2006 et est décédé le 3 septembre suivant. La SAAQ a refusé de verser une indemnité de décès à la succession au motif que cette indemnité avait été accordée à la personne ayant été considérée comme la conjointe de la victime. La requérante a contesté le statut de conjointe de cette personne. Elle a indiqué que son fils et la présumée conjointe avaient cessé la vie commune le 13 août 2006, donc avant l’accident. Or, il est difficile de tirer une conclusion claire à ce sujet. Dans une telle situation, l’analyse du secours mutuel est déterminante. Il s’agit habituellement d’affection, de soutien moral, de partage, d’entraide, de respect et de complicité. Il faut examiner les faits après le 13 août 2006 pour déterminer s’il y a secours mutuel puisque, avant cette date, le statut de conjoint n’est pas contesté. Il ressort du comportement de la présumée conjointe, après l’accident, qu’elle n’a pas déployé d’efforts pour être auprès de son conjoint ou manifesté son inquiétude dans ce qui lui arrivait. Elle a été presque totalement absente lors de l’hospitalisation de la victime. Elle n’est pas restée à son chevet ni n’a exprimé d’intérêt envers l’évolution de sa santé. Elle est partie en thérapie pendant que la victime était à l’hôpital entre la vie et la mort. Elle ne s’est occupée de rien en ce qui concerne les funérailles. Cette situation ne permet pas de conclure à l’existence de secours mutuel. Quant à la représentation publique, à compter du 13 août 2006, la présumée conjointe ne s’est pas présentée à l’hôpital comme étant la conjointe de la victime ni directement auprès de la SAAQ par une réclamation. Un critère essentiel pour déterminer le statut de conjoint, soit celui du secours mutuel, est absent. La présumée conjointe n’était donc plus la conjointe de la victime au moment de l’accident[54].

b) Personne à charge

[63] La notion in loco parentis a été abordée cette année.

[64] Le conjoint de la requérante a perdu la vie dans un accident survenu en janvier 2002. Ils étaient séparés depuis décembre 2001. La requérante a échoué à obtenir que son fils, né d’une union précédente, soit reconnu à titre de personne à charge de la victime. Rien n’indique que, durant la période concomitante du fait accidentel, la victime tenait lieu de père pour l’enfant de la requérante suivant les critères relatifs à la notion in loco parentis. L’enfant était intégré à la vie familiale de la victime, mais aucune preuve ne permet d’établir que celle-ci subvenait selon ses moyens à l’entretien de cet enfant. La requérante travaillait et pouvait pourvoir aux besoins de son fils. Le fait que la victime avait de l’affection pour l’enfant ne suffit pas à établir une relation in loco parentis. Bien que la victime ait manifesté verbalement l’intention d’adopter l’enfant, la preuve ne démontre pas le début d’une démarche à cette fin[55].

10. Indemnité de remplacement du revenu

a) Suspension

[65] Les cas où une IRR est suspendue en raison du refus d’une victime de se présenter à une expertise, en application de l’article 83.29 de la loi, sont rares. En voici un exemple.

[66] Une victime dont l’IRR a été suspendue après qu’elle eut omis de se présenter à une expertise psychiatrique a affirmé souffrir de pertes de mémoire depuis l’accident et avoir oublié le rendez-vous qui lui avait été fixé. Or, elle n’a pas offert la collaboration requise et elle n’en était pas à son premier manquement à cet égard. L’examen médical en cause s’imposait pour faire le point sur sa condition psychiatrique, cette évaluation étant essentielle au maintien du droit aux indemnités prévues par la loi. Une lettre d’un médecin déposée à l’audience ne permet pas de soutenir les prétentions de la victime selon lesquelles son état de santé, notamment des pertes de mémoire, était d’une gravité telle que cela pouvait justifier son absence lors de l’évaluation médicale. La SAAQ a pris une décision relevant de son pouvoir discrétionnaire ; il n’était pas déraisonnable qu’elle agisse comme elle l’a fait[56]. La victime a déposé une requête en révision de cette décision devant le TAQ, et une décision est à venir.

b) Versement unique

[67] Une victime a demandé à la SAAQ de capitaliser son IRR, mais celle-ci a rejeté sa demande au motif que sa condition médicale n’est pas stable. Devant le TAQ, la victime a soutenu que la SAAQ a l’obligation de payer une IRR en un versement unique dès qu’une victime satisfait à l’un des cas visés à l’article 83.22 de la loi. C’est sa situation puisque la rente qui lui est versée tous les 14 jours est inférieure à 100 $. Quant au fait que la SAAQ justifie le refus de capitalisation en se fondant sur l’article 1 paragraphe 1 du Règlement sur le paiement en un versement unique d’une indemnité de remplacement du revenu[57], relatif à la stabilité de la condition de la victime, la victime a prétendu que cet article est ultra vires dans le contexte du pouvoir de réglementation prévu à l’article 195 de la loi. Elle a allégué que la SAAQ peut réglementer le calcul de la capitalisation, mais non les cas de capitalisation. De façon subsidiaire, si le TAQ en venait à la conclusion que l’article 1 paragraphe 1 du règlement est valide, la victime estimait que la décision contestée était mal fondée en fait puisqu’elle avait démontré que sa condition médicale était stable, tel que l’exige le règlement. La SAAQ a prétendu qu’elle bénéficiait d’un pouvoir discrétionnaire relativement à toute demande de capitalisation. Puisque, selon elle, la condition médicale de la victime n’était pas stable, celle-ci ne remplirait pas l’une des conditions prévues au règlement et ne serait donc pas admissible à la capitalisation. La victime a obtenu gain de cause. Au regard de la nature du pouvoir conféré par l’article 83.22, l’emploi du mot «peut» dans un texte de loi n’amène pas automatiquement l’exercice d’une discrétion. Au contraire, dans certaines situations, il commande l’exercice d’une obligation ou d’un devoir. La sanction du droit prévu à l’article 83.22 alinéa 1 est un bénéfice ou un avantage que la SAAQ doit reconnaître lorsque les conditions prescrites sont remplies. Ainsi, l’interprétation de l’article 83.22, en harmonie avec la finalité de la loi, mène vers l’exercice d’un devoir de capitalisation dans les cas admissibles. Un pouvoir de réglementation a été confié à la SAAQ afin qu’elle puisse mettre en application l’article 83.22. Le législateur n’a jamais permis que la SAAQ ajoute des cas de capitalisation à ceux prévus à cet article. La condition supplémentaire ajoutée à l’article 1 paragraphe 1 du règlement ne vise pas le calcul du montant payé. Par le fait même, cet article estultra vires puisqu’il s’agit de l’exercice non autorisé du pouvoir de réglementation accordé à la SAAQ. Pour ces raisons, la décision contestée n’est pas fondée en droit et doit être annulée. Afin de décider de toutes les questions en litige, le TAQ s’est prononcé sur la question subsidiaire de la condition médicale de la victime. La preuve prépondérante révèle que la condition médicale de celle-ci est stable. Aucun changement important pouvant modifier sa capacité de travail n’a été démontré depuis la demande de capitalisation. Donc, si le règlement est valide, la décision n’est pas fondée en fait. Une IRR doit être payée en un versement unique[58]. La SAAQ a demandé la révision judiciaire de cette décision ; un jugement est attendu[59].

11. Lien de causalité

a) Aggravation d’une condition

[68] Dans l’affaire suivante, la SAAQ a omis de se conformer au dispositif d’une décision du TAQ.

[69] Une victime était traitée depuis 1986 pour une spondylite ankylosante. En août 2004, la SAAQ a conclu que l’accident subi en 1998 n’avait pas aggravé cette condition de façon permanente. Le TAQ rappelé qu’il avait rendu une décision en novembre 2003 concluant que l’accident avait causé une aggravation de la spondylite ankylosante. Il y a chose jugée à cet égard. La SAAQ aurait dû se conformer au dispositif de la décision, qui a force obligatoire, plutôt que de se livrer à l’interprétation des motifs exprimés en mentionnant que l’aggravation n’était que temporaire. Le dossier a été renvoyé à la SAAQ afin qu’il soit donné suite à la décision du TAQ de novembre 2003[60].

b) Agression par un préposé

[70] Une situation complètement inédite a été entendue par le TAQ : la victime alléguait une relation entre son accident et une agression subie par un préposé dans un centre de réadaptation.

[71] La victime, après une hospitalisation, a été dirigée vers un centre spécialisé en vue de sa réadaptation. Un préposé aux bénéficiaires de ce centre a adopté une attitude harcelante à son endroit. La SAAQ a refusé de reconnaître une relation entre l’accident et le comportement verbal d’agression du préposé. Or, les conséquences des traitements médicaux sont en lien direct avec l’accident initial, qu’elles consistent en une aggravation des lésions subies initialement ou en de nouvelles lésions. Les traitements et leurs effets ne constituent pas des événements externes indépendants d’un accident puisque c’est en raison des lésions subies lors de celui-ci qu’ils sont reçus et que la victime a peu de pouvoir quant à leur choix. En l’espèce, une psychologue a fait état d’un tableau de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse. Elle a relié ce tableau tant à la réaction aux stresseurs verbaux qu’aux incapacités physiques et à l’incertitude relative à l’adaptation éventuelle. Elle a ajouté que cette expérience s’était superposée au stress inhérent à la réadaptation de la victime. La relation recherchée entre l’accident et le problème psychologique vécu par cette dernière à la suite des agressions verbales et de l’attitude inappropriée du préposé lors de son hospitalisation est établie. Les lésions subies n’étaient pas encore consolidées et la victime recevait des traitements en ce sens[61]. À la suite d’une requête de la SAAQ, le TAQ en révision a conclu à l’absence de vice de fond et a confirmé la décision de la première formation[62].

c) Condition personnelle préexistante

[72] Dans la décision qui suit, la présence d’une condition personnelle préexistante n’a pas été un obstacle à la reconnaissance d’un lien de causalité. La SAAQ avait nié toute relation entre l’accident et le saignement d’un cavernome ainsi qu’un syndrome cérébral organique. Or, un lien de causalité doit s’établir à partir d’une preuve prépondérante et non pas seulement à partir d’une preuve médicale prépondérante. En conséquence, les témoignages de la victime et de témoins profanes gardent toute leur importance. Les présomptions de faits peuvent aussi établir un lien de causalité pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes. L’accident s’est produit à basse vitesse. Le traumatisme subi a été plutôt léger, avec un mouvement d’accélération-décélération à la région cervicale. La victime était porteuse d’un cavernome asymptomatique avant l’accident. La première consultation médicale a eu lieu une semaine après le fait accidentel alors que la victime était dans une condition clinique précaire. Les documents médicaux concomitants, à l’urgence et lors d’une hospitalisation, font remonter le début des symptômes à deux jours après l’accident, de façon répétée. La victime a ressenti une douleur au cou immédiatement après l’accident. Elle s’est levée le lendemain avec un mal de tête et n’était pas dans son état normal. Son état a continué à se dégrader tout au long de la semaine. Les symptômes qu’elle a présentés dès le fait accidentel témoignent d’un début de saignement à la substance réticulée, notamment responsable de l’état d’éveil et d’un dérèglement du tronc cérébral. Le saignement initial a pu cesser temporairement, pour reprendre après quelques jours, entraînant ainsi une dégradation. Aucun événement extérieur au fait accidentel n’a été démontré. Il ne s’est pas produit une commotion cérébrale lors de l’accident, mais plutôt un dérèglement du tronc cérébral, ce qui explique la modification du comportement de la victime immédiatement après l’impact. Les relations recherchées sont reconnues[63].

d) Décès

[73] La décision qui suit a reconnu une relation entre un accident et le décès de la victime, survenu plusieurs années plus tard.

[74] L’époux de la requérante a subi des fractures à L1-L2 lors d’un accident de motocyclette en mai 1992. Les fractures ont causé une paraplégie avec vessie et intestins neurogènes. La victime est décédée le 10 mars 2007 d’un choc septique consécutif à une pneumonie virale à l’influenza A. La SAAQ a nié toute relation entre l’accident et le décès. En conséquence, elle a refusé de verser une indemnité de décès. Le TAQ a indiqué qu’une séquence d’éléments a contribué à la perte des capacités fonctionnelles de l’époux de la requérante et à son inactivité, à savoir une symptomatologie douloureuse importante, une détresse psychologique, des effets secondaires de sa médication et une prise de poids importante secondaire à l’ensemble de ces facteurs. Un syndrome restrictif secondaire, rendant la victime plus sensible à des complications respiratoires, s’est développé. Cette condition découle de l’évolution de la blessure initiale et demeure en lien direct avec l’accident. Le décès de l’époux de la requérante ne peut vraisemblablement pas être attribué à une autre cause[64].

e) Épilepsie

[75] Une victime a subi une commotion cérébrale et une contusion au front lors d’un accident survenu en février 2001. Elle a commencé à avoir des crises convulsives à compter du 27 avril suivant ainsi qu’à vivre des phénomènes paroxystiques conscients sous forme de «déjà vu ou déjà entendu». Des bilans radiologiques ont démontré des activités épileptiformes. La relation entre l’accident et une condition d’épilepsie diagnostiquée le 27 août 2006 est reconnue. La victime n’avait jamais souffert de cette maladie avant l’accident. Il n’existe pas d’antécédents d’épilepsie dans sa famille. Les manifestations de «déjà vu», qui ont été diagnostiquées plus tard comme des manifestations épileptiques, ont commencé peu de temps après le fait accidentel. La première crise convulsive généralisée est survenue deux mois après l’accident ; il s’agit d’un délai court et conforme aux délais rapportés quant à la survenance d’épilepsie post-traumatique[65].

f) Fibromyalgie

[76] La possible relation entre un accident et une condition de fibromyalgie demeure un sujet controversé. Deux décisions, l’une reconnaissant la relation et l’autre non, en témoignent.

[77] La SAAQ a nié toute relation entre un accident et un diagnostic de fibromyalgie, mais elle a reconnu qu’un trouble somatoforme douloureux (TSD) découlait d’un état de stress post-traumatique relié à l’accident. La victime a soutenu que le diagnostic de fibromyalgie devait être considéré comme en lien avec l’accident. Le TAQ a mentionné qu’un diagnostic de fibromyalgie fait partie des syndromes douloureux chroniques. Il s’agit d’un diagnostic d’exclusion, donc posé après avoir éliminé toute autre condition susceptible d’expliquer la symptomatologie douloureuse. De même, dans les troubles somatoformes, on trouve une ou plusieurs plaintes somatiques sans explication médicale, ou encore les plaintes sont nettement disproportionnées s’il y a une explication médicale. De plus, le problème n’est pas mieux expliqué par un diagnostic psychiatrique ou un autre diagnostic médical. Il existe un chevauchement important entre la fibromyalgie et le TSD, même s’il s’agit de deux entités distinctes. En l’espèce, quatre psychiatres sont d’avis que la symptomatologie douloureuse persistante est plus explicable par le TSD. Un diagnostic de fibromyalgie a été posé par un médecin trois mois après l’accident et maintenu pendant près de deux ans. À compter de 2006, ce diagnostic a disparu des notes de cet expert et a été remplacé par ceux de stress post-traumatique et de TSD. La relation recherchée entre la fibromyalgie et l’accident se heurte en l’espèce à une interrogation particulière. On ne doit pas tant regarder les critères d’imputabilité habituels, visant à reconnaître de façon probable une telle relation, que décider de la réalité de ce diagnostic alors même qu’un autre diagnostic — celui de TSD —, combiné à un diagnostic d’état de stress post-traumatique, rend compte, de façon médicalement reconnue par la majorité des experts dont l’opinion a été sollicitée, de la condition clinique de la victime. La preuve prépondérante révèle que le diagnostic de TSD explique le mieux la symptomatologie persistante après l’accident. Bien qu’il s’agisse d’un diagnostic psychique, sa nature même est de se manifester notamment par des douleurs corporelles (somatiques) diffuses et incapacitantes sur le plan physique, et ce, en l’absence de substratum anatomique correspondant. La relation entre l’accident et le diagnostic de fibromyalgie n’est donc pas établie[66].

[78] Dans l’autre décision, où la victime a subi un accident en août 2005, le TAQ a affirmé que, contrairement à ce que prétend la SAAQ, rien n’indique que la fibromyalgie était présente avant le traumatisme ou que l’état fonctionnel de la victime était atteint de façon significative. L’étiologie de la fibromyalgie demeure controversée. Compte tenu de l’état des connaissances médicales actuelles, personne ne peut se permettre d’affirmer quel serait le délai normal entre un traumatisme et l’apparition d’une fibromyalgie. Ce n’est pas tant le moment où le diagnostic est finalement posé qui a de l’importance, mais plutôt celui à partir duquel on constate, rétrospectivement, la présence de suffisamment d’éléments de preuves permettant de conclure que le diagnostic aurait pu être établi en conformité avec les critères de classification adoptés par l’American College of Rheumatology. Selon la preuve médicale au dossier, le délai entre l’accident et l’apparition de suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure au diagnostic de fibromyalgie est de deux à trois mois. Une continuité évolutive sans périodes de rémission a été démontrée entre l’apparition de la fibromyalgie, à l’automne 2005, et l’établissement du diagnostic, en mai 2006. Aucun nouvel événement qui pourrait être caractérisé comme étant la cause de la fibromyalgie n’est survenu. La relation recherchée est donc établie[67].

g) Traumatisme cranio-cérébral

[79] Deux décisions contradictoires ont été rendues relativement aux signes cliniques permettant de poser un diagnostic de traumatisme cranio-cérébral.

[80] La SAAQ a refusé de reconnaître une relation entre un accident et un traumatisme cranio-cérébral. Elle a conclu qu’aucun traumatisme de ce genre n’avait été subi puisque, de façon concomitante de l’événement, les signes probants nécessaires à un tel diagnostic n’avaient pas été objectivés, à savoir une perte de conscience, une altération de l’état de conscience, une amnésie rétrograde ou antérograde, un examen neurologique ou un «scan» positif. Or, les critères diagnostiques actuellement reconnus pour le traumatisme cranio-cérébral servent à établir un diagnostic précoce afin de gérer le risque dans les premiers moments suivant un accident. Lorsque se pose la question du lien de causalité, il n’est plus question de situation d’urgence où il faut gérer le risque. Pour se prononcer sur la probabilité d’une relation causale, tous les éléments de preuve obtenus par la suite, et non seulement les critères ayant servi initialement, doivent être considérés. La jurisprudence a établi des critères d’imputabilité pour procéder à l’analyse du lien de causalité. Les principaux critères sont notamment l’état antérieur de la victime, la réalité et l’intensité du traumatisme, la nature et l’évolution habituellement attendue des blessures initiales, le mécanisme de production de la blessure et le délai d’apparition des signes et des symptômes. Avant l’accident, la victime était une personne active et engagée dans son milieu qui ne manifestait pas de problèmes neuropsychologiques évidents. Le fait accidentel — une collision à haute vitesse avec un orignal — est compatible avec presque n’importe quelle sorte de blessure, notamment un traumatisme cranio-cérébral. La victime n’a aucun souvenir de la période comprise entre l’accident et l’arrivée des ambulanciers. Cela démontre qu’il y a eu pour le moins altération de l’état de conscience avec une brève amnésie. Des problèmes tant cognitifs que comportementaux ont été objectivés par des évaluations neuropsychologiques et ne sont pas niés. Leur nature est compatible avec le résultat d’un traumatisme cranio-cérébral. La preuve prépondérante révèle qu’un tel traumatisme a été subi. Une relation est établie entre cette condition et les problèmes documentés par la suite sur le plan neuropsychologique[68].

[81] Dans l’autre cas, bien que le médecin de l’urgence ait diagnostiqué un traumatisme cranio-cérébral mineur à la victime, la SAAQ a nié toute relation entre l’accident et un tel traumatisme. Le TAQ a donné raison à la SAAQ. L’accident n’a entraîné ni perte de conscience, ni période d’amnésie antérograde ou rétrograde, ni désorientation. À première vue, la preuve médicale tendait vers la présence d’un traumatisme cranio-cérébral léger. Cependant, une analyse détaillée des faits concomitants de l’accident démontre qu’il n’y a eu aucune mention d’une altération quelconque de la conscience ni d’une confusion. L’investigation par résonance magnétique était strictement normale, de même que la tomodensitométrie cérébrale. Les médecins consultés ont retenu des diagnostics de commotion cérébrale, soit l’ancienne terminologie désignant le traumatisme cranio-cérébral léger, et de syndrome postcommotion cérébrale. Ils se sont attardés sur les symptômes fréquemment constatés dans les syndromes postcommotionnels, soit les céphalées, la fatigue et les troubles de la concentration. Or, les symptômes de type postcommotionnel peuvent résulter d’une blessure au cerveau, mais aussi d’un traumatisme touchant la tête ou les structures du cou. Une perte de conscience, une altération de l’état de conscience, une amnésie rétrograde ou antérograde ainsi qu’un examen neurologique ou un «scan» positif sont nécessaires pour conclure à l’existence d’un traumatisme cranio-cérébral. Il n’est pas suffisant pour les médecins consultés de poser le diagnostic de commotion cérébrale ou de traumatisme cranio-cérébral léger : il faut l’étayer au moyen des signes diagnostics probants, ce qui n’est pas le cas en l’espèce[69].

h) Révision judiciaire

[82] La Cour supérieure a conclu que le TAQ avait rendu une décision irrationnelle et déraisonnable.

[83] La SAAQ a refusé de reconnaître une relation entre un accident et une dégénérescence maculaire bilatérale, des cicatrices maculaires et un oedème de Berlin. Le TAQ a confirmé cette décision. Or, il appuie sa conclusion sur les déclarations contenues dans les «documents contemporains», à savoir le rapport de police, les notes des infirmières à l’urgence et le rapport du technicien ambulancier. Il s’agit de ouï-dire, aucune de ces déclarations n’ayant été vérifiée ni remise en contexte par ceux qui les avaient faites. Contrairement à ce qu’affirme le TAQ, la victime s’est rapidement plainte de problèmes de vision, d’étourdissements et de maux de tête. Le TAQ n’a pas retenu les expertises de quatre ophtalmologistes qui ne pouvaient expliquer la perte de vision de la victime, à son âge, que par un traumatisme à la tête lors de l’accident. Cette déduction est d’ailleurs appuyée par les blessures subies, à savoir une dent cassée, quatre dents branlantes et des cicatrices maculaires de la rétine. Le TAQ n’a accordé aucun crédit à cette découverte de cicatrices maculaires rapportées par tous les experts. Il n’en a même pas parlé dans ses motifs. Il n’a pas non plus porté attention à la conclusion de tous les experts de la victime relativement à cette découverte, à savoir que les lésions à la rétine présupposent un traumatisme violent du type de celui qui résulterait d’un accident. L’origine de la perte de vision de la victime a été totalement laissée de côté par le TAQ et attribuée à une autre cause — on ignore laquelle — que l’accident. La décision du TAQ est irrationnelle et déraisonnable ; elle doit être révisée et l’affaire doit être entendue par une nouvelle formation maîtrisant mieux la langue anglaise. En effet, les juges administratifs du TAQ qui ont entendu le litige devaient se faire traduire les opinions des experts anglophones[70].

[84] Dans un autre jugement en révision judiciaire, le TAQ aurait dû porter attention aux expertises médicales. La victime a contesté une décision de première instance de la SAAQ portant sur les séquelles permanentes et, avant que la décision en révision ne soit rendue, elle a fait parvenir à la SAAQ deux expertises médicales visant la reconnaissance d’une entorse cervicale. La SAAQ en révision a rendu une décision sans se prononcer sur les atteintes cervicales. Le TAQ a décliné compétence sur la question de la reconnaissance d’une entorse cervicale au motif que la SAAQ n’avait rendu aucune décision sur ce sujet. En révision judiciaire, la Cour supérieure affirme que la victime avait invoqué la reconnaissance de l’entorse cervicale et des atteintes en découlant avant de se présenter devant le TAQ. En effet, la décision du TAQ cite celle en révision, laquelle fait état du dépôt des deux expertises médicales. La décision du TAQ admet ainsi que la demande relative à l’entorse cervicale a été présentée par la victime au stade de la révision devant la SAAQ. Celle-ci ne pouvait omettre de se prononcer sur le bien-fondé des expertises médicales. Par ailleurs, la décision du TAQ n’est pas raisonnable parce qu’elle est incomplète. La SAAQ en révision aurait dû motiver la raison pour laquelle elle passait sous silence les expertises déposées au dossier avant sa décision et renvoyer le dossier à l’agent d’indemnisation sur cette question seulement. Il s’agit par le fait même d’une décision incorrecte violant la règle audi alteram partem qui aurait dû être corrigée par le TAQ pour compléter sa décision une fois qu’il a décliné compétence. Le TAQ aurait dû constater que les expertises avaient été déposées et renvoyer le dossier à un agent d’indemnisation pour examiner ce seul point. Sa décision répète l’erreur du bureau de révision de la SAAQ, ce qui prive la victime de son droit d’être entendue. Le remède dans un tel cas constitue à renvoyer le dossier à l’agent d’indemnisation afin que ce dernier se prononce sur la seule question introduite devant la SAAQ postérieurement à la première instance[71]. Une requête pour permission d’interjeter appel de ce jugement a été déposée[72].

12. Procédure

[85] De multiples questions de procédure ont été abordées par le TAQ.

a) Article 114.1 de la Loi sur la justice administrative[73]

[86] Une victime a contesté des décisions de la SAAQ et, devant le TAQ, elle a également réclamé une indemnité en vertu de l’article 114.1 de la Loi sur la justice administrative en raison du délai de près de 7 mois que la SAAQ a mis pour lui transmettre son dossier après le dépôt de la requête introductive du recours alors que la loi impose un délai de 30 jours. Elle a prétendu que, même en l’absence de préjudice, il faut donner un sens à la loi, puisque le mot «préjudice» a été enlevé de l’article 114.1 dans le contexte du processus d’adoption de cet article. Cet argument est retenu. Les mots «préjudice qui a pu en résulter» ont été biffés de l’article 114.1 pour alléger le fardeau de l’administré et pour permettre au TAQ d’accorder une indemnité lorsque les circonstances de l’affaire et la durée du retard de l’autorité administrative le justifient. Le but premier de l’article 114.1 est d’inciter les organismes administratifs à transmettre les dossiers au TAQ dans le délai imparti. Le préjudice ne constitue qu’un motif à analyser ; d’autres facteurs peuvent être pris en considération, tels que le retard indu, la négligence ou le comportement de l’autorité administrative. En l’espèce, la victime n’a pas démontré qu’elle avait subi des inconvénients autres que celui du délai au TAQ. La séance de conciliation aurait pu être tenue avant, et le dossier, fixé plus tôt. Une indemnité de 75 $ est accordée[74].

[87] Dans une autre affaire, la victime a déposé un recours devant le TAQ le 27 décembre 2007 à l’encontre d’une décision de la SAAQ portant sur un lien de causalité. Celle-ci lui a transmis son dossier le ou vers le 15 juillet suivant, excédant ainsi le délai maximal de 30 jours prévu à l’article 114 de la Loi sur la justice administrative. Lors de l’audience devant le TAQ, elle a admis la relation recherchée. La victime demande à être indemnisée pour le retard de la SAAQ à lui transmettre son dossier. Elle a effectivement droit à une indemnité. Les recours devant le TAQ doivent être rapidement entendus. Le mécanisme mis en place par le législateur se veut un effet dissuasif auprès des autorités administratives qui transgressent le principe de la célérité. Il faut que l’indemnité soit juste et raisonnable, selon les circonstances de l’affaire et la durée du retard. La victime a subi des retards administratifs qui ne sont pas justifiés et dont elle n’est pas responsable. Le jour de l’audience devant le TAQ, un an après l’introduction du recours, la SAAQ a acquiescé cavalièrement à la demande, alors qu’elle aurait pu le faire bien avant et éviter à la victime des honoraires d’avocat. Une indemnité de 1 000 $ est juste et raisonnable, compte tenu des circonstances exceptionnelles de l’affaire[75].

b) Compétence de la SAAQ

[88] La SAAQ ayant demandé une enquête au sujet d’une victime, elle a reçu un rapport accompagné d’une bande vidéo de filature. Elle a ensuite rendu diverses décisions, que la victime a contestées. À titre de moyens préliminaires, cette dernière a prétendu devant le TAQ que les délégations de pouvoirs prévues à la Loi sur la Société de l’assurance automobile du Québec[76] ne permettent pas à la SAAQ de donner des mandats d’enquête à des personnes autres qu’à son personnel. Plus précisément, elle a mentionné que les dispositions de cette loi et de tous les règlements applicables à la SAAQ s’adressent au corps d’emploi d’un inspecteur ou d’un enquêteur au service de la SAAQ. Elle a fait également valoir que, en concluant un contrat avec une firme d’enquête, la SAAQ contrevient à ses pouvoirs et devoirs d’enquête interne et porte atteinte à sa vie privée. Elle a soutenu en conséquence que le rapport qui découle de l’enquête et la bande vidéo qui l’accompagne ne peuvent être recevables en preuve. Les arguments de la victime n’ont pas été retenus. Elle appuie une partie de ceux-ci sur l’article 59 du Règlement sur les délégations de pouvoirs de la Société de l’assurance automobile du Québec[77], qui n’est plus en vigueur. L’article 2 paragraphe 2 f) de la loi sur la SAAQ prévoit expressément que cette dernière a le pouvoir d’«enquêter par elle-même ou par une personne qu’elle désigne, sur toute matière relevant de sa compétence». Le fait qu’il soit précisé que la SAAQ puisse enquêter «par une personne qu’elle désigne» implique forcément qu’elle peut recourir aux services d’une personne extérieure. Le contrat de filature de la victime est intervenu le 27 octobre 2005, au moment où la SAAQ et la firme d’enquête s’étaient entendues sur les termes du contrat. Selon l’article 1385 du Code civil du Québec[78], un contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter. La signature du contrat par le représentant de la firme d’enquête le 1er novembre 2005 ne fait que confirmer l’entente verbale intervenue quelques jours plus tôt. Le contrat était donc valide et en force au moment où la filature de la victime a débuté, le 31 octobre 2005. La désignation de la firme d’enquête dans le présent dossier a été effectuée conformément à la loi et au règlement. Quant au respect de la vie privée, la surveillance doit être justifiée par des motifs rationnels et conduite à l’aide de moyens raisonnables. Il ne saurait s’agir d’une décision purement arbitraire. La recevabilité de la preuve qui découle de la filature ne doit pas déconsidérer l’administration de la justice. En l’espèce, la SAAQ avait des motifs raisonnables de procéder à une enquête de filature. Elle a poursuivi l’investigation médicale afin de comprendre la condition de la victime. Au moment de l’apparition d’un syndrome de conversion, qui venait se greffer à de multiples incohérences relevées au dossier, elle n’avait d’autre choix que de vérifier de visu le comportement de la victime pour réussir à comprendre sa condition, que bien des professionnels de la santé n’étaient pas capables d’expliquer. Aucune preuve ne démontre en quoi la conduite de la SAAQ était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, dans le contexte particulier de l’étude de la recevabilité en preuve d’un rapport d’enquête et d’une bande vidéo à la suite d’une filature. Les moyens utilisés ont été raisonnables. Pour qu’une preuve par filature puisse être exclue en raison d’une violation de la vie privée, il faut démontrer que la reconnaissance de sa recevabilité aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice. Cela n’a pas été fait. Le rapport d’enquête ainsi que la bande vidéo de la filature sont recevables[79].

[89] La SAAQ a déposé une requête en révision d’une décision du TAQ, selon l’article 154 de la Loi sur la justice administrative. La présumée victime a présenté un moyen préliminaire visant la recevabilité de la requête. Elle a allégué que la SAAQ n’avait pas le locus standi requis pour se prévaloir d’une requête en révision et qu’elle devait devait faire preuve de réserve et de retenue, ne pas se comporter comme son adversaire systématique et accepter la décision qui avait été rendue. Cette prétention n’a pas été retenue. Les règles prévues aux articles 2 à 8 de la même loi s’appliquent à la SAAQ lorsqu’elle exerce ses fonctions en sa qualité d’autorité administrative. Lorsqu’elle a rendu une décision finale et qu’un recours est exercé devant le TAQ, la SAAQ n’agit plus en tant que décideur administratif ; elle devient une partie à l’instance. Elle peut se prévaloir de la révision prévue à l’article 154 et faire valoir ses prétentions au même titre que toute autre partie[80]. Une requête en révision judiciaire de cette décision a été déposée et un jugement de la Cour supérieure est à venir[81].

[90] Une autre décision portant sur la recevabilité de rapports d’enquête par filature, d’une bande vidéo de cette filature et d’évaluations médicales subséquentes se trouve dans la section f) ci-dessous.

c) Délai de contestation devant le TAQ

[91] La SAAQ a rendu une décision en révision le 7 mai 2008. La victime a reçu cette décision le 15 mai et l’a contestée devant le TAQ le 23 juillet suivant. La SAAQ a fait valoir que cette contestation était irrecevable puisqu’elle avait été déposée après l’expiration du délai de 60 jours prévu à l’article 110 de la Loi sur la justice administrative. La mère de la victime, qui s’occupait des affaires de cette dernière, est d’origine pakistanaise et s’exprime en anglais. Elle a demandé une traduction anglaise de la décision initiale dès sa réception. La décision en anglais, datée du 26 mai 2008, a été reçue par la victime dans les jours qui ont suivi. La SAAQ a soutenu que le délai commence à courir à compter de la date de réception de la décision initiale en français et que le recours est prescrit en tenant compte uniquement de cette date. Il est vrai que le délai ne peut pas courir à compter de la décision traduite en anglais. Le délai nécessaire pour traduire une décision administrative prend plusieurs jours, prolongeant ainsi de beaucoup le délai du recours au TAQ, ce qui semble contraire à la volonté du législateur, qui a voulu qu’il soit de 60 jours. Le délai doit se calculer à compter de la date de notification de la décision initiale en français, et ce, dans tous les cas. Il ne peut y avoir des délais de contestation différents pour les accidentés selon leur langue d’origine. La décision en litige avisait la victime qu’une version anglaise suivrait mais sans l’avertir, ni en anglais ni en français, que le délai de contestation de 60 jours commençait à courir à compter de la date de la notification de la décision en français. Cette omission d’information est importante parce que la victime et son mandataire, comme c’est le cas ici, risquent d’avoir l’impression qu’ils peuvent attendre et contester la décision traduite en anglais, à leur choix. La mère de la victime avait des motifs raisonnables de croire qu’elle pouvait contester la décision traduite en anglais, car il était clairement stipulé, à la fin du texte, qu’elle pouvait le faire et qu’on lui a laissé croire qu’elle recevrait incessamment la traduction. La décision aurait dû mentionner, en anglais, que le délai de 60 jours commençait à courir à compter de la notification de la décision initiale en français, nonobstant la traduction à venir. Autrement, on induit le citoyen en erreur et on le prive de son droit de contester. Des motifs raisonnables expliquent donc en l’espèce l’omission d’agir en temps utile[82].

d) Expertise

[92] Le TAQ a rendu une décision interlocutoire par laquelle il a notamment ordonné à la SAAQ de procéder à une expertise afin d’évaluer le niveau de gravité de l’atteinte à la fonction psychique d’une victime. Il a aussi ordonné à la victime de se soumettre à cette expertise et, le cas échéant, à une contre-expertise. La SAAQ a soutenu avec succès que le TAQ avait excédé sa compétence en rendant de telles ordonnances. La décision de la première formation est entachée d’un vice de fond en ce qu’elle conclut que l’on ne peut se prononcer sur les séquelles permanentes quant à la fonction psychique sans la tenue d’une expertise. Pour en arriver à cette conclusion, la première formation a scindé le processus décisionnel en deux étapes distinctes, soit la reconnaissance de séquelles puis leur évaluation, ce qui entraîne une certaine confusion. Selon les circonstances, il n’est pas toujours nécessaire de procéder par expertise. Tout mode de preuve peut en principe être utilisé, notamment le contenu de rapports ou encore une symptomatologie décrite dans une preuve profane. L’obligation faite à la victime de se soumettre aux évaluations demandées n’est pas non plus conforme à la jurisprudence[83].

[93] Dans le même ordre d’idée, la SAAQ a obtenu la révision d’une décision du TAQ lui ayant ordonné de faire procéder à une expertise en psychiatrie alors qu’il n’était saisi que de questions portant sur la cessation de l’IRR, les traitements de nature orthopédique et les séquelles permanentes sur le plan orthopédique. Par l’effet de sa conclusion d’ordonnance et d’une partie de sa motivation, qui visent une nouvelle relation entre l’accident et un trouble psychique, la première formation du TAQ a modifié le contexte du litige sans l’accord des parties ou, à tout le moins, sans leur connaissance. L’ordonnance interfère avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAAQ, qui l’autorise à exiger qu’une personne se soumette à une expertise. Avant d’utiliser le pouvoir ultime de réparation que constitue l’ordonnance, le TAQ devait laisser à la SAAQ la possibilité de faire valoir ses prétentions. La première formation a contrevenu à la règle de justice naturelle et d’équité procédurale audi alteram partem en ne permettant pas aux parties d’être entendues sur une nouvelle question en litige. Cela constitue un excès de compétence équivalant à un vice de fond de nature à invalider en partie sa décision. Cependant, il est possible que, dans le contexte d’un litige où les parties auraient été convenablement entendues, les pouvoirs généraux du TAQ lui permettraient de rendre une ordonnance d’expertise[84].

e) Indépendance du TAQ

[94] Le 5 septembre 2008, le TAQ a rendu une décision dans le dossier de la victime et a confirmé des décisions de la SAAQ. Le 21 novembre suivant, la victime a écrit au TAQ pour savoir si le médecin membre de la formation ayant rendu la décision était bien celui qui avait déjà agi à titre de médecin responsable de son dossier pour le compte de la SAAQ. Le Tribunal a confirmé qu’il s’agissait du même médecin et a considéré la lettre de la victime comme une requête en révision de la décision de la première formation. La SAAQ a prétendu que la requête était tardive et que la victime était informée de la présence de ce membre du TAQ, car le nom de cette personne figurait dans une demande d’expertise au dossier. Le délai raisonnable est de 60 jours, ce que les parties ne remettent pas en cause. La seule mention du nom d’un membre du Tribunal dans un document est insuffisante pour conclure qu’il s’agit du même membre responsable de la décision en litige. Il est normal que la victime se soit interrogée à la suite de la décision. Ce n’est que le 30 janvier 2009, lorsqu’elle a reçu une réponse du Tribunal à cet égard, que ses doutes ont été confirmés. Elle a réagi promptement dès qu’elle a été en mesure de le faire. Quant au fond, le membre de la première formation ayant travaillé pour le compte de la SAAQ a commenté, dans la décision à l’étude, les éléments sur lesquels il s’était déjà prononcé. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il se souvenait d’avoir agi dans le dossier. Cependant, la victime pouvait douter de l’indépendance de la première formation et de l’impartialité de la décision. Une demande de récusation aurait été appropriée mais, étant donné que la victime n’a pas été informée à temps pour entreprendre une telle démarche, il est impératif de rectifier la situation en révoquant la décision. Il s’agit d’un vice de procédure déterminant qui doit être corrigé afin d’assurer à la victime un débat loyal et impartial et de rétablir l’apparence de justice[85].

f) Recevabilité de la preuve

[95] Lors d’une audience tenue devant le TAQ, la victime a déposé un extrait de son dossier hospitalier. La SAAQ a été autorisée à obtenir les commentaires de son service médical. Elle a transmis au TAQ une note médicale commentant l’ensemble du dossier et non seulement l’extrait déposé en preuve lors de l’audience. La victime a soutenu que cette note n’était pas recevable en preuve. Or, en déposant une preuve complémentaire le jour de l’audience, la victime s’exposait à ce que la SAAQ dépose elle-même un complément de preuve. Cette dernière ne s’est pas opposée à ce dépôt, sous réserve de consulter son service médical. La preuve n’était pas close et le TAQ a accordé à la SAAQ la permission de consulter son service médical, sans préciser que ce dernier devait s’en tenir exclusivement à la preuve complémentaire de la victime. Le complément de preuve de la SAAQ ne brime pas les droits fondamentaux de la victime, car celle-ci a toute la latitude nécessaire pour offrir une réplique[86].

[96] Une victime a échoué à obtenir du TAQ qu’il rende exécutoire une décision rendue en révision par la SAAQ. Le TAQ ne détient aucune compétence de droit commun ; il n’a que les compétences qui lui sont attribuées expressément par la Loi sur la justice administrative et ne possède pas de compétence inhérente. Cette loi ne traite de l’exécution forcée de décisions qu’en vertu de son article 156, alors qu’elle décrit le processus qui permet de rendre exécutoires les décisions du TAQ. Ce dernier ne peut, de sa seule autorité, ordonner l’exécution forcée de ses propres décisions ni de celles des autorités administratives[87]. La victime a déposé une requête en révision et une décision du TAQ est à venir.

[97] Une victime a déposé une requête en rejet d’éléments de preuve devant le TAQ, à savoir des rapports d’enquête par filature, la bande vidéo de cette filature et des évaluations médicales subséquentes. Elle a soutenu que la filature et la surveillance vidéo ont porté atteinte à sa vie privée et que, en conséquence, cette preuve devrait être exclue. La SAAQ a prétendu que la filature et la surveillance vidéo étaient recevables en preuve puisqu’il n’y a pas eu d’atteinte au droit à la vie privée et que, s’il y avait une atteinte, celle-ci ne déconsidérerait pas l’administration de la justice. Elle a aussi affirmé que la requête était tardive. Or, la détermination de l’exclusion d’un élément de preuve se fait en deux étapes. Le TAQ doit d’abord vérifier si les conditions dans lesquelles l’élément de preuve a été obtenu portent atteinte à un droit protégé. Dans l’affirmative, il doit décider si l’utilisation de cette preuve déconsidère l’administration de la justice. La jurisprudence indique que le droit à la vie privée n’est pas absolu et peut être sujet à des restrictions qualifiées de raisonnables. Dans la mesure où la surveillance et la filature sont justifiées par des motifs rationnels et conduites à l’aide de moyens raisonnables, les garanties fondamentales de la vie privée ne sont pas alors violées. En l’espèce, la surveillance vidéo et la filature ont été menées de la façon la moins intrusive possible. Il ne s’agit pas d’une filature continue mais de quatre observations ponctuelles, limitées dans le temps et effectuées dans des lieux où la victime était observable de façon immédiate par le public. Cependant, à cette date, d’autres moyens permettaient à la SAAQ de vérifier l’état de santé de la victime, de telle sorte que la mesure de surveillance n’était pas nécessaire. En l’absence de motifs raisonnables fondant à soumettre la victime à une surveillance, une atteinte à la vie privée de cette dernière a eu lieu. Cependant, la gravité de cette atteinte n’est pas suffisante pour que la SAAQ ne puisse être autorisée à se servir de la preuve obtenue. Cette dernière a agi de bonne foi et avait pour seul objectif de vérifier la véritable situation physique de la victime. Elle a un intérêt légitime à voir à ce que les deniers publics qu’elle débourse le soient au profit de personnes qui y ont droit. L’utilisation de la preuve obtenue en l’espèce ne déconsidère pas l’administration de la justice. L’argument relatif à la tardiveté de la requête ne peut être retenu puisqu’il est bien établi que la renonciation à un droit protégé doit être claire et sans ambiguïté[88].

g) Récusation

[98] Une victime a été entendue par une première formation du TAQ, composée d’un médecin et d’un avocat. Insatisfaite de la décision rendue, elle a déposé une requête en révision judiciaire. La Cour supérieure a accueilli la requête. Elle a considéré que la décision du TAQ était «carrément inintelligible». Elle a renvoyé le dossier à cette même formation du TAQ afin qu’elle reprenne l’étude du dossier. La victime a réclamé la récusation du juge administratif médecin assigné pour entendre son recours. Elle a fait valoir que ce médecin n’était pas impartial et n’avait pas compétence pour décider d’une question de lien de causalité, qui est une question de droit. Sa requête a été rejetée. Les juges du TAQ ont la parité juridictionnelle. Ils ont le même statut et les mêmes pouvoirs et devoirs, même si leur spécialisation diffère. Ils ont compétence pour décider des questions de droit. Le médecin n’agit pas à titre d’avocat, mais de juge administratif spécialisé. D’ailleurs, la décision dont il s’agit n’est pas la sienne mais celle d’une formation multidisciplinaire dont il fait partie. Par ailleurs, le manque de clarté de la décision n’est pas une cause de récusation. Il est sans lien avec l’impartialité. Une indication de partialité ne peut non plus être inférée de la décision révoquée, comme en l’espèce, pour des motifs étrangers à ceux qui justifient une récusation. L’insatisfaction d’une partie à l’égard d’un juge ou des décisions qu’il rend n’est pas un motif de récusation. Le fait que le médecin ait été au service de la SAAQ pendant 11 ans ne démontre pas non plus une cause de récusation. La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée, raisonnable, bien informée et non tatillonne. Elle doit s’évaluer compte tenu des circonstances propres à chaque dossier, du caractère spécifique du Tribunal et de la conduite particulière du juge administratif en cause, et elle doit reposer sur des motifs sérieux. Il n’existe aucun motif justifiant la récusation avant le jugement de la Cour supérieure. De tels motifs ne sont pas présents dans ce jugement. Au contraire, la Cour supérieure a plutôt renvoyé le dossier à la «même formation[89]».

h) Vice de fond

[99] Dans une décision portant sur la reconnaissance d’un lien de causalité, le TAQ a accueilli le recours en partie et a ordonné que le dossier soit renvoyé à la SAAQ afin que la fonction psychique de la victime soit évaluée. La SAAQ a demandé la révision de cette décision. Elle a prétendu que la première formation, en accueillant partiellement un recours portant sur une relation causale, s’est arrogé un pouvoir que ne lui confère pas l’article 15 de la Loi sur la justice administrative. Elle a aussi soutenu que la première formation n’avait pas compétence pour ordonner la constitution d’une preuve inexistante au moment de l’audience. Le TAQ en révision a considéré qu’il était inusité qu’un recours portant sur une relation causale soit accueilli en partie mais que cet aspect ne constituait pas à lui seul une erreur manifeste qui invalide entièrement la décision. Par contre, si la première formation était insatisfaite de la preuve au dossier ou si la preuve ne lui permettait pas de trancher le litige, elle devait conclure que la partie sur laquelle reposait le fardeau avait échoué dans sa démonstration. Ordonner à la SAAQ de produire une nouvelle preuve inexistante au dossier constitue en soi un vice de fond qui invalide la décision. De plus, cela revient à transférer le fardeau de preuve à la SAAQ. La décision attaquée a donc été révoquée et annulée[90].

13. Réadaptation

[100] Ce sont souvent les directives adoptées par la SAAQ en matière de réadaptation qui posent problème, comme en fait foi la décision qui suit.

[101] La victime a subi un accident qui a aggravé une lombosciatalgie droite. La SAAQ a refusé de lui rembourser des frais engagés pour l’achat d’un abri d’automobile. La victime a contesté cette décision et a réclamé le remboursement de ses frais de déneigement. Le TAQ, lors de l’audience, a rejeté une objection de la SAAQ et a conclu que l’objet du recours portait sur les frais de déneigement et non seulement sur les frais d’achat d’un abri d’automobile, puisque la motivation de la décision contestée ouvre le débat au remboursement de tous frais de déneigement. La SAAQ exerce un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il est question de réadaptation. Elle a adopté des directives pour baliser l’exercice de ce pouvoir. Celle relative aux frais pour les travaux de déneigement prévoit le remboursement pour «la personne en situation de handicap en raison d’incapacités permanentes à la marche qui l’empêchent d’avoir accès de façon sécuritaire à son domicile». Le TAQ ne peut intervenir, sauf si la décision en cause lui paraît abusive et déraisonnable. Or, en l’espèce, la directive de la SAAQ est déraisonnable. La victime souffre d’une atteinte lombaire reliée à l’accident. Les restrictions fonctionnelles qui ont été observées ne lui permettent plus d’effectuer de façon manuelle le déneigement de son entrée de garage, laquelle lui donne accès à son domicile. Sa condition lombaire constitue un handicap au même titre que des problèmes de locomotion. La victime est dépendante d’un tiers pour accéder à son domicile de façon sécuritaire. Sa situation médicale est comparable à celle d’une personne présentant un handicap à la marche. Les frais engagés pour le déneigement doivent être remboursés[91].

14. Rechute

[102] La victime a subi des fractures de D12, de L1-L2, des rameaux pubiens et du fémur ainsi qu’une disjonction de la symphyse pubienne lors de son accident, survenu en 1978. En 1986, la SAAQ lui a reconnu un pourcentage total de séquelles permanentes de 69 %. Un rapport médical daté du 3 mars 2003 a fait état d’une aggravation des faiblesses aux jambes, d’un dérobement de celles-ci, d’une incapacité de rester debout plus de 10 minutes à la fois, d’une augmentation des douleurs dorsales et d’une boiterie. La SAAQ a refusé de reconnaître l’existence d’une rechute. Sa décision est infirmée. Un expert a accepté l’existence d’une rechute tout en soulignant qu’il n’y avait pas eu évolution ou aggravation organique de la condition de la victime, les séquelles permanentes fonctionnelles demeurant les mêmes. Or, l’absence d’aggravation permanente des séquelles ne signifie pas qu’aucune rechute incapacitante de la symptomatologie douloureuse n’est présente. Il faut distinguer la notion d’«aggravation des séquelles permanentes», qui entraîne une réévaluation de celles-ci aux fins de déterminer une indemnité additionnelle pour perte de qualité de vie, de la notion de «rechute rendant une victime à nouveau incapable d’exercer son emploi», qui entraîne le versement d’une IRR. La décision en litige est fondée sur le fait qu’aucune aggravation objective de la condition de la victime n’a été démontrée. Cette dernière présente une symptomatologie douloureuse permanente à la région dorsale qui découle du fait accidentel. Cette symptomatologie a toujours été assez incapacitante pour empêcher la réintégration dans un emploi à temps plein. La persistance de la victime à travailler malgré sa condition douloureuse et malgré la réticence occasionnellement manifestée par son médecin traitant apporte un éclairage significatif à l’arrêt de travail de mars 2003. Celle-ci avait manifestement atteint un seuil symptomatique qui ne lui permettait plus de fournir sa prestation de travail. Les constatations du médecin, le 3 mars 2003, même si elles sont subjectives, doivent être retenues dans le contexte de séquelles sous-jacentes reconnues de longue date, très bien documentées, très bien objectivées et qui ont véritablement entraîné un tableau clinique douloureux permanent. La victime a donc subi une rechute ayant conduit à une incapacité de travailler en mars 2003. Elle a droit à une IRR[92].

[103] Toujours en matière de rechute, mais en révision judiciaire cette fois, le TAQ a confirmé une décision de la SAAQ et a conclu que la victime n’avait pas subi de rechute. La victime a soutenu que le TAQ avait ajouté à la preuve de façon illégale en affirmant que le «trouble d’adaptation est un diagnostic en principe d’origine multifactorielle». La Cour supérieure lui a donné raison. En l’absence de toute preuve apportant des nuances telles celles énoncées par le TAQ au regard de la dépression majeure et du trouble de l’adaptation, les motifs de celui-ci constituent un ajout de preuve hors de la présence des parties et sans leur permettre de réfuter les arguments présentés, ce qui enfreint la règle audi alteram partem. Cet ajout de preuve constitue un excès de compétence de la part du TAQ qui suffit pour permettre l’intervention du tribunal. De plus, lorsqu’un diagnostic est posé par un médecin et retenu par l’un ou l’autre des intervenants devant le TAQ, ou encore par les deux, le TAQ doit y faire référence de façon exacte. Or, dans ses motifs, il n’a pas fait référence de façon exacte au diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur dépressive établi par un règlement partiel intervenu entre les parties : il a plutôt fait état d’un «trouble de l’adaptation», sans autre précision. Les éléments de motivation de cette décision sont difficilement compréhensibles. Il y a aussi une lecture assez sélective d’un rapport d’expertise qui permet au TAQ d’affirmer que celui-ci «signale plutôt de façon formelle l’absence d’aggravation». Or, lorsqu’on examine ce rapport dans son entité, il révèle plutôt la présence d’une aggravation dans l’état de santé orthopédique de la victime, car de multiples limitations fonctionnelles lui sont imposées. La décision du TAQ n’est pas rationnelle vu la preuve et, dans ces circonstances, elle est déraisonnable. La Cour supérieure juge qu’il serait inutile de renvoyer le dossier au TAQ et elle considère qu’une saine administration de la justice commande qu’elle rende la décision qui aurait dû être rendue afin d’éviter que la victime ne subisse un déni de justice causé par les nouveaux délais pour obtenir le paiement des indemnités auxquelles elle a droit. Elle conclut que la victime a bel et bien subi une rechute[93].

15. Rechute et séquelles permanentes (barème)

[104] La question très controversée du barème applicable aux séquelles permanentes reconnues à la suite d’une rechute a encore été évoquée au cours de l’année, mais plus rarement.

[105] La victime a subi un accident en mars 1983. Une rechute a été reconnue pour la période du 4 au 14 janvier 1995. En 2006, la SAAQ a calculé l’indemnité pour les séquelles psychiques consécutives à la rechute selon le Règlement sur certaines indemnités forfaitaires mentionnées à l’article 44 de la Loi sur l’assurance automobile[94] en vigueur au moment de l’accident. La victime a demandé que le calcul de l’indemnité soit plutôt effectué selon le Règlement sur les atteintes permanentes[95] en vigueur lors de la rechute de 1995. Or, lorsque l’accident initial a été subi avant 1990 et que la rechute est survenue après 1990, les séquelles liées à cette dernière sont alors évaluées dans le dossier de rechute selon le règlement en vigueur entre 1990 et 1999. En l’espèce, l’accident initial a eu lieu en 1983 et la rechute, en 1995. Le règlement en vigueur en 1995 doit être utilisé pour indemniser les atteintes permanentes liées aux blessures ayant provoqué la rechute. Les séquelles qui n’ont aucune relation avec la rechute continuent d’être indemnisées dans le dossier initial à l’aide du règlement en vigueur à la date de l’accident. Les séquelles neuropsychologiques de la victime sont la conséquence des blessures subies dans l’accident de 1983. Rien n’indique qu’elles ont été aggravées par l’hémiparésie droite qui a été la cause de la rechute en 1995. Le règlement qui doit être utilisé afin d’effectuer le calcul de l’indemnité accordée en 2006 pour les séquelles neuropsychologiques est donc celui en vigueur au moment de l’accident de 1983[96].

16. Reconsidération d’une décision

[106] Peut-on demander en tout temps la reconsidération d’une décision ? Il semble que non.

[107] Une victime n’a pas contesté une décision de la SAAQ rendue le 23 avril 1997 et ayant conclu qu’elle était sans emploi tout en étant capable de travailler au moment du traumatisme. En 2007, elle a demandé à la SAAQ de reconsidérer sa décision et de conclure qu’elle était étudiante à l’époque en cause. La SAAQ a rejeté sa demande, ce que le TAQ a confirmé. La demande de reconsidération en vertu de l’article 83.44.1 de la loi a été déposée presque 10 ans après la décision rendue en première instance. La décision du 23 avril 1997 n’ayant pas été contestée, elle a acquis le caractère de la chose jugée. Une reconsidération peut être faite ou demandée tant qu’une demande de révision n’a pas été présentée ou qu’un recours n’a pas été formé devant le Tribunal. Bien qu’aucun délai précis de prescription ne soit rattaché à l’article 83.44.1, un délai de 10 ans semble excessif, voire abusif, lorsqu’on considère que les plus longs délais de prescription dans la loi sont de 3 ans. De toute façon, les conditions prévues à l’article 83.44.1 ne sont pas respectées en l’espèce[97].

17. Responsabilité de l’accident

[108] L’article 9 de la loi prévoit ce qui suit :

9. Lorsque l’accident a lieu au Québec, la victime qui ne réside pas au Québec a droit d’être indemnisée en vertu du présent titre mais seulement dans la proportion où elle n’est pas responsable de l’accident, à moins d’une entente différente entre la Société et la juridiction du lieu de résidence de cette victime.

Sous réserve des articles 108 à 114, la responsabilité est déterminée suivant les règles du droit commun.

Malgré les articles 83.45, 83.49 et 83.57, en cas de désaccord entre la Société et la victime sur la responsabilité de cette dernière, le recours de la victime contre la Société à ce sujet est soumis au tribunal compétent. Ce recours doit être intenté dans les 180 jours de la décision sur la responsabilité rendue par la Société.

[109] C’est ainsi que la Cour supérieure a été appelée à se pencher sur la responsabilité de victimes qui ne résident pas au Québec.

[110] Dans la première décision, toutefois, c’est le TAQ qui s’est prononcé à la suite d’une demande de reconsidération du requérant à l’encontre d’une décision de la SAAQ. Celle-ci, après la réception de la demande d’indemnité du requérant, a mandaté une firme pour enquêter sur les circonstances de l’accident survenu au Québec en octobre 1985. Le 28 septembre 1987, elle a accepté d’indemniser le requérant à titre de conducteur du véhicule à raison de 50 % aux motifs qu’il résidait dans une autre province et qu’il était en partie responsable de l’accident. Le requérant n’a pas contesté cette décision. En 2004, il en a plutôt demandé la reconsidération administrative en invoquant le fait qu’il était passager du véhicule. Il a donc exigé d’être indemnisé à 100 %, car il ne pouvait pas être responsable du fait accidentel. La SAAQ a rejeté sa demande de reconsidération administrative. Devant le TAQ, le requérant s’est opposé au dépôt du rapport d’enquête. Il a soutenu que la SAAQ n’avait pas le pouvoir de déléguer ses pouvoirs d’enquête à une firme indépendante pour enquêter sur les circonstances d’un accident. Or, la SAAQ peut mandater n’importe quelle firme pour enquêter sur des questions de fait. Ce pouvoir, dans le cas présent, a été judicieusement exercé. Le rapport d’enquête ne constitue pas une décision ; il appartient à la SAAQ de trancher. Celle-ci aurait pu juger que le requérant était le passager du véhicule accidenté en se fondant uniquement sur le rapport de police et le rapport médical de l’urgence. Cependant, il existait des doutes importants quant à cette information, car le requérant a écrit dans sa demande d’indemnité qu’il était le conducteur. Devant cette ambiguïté, la SAAQ a décidé de désigner une firme pour enquêter sur la question. L’enquête a révélé que le requérant était le conducteur et non le passager. Le témoignage du requérant n’amène rien de nouveau qui puisse contribuer à déterminer s’il y a eu en 1987, de la part de l’agent d’indemnisation, une erreur manifeste en fait ou en droit. C’est devant la Cour supérieure que le requérant devait contester le choix qu’a fait la SAAQ quant à la responsabilité à raison de 50 %. Aucune erreur manifeste de droit ou de fait permettant de reconsidérer la décision du 28 septembre 1987 n’a été démontrée[98].

[111] Le demandeur a été heurté par une automobile. Ne résidant pas au Québec au sens de la loi, il n’a droit aux indemnités que dans la proportion où il n’est pas responsable de l’accident. Les articles 108 et ss. de la loi établissent une présomption selon laquelle le propriétaire ou le conducteur d’une automobile est responsable du préjudice matériel. Celui-ci peut repousser la responsabilité en faisant la preuve que le préjudice a été causé par la faute de la victime. Le témoignage du demandeur ne peut être retenu en l’espèce, car il n’est pas crédible. Contrairement à ce qu’il affirme, il s’est engagé pour traverser à pied une rue alors qu’il n’avait pas le temps de le faire avant que le feu de piéton ne devienne rouge. La SAAQ a donc démontré qu’il avait contribué à l’accident. Par ailleurs, le conducteur de l’automobile a lui aussi commis une faute en raison de la vitesse à laquelle il roulait et de son omission de vérifier si un piéton traversait la rue. Étant donné les circonstances, le pourcentage de responsabilité de chacun est établi à 50 %. La SAAQ doit indemniser le demandeur dans une proportion de 50 %[99].

[112] Dans une autre décision, le demandeur, un homme de race noire circulant à bicyclette en soirée et vêtu de vêtements foncés, a été heurté par un véhicule automobile après le passage d’une intersection dotée de feux de circulation. Comme il ne résidait pas au Québec au moment de l’accident, il ne peut être indemnisé par la SAAQ que dans la proportion où il n’est pas responsable de l’accident. Venant de voies de circulation perpendiculaires, tant l’automobiliste que le demandeur ont affirmé être passés alors que le feu était vert à l’intersection. La victime d’un dommage corporel causé par une automobile à qui un recours est exceptionnellement reconnu bénéficie d’une très forte présomption de responsabilité qui s’applique à l’encontre du conducteur de l’automobile, lequel doit prouver qu’il n’est pas responsable de l’accident. Lorsqu’il établit que la victime a contribué par sa faute à l’accident, il y a partage de responsabilité. Le demandeur n’est pas crédible lorsqu’il affirme qu’il est resté 20 minutes sans assistance ou que sa bicyclette était munie de réflecteurs. L’automobiliste ne peut cependant prouver que le demandeur a brûlé un feu rouge. Par contre, l’imprudence sérieuse dont ce dernier a fait preuve en circulant sur une bicyclette de couleur foncée, sans réflecteurs, vêtu de vêtements sombres et tard en soirée constitue une faute contributoire qui justifie le partage égal des responsabilités entre l’automobiliste et lui. La SAAQ doit indemniser le demandeur dans une proportion de 50 %[100].

18. Séquelles permanentes

[113] Dans les décisions qui suivent, l’interprétation du TAQ diffère de celle de la SAAQ au regard de l’application des barèmes pour l’évaluation des séquelles permanentes.

[114] La victime, alors âgée de cinq ans, a subi une fracture du crâne lors d’un accident survenu en septembre 1986. En 2008, la SAAQ lui a reconnu un taux de déficit anatomo-physiologique (DAP) de 5 % pour une altération des fonctions mentales supérieures. La victime a obtenu que ce taux soit haussé. Il faut utiliser le Règlement sur les atteintes permanentes en vigueur entre 1990 et 2000 puisque c’est à partir d’une rechute subie le 26 janvier 1992, alors que la victime a été opérée pour un kyste leptoméningé, qu’il faut considérer les séquelles permanentes. Lors de l’accident, la victime a subi un traumatisme cranio-cérébral qui s’est compliqué de phénomènes infectieux — deux méningites — et d’un écoulement de liquide céphalorachidien ayant nécessité quelques interventions chirurgicales. Un tel dommage cérébral peut entraîner des atteintes qui sont beaucoup plus étendues que des séquelles psychiatriques. Les difficultés de la victime dans sa vie quotidienne — études, emplois, perspectives d’avenir, humeurs et conflits personnels et interpersonnels — sont telles qu’il est difficile de comprendre comment le psychiatre a pu arriver à des constats aussi mineurs pour proposer un DAP de 5 %. Une neuropsychologue a suggéré une classe de gravité 3, pouvant donner droit à un taux de 20 % à 45 % ; elle a suggéré 25 %. Cette classe de gravité vise une altération des fonctions supérieures cognitives ou affectives qui dérangent modérément la capacité de vaquer aux activités quotidiennes communes à tous les individus et requiert une surveillance occasionnelle pour l’accomplissement de celles-ci. La SAAQ a répliqué que la victime ne requérait pas de surveillance occasionnelle. Or, en proposant que la victime se situe au bas de la classe de gravité 3, la surveillance est certainement peu importante. D’ailleurs, il ne s’agit pas nécessairement d’une surveillance dans toutes les sphères de la vie. La victime avait besoin, sinon d’une surveillance, à tout le moins d’une supervision dans la gestion de ses affaires, ce qui revient au même. Le taux de 25 % suggéré est conforme à la preuve ainsi qu’au règlement[101].

[115] La victime a subi une entorse cervicale et a été blessée au membre supérieur droit. La SAAQ lui a accordé une indemnité pour perte de qualité de vie correspondant à une classe de gravité 3 pour le déplacement et le maintien du membre supérieur droit. La victime a réclamé la reconnaissance d’une classe de gravité pour une épicondylite au coude droit. La SAAQ a prétendu que, le coude faisant partie du membre supérieur droit, l’atteinte était déjà compensée par la classe de gravité 3 accordée pour le déplacement et le maintien de ce membre supérieur. Un médecin a aussi indiqué que, compte tenu de la structure du Règlement sur l’indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire[102], il n’est pas possible de compenser directement une épicondylite. Or, ce que ce règlement vise à compenser, ce n’est pas un diagnostic mais bien les conséquences fonctionnelles. En ce qui a trait au coude, une atteinte peut avoir des conséquences sur le déplacement et le maintien du membre supérieur ainsi que sur la dextérité manuelle. Il faut déterminer si l’épicondylite entraîne pour la victime des conséquences fonctionnelles permanentes liées à la dextérité manuelle. L’évaluation doit être faite en fonction des amplitudes articulaires et des restrictions fonctionnelles observées. Ces dernières correspondent à une classe de gravité 1 pour la dextérité manuelle droite ; une indemnité doit être versée en conséquence[103].

Conclusion

[116] Le TAQ a rendu en 2009 des décisions parfois inusitées, parfois controversées, mais toujours intéressantes. Le suivi de certaines d’entre elles est impatiemment attendu.

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