[1] Le 23 mars dernier, la Cour supérieure du Québec a approuvé une transaction visant à indemniser les investisseurs floués dans le contexte du scandale financier connu sous le nom de l’«affaire Norbourg[1]». Pour toutes les personnes qui avaient été victimes de cette fraude d’une valeur d’environ 115 millions de dollars, il était finalement possible de tourner la page sur cette histoire, dont les premiers indices s’étaient révélés au mois d’août 2005. Plusieurs jugements ont été rendus au cours des dernières années relativement à divers aspects de cette saga et, dans les lignes qui suivent, nous effectuerons un bref retour sur certains des jugements qui ont eu les plus importantes répercussions sur l’homme derrière le scandale, Vincent Lacroix, et sur ses victimes. 

La trame factuelle

[2] En 2001, Lacroix, qui était la tête dirigeante de plusieurs sociétés qu’il contrôlait directement ou indirectement, a mis sur pied, avec l’aide de quelques acolytes, différents stratagèmes qui lui ont permis de s’approprier d’importantes sommes d’argent appartenant à quelque 9 200 investisseurs. Par l’entremise du gestionnaire de fonds Norbourg Gestion d’actifs, il a été en mesure de commettre 137 retraits irréguliers, détournant ainsi environ 115 millions de dollars à l’insu des porteurs de parts de fonds Norbourg, Évolution et Perfolio. Les sommes ainsi détournées se sont retrouvées dans différents comptes bancaires de Lacroix ou de sociétés qui lui étaient liées. Le 25 août 2005, des perquisitions effectuées par l’Autorité des marchés financiers (AMF) ont permis de mettre au jour cette fraude. 

La poursuite pénale

[3] En décembre 2007, Lacroix a été déclaré coupable sous 51 chefs d’accusation[2] relativement à des infractions à la Loi sur les valeurs mobilières[3]. Ainsi, la Cour du Québec a conclu qu’il avait influencé ou tenté d’influencer le cours ou la valeur de 27 fonds d’investissement (27 chefs), qu’il avait fourni de faux documents à l’AMF (9 chefs) et qu’il avait fourni des informations fausses ou trompeuses dans un document transmis en application de la loi relativement à la famille des Fonds Norbourg et Évolution (15 chefs).

[4] Au mois de janvier suivant, Lacroix a été condamné au paiement d’une amende de 255 000 $ ainsi qu’à une peine d’emprisonnement de 12 ans moins 1 jour[4]. En vue de déterminer la peine qu’il devait purger en ce qui concerne chacun des chefs d’accusation, la Cour du Québec a notamment pris en considération neuf circonstances aggravantes, soit : 1) le degré considérable et tout à fait exceptionnel de planification et de complexité du schème délictuel; 2) le caractère pleinement prémédité et délibéré des infractions commises; 3) le nombre d’infractions pour lesquelles Lacroix avait été déclaré coupable; 4) le rôle de premier plan que celui-ci avait occupé dans la perpétration des infractions; 5) son comportement postdélictuel; 6) l’appât du gain comme unique motivation dans la commission des infractions; 7) la période continue de près de cinq ans au cours de laquelle elles avaient été perpétrées; 8) l’abus de confiance et la manipulation; et 9) l’importance tout à fait exceptionnelle du préjudice causé. Considérant le degré élevé de culpabilité morale de Lacroix et les objectifs de dénonciation et de dissuasion, la Cour a conclu qu’une sentence maximale s’imposait. Les chefs d’accusations ont alors été regroupés en trois catégories, à l’intérieur desquelles des peines de prison concurrentes ont été imposées. Ainsi, Lacroix a été condamné à des peines de 5 ans moins 1 jour sous les chefs 1 à 27, de 42 mois sous les chefs 28 à 37 et de 42 mois sous les chefs 38 à 51, à l’exception du chef 42. Ces trois peines, distinctes aux yeux de la Cour, devraient être purgées de manière consécutive. Une amende de 5 000 $ par chef a aussi été imposée.

[5] En juillet 2008, lors de l’appel de ce jugement, la peine d’emprisonnement de Lacroix a été réduite à huit ans et demi moins un jour, la Cour supérieure ayant conclu que les principes sous-jacents à l’imposition de peines consécutives n’avaient pas été respectés[5]. Selon elle, il n’était pas justifié de créer deux catégories de chefs distinctes reliées à la fabrication de faux documents, l’objectif principal de cette manœuvre ayant été, dans les deux cas, de cacher les opérations des sociétés de Lacroix. Elle a aussi considéré que la peine imposée était exagérée dans le contexte d’une poursuite en vertu d’une loi pénale provinciale prévoyant une peine maximale de cinq ans.

[6] Finalement, au mois d’août 2009, la Cour d’appel s’est prononcée sur la peine imposée à Lacroix[6]. Elle a conclu que, bien qu’à première vue la peine imposée par la Cour du Québec puisse ne pas sembler déraisonnable compte tenu de l’ampleur des conséquences des gestes commis par Lacroix, les dispositions du Code de procédure pénale[7] pertinentes ne conféraient pas expressément le pouvoir d’imposer des peines consécutives, de sorte qu’il y avait lieu de rendre concurrentes l’ensemble des peines d’emprisonnement devant être purgées par Lacroix, ramenant donc sa peine à cinq ans moins un jour. 

La poursuite criminelle

[7] En juin 2008, donc dans les mois qui ont suivi la condamnation initiale de Lacroix à une peine d’emprisonnement de 12 ans moins 1 jour, le ministère public a déposé contre celui-ci et 5 coaccusés plus de 200 chefs d’accusation de complot pour fraude, de fraude, de recyclage des produits de la criminalité, de complot pour fabrication de faux documents et de fabrication de faux documents.

[8] Invoquant la protection constitutionnelle qu’accorde l’article 11 h) de la Charte canadienne des droits et libertés[8], qui prévoit que tout inculpé a le droit de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni, Lacroix a présenté une requête enarrêt des procédures au motif de chose jugée. Or, bien qu’il ait été en mesure d’établir qu’il y avait un lien factuel suffisant entre les infractions reprochées — premier des trois critères retenus par la Cour suprême dans R. c. Prince[9] permettant de conclure à l’existence de la chose jugée en semblable matière —, il n’a démontré ni la présence d’un lien juridique suffisant entre les accusations ni une intention contraire du législateur[10]. La Cour supérieure a aussi notamment conclu que le Code criminel[11] créait des crimes qui subsistent indépendamment des dispositions pénales de la Loi sur les valeurs mobilières et que la divergence importante dans la durée des peines maximales pouvant être imposées en vertu des deux lois n’était pas probant pour établir la similarité des infractions recherchées.

[9] À l’aube de son procès devant jury, Lacroix a plaidé coupable sous les 200 chefs d’accusation portés contre lui et, au mois d’octobre 2009, un jugement a été prononcé quant à la détermination de sa peine[12]. La Cour supérieure s’est dite d’avis que la dissuasion devait prévaloir sur la réhabilitation en l’espèce et que seule la condamnation à une peine exemplaire pouvait atteindre un tel objectif. Une telle peine était d’ailleurs nécessaire en raison des multiples facteurs aggravants relevés, dont l’ampleur et la durée de la fraude, la complexité de l’escroquerie, la préméditation ainsi que les conséquences dévastatrices sur la population et la confiance des justiciables en général dans le système financier. Prenant aussi acte des facteurs atténuants, tels le plaidoyer de culpabilité de Lacroix et les rapports favorables de la Commission nationale des libérations conditionnelles, la Cour a conclu qu’il y avait lieu d’imposer une peine d’incarcération de 13 ans pour l’infraction la plus sérieuse commise par Lacroix, peine qui serait purgée concurremment à celles imposées pour les autres chefs d’accusation.

[10] Le sort des coaccusés de Lacroix a été connu au cours des derniers mois. Un verdict de culpabilité a été prononcé à l’encontre de Serge N. Beugré, directeur général de Norbourg, et de Jean Cholette, qui avait été responsable des finances. Leur peine doit être fixée prochainement. Un verdict d’acquittement a été rendu pour Félicien Souka, qui avait agi à titre d’informaticien pour l’entreprise, et pour Jean Renaud, qui avait été consultant chez Norbourg. Quant au dernier accusé, le vérificateur externe indépendant Rémi Deschambault, à la suite de deux procès avortés, il est maintenant libre, la Couronne ayant demandé une ordonnance d’arrêt des procédures dans son dossier.

Le recours collectif des investisseurs

[11] En septembre 2006, la Cour supérieure a autorisé l’exercice d’un recours collectif à l’encontre de Lacroix, ses complices, ses vérificateurs, les compagnies du Groupe Norbourg sous son contrôle et l’AMF[13]. Cette dernière avait été ciblée dans le contexte de ce recours car, même si elle n’avait pas pris part à la fraude, elle avait commis, selon le requérant et les investisseurs qu’il représentait, plusieurs gestes ou omissions qui pouvaient engager sa responsabilité extracontractuelle. L’AMF a allégué qu’il n’existait aucune relation de proximité entre elle et le requérant pouvant mener à une conclusion de responsabilité de sa part et, subsidiairement, elle a invoqué l’immunité à son égard prévue à l’article 32 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers[14]. Or, la Cour a jugé, d’une part, qu’il était inutile de recourir au concept de la relation de proximité, une notion de common law, puisque le régime de responsabilité établi à l’article 1457 du Code civil du Québec[15] était complet par lui-même, et, d’autre part, que la question de la défense d’immunité devait être référée au juge qui serait saisi du fond du recours.

[12] Avant le début du procès sur le fond, les parties au dossier sont parvenues à un règlement englobant tous les recours mettant en cause les investisseurs des fonds Norbourg et Évolution visant l’obtention du remboursement de leurs pertes. Il a ainsi été prévu que les défendeurs paieraient collectivement 55 millions de dollars, qui, ajoutés à diverses sommes accordées dans d’autres contextes, permettraient de récupérer, avant frais et honoraires, à peu près la totalité des sommes détournées par Lacroix.

La demande d’indemnisation des membres du recours Perfolio

[13] En sus du recours collectif, 138 investisseurs ont présenté des demandes auprès du directeur de l’indemnisation de l’AMF visant à compenser les pertes financières qu’ils avaient subies. Le directeur, qui a reconnu que ces investisseurs avaient été des victimes par ricochet du détournement perpétré par Lacroix ou ses entités et qu’il était question d’une fraude importante dans le secteur des fonds communs de placement au Québec, a rejeté les demandes, ayant conclu que le détournement était l’œuvre du gestionnaire de fonds Norbourg Gestion d’actifs, un conseiller en valeurs de plein exercice qui n’était pas régi par la Loi sur la distribution de produits et services financiers[16] et qui, par conséquent, n’était pas assujetti à l’autorité de l’AMF.

[14] Saisie d’une requête en nullité des décisions rendues, la Cour supérieure a conclu que l’examen effectué par le directeur quant au rôle d’un cabinet de distribution soumis à son contrôle devait être revu[17]. En effet, il n’était pas nécessaire, selon elle, de démontrer une influence directe sur le cabinet de distribution ou sa participation aux détournements de fonds pour qualifier l’AMF de responsable au sens de l’article 258 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. La participation du cabinet dans le contexte de la fraude orchestrée par Lacroix était suffisante pour retenir sa responsabilité, et ce, même si les transactions qu’elle effectuait pouvaient paraître entièrement normales lorsqu’elles étaient considérées hors de leur contexte. L’application de la théorie de l’alter ego fondait également à conclure à la responsabilité du cabinet et ainsi à engager celle de l’AMF. Les 138 décisions rendues par le directeur ont par conséquent été annulées et leurs demandes d’indemnisation, déclarées recevables, ont permis aux investisseurs en cause de récupérer 7,5 millions de dollars. Une inscription en appel a été déposée contre ce jugement. 

Une vue sur l’avenir

[15] Dans son jugement de janvier 2008 portant sur la condamnation de Lacroix, la Cour du Québec avait relevé l’importance tout à fait exceptionnelle du préjudice causé par l’accusé[18]. Ainsi, elle a fait ressortir que la crédibilité de l’AMF avait été ébranlée par ce scandale, tout comme la confiance du public dans les marchés financiers. Il est à espérer que les jugements qui ont été rendus au cours des dernières années et ceux qui seront rendus dans le contexte d’autres fraudes financières ayant fait la manchette depuis sauront rétablir cette crédibilité et cette confiance.

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