[1] En vertu de l’article 1425 du Code civil du Québec (C.C.Q.), dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés. Or, quelle intention doit être considérée lorsqu’il y a une divergence entre l’intention commune des parties et l’intention qui est déclarée à l’acte? Cette question a été examinée à quelques reprises par la Cour d’appel du Québec en 2011 et l’analyse qui suit se veut un retour sur ces dossiers.

Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Services environnementaux AES inc.[1]

[2] Dans le contexte d’une réorganisation, Services environnementaux AES inc. a choisi de céder 25 % des actions qu’elle détenait dans sa filiale, Centre technologique AES inc. Les deux entités ont convenu d’une entente de réorganisation en utilisant les dispositions de l’article 86 de la Loi de l’impôt sur le revenu[2] et elles ont donné instruction à leurs conseillers respectifs de procéder à sa mise en œuvre de manière à différer les répercussions fiscales de la transaction d’échange d’actions. Or, les documents contractuels qui ont été préparés ne reflétaient pas cette intention et Services environnementaux AES a reçu un avis de cotisation de l’Agence des douanes et du revenu du Canada ajoutant un gain en capital imposable important au revenu de l’année d’imposition visée. Services environnementaux AES et sa filiale ont alors demandé la rectification des documents contractuels de façon à refléter leur véritable intention.

[3] La juge de première instance[3], au terme d’un bref rappel sur la jurisprudence pertinente[4], a fait droit à la requête en rectification et a déclaré que la modification des documents afférents à la transaction avait un effet rétroactif à la date de la transaction et qu’elle était opposable aux tiers en général et aux autorités fiscales en particulier.

[4] La Cour d’appel[5] a conclu que la juge de première instance pouvait permettre la correction du document porteur d’un contrat en cas de divergence entre l’intention commune des parties (le negotium) et celle déclarée à l’acte (l’instrumentum) lorsque la demande est légitime et nécessaire et que la correction recherchée n’influera en rien sur les droits des tiers. Pour la Cour, ce pouvoir est la conséquence implicite de la règle énoncée à l’article 1425 C.C.Q. Services environnementaux AES et sa filiale ne cherchaient pas à réécrire l’histoire fiscale du dossier mais à rendre les documents conformes à l’histoire qu’elles avaient conçue et écrite à partir du scénario proposé par les lois fiscales.

Riopel c. Agence du revenu du Canada[6]

[5] En septembre 2004, Riopel et Archambault, des époux qui exploitaient ensemble l’entreprise Déchiquetage mobile JR inc., ont rencontré leur comptable ainsi qu’un fiscaliste en vue de discuter et de convenir d’une planification fiscale pour fusionner cette entreprise et une société de portefeuille appartenant à Riopel. Les objectifs de l’opération, soit le transfert des actions de Déchiquetage à la société de portefeuille, sans conséquences fiscales, avaient été clairement établis. Or, les étapes de la planification ne se sont pas déroulées comme prévu en raison d’une erreur commise par le fiscaliste dans les statuts de fusion et, en 2007, l’Agence du revenu du Canada et le ministère du Revenu du Québec ont réclamé à Archambault environ 150 000 $ avec intérêts courus depuis 2004. Archambault, Riopel et la nouvelle entité ont présenté une requête pour rectification de contrat de vente, invoquant le fait qu’il ne reflétait pas leur intention et qu’il y avait eu un lapsus matériel.

[6] La juge de première instance[7], ayant noté que l’erreur invoquée portait sur des conséquences fiscales, non anticipées, attribuables aux conseils des professionnels consultés et entachant le consentement des contractants, a conclu qu’il ne s’agissait toutefois pas d’une erreur matérielle susceptible d’être corrigée mais plutôt d’une erreur touchant la substance même de la structure de la transaction.

[7] Ce jugement a cependant été infirmé en appel[8] à la lumière de l’article 1425 C.C.Q. et des enseignements des arrêts Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Ste-Foy[9] et Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Services environnementaux AES inc.[10]Ainsi, la Cour a noté que le dossier ne s’inscrivait pas dans la perspective de l’erreur comme vice de consentement et qu’il y avait en réalité un écart entre l’intention commune des parties et leur intention déclarée puisque le contenu des documents rédigés n’était tout simplement pas conforme à leur véritable intention. La Cour a aussi conclu que l’on ne pouvait reprocher aux appelants le fait de ne pas avoir lu attentivement les documents signés ou de ne pas avoir décelé l’erreur, car ils étaient profanes en la matière et pouvaient se fier à leurs prestataires de services et légitimement présumer que les documents qui leur avaient été présentés traduisaient leur volonté contractuelle. Il y avait donc divergence entre le negotium et l’instrumentum, de sorte qu’une réconciliation entre la volonté des parties et l’écrit instrumentaire qui aurait dû la constater s’imposait. 

Ihag-Holding, a.g. c. Intrawest Corporation[11]

[8] En janvier 1997, Ihag-Holding, a.g. a vendu à Corporation Intrawest la totalité des actions qu’elle détenait dans un centre de villégiature. Dans le contexte de la transaction intervenue, une entente de crédit à long terme a été rédigée, prévoyant la possibilité pour Ihag d’exiger le paiement d’une somme devant être calculée en appliquant une formule. Or, lors de la rédaction du troisième projet d’entente, l’avocate d’Intrawest a fait une erreur à l’avantage d’Ihag et personne ne l’a remarquée, ni dans cette version de l’entente ni dans les six autres qui ont suivi. Lorsqu’elle a institué un recours en dommages-intérêts contre Intrawest, Ihag a cherché à obtenir le paiement d’une somme de 6 203 632 $, invoquant les termes de l’entente.

[9] Le juge de première instance[12] a conclu qu’il était possible de mettre de côté une clause d’intégralité du contrat contenue dans la convention pour prendre en considération une lettre d’intention antérieure afin de déterminer si une erreur s’était produite lors de la rédaction de la convention, d’une part, car il avait l’obligation de déterminer l’intention commune des parties dans l’éventualité où elle n’aurait pas été reflétée dans la convention et, d’autre part, car les règles de la bonne foi permettaient une telle mise de côté. Selon lui, Ihag n’avait pas agi de bonne foi en exigeant l’application de l’entente au détriment d’Intrawest et elle avait agi abusivement en invoquant la clause d’intégralité pour contrer la preuve d’une erreur de rédaction. Sur ce dernier élément, le juge a déterminé la survenance d’une erreur matérielle lors de la rédaction de la convention de prêt. Cette erreur, qu’aucune des parties n’avait remarquée, menait, dans son application, à une transaction commerciale déraisonnable et dénuée de sens, et elle était excusable puisque, notamment, un bon nombre de professionnels d’expérience et de gens d’affaires avaient vu la définition erronée sans remarquer l’erreur eux-mêmes. Pour remédier à la situation, le juge a décidé qu’il y avait lieu de faire respecter l’intention commune des parties eu égard au paiement conformément à la lettre d’intention qu’elles avaient signée, et ce, même si cette lettre ne devait pas les lier.

[10] La Cour d’appel[13] a maintenu le jugement de première instance, notant qu’il était possible de résoudre le litige en appliquant les arrêts récents qu’elle avait rendus au sujet de la détermination de l’intention commune des parties. Ainsi, après avoir repris l’analyse qu’elle avait effectuée dans l’arrêt Riopel[14], elle a conclu que le juge de première instance avait eu raison de rechercher la commune intention compte tenu de l’écart entre la lettre d’intention, le negotium, et la convention de prêt, l’instrumentum, et que rien ne fondait à intervenir en appel quant aux conclusions du juge.

Conclusion

[11] À la lumière des jugements dont nous avons traité ci-dessus, il appert donc que, même en présence d’un écrit clair, nous pourrons trouver une divergence entre l’intention commune des parties et l’intention qui est déclarée à l’acte et que, dans une telle situation, il faudra procéder à la recherche de l’intention commune et la faire respecter, pourvu que les droits des tiers ne soient pas touchés.

[12] Il reste à voir si un éclairage additionnel de la Cour suprême du Canada, qui a autorisé des pourvois dans les dossiers Services environnementaux AES et Riopel, viendra confirmer ou non la position de notre Cour d’appel.

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