[1] L’industrie de la sécurité privée a connu de profondes transformations au cours des dernières années. En effet, depuis l’adoption de la Loi sur la sécurité privée[1], en juillet 2010, de nouvelles règles sont applicables. Le Bureau de la sécurité privée, issu de cette loi, doit notamment s’assurer que les demandeurs de permis d’agent respectent certains préalables, dont celui d’avoir de bonnes mœurs en application de l’article 19 paragraphe 2 de la loi.

[2] De plus, l’article 27, dans sa version en vigueur à ce jour, prévoit que, «[l]ors d’une demande de délivrance ou de renouvellement de permis […], le Bureau transmet à la Sûreté du Québec les renseignements nécessaires» afin que cette dernière effectue les vérifications requises pour permettre de déterminer si la condition des bonnes mœurs est remplie. «À cet effet, le Bureau transmet à la Sûreté du Québec les renseignements concernant les titulaires de permis. La Sûreté du Québec informe le Bureau du résultat de ses vérifications et donne son avis quant au respect des conditions.»

[3] L’exigence d’avoir de bonnes moeurs a donné lieu à des décisions de la part du Tribunal administratif du Québec (TAQ), Section des affaires économiques, au regard des demandeurs de permis d’agent de sécurité ou d’agent de gardiennage, selon la terminologie employée dans la loi. Voici quelques-unes des décisions rendues.

[4] Dans Chainey c. Bureau de la sécurité privée[2], le requérant a demandé le renouvellement de son permis à l’expiration de celui-ci. Il a déclaré qu’il faisait l’objet de poursuites de nature criminelle à la suite d’un même événement, à savoir introduction par effraction dans un dessein criminel, séquestration, méfait, profération de menaces, voies de fait et intimidation. Il avait également fait l’objet d’autres chefs d’accusation criminelle par le passé et avait été acquitté. Le Bureau a rejeté sa demande de permis de gardiennage au motif qu’il ne satisfaisait pas à la condition d’avoir de bonnes mœurs.

[5] Le TAQ a d’abord défini les bonnes mœurs. Il a indiqué que ce concept fait référence à un ensemble de valeurs morales ou sociales acceptées dans un contexte donné et à partir desquelles une conduite ou un comportement est évalué. La description des activités de gardiennage se rapporte à la protection des personnes, des biens et des lieux, à la prévention de la criminalité de même qu’au maintien de l’ordre. Les valeurs sous-jacentes au permis de gardiennage sont minimalement le respect des personnes, des biens, des personnes en situation d’autorité et de la loi ainsi que la maîtrise de soi. La conduite des candidats ou des titulaires de ce permis doit être évaluée en fonction de ces critères pour déterminer leurs bonnes moeurs.

[6] Selon le TAQ, les accusations criminelles portées contre le requérant sont directement reliées aux responsabilités ou aux valeurs relatives au permis d’agent de gardiennage. Toutefois, ces accusations ne suffisent pas en soi pour établir que le requérant n’a pas ou n’a pas eu une conduite ou un comportement qui respecte ces valeurs ou, en d’autres termes, les bonnes moeurs. En effet, la condition des bonnes moeurs suppose une enquête ou une étude approfondie du dossier, c’est-à-dire une constatation de faits démontrant l’inaptitude de la personne à exercer les fonctions. Cette démonstration ne peut reposer sur la seule existence d’accusations criminelles. L’évaluation des bonnes moeurs d’une personne nécessite l’appréciation de son comportement à partir d’un examen rigoureux des faits et des circonstances qui ont pu conduire à des accusations criminelles.

[7] Le TAQ précise sa pensée en mentionnant que, lorsqu’il fonde sa décision sur la seule existence d’accusations criminelles, le Bureau crée en quelque sorte un automatisme qui engendre une confusion avec le critère des antécédents judiciaires et qui comporte un risque d’incohérence dans l’éventualité où la personne est acquittée ou libérée de ces accusations. Les bonnes mœurs d’une personne ne peuvent varier dans le temps en fonction du résultat de ces poursuites criminelles. À cet égard, les bonnes mœurs et les antécédents judiciaires constituent, suivant la loi, des conditions d’admissibilité distinctes. Le Bureau n’a donc pas à attendre un verdict ou un plaidoyer de culpabilité avant de procéder à son évaluation puisque ces questions sont différentes et obéissent à des fardeaux de preuve différents. Le principe de la présomption d’innocence, exclusivement applicable dans un contexte de poursuites criminelles et pénales, ne constitue pas un empêchement à l’examen de la conduite d’une personne sur la base des mêmes événements.

[8] Le TAQ conclut donc que le Bureau doit faire sa propre enquête et procéder à sa propre évaluation des faits, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés, puisque le manque d’informations au dossier ne lui permet pas de rendre lui-même la décision. En conséquence, il renvoie le dossier au Bureau afin que ce dernier procède à l’examen du comportement du requérant ainsi qu’à celui des faits et des événements ayant conduit au dépôt d’accusations criminelles et qu’il décide si ce comportement satisfait ou non à la condition d’avoir de bonnes moeurs.

[9] Le Bureau a demandé la révision judiciaire de cette décision. La Cour supérieure a souligné que les vérifications relatives aux bonnes mœurs n’ont pas été effectuées par le Bureau lui-même mais par la Sûreté du Québec. En vertu de l’article 27, celle-ci doit transmettre les conclusions de cette vérification. Or, la transmission des conclusions consiste non seulement à énumérer les différents plumitifs, mais aussi à se prononcer sur le caractère de bonnes moeurs prévu à l’article 19 paragraphe 2. La décision du TAQ de renvoyer le dossier au Bureau est raisonnable dans les circonstances puisque la Sûreté du Québec n’a aucune conclusion quant aux bonnes moeurs. C’est elle qui a le mandat exprès de donner sa conclusion[3].

[10] Dans Cousineau c. Bureau de la sécurité privée[4], le requérant a été accusé de possession de drogue. Il a soutenu que, ayant plaidé coupable sous l’accusation postérieurement à sa demande de permis, il a obtenu une absolution inconditionnelle.

[11] Le TAQ indique que, à la date du refus du permis, le Bureau ignorait l’existence du plaidoyer de culpabilité et de l’absolution reçue par le requérant. Si, pour évaluer le bien-fondé du recours, il fallait se reporter à la date de la demande de permis, il faudrait se demander si le dossier du requérant démontre une absence de bonnes moeurs. Toutefois, il y a lieu de prendre en considération l’article 30 de la loi, qui édicte que le Bureau peut révoquer un permis dans le cas où un titulaire est reconnu coupable d’une infraction ayant un lien avec l’activité qu’il exerce ou s’il n’a plus de bonnes moeurs.

[12] L’article 1 de la loi prévoit la définition du «gardiennage», soit «la surveillance ou la protection de personnes, de biens ou de lieux principalement à des fins de prévention de la criminalité et de maintien de l’ordre». Le Bureau semble voir une incompatibilité entre la possession d’une substance interdite et la prévention de la criminalité. Ainsi, il interprète de façon très large la notion de «prévention de la criminalité». Selon cette interprétation, toutes les infractions au Code criminel[5] empêchent une personne de prévenir la criminalité. Cette interprétation large vide de sens la notion de «lien avec l’exercice de l’activité pour laquelle il demande un permis».

[13] L’infraction n’a pas été commise pendant que le requérant exerçait son métier d’agent de gardiennage, mais bien avant, et dans sa vie privée. Rien dans la commission de l’infraction ne permet de douter qu’il possède les qualités requises pour exercer le métier d’agent de gardiennage. L’infraction commise n’entache pas le lien de confiance avec le public. Le Bureau doit donc délivrer le permis réclamé.

[14] L’affaire Bhatti c. Bureau de la sécurité privée[6] illustre des exemples de preuve de bonnes mœurs. Dans cette affaire, le requérant a été accusé de conduite avec les facultés affaiblies, de conduite avec une alcoolémie de plus de 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, de conduite dangereuse et d’avoir faussement prétendu être un agent de la paix. Au moment de l’audience, il n’avait pas encore subi son procès.

[15] Le TAQ reprend l’affirmation selon laquelle la mise en accusation est certainement l’un des éléments devant être considérés par le Bureau mais qu’il ne peut s’agir du seul facteur déterminant. À l’égard de l’article 27, le Bureau devait examiner l’ensemble du dossier du requérant pour être en mesure de tirer une conclusion. Cette appréciation doit tenir compte de la nature de l’activité visée par la demande de permis.

[16] En l’espèce, le Bureau n’a pas examiné la situation particulière du requérant avant de conclure que celui-ci n’avait pas de bonnes moeurs. Or, le requérant n’a pas d’antécédents judiciaires. Il a suivi une formation spécialisée en techniques policières et il s’est vu décerner un diplôme par l’École nationale de police du Québec. Il a exercé plusieurs emplois dans le domaine de la sécurité privée pour différents employeurs ou en qualité de policier au cours des dernières années. Il a mis en preuve à l’audience plusieurs lettres d’appréciation du travail qu’il avait effectué dans différents contextes, lesquelles proviennent autant d’anciens employeurs que de citoyens. Il a déjà détenu un permis d’agent de sécurité délivré par la Sûreté du Québec, qui est maintenant expiré, et il a exercé dans le domaine de la sécurité.

[17] Les événements ayant mené aux accusations sont isolés et ne démontrent pas, en eux-mêmes, que le requérant n’a pas les qualités morales requises pour exercer l’activité de gardiennage, ses acquis du passé ayant plutôt établi le contraire. Quant au fait qu’il n’a pas déclaré l’infraction d’avoir faussement prétendu être un agent de la paix, les actes reprochés relèvent de la même série d’événements et il a effectivement déclaré la poursuite relative aux facultés affaiblies.

[18] Par ailleurs, s’il est reconnu coupable à l’issue du procès criminel sous les différents chefs d’accusation ou qu’il récidive relativement à des actes donnant lieu ou susceptibles de donner lieu à des accusations criminelles, le Bureau pourra exercer le pouvoir prévu par l’article 30 pour suspendre ou révoquer le permis accordé, le cas échéant. Le dossier est donc renvoyé au Bureau afin que soit délivré au requérant un permis d’agent de gardiennage.

[19] Enfin, l’affaire Csukassy-Amsellem c. Bureau de la sécurité privée[7] ressemble beaucoup à la décision précédente. Le requérant a été accusé de conduite dangereuse, de fuite alors qu’il était poursuivi par un agent de la paix, d’omission de s’arrêter lors d’un accident et d’agression armée sur la personne d’un agent de la paix. Le Bureau a précisé que la dernière infraction était manifestement incompatible avec le travail d’agent de gardiennage puisque la pratique de ce métier vise précisément à surveiller et à protéger des personnes, des lieux et des biens et à prévenir la criminalité.

[20] Encore une fois, le TAQ rappelle que la mise en accusation constitue l’un des éléments devant être considérés par le Bureau dans la détermination de la condition des bonnes mœurs mais qu’il ne peut s’agir du seul facteur déterminant. Le Bureau doit apprécier, à la lumière de l’ensemble du dossier d’un demandeur de permis, si la personne remplit la condition des bonnes mœurs.

[21] Au moment de rendre sa décision, le Bureau n’avait pas à sa connaissance tout le dossier du requérant. Le TAQ ne croit pas que le seul fait de faire l’objet d’une poursuite de nature criminelle soit suffisant en soi pour refuser au requérant la délivrance du permis recherché. De la même manière, le fait d’avoir été reconnu coupable d’une infraction pour un acte ou une omission constituant une infraction au Code criminel ou d’une infraction visée à l’article 183 C.Cr. créée par l’une des lois qui y sont énumérées n’est pas déterminant en soi pour refuser la délivrance du permis.

[22] L’infraction en question doit avoir un lien avec l’exercice de l’activité pour laquelle le permis est demandé, à moins qu’il n’y ait eu pardon. Il n’y a pas de justification valable à un traitement plus sévère à l’égard d’une personne qui fait l’objet d’une poursuite en vertu du Code criminel mais qui n’a pas été condamnée, au motif que cette personne ne serait pas de bonnes mœurs du fait des accusations.

[23] Le TAQ considère que le requérant a de bonnes mœurs et qu’il possède les qualités requises à l’exercice de l’activité d’agent de gardiennage. Il n’a pas d’antécédents judiciaires. Il a pu poursuivre sa formation spécialisée en techniques policières et l’évaluation de son stage au sein de la Sûreté du Québec est excellente. Il a exercé plusieurs années dans le domaine de la sécurité privée et il désire poursuivre sa carrière dans ce domaine. Il a d’ailleurs déjà détenu un permis d’agent de sécurité délivré par la Sûreté du Québec.

[24] Les événements ayant mené aux accusations sont des événements isolés et ne démontrent pas, en eux-mêmes, que le requérant n’a pas les qualités morales requises pour exercer l’activité de gardiennage. Par ses acquis du passé, il a démontré qu’il possédait les qualités morales requises pour exercer l’activité de gardiennage. Il a de bonnes mœurs et le public peut avoir confiance en lui dans l’exercice de l’activité d’agent de gardiennage.

[25] Encore une fois, le TAQ réitère que, advenant le fait que le requérant soit reconnu coupable à l’issue du procès criminel sous les différents chefs d’accusation ou qu’il récidive relativement à des actes donnant lieu ou susceptibles de donner lieu à des accusations criminelles, le Bureau pourra exercer le pouvoir prévu par l’article 30 pour suspendre ou révoquer son permis, le cas échéant.

Conclusion

[26] Le demandeur de permis qui fait l’objet d’accusations criminelles a intérêt, lorsqu’il présente sa demande de permis ou réclame le renouvellement de celui-ci, à bien documenter sa formation ainsi que ses expériences de travail de pertinentes et à présenter des lettres d’appréciation. Le Bureau, en application de l’article 27, doit transmettre le tout à la Sûreté du Québec, laquelle formulera sa recommandation.

[27] Cependant, recommandation favorable ou non, l’article 19 paragraphe 3 de la loi prévoit que le demandeur de permis doit «ne jamais avoir été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit, d’une infraction pour un acte ou une omission qui constitue une infraction au Code criminel […] ou une infraction visée à l’article 183 de ce Code créée par l’une des lois qui y sont énumérées, ayant un lien avec l’exercice de l’activité pour laquelle il demande un permis, à moins qu’il en ait obtenu le pardon». Ainsi, en dépit d’une recommandation favorable, le demandeur pourra éventuellement voir son permis être révoqué en vertu de l’article 30 s’il ne respecte plus les conditions qu’impose l’article 19 paragraphe 3.

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