Publié initialement sur LesAffaires.com.

Ce n’est pas parce que l’on respecte les termes d’une loi que l’on est forcément soustrait à l’intervention des tribunaux. Air Canada vient de l’apprendre à ses dépens dans Québec (Procureur général) c. Air Canada.

Les faits

En 1988, le Parlement a adopté une loi privatisant Air Canada (Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada).

À la suite d’une restructuration en 2004, Air Canada a créé une entité indépendante chargée de l’entretien lourd de flotte, une entreprise qui deviendra éventuellement Aveos Fleet Performance inc.

En 2012, aux prises avec de sérieuses difficultés financières, Aveos s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et a presque cessé toute activité.

Il est à noter que dans les mois qui ont précédé cette déconfiture, Air Canada avait réduit de façon considérable le volume d’affaires qu’elle confiait à Aveos.

Depuis lors, Air Canada a modifié en profondeur son plan d’affaires en matière d’entretien.

En effet, les travaux d’entretien spécialisés effectués pour Air Canada dans la région de Montréal représentent aujourd’hui une partie insignifiante de ce qui se faisait à l’époque d’Aveos ou de la privatisation. Air Canada a d’ailleurs confié l’entretien spécialisé de ses quelque 85 Airbus à AAR, une entreprise américaine qui a, pour l’exécution de ce contrat, créé de toutes pièces un nouveau centre d’entretien au Minnesota.

Les procédures

Le procureur général du Québec a donc demandé à la Cour supérieure de déclarer qu’Air Canada violait l’article 6 de la loi ayant privatisé Air Canada.

La partie était loin d’être gagnée.

En effet, cet article oblige Air Canada à inclure dans ses statuts corporatifs des dispositions l’obligeant à maintenir les centres d’entretien et de révision dans les villes de Winnipeg, Mississauga et Montréal.

Or, les statuts d’Air Canada contiennent effectivement de telles dispositions.

Ainsi, les avocats d’Air Canada ont plaidé que leur cliente se conformait à la loi.

La décision

Cet argument a cependant été rejeté.

À cet égard, le juge s’est notamment fondé sur des déclarations faites par le président d’Air Canada en 1988, au cours de l’adoption de la loi par le Parlement. Questionné à cet égard par un député de Winnipeg, le président avait en effet répondu que la loi telle qu'elle est rédigée aurait pour effet d’empêcher Air Canada de démanteler unilatéralement les centres d’entretien.

Selon le juge, dans un tel contexte, se conformer au texte législatif tout en délocalisant l’entretien de sa flotte constituait pour Air Canada une tentative inacceptable de se soustraire aux effets d’un texte législatif. La jurisprudence fait référence à un tel procédé sous l’expression «fraude à la loi».

Il fallait donc, selon le juge, qu’Air Canada obtienne un amendement législatif avant d’effectuer un changement aussi important de son plan d’affaires.

Répercussions

Il sera intéressant de voir comment la situation se dénouera.

La Cour d’appel va-t-elle se montrer du même avis que le juge de première instance?

Le gouvernement fédéral va-t-il intervenir en apportant un amendement à la loi?

Quelles seront les conséquences de ce jugement sur la validité du contrat intervenu entre Air Canada et la firme américaine AAR pour l’entretien des Airbus?

Le jugement va-t-il améliorer le sort des travailleurs d’Aveos alors que la plupart des éléments d’actif de cette dernière ont déjà été liquidés?

À suivre!